|
Après La fin de
l’histoire, Francis Fukuyama s'est également intéressé aux conséquences
des évolutions biotechnologiques. En 2003, son livre Our posthuman future
(La fin de l’Homme), tente de montrer que les biotechnologies peuvent réussir
là où l’ingénierie sociale a échoué. « Nous n’approchons nullement de la fin
de la science et il semblerait même que nous soyons au cœur d’une période
d’avancée monumentale dans les sciences de la vie. »
En quoi la révolution biotechnique a-t-elle le pouvoir de transformer
l’homme au plus profond de lui-même, ainsi que les mécanismes de la société
elle-même ? Grâce à de nouveaux médicaments qui agissent sur le cerveau, il
est possible de réduire l’anxiété, d’améliorer la capacité à apprendre de
nouvelles choses, d’augmenter la résistance et la motivation, de diminuer la
sensibilité à la douleur. Il écrit : « L’humanité sera bientôt capable
de stimuler l’intelligence, la mémoire, la sensibilité émotionnelle et la
sexualité, aussi bien que de réduire l’agressivité et de manipuler le
comportement de mille autres façons ». Faut-il s'inquiéter de ces
transformations conduisant vers une post-humanité ?
La droite se montre plus ouverte à la biotechnique et accepte le fait
que l’inné (l’hérédité) joue un grand rôle chez l’individu. Excepté pour
l’orientation sexuelle, la gauche se montre réactionnaire par rapport à la
biotechnique. Elle refuse d’accepter que la génétique influe sur l’intelligence,
le caractère de l’enfant. « Bien des gens de gauche auraient aimé ruiner les
arguments sur l’intelligence génétique comme intrinsèquement racistes et
résultant du travail de pseudo-scientifiques, mais la science elle-même ne
permet pas ce genre de simplification ».
Selon Fukuyama, on ne peut que s'accorder sur ses bienfaits médicaux
attendus. Mais il souligne tout de même plusieurs objections. Du point de vue
économique, les biotechnologies ne pourront pas se développer compte tenu des
coûts énormes engendrés, bien supérieurs aux bienfaits attendus. Par
ailleurs, le politiquement-correct pourrait conduire les parents à faire des
choix contraires à l’intérêt de leurs enfants, en fonction d'une mode ou
d'une contrainte culturelle.
Mais surtout, la nature est un équilibre fragile et dénaturer l’homme
peut avoir des conséquences dramatiques, invisibles aujourd’hui. La nature humaine modèle et
détermine les différents types possibles de régimes politiques, si bien
qu'une technique assez puissante pour remodeler ce que nous sommes risque
bien d'avoir des conséquences potentiellement mauvaises pour la démocratie
libérale et la nature de la politique elle-même. Les États-Unis se sont édifiés sur la
base du droit naturel ainsi que sur les libertés fondamentales et l’égalité
de tous. Et une bonne partie de notre monde politique repose sur l’existence
d’une « essence » humaine stable dont nous sommes dotés par nature.
C’est
pourquoi, conclut-il, « nous n’avons à
accepter aucun de ces mondes futurs sous le faux étendard de la liberté,
qu’il soit celui des droits de reproduction illimités ou celui de la
recherche scientifique sans entraves. Nous ne devons pas nous considérer
nous-mêmes comme les esclaves obligés d’un progrès technologique inéluctable,
si ce progrès n’est pas mis au service de finalités humaines favorables. La
liberté véritable signifie la liberté, pour les communautés politiques, de
protéger les valeurs qui leurs sont les plus chères ; et c’est cette
liberté-là qu’il nous faut exercer à l’égard de la révolution biologique
d’aujourd’hui ».
Ainsi, face au défi que pose ce genre de technologie, où le bien et le
mal sont intimement liés, Fukuyama plaide pour une régulation politique du
développement et de l’utilisation de la technologie, en mettant sur pied des
institutions régulatrices qui doivent être investies du pouvoir d’imposer les
discriminations sur le plan national, puis de s’étendre ensuite sur le plan
international. Pour lui,
la science est devenue un domaine éminemment politique. Il en va de l'avenir
de l'homme.
Il écrit :
« Les pays doivent réguler politiquement le développement et
l'utilisation de la technique en mettant sur pied des institutions qui
discrimineront les progrès techniques qui favorisent la prospérité de l'humanité
et qui font peser des menaces sur la dignité et le bien-être de
l'homme ». Toutefois, ajoute-t-il, « il y a bien des approches
différentes de la réglementation, allant de l’autorégulation par l’industrie
ou la communauté scientifique avec un minimum de surveillance
gouvernementale, à la régulation formelle par le biais d’une agence
institutionnelle ».
À lire
Francis Fukuyama, La
Fin de l'homme, les conséquences de la révolution biotechnique, Folio actuel, 2004.
Francis Fukuyama, Le grand bouleversement : La nature
humaine et la reconstruction de l'ordre social, éditions de La Table
Ronde, 2003.
|
|