La
futilité de la politique aux Etats-Unis est désormais telle que le public
s’est laissé porter exactement dans cet état de songe et de soif de sang que
nous décrivent tant de films populaires, un cauchemar de décadence, d’absence
de pouvoir, de dégénérescence qui correspondent parfaitement à la condition
même de la sphère politique américaine délabrée qui a perdu tout état de
conscience et ne cherche plus qu’à infecter les foules saines, qui peu à peu
s’amenuisent. Presque personne dans ce pays ne pense plus que nous puissions
gérer nos propres affaires.
Mais
le pouvons-nous ? L’un des signes d’une culture en état d’explosion est la
perte du sens de conséquence. Les évènements semblent se succéder sans que
personne se soucie réellement des chaines de décision et d’évènements. Beaucoup
de choses se passent, et plus rien n’a d’importance.
L’une
des raisons pour lesquelles cela nous arrive aujourd’hui est que nous avons
permis à la réalité de se séparer de la vérité. Karl Rove ne faisais pas de
blagues, lorsque pendant l’ère Bush-2, il nous annonçait que nous avions
« créé notre propre réalité ». Ce que Karl n’a pas dit, c’est que
tout ça a un prix. Sur le court terme, nous pouvons peut-être prétendre
disposer de superpouvoirs et agir à l’encontre de toute logique. Mais sur le
plus long terme, notre vision du monde est si différente des faits du monde
réel que plus rien ne peut continuer de fonctionner.
La
tragédie de Barack Obama, c’est qu’il a poursuivi les bases de la doctrine de
Karl Rove sans pour autant en parler. Je ne sais pas s’il est un otage, un
costume vide ou un imbécile, mais il n’a fait que renforcer l’idée qu’il soit
possible de mentir à propos de n’importe quoi. Les activités criminelles
ont-elles rongé le système bancaire des années durant ? Ne vous en
souciez donc pas. L’économie des Etats-Unis ne se contracte-t-elle pas plutôt
que de traverser une reprise ? Contentons-nous d’inventer des chiffres.
Les fonctionnaires des Etats-Unis se sont-ils comportés en criminels de
guerre Nazis face à leurs prisonniers ? Oui, et alors ? Le
Département d’Etat et la CIA ont-ils renversé le gouvernement élu ukrainien
afin de donner lieu à un nouveau conflit complètement inutile avec la Russie ?
Peut-être, mais qui s’en soucie ? L’Affordable Care Act n’était-il rien
de plus qu’une escroquerie au service du racket du monde de l’assurance et
pharmaceutique ? Nous le lirons une fois qu’il aura été voté. Oh, et le
pétrole de schiste nous rendra énergiquement indépendants (ou non).
Avez-vous
remarqué la manière dont ces incongruités percolent avec l’attention du
public avant d’être pour toujours oubliées, comme des rêveries, sans
résolution aucune ? J’ai déjà abordé ce sujet par le passé parce qu’il
représente, selon moi, le plus gros échec d’Obama : quand la Cour
suprême a décidé que les corporations étaient autorisées à exprimer leurs
convictions politiques en achetant des politiciens, pourquoi le président n’a-t’il
pas rejoint le Congrès, à l’époque majoritairement démocratique, pour
proposer une loi ou un amendement capable de redéfinir la différence entre l’identité
des corporations et la condition de citoyenneté ? Comment un avocat
constitutionnel a-t’il pu passer si loin de la réalité selon laquelle les
corporations n’ont légalement et explicitement aucune obligation, aucun
devoir et aucune responsabilité s’accordant avec l’intérêt du public ?
Pourquoi cette évidence n’a-t’elle pas sauté aux yeux de quiconque ? Et
pourquoi personne n’a cherché à rectifier cette erreur ?
Voilà
qui force la question suivante : où sont les opposants à l’idée que les
évènements se suivent sans que plus aucun n’ait d’importance ? Où sont
les figures politiques capables de se mobiliser suffisamment longtemps, et de
s’exprimer avec assez de clarté, pour graver dans l’esprit du public le
besoin de faire la différence ? Les adeptes des théories de la
conspiration pourraient dire que l’appareil de sécurité nationale (la NSA et
ses servants) et Wall Street sont à la tête du pays et suppriment d’une
manière ou d’une autre toute forme d’opposition. Je n’y crois pas du tout.
Les cultures traversent des épisodes tragiques, elles perdent pieds, ou la
volonté d’être honnêtes envers elles-mêmes.
Aux
dernières nouvelles, Mr Jeb Bush est bien au-devant de ses rivaux
républicains à l’approche des nominations présidentielles. Un grand pas pour
la bataille des dynasties. Bush versus Clinton 2016. Je suppose que cette
possibilité insultante réveillera les Américains aux cervelles endolories et
les sortira finalement de leur torpeur. Un troisième parti fera son
apparition. Il pourra être bon comme mauvais, mais il fera voler en éclat la
nature actuelle du système. Et il le devrait.