Quand on a un peu d’argent, on peut toujours organiser des dîners gastronomiques, payés par le contribuable, dans les ambassades du monde entier. L’excuse officielle pour s’empiffrer sera qu’on y présentera à la face du monde ébahi toute la richesse de notre gastronomie que le monde mérite de connaître. Et puis, ça nous fera du tourisme, ma brave dame. Ça, c’est quand on a un peu d’argent.
Mais quand on a beaucoup d’argent, on construit un pont. Ou une route. Ou mieux encore, des lignes de chemin de fer.
La ligne de chemin de fer, c’est l’exemple type de construction à la fois pharaonique dans ses proportions (on parle en milliards d’euros, on parle en milliers d’emplois, on parle en centaines de kilomètres et en centaines de contrats et donc, potentiellement, en dizaines de petits pots de vins tintinnabulants), et babylonesque dans ses effets de bords quand ça commence à partir en sucette. Actuellement, en France, en plus de la LGV Est Européenne et la LGV Bretagne, deux projets majeurs sont en cours de développement concernant les lignes grande vitesse qui sont aux trains ce que les autoroutes sont aux voitures : des gros pipelines d’argent public.
Le premier projet est une amélioration notoire de l’axe Paris – Bordeaux permettant, sur le papier, de mettre Bordeaux à un tout petit peu plus de deux heures de Paris d’ici 2017 ; si Juppé est élu, cela lui sera pratique pour venir à Paris. Et si Sarkozy est élu, cela lui sera pratique pour renvoyer Juppé à Bordeaux.
Las. Comme nous l’apprend un récent article de Capital, l’affaire semble assez mal engagée, à tous points de vue. Entre un montant total des opérations qui frise le délirant aux fers chauds (on parle de près de 8 milliards d’euros, ce qui en fait déjà la plus grosse concession privée d’Europe), les bisbilles interminables entre tous ceux qui veulent bénéficier du tracé et des arrêts de trains sans vouloir le financer, l’inénarrable gestion au cordeau de la SNCF, entité publique réputée autant pour sa ponctualité que ses bénéfices commerciaux récurrents, et, bien sûr, l’inévitable versant politique de tout ce fatras, tous les éléments sont réunis pour que la grosse affaire tourne au vinaigre.
Déjà, il se pourrait que la ligne ne soit pas aussi rentable que prévue. Apparemment, la SNCF semble avoir été embarquée plutôt nolens que volens dans l’histoire et sur des prévisions de trafic légèrement optimistes puisqu’établies avant la crise et avant la hausse de TVA. À ceci s’ajoute la méchante concurrence du covoiturage en pleine expansion en France, d’autant plus que les prix des billets de train n’ont cessé d’augmenter. Ici, il serait méchant (mais rigolo) de factoriser la prochaine concurrence des lignes de car « Loi Macron », mais en tout cas, le résultat est que, d’après Pépy, le patron de la SNCF, il faut prévoir une perte de l’ordre de 200 millions d’euros par an au cours des premières années d’exploitation.
Mais le problème, déjà financièrement épineux, devient en plus urticant lorsqu’on apprend que les collectivités territoriales refusent à présent de payer en découvrant que, devant ces prévisions calamiteuses intensives en argent public, la SNCF projette de réduire les dessertes prévues au départ. Il faut dire, à la décharge de la SNCF, que les arrêts prévus pour les villes intermédiaires ajoutent près de 20 minutes au trajet global, et donnent un petit cachet omnibus et TER à une ligne au départ prévue pour la grande vitesse. Eh oui, si sur le papier Paris aurait pu n’être qu’à 2h05 de Bordeaux, hors du papier, il va y avoir des surprises.
Devant ces éléments et avec une candeur que seul un élu peut se permettre, Gilles Savary, député PS de la Gironde, s’emporte un tantinet :
« Tout ça n’est qu’un jeu de dupes ! On a inventé un montage financier monstrueux en faisant payer des collectivités qui ne verront jamais la ligne arriver chez eux. L’histoire est écrite d’avance : les promoteurs ne s’en sortiront pas tout seuls. Donc, au final, c’est l’État qui va allonger. »
Ah non, mon brave Gilles, désolé de vous le dire, mais non, ce n’est pas l’État qui va allonger, ce sont les contribuables. Ceux sous votre responsabilité, d’abord (ce qui vous coûtera, espérons-le, votre élection) et ceux du reste de la France qui se foutent de la LGV Paris-Bordeaux comme de leur première chemise mais qu’ils devront quand même payer pour faire plaisir à tous ces élus qui, comme vous, ont eu l’idée lumineuse de signer ce foutoir ferroviero-financier en ayant leurs yeux probablement aussi fermés que d’autres qui signèrent, jadis, les emprunts toxiques.
Bref, on le comprend, le mix LGV Paris-Bordeaux est réussi : une louche de vieux monopoles mal gérés, une grosse pincée de politiciens qui signent n’importe quoi et un énorme partenariat public-privé qui sent bon la connivence.
Connivence qui nous rappelle immédiatement le second projet de LGV, c’est-à-dire ce bras qui, partant de Poitiers, se dirige résolument vers Limoges plutôt que Bordeaux. Et là, ça tombe bien parce que j’avais déjà évoqué la question dans un précédent billet, qui permettait d’illustrer ce qu’on peut faire lorsqu’on est politicien, déconnecté de la réalité, et débarrassé de toute honte depuis sa plus tendre enfance.
En substance, la Cour des comptes et un paquet de citoyens un minimum consciencieux ont largement fait remonter que ce projet de ligne grande vitesse entre Poitiers et Limoges, facturé deux milliards d’euros et concernant péniblement 250.000 personnes, avait tout du gouffre financier dont la rentabilité ne serait jamais atteinte. Et c’est donc avec consternation qu’on avait appris que Valls et Royal s’étaient empressés de signer le décret rendant ce morceau de bravoure ferroviaire urgent et d’utilité publique. Apparemment, il était absolument indispensable de mettre en place les nécessaires décrets justifiant l’expropriation des individus sur l’inutile tracé, pour permettre à une société nationale exsangue de s’endetter encore plus auprès d’acteurs financiers non solvables, afin de dépenser en pure perte les sommes faramineuses mobilisées pour ce projet non rentable.
Mais ce n’est pas tout : l’affaire, pas totalement moribonde, rebondit encore joyeusement lorsqu’on apprend que l’annonce, faite en fin d’année 2014, sur un soutien de l’Europe à hauteur de 200 millions d’euros, a été officiellement contredite par Désirée Oen, chef de cabinet de Violeta Bulc, commissaire européenne aux Transports, qui précise même n’être au courant de rien du tout : « La Commission n’a reçu aucune proposition pour le soutien dudit projet. »
Décidément, monsieur Valls, ce n’est pas du tout cuit, ce morceau de ligne… Dans ce contexte, on se demande ce qu’il va bien pouvoir advenir d’un autre projet dont toutes les pièces se mettent en place pour tourner à la tragédie grecque (pas celle où l’on mêle parricide et inceste mais plutôt celle où l’argent vient subitement à manquer) : alors que Ségolène Royal et ses groupies écologistes avaient clairement marqué leur opposition à un tronçon d’autoroute reliant Fontenay-le-Comte à Rochefort, le premier ministre a décidé, de son côté, de lancer un nouvel appel à candidature d’entreprises, parce qu’il n’est probablement pas trop tard pour faire claquer 900 millions d’euros aux générations futures et récolter les électeurs présents.
Le printemps montre le bout de son nez, les beaux jours reviennent et les élections approchent. La France est en déflation, le chômage explose, les entreprises font faillites, les dépenses publiques grimpent aux sommets, les perspectives sont calamiteuses. Les élus socialistes, transis de peur, réclament de toute part un geste de l’État, du gouvernement, du premier ministre. Heureusement, ils les ont entendus : jamais les sprinklers à pognon public n’ont été aussi ouverts.
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