Comme tous les ans à pareille saison, la gréviculture de printemps bat son plein. Aux petites grèves locales habituelles, on ajoutera celle des contrôleurs aériens qui aura rappelé aux Français et aux étrangers en transit la propension de certains à vouloir emmerder un maximum de monde. Ce qui n’est pas le cas, reconnaissons-le, de la grève à Radio-France.
Car oui, Radio-France est en grève.
Le fleuron français de diffusion de la bonne parole gouvernementale, du prêt-à-penser et des dogmes officiels n’émet plus sa grille de programmes normaux. Si si, je vous le confirme. Je sais que, notamment parmi mes lecteurs habituels, peu s’en seront rendus compte tant il leur est rare d’écouter, même distraitement, la Société Nationale de Radiodiffusion, mais c’est bel et bien le cas : beaucoup d’émissions de Radio-France (France Inter, France Culture, France Info, France Musique, France Bleu, FIP, RFI, Mouv’) ne sont actuellement plus diffusées, et cela dure depuis plus de deux semaines puisque nous dépassons maintenant les 25 jours d’interruption volontaire de bassesse programmes vitaminés.
La raison d’un tel agacement syndical ? La direction, emmenée par le sémillant Mathieu Gallet, a en effet proposé un plan de réduction d’effectifs, touchant de 250 à 340 postes de la radio nationale, qui compte, pour rappel, 4600 salariés (tout de même). Cette réduction (d’environ 7%) de la masse salariale n’est absolument pas du goût des syndicats pour qui la notion de Service Public a toujours été portée très haut, au point de l’interrompre sans faiblir pendant plus de vingt jours. Et rapidement, comme tout ceci est éminemment politique, la ministre de ce qui reste de culture dans ce pays est montée au créneau histoire de mettre son grain de sel à une histoire qui en manquait d’autant plus que les auditeurs, déjà peu nombreux, se sont maintenant tous tournés vers d’autres radios sans pleurnicher : dans un tsunami de banalités sur la nécessaire refonte de la radio publique, Fleur Pellerin essaie donc de camoufler à la fois le bilan financier désastreux de la radio et le refus des syndicats, pourtant manifeste, de tout changement structurel de cette entité publique de plus en plus éloignée des réalités de terrain à l’heure où le numérique bouleverse profondément la donne.
Et « bilan financier désastreux » est un terme pudique pour cacher une réalité encore pire.
Déjà, on peut s’étonner de la masse salariale du groupe. Si l’on peut comprendre qu’il faille pas mal de monde pour faire tourner autant de radios, il est plus difficile à comprendre que cette masse salarial augmente sans cesse : entre France Info (+63% de 2004 à 2013) ou FIP (+61%), on a bien du mal à comprendre ce qui justifie une telle obésité, d’autant que les audiences, en face, ne justifient en rien une telle augmentation, d’ailleurs pas plus en rapport avec l’augmentation d’effectif sur la même période, plus calme à (seulement ?) 20%. Autrement dit, non seulement le nombre de salariés augmente, mais les salaires aussi, et plus vite.
À cela, on doit ajouter les nombreux avantages de certaines catégories de personnels (d’ailleurs abondamment représentés dans les grévistes) et dont la Cour des Comptes faisait la liste dans un récent rapport, comme un nombre assez stupéfiant de congés payés : aux 25 jours légaux, les journalistes de Radio France bénéficient de 5 jours de repos dus au passage de 40h à 39h, 4 jours dits « de modernisation », 15 jours pour récupération de jours fériés, 16 jours de RTT (si leur travail est planifié en 5/2) et encore 5 jours au-delà de 8 années d’ancienneté, ce qui fait jusqu’à 14 semaines de vacances.
Ces avantages pourraient encore passer s’il n’y avait pas plus de 8% des effectifs de la radio d’état élus ou délégués syndicaux, dont les heures syndicales équivalent à plus de 130 personnes à temps plein, ou si, à ces éléments déjà inquiétants en regard de la situation financière de la chaîne publique, on ne devait ajouter la quantité minimaliste d’heures prestées par les musiciens des deux (oui, deux) orchestres (le philharmonique et le national), qui ne dépassent pas les 800 heures par an là où un salarié lambda doit en effectuer le double (1607 par an) pour être considéré à temps plein.
Enfin, on pourra passer rapidement sur le chantier de rénovation qui aura occupé la Maison de la Radio et dont le total atteint plus de 575 millions d’euros (un demi-milliard, les enfants, c’est une bagatelle !) alors qu’il était établi à 262 millions initialement (ça fait plus qu’un doublement), parce qu’en réalité, on devra surtout tenir compte de la trésorerie négative, d’une centaine de millions d’euros à la fin 2015, et du déficit prévu, à cette même fin 2015, à plus de 21 millions d’euros, alors que les « recettes » sont toujours aussi rachitiques.
En effet, si l’on oublie la redevance, qui fournit grosso-modo 90% de son budget, Radio France ne parvient pas, même de loin, à rentabiliser ni ses orchestres (dont les entrées payantes sont une goutte d’eau) ni ses plages publicitaires ou ses services divers. Si le groupe de radios devait vivre de ses recettes réelles, il devrait couper 90% de ses dépenses. On est loin, très loin des misérables 7% que la direction tente d’obtenir auprès des syndicats, des salariés et du ministère de la Culture dont tout indique qu’il l’a lâchée en rase campagne.
Pourtant, l’impact réel de cette grève donne une indication extrêmement claire sur ce qu’il convient de faire.
En effet, si l’on met de côté quelques frétillantes cucurbitacées qui pleurnichent niaisement sur la crise que traverse Radio-France (en réclamant, au passage, une augmentation de la redevance — les impôts, c’est bon, mangez-en), force est de constater que l’interruption des programmes normaux des chaînes de Radio France a laissé l’écrasante majorité des Français dans la plus totale indifférence, et, pour la partie (congrue) la plus lucide d’entre eux, dans une certaine béatitude que seul permet l’arrêt du Niagara de conneries déversé par ce véritable sévice public.
En d’autres termes, personne ne regrette l’arrêt des programmes de Radio France. Et, plus précisément, la fermeture complète et définitive de ces chaînes apporterait un bien être parfaitement quantifiable (plusieurs dizaines d’euros) aux 20 millions de foyers français qui payent la redevance.
Oh, bien sûr, les salariés de ces radios d’État penseront différemment. Oh, bien sûr, les politiciens qui trouvaient un refuge facile dans les locaux de Maison de la Radio estimeront cet arrêt insupportable. Oh, bien sûr, les chroniqueurs, les journalistes et les musiciens bien au chaud dans les rédactions et les orchestres du groupe couineront à l’idée de devoir se confronter au privé dont les fins de mois ne sont assurées que par cette audience qui ne semble absolument pas dans les priorités du groupe Radio France.
Mais après tout, le gouvernement n’est-il pas engagé dans une recherche d’économies ? Ne prétend-il pas tout faire pour couper les dépenses inutiles ? Et quelle dépense plus inutile que celle qui finance des radios dont l’absence d’émission n’a gêné personne ces 25 dernier jours ?
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