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Il ne se passe pas un jour sans qu'une corporation en
colère bloque la rue et qu'un ministre annonce qu'il soumettra toujours son
projet de loi aux partenaires sociaux.
Naïvement, je croyais que, dans une république digne de
ce nom, les lois étaient soumises aux représentants du peuple (nos députés)
non aux syndicalistes, ce qui est la marque des "démocraties"
populaires des anciens pays de l'Est. L’économie traverse sans nul doute la
crise la plus grave qu’elle ait connu depuis bien longtemps. Pendant ce
temps, la gauche persiste dans son délire moralisateur et interventionniste
tandis que la droite change pour la n-ième fois de nom sans revoir une once
de son programme.
On hérite encore de la gauche la plus archaïque d'Europe
et de la droite la plus stupide du monde. Inutile de s'interroger donc sur
les causes de la montée irrépressible du Front National. Pour ma part, j’ai
dû mal à adhérer à cette notion de « crise du capitalisme » car il ne saurait
y avoir d’économie en dehors du capitalisme.
Si le capitalisme devait disparaître, il emporterait avec
lui l’économie elle-même et sans économie, pas de civilisation humaine. Il y
a bien une crise économique mais elle vient pour l’essentiel d’une crise
morale plus profonde qui nous a fait perdre le sens des réalités. Pour
reprendre les analyses de Schumpeter qui a proposé une théorie de l’évolution
économique, nous vivons une phase de mutation, de « destruction créatrice », dans
laquelle les nouvelles formes de développement économique sont en train de
prendre forme. L’économiste Kondratieff a été envoyé dans les camps de
travail soviétiques pour avoir proposé la première théorie des cycles longs,
défiant du même coup l’idéologie officielle selon laquelle le capitalisme
était condamné à sombrer dans une crise finale [1]. Pour Kondratieff, tel le
phénix qui renaît de ses cendres, le capitalisme se nourrit des crises.
Plus exactement, l’économie est fondamentalement animée
par un processus dynamique qui la conduit à des mutations qui nourrissent son
développement incessant. Dans cette optique, l’analyse seulement quantitative
en termes de croissance et de crise est trop réductrice. Depuis, on nous
parle de crise depuis que je suis adolescent or, par définition, une crise ne
saurait durer plus de trente ans. Mais pourquoi la gauche n’est-elle donc pas
capable de profiter de ces périodes de crise qui engendrent une réelle
détresse sociale ? Permettez-moi d’apporter ici deux tentatives
d’explications. Premièrement, la gauche semble plutôt profiter des périodes
de croissance. En effet, sauf à persister dans une démarche révolutionnaire
suicidaire, la gauche qui ambitionne de gouverner s’appuie sur un programme
qui peut se résumer sur un unique principe directeur : la redistribution des
richesses. Mais pour redistribuer des richesses, encore faut-il en produire.
En période de crise, c’est la capacité à produire des
richesses qui est remise en question, la redistribution risquant d’accroître
les problèmes économiques plutôt que de les résoudre. Les gens qui vivent
dans le monde réel en sont plus ou moins conscients, et c’est pourquoi ils se
détournent à la fois des partis de gauche et des syndicats, comme l’a révélé
le fort taux d’abstention aux dernières élections prud’homales. Deuxièmement,
il y a sans doute une raison plus profonde. La gauche part du principe qu’il
faut « changer le monde », qu’il faut proposer « autre chose » en trouvant
une alternative à l’économie de marché. En son temps, Mitterrand a réalisé le
tour de force de souder le PS, puis ensuite le PS et PC, en proposant
carrément de « changer la vie ». La réalité économique est cependant un fait
incontournable, voulu par personne mais sans cesse actualisé par chacun de nous,
car l’économie émerge des interactions complexes issues de nos choix
individuels. Aucun plan préalable n’a été nécessaire pour que fonctionne
l’économie. A l’inverse, tous les plans qui prétendent enfermer l’économie
dans des formats artificiels et rigides ont brisé l’économie, les crises
résultant souvent d’erreur de réglementations ou de politiques économiques
erronées ou dépassées. Mais changer le monde pour proposer quoi, dans quelle
direction, selon quel principe miracle ? Et là, il y a quasiment autant de
réponses qu’il y aura de militants. Mais ont-ils de vraies réponses ?
Ces militants animeront des courants innombrables dans une
multiplicité de partis concurrents. Les Verts, le PS, le PCF, le NPA, tous
ces partis tiennent finalement le même discours fondé sur le rejet de la
réalité économique : il faut changer l’économie. La seule chose qui les unit,
c’est d’être contre ce qui existe ! Tous les leaders de la gauche nous
proposent donc de donner au monde un visage humain, mais ils se gardent bien
de nous dire qu’ils verraient bien leur propre visage en guise de modèle.
Comment changer l’économie qui fait tourner le monde dans lequel nous vivons
? Personne n’a la même réponse de sorte qu’il est structurellement impossible
aux hommes et femmes politiques de gauche de travailler ensemble. C’est la
raison pour laquelle les pays qui ont voulu sortir de l’économie de marché
ont dû le faire de manière autoritaire, en se donnant des régimes
dictatoriaux. Tous les pays qui rejettent l’économie de marché sont des
dictatures. C’est aussi pourquoi les partis de gauche ont dû mal avec l’idée
de concurrence voire avec le principe même des élections, des primaires, de
multiplicité de candidats ; et les épisodes tragicomiques d’élections
truquées au PS sont révélateurs d’une pratique inhérente aux partis qui
restent imbibés par cet esprit révolutionnaire : au sein de mon parti, j’ai
perdu aux élections alors je remets en cause le principe même des élections ;
dans le cadre des élections nationales, mon parti perd les élections alors
j’organise d’incessants « troisième tour sociaux » pour bloquer le pays et
empêcher un gouvernement légitimement élu d’appliquer son programme. Tant que
la gauche sera inspirée par ces pratiques contestataires, elle loupera
l’occasion de se reconstruire. Faut-il néanmoins se réjouir de cette
situation ?
Non car malgré ce désastre, la droite aux affaires ne
parvient jamais à gouverner, se trouvant dans la nécessité de reporter la
moindre de ses réformes devant la fronde de la rue [2]. Quand le pouvoir est
dans la rue, c’est que la démocratie a déserté la cité. C’est à croire que
les français préfèrent la révolution à la réforme puisqu’en bloquant
systématiquement toute possibilité d’évolution en douceur de ses institutions
– notamment l’intouchable éducation nationale – ils installent les conditions
de la faillite.
Notre pays, qui ne manque pas une occasion de donner des
leçons de démocratie au monde entier, n’est jamais parvenu à vivre
complètement ce pacte démocratique. De fait, le gouvernement ne peut pas
gouverner en appliquant le programme sur lequel il s’est fait élire tandis
que l’opposition n’est pas en état d’offrir une alternative crédible. [1]
Nikolai Kondratieff (1892-1938) est mort fusillé au goulag où il a été
déporté à la fin d’un procès initié par Staline dans le cadre de l’épuration
idéologique. [2] A nouveau, le ministre de l’éducation reporte sa réforme
devant les blocages par crainte de l’amplification des mouvements lycéens.
Mais les lycéens n’ont pas l’intention de s’arrêter. Depuis quelques années,
et justement parce que les différents ministres ont toujours reculé devant la
pression de la rue, les mouvements de lycéens sont devenus un rituel
programmé de plus en plus violent, instrumentalisé par des syndicats qui ont
l’art de manipuler la désinformation à outrance et relayé par des médias bien
complaisants. Pendant que notre système éducatif produit des graines de
contestataires dont les probabilités d’insertion professionnelle sont
grandement compromises, notre économie se trouve dans l’obligation «
d’importer » les cerveaux qui lui font défaut.
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