Et c’est une bonne nouvelle de plus qui se répand depuis quelques jours sur les ondes et les intertubes de France ! La lutte, acharnée et franchement pas facile, que mène l’ensemble de la société française contre la pauvreté et la méchanceté vient de marquer encore un point décisif il y a quelques jours : le Conseil Constitutionnel vient de rendre un jugement fort attendu et qui marquera d’une pierre blanche un point crucial sur le chemin en pente de douce de la collectivisation l’adoucissement létal de notre pays.
Saisi il y a quelques temps pour une Question Prioritaire de Constitutionnalité par le distributeur d’eau Saur qui avait été attaqué en justice pour une coupure d’eau réalisée sur l’un de ses clients en Picardie, le Conseil a donc rendu son jugement le vendredi 29 mai en écartant les griefs de la société de distribution. Ce faisant, le Conseil valide donc l’interdiction totale de toute coupure d’eau dans les résidences principales, même lorsque les impayés s’accumulent.
En substance, le Conseil Constitutionnel vient d’expliciter de façon claire le contexte d’application de la loi Brottes du 15 avril 2013, loi qui, en plus du principe déjà fort généreux de trêve hivernale pour l’électricité et le gaz pour tous les consommateurs sans distinction de revenus, interdit donc toute coupure d’eau dans les résidences principales. Pour le Conseil, c’est évident :
« l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre qui résulte de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur »
C’est toujours bon à savoir : du point de vue du Conseil, le fait de ne plus payer ses factures n’est donc pas suffisant pour justifier l’arrêt d’un service, arrêt qui serait très manifestement disproportionné au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, qui est, apparemment et de façon de moins en moins surprenante dans ce pays, de distribuer l’eau gratuitement à tout le monde. D’ailleurs, lorsqu’on lit la réaction de l’association France Libertés, tout doute s’estompe bien vite :
« Le verdict est sans appel. Cette décision est l’aboutissement d’un long combat pour le respect de la loi et de la dignité des plus démunis. »
Notez que symétriquement, on se tamponne complètement de la dignité des gens qui bossent chez les salauds de distributeurs d’eau, de gaz ou d’électricité et qui le feront dorénavant gratuitement pour les personnes concernées par l’application de cette loi moelleuse. Ce qui promet quelques instants particulièrement cocasses lorsqu’il s’agira d’aligner la réalité de ce jugement constitutionnel avec celui du récent jugement prudhommal concernant Marc Fazio, un salarié de Veolia qui avait refusé d’effectuer des coupures d’eau pour des factures impayées, et qui se retrouve à présent licencié pour un fait qui, au moins depuis 27 février 2014 (date du décret d’application de la loi Brottes), ne peut plus être considéré comme illégal.
Après tout, si la République Française et sa Justice ont clamé ubi & orbi vouloir faire preuve de précaution « par principe », elles n’ont en revanche jamais réclamé la moindre cohérence par principe ou même putativement. On s’accommodera donc fort bien de tout ce foutoir illogique et on s’arrangera donc pour qu’enfin, l’eau continue d’être distribuée à ceux qui en veulent, coûte que coûte.
Oh, bien sûr, il existe une possibilité que, dorénavant et se rendant compte du risque juridique important que fait peser cette loi sur leurs comptes, les distributeurs d’eau s’enquièrent de la solvabilité à moyen ou long terme du contractant (par un dépôt de garantie, en utilisant un tiers garant, …) avant d’ouvrir un contrat qui, in fine, les lie de façon irréversible avec le consommateur. Mais baste, on s’en fiche puisque si ce risque advient, on pondra une loi pour interdire ce scandaleux comportement.
Et à terme, on fera donc supporter aux clients, solvables et qui payent, eux, ceux des clients qui ne sont plus que consommateurs, mais pas payeurs. Bon, certes, mécaniquement, chaque nouveau défaut d’un consommateur alourdira la facture pour tous les autres, et le prix de l’eau augmentant, le nombre de consommateurs susceptibles de faire défaut augmentera lui aussi. Mais franchement, le bonheur en France est à ce (modeste) prix, vous verrez.
Par la suite, ce qui va pulser grave du chaton psychédélique, c’est que les petits pas qui furent faits pour le gaz et l’électricité seront complétés de la même façon que pour l’eau. Bientôt, on accordera peut-être aux fournisseurs d’énergies de réduire éventuellement le volume des mauvais- ou des pas-payeurs, mais la coupure complète, ça, non ! (Au demeurant, et toujours dans le chapitre La République Cohérente, on ne s’étonnera pas qu’on fasse tout pour que les uns et les autres continuent à tout prix de consommer eau, gaz et électricité alors qu’on nous chante en parallèle les vertus de la décroissance et de la lutte contre les gaz à effet de serre). Bien sûr, ces mesures seront rapidement étendues à Internet, largement reconnu d’indispensabilité publique, et qu’il deviendra impossible de couper complètement. Quand je vous dis que ça va pulser, ça va pulser.
Au passage, cette assurance de services minimaux rejoindra celle couvrant les soins et l’assurance santé en général, ainsi que le gîte (sauf si vous êtes propriétaire, surtout si vous êtes propriétaire, ce qui ne vous vaudra que mépris). L’étape suivante apparaît assez clairement : quel droit peut-il y avoir de plus symbolique, de plus prégnant et de plus indispensable que le droit au repas hebdomadaire ? Les grandes surfaces ont d’ores et déjà l’interdiction de jeter de la nourriture, l’obligation de fournir un repas gratuit à tous ceux qui le réclameront n’est en réalité plus hors de portée.
Tout ceci sent délicieusement bon, et ces vigoureux embruns de turbolibéralisme qui fouettent ainsi le paysage juridique français donnent au tableau un petit air réjouissant. On sait où on va, on sait qu’on y va, et tout le monde semble s’en féliciter bruyamment.
Je ne suis pourtant pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.
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