Il y a vingt ans, les Inconnus nous apprenaient, en se dandinant sur un air de rap rythmé et rigolo, que « la banlieue c’est pas rose, la banlieue c’est morose ». Et vingt ans après le constat un peu amère du trio comique, il s’est passé beaucoup de choses. De ce point de vue-là, les gouvernements successifs n’ont pas chômé.
Oui, il fallait agir, absolument, d’une part parce que ne rien faire c’était laisser un boulevard aux critiques de l’opposition (quelle qu’elle fût) et d’autre part parce qu’un politicien qui agit existe, et ce d’autant plus qu’il crame un paquet considérable d’argent des autres. Il fallait donc bien consacrer un montant tous les ans plus grand de l’argent public à cet épineux dossier des cités-dortoir, des banlieues périphériques aux grandes métropoles régionales ou à la capitale qui sont devenues, d’années en années, ces zones difficiles percluses de chômage, de misère, théâtres de faits divers parfois sordides et de commerces aussi stupéfiants que la venue d’un premier ministre socialiste aux Mureaux.
Car Manuel a compris qu’on l’attendait tous sur le sujet : la discrimination sociale n’est plus possible dans ce pays. Et comme elle passe notamment par ces banlieues et leurs dérives, il était naturel que le ministre y aille s’encanailler pour montrer que non, non, non, la République n’a pas déserté ses missions essentielles que sont le logement social, le « testing », les caméras piétons sur les policiers et combattre l’ « apartheid social, territorial et ethnique ».
Il faut dire que tous les indicateurs pointent vers le même constat : la situation s’est dégradée. D’après les analyses minutieuses des journalistes, des experts, des philosophes, des sociologues-experts et autres philosophes-journalistes, dix ans après les émeutes qui secouèrent la France, « la situation des banlieues est encore plus mauvaise ».
C’est franchement étonnant. Mais si, admettez tout de même que vous êtes un peu surpris : normalement, cela fait des décennies que nos amis de tous les gouvernements qui se sont succédé aux commandes du pays travaillent à remettre les banlieues d’équerre. Cela fait des décennies que les experts / philosophes / journalistes / sociologues se relaient pour expliquer pourquoi ces banlieues sont en déshérence, pourquoi les habitants ne s’y sentent pas bien, comment il faut procéder pour aider les uns, secouer les autres, les employer et leur redonner de l’espoir, de la joie de vivre, du cœur à l’ouvrage et ce petit je-ne-sais-quoi qui fera revenir joie, bonheur, gaîté et subventions chez les habitants de ces quartchiers qui ont du talent. Normalement, tout devrait être bien carré, après toutes ces dépenses, toutes ces années, non ?
Eh bien non.
Bref, la banlieue est sans nul doute devenu le beau baroud de ce gouvernement de combat qui cherchait une guerre à sa hauteur. Comme dans tout combat, il y aura des cibles, clairement désignées, des objectifs, des forteresses à prendre et des sièges à tenir (notamment celui de Premier ministre qui est parfois éjectable). Les objectifs sont connus puisqu’il s’agit bien sûr d’égaliser à coup du bulldozer républicain anti-discrimination. C’est facile, c’est clair, c’est net, et la bavure ne lui fait pas peur.
Quant aux cibles, elles sont toutes désignées. Après quelques foulées athlétiques dans les rues des Mureaux vides d’habitants (qui avaient sans doute d’autres chats à fouetter que voir un clown pavaner), le Premier ministre a rendu publique une liste de 36 communes méchamment récalcitrantes à leurs obligations en matière de construction de logement social, quinze ans après l’adoption de la loi SRU imposant des quotas démocratiques et festifs. De façon toujours aussi stupéfiante, on découvrira dans cette liste une majorité de communes dont l’équipe municipale fricote avec les Républicains™® ou le Front National. Sur les 36 communes, seules 4 sont classées à gauche. C’est un pur hasard. Abomination supplémentaire : Neuilly (ex ville de Sarkozy) ou Fréjus (FN) ne respectent pas les engagements qu’on leur a imposés de construire du logement social. Flûte alors.
Pourtant, tout le monde sait qu’une fois construit, c’est l’assurance d’un avenir florissant, comme l’ont justement prouvé les quarante années efficaces de politique du logement, de politique de la Ville ou de la gestion des banlieues en général. On s’étonne donc que certaines villes trouvent inadaptée la solution proposée par l’État et fassent bêtement de la résistance de l’obstruction stérile à un programme dont tout indique qu’il va très bien se terminer !
Très concrètement, les maires de ces insupportables communes insoumises seront dorénavant remplacés par les préfets qui délivreront les permis de construire pour les charmants ensembles immobiliers prévus par la loi. Ça tombe bien : ces préfets ne sont pas sanctionnés par le vote démocratique, et n’auront donc aucun compte à rendre lorsqu’enfin, les communes désignées bénéficieront à leur tour du bon taux de HLM. C’est aussi ça, la Socialie détendue de l’autoritarisme, pas de quoi en faire un drame.
D’autant que le plan de Manu les HLM n’est pas vide de ces truculentes inventions qui savent donner tout son sel aux initiatives vraiment gouvernementables. Ainsi, lorsque la Commission Interministérielle à l’Egalité et à la Citoyenneté s’est réunie le 26 octobre, elle en a aussi profité pour renforcer le lien social, le vivrensemble et tout le tralala républicano-mixophile en instaurant, sous l’impulsion de la fine fleur sénatoriale socialiste et de Fleur Pellerin, l’actuelle excuse en charge du ministère de la Culture et de la Communication, un diplôme national supérieur professionnel de la danse hip-hop.
On appréciera toute la puissance de ce poncif cette innovation au secours des banlieues qui s’inscrit d’ailleurs assez bien dans l’encadrement de l’État tous azimuts d’absolument tout et n’importe quoi pour gagner des ouailles. Dans le prolongement de ce diplôme officiel de hip-hop, on attend sans doute que des Tsiganes mettent le feux à l’une ou l’autre autoroute pour que soit enfin reconnue par un diplôme les spécificités de leur musique…
Tout ceci rejoint assez bien l’apparition, il y a quelques années, de la Tout Ce Qu’il Y A De Plus Officielle licence de clown, dont le diplôme, absolument nécessaire, a propulsé la clownerie française au rang d’art reconnu dans le monde entier.
Non, décidément, il n’y a pas à tortiller : la gestion des banlieues a été assez exemplaire les décennies passées et la façon dont le Plan Truc Machin est actuellement enquillé laisse présager du meilleur. Et cerise sur le gâteau : ce sujet ô combien délicat permet aussi à la fine équipe gouvernementale de bricoler des rétorsions politico-politiciennes en poussant ses basses œuvres idéologiques dans la foulée. Accessoirement, les précédents plans ont toujours été particulièrement efficaces pour diriger efficacement les sprinklers à pognon public vers les bons gosiers aspirants, et tout indique qu’on va continuer dans la même direction avec le petit dernier.
On le savait : ce pays est foutu. Mais au moins, nous aurons des clowns diplômés et des hip-hopeurs brevetés qui clowneront et hip-hoperont dans des cités subventionnées.
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