Tout ne se déroule pas toujours comme prévu en République du Bisounoursland et parfois, il faut utiliser la force, comme dernièrement pour débloquer l’une ou l’autre raffinerie afin d’éviter des pénuries de carburant qui n’existent pas mais que des millions d’automobilistes semblent halluciner tous de concert.
Et à propos d’hallucinations, je m’émerveillais lundi dernier de constater que ce beau pays semblait autoriser les blocages de raffineries mais interdire avec fermeté l’achat d’essence en jerricans. Mais cet enchantement des sens et cette farandole des sentiments confus, que m’offre à bon compte notre Président des Bisous qui fait montre d’une inhabituelle fermeté vis-à-vis des manifestants, sont tout de même dépassés par la stupéfaction que je ressens en lisant certains articles de presse parus ces derniers jours et qui rappellent bien que le problème, majeur, évident, omniprésent de la France, c’est les gens.
Oui, les gens.
Ils sont partout, les gens. Ils sont au courant, les gens. Ils vous regardent, les gens. Et quand le vent tourne, les gens le sentent. Ils sentent la panique dans votre regard, et en profitent pour faire exactement comme vous. Et rapidement, ce qui n’était qu’une idée normale jaillie dans votre cerveau normal devient une idée à la con mise en musique par les gens. Et là, c’est le drame.
En tout cas, à en croire cette presse rayonnante que le monde nous envie, c’est, à peu près, ce qui se produit avec cette histoire de pénurie : au départ, il y a des stations pleines et riantes. Ensuite, quelques syndicalistes bloquent des raffineries de façon citoyenne, festive et très primesautière et en tout cas, pas de quoi s’inquiéter. Et là, alors que le gouvernement prend la parole pour indiquer que « tout va bien » (et même que « ça va mieux »), patatras, les gens entrent en jeu.
La fine rédaction de Libération est formelle, et ne recule devant aucune titraille pour bien exposer la difficulté : le problème, ce sont surtout les usagers qui font du stock ! Ah, les gens qui refusent de tomber en rade comme tout le monde bien civilisé !
Pour le NouvelObs, aucun doute : avec leurs comportements absurdes, les gens aggravent le problème avec leur indiscipline idiote, ils aggravent le problème qu’ils croient résoudre ! Mais si, c’est évident. Et il ne faut en tout cas pas faire rentrer en ligne de compte que les gens pourraient ne pas avoir confiance dans le gouvernement pour régler rapidement le problème. Ceci dit, force est de constater que le gouvernement qui réglerait un problème serait déjà une première. En quelques décennies, si un gouvernement a résolu un problème, ce fut à la fois fortuit et c’est passé relativement inaperçu. Mais un gouvernement qui, de surcroît, le réglerait rapidement, voilà qui relèverait de l’exploit, voir du signe clair qu’on vient subitement de rentrer dans une dimension parallèle où tout est permis, même l’espoir.
Heureusement, il n’en est rien, et la pénurie peut donc effectivement avoir lieu, avec ou sans pétrole ; « Résultat, en voulant individuellement éviter une pénurie, les automobilistes sont en train de la provoquer collectivement dans certaines régions. »
Rooh, zut alors ! Je ne vois qu’une solution : légiférons. Vite, planifions la consommation d’essence, avec des tickets, des files, des horaires administratifs et des quantités prédéterminées, cela marchera tellement mieux !
Tout ceci est vraiment croquignolet, à commencer par la multiplication des articles de presse pour expliquer pourquoi les gens ont, bêtement, provoqué la pénurie « qui n’existe pas ». Articles qui oublient pourtant une évidence : ces individus ont tous fait le calcul que les agissements des syndicats étaient à prendre au sérieux dès la première minute, et que les appels du gouvernement étaient, a contrario, du plus pur air de flûtiau. Cela en dit long sur le potentiel de nuisance des syndicats, et sur l’ineptie et l’incompétence moyennes prêtées aux gouvernements français en général et celui-ci en particulier. Dans ce contexte, compte tenu de la vacuité des vagissements ineptes du gouvernement et des médias, peut-on sérieusement reprocher aux individus de parer au plus pressé, quitte à réaliser la prophétie de pénurie ?
Et puis surtout, qui est responsable du problème ? Ces individus qui tentent de continuer à vivre normalement, toutes choses égales par ailleurs, ou ces syndicalistes qui viennent directement mettre du sable dans les engrenages ? Ou est-ce encore le gouvernement qui n’a semble-t-il pas du tout évalué la menace syndicale à sa juste valeur, et qui refuse encore actuellement de rappeler deux choses essentielles ?
D’une part, que les grèves politiques ou par procuration sont strictement illégales en France. S’il existe bel et bien le droit de se mettre en grève dans une entreprise, il n’existe en revanche aucun droit de grève « par solidarité », chose qu’on laisse pourtant filer sans sourciller depuis que la SNCF ou la RATP, toujours promptes à montrer l’exemple, estiment devoir débrayer pour se montrer solidaire qui avec les ouvriers de Continental, qui avec les chauffeurs de bus, de camion, de taxis ou n’importe quelle autre cause qui leur permettra d’organiser un barbecue sur les voies.
D’autre part, empêcher l’accès à une entreprise est illégal. Arrêter le travail dans un contexte de grève, soit, mais empêcher par intimidation ou physiquement ceux qui le souhaitent de travailler est normalement illégal dans ce pays.
De ces éléments, la presse semble ne surtout pas vouloir parler. Et comme malheureusement, l’État est faible avec les forts (et ne manquera pas d’être fort, jumelles-laser au visage, contre les faibles), les automobilistes ont aussitôt interprété la situation comme devant fatalement aboutir à des pénuries.
Le résultat est donc inévitable et comprend aussi l’habituelle panoplie de dégradation des conditions économiques, de l’image, et de l’ambiance du pays.
Pour l’ambiance, la petite odeur de pneus brûlés ira à ravir avec la tendance pré-insurrectionnelle du pays où les uns et les autres rêvent d’en découdre.
Pour l’image, que dire d’un pays qui affiche ouvertement sa volonté de n’autoriser le travail que 35H maximum par semaine, et qui, à la moindre contrariété, débraye et tente de bloquer son économie de la manière la plus spectaculaire possible ? Que dire d’un pays où les gens font la queue pour de l’essence ? Venezuela ? Cuba ? Union Soviétique à ses meilleures heures ? Vraiment, une superbe publicité.
Quant à la situation économique d’un pays qui n’est déjà plus que la 9ème puissance économique du monde (elle fut, jadis, dans le top 5, rappelez-vous), les Nuits de Boue et autres happenings festifs pétroliers continuent de décourager les investisseurs.
C’est dommage. Ces gens sont agaçants à ne pas venir mettre leur argent chez nous !
Allez, soyez chic, revenez ! Vous verrez, nous ne ponctionnerons que 57% de la richesse produite et nous ne ferons la grève qu’une fois de temps en temps !