Je l’ai dit, une caractéristique saillante du socialisme, à chacune de ses tentatives, partout dans le monde, de façon systématique, est l’apparition de pénuries et son corollaire, à savoir des queues plus ou moins interminables. En France, il n’y a pas besoin de regarder longtemps pour trouver des queues, de les remonter pour constater des pénuries, et voir qu’en effet, le socialisme est encore à la racine du problème. Et c’est tout particulièrement vrai dans le domaine de la santé.
Oh, bien sûr, ici, je pourrais assez aisément parler de ces queues qui se forment pour obtenir, enfin, un rendez-vous avec un ophtalmologue. Ceux qui ne veulent pas voir (faute d’avoir consulté ?) ces queues me rétorqueront qu’elles sont la simple conséquence d’un mauvais ajustement entre le nombre de praticiens disponibles et la trop importante clientèle obligée d’en passer par eux pour de simples lunettes et qu’en ajustant ce petit paramètre ici sur les remboursements, et là sur le numerus clausus, et ici encore pour les horaires, ou là par exemple sur les lieux d’installation, voyez, zouf, le problème disparaît.
Je pourrais aussi évoquer les délais d’attente pour obtenir un examen au scanner, qui stagne toujours résolument autour d’un mois. Mais on me répondra que ce sont des équipements qui coûtent cher et qu’après tout, puisque c’est remboursé, il faut s’attendre à des pénuries d’appareils, et donc à des délais, que voulez-vous mon brave. Que leur nombre par habitant en France soit très inférieur à la moyenne européenne, et même inférieur à celui de la Turquie n’intéresse pas grand-monde mais permet tout de même de situer exactement l’ « excellence » du système actuel de financement des soins français.
Et puis si je me mettais à parler des queues aux urgences, tout le monde m’expliquerait que ces services, devant précisément gérer l’urgence, doivent s’attendre à ce genre de désagrément, d’autant que ce qui ne manque pas d’inciter les uns à en profiter autant que possible, c’est que c’est gratuit l’État qui paye payé avec l’argent des autres, n’est-ce pas. Cependant, avec plus de 53% des patients qui doivent maintenant attendre au moins deux heures en moyenne avant d’être pris en charge, le terme d’urgence médicale prend un sens résolument alternatif. En deux heures d’urgence, il peut s’en passer pour un corps affaibli, meurtri ou empoisonné. Je n’évoquerais donc pas tous ces gens morts parce qu’ils étaient un peu trop loin dans la queue, ou n’avaient pas tiré le bon numéro au jeu du distributeur de ticket administratif.
Au final, je préfère m’attarder un peu sur une médecine qui concerne tous les Français, parce qu’elle est ou plutôt était plus proche d’eux, à savoir la médecine générale. Le constat, dressé dans les autres disciplines, gagne maintenant celle-ci aussi, et laisse un peu inquiets les médias qui se penchent, mollement, sur la question en essayant de comprendre ce qui, scrogneugneu, peut bien provoquer les petits problèmes observés.
Comment se fait-il, en effet, qu’on voit s’étendre les déserts médicaux en France alors qu’on n’a jamais autant engouffré d’argent dans le système de soin, depuis les pôles universitaires hospitaliers jusqu’aux hôpitaux eux-mêmes, en passant par la partie couverture, et qui représente maintenant des centaines de milliards d’euros chaque année ? Pourquoi diable la pénurie de généralistes s’aggrave-t-elle alors que jamais autant d’argent n’aura été consacré à la santé en France ?
Encore une fois, il va être difficile de faire l’économie d’une petite analyse de la situation dans laquelle on trouve des bons gros morceaux d’interventionnisme d’État et de collectivisme à tous les étages.
Il va être difficile de passer sous silence le numerus clausus. Décidé par l’État qui a choisi la régulation sur le marché, c’est l’exemple type d’une décision arbitraire, dictée plus par l’offre et la politique que par la demande de ceux qui payent. L’échec était donc prévisible, et il est accru par la durée des études, particulièrement longues, qui rend les « prévisions » de l’État parfaitement grotesques.
Il va être difficile de passer sous silence les assauts répétés et de plus en plus nombreux à la notion de médecin libéral : entre l’invraisemblable gonflement (on pourrait dire l’œdème) de la paperasserie bureaucratique, le flicage de plus en plus sévère des institutions de Sécurité Sociale, l’avalanche de lois illisibles et castratrices (la Loi Santé en est une belle), l’explosion des charges, tout ça transforme l’exercice de la médecine hors du fonctionnariat pur en un véritable parcours du combattant pour le médecin de campagne attaché à une patientèle de taille et de moyens modestes. Pas étonnant que des pans entiers du pays se vident.
Et puis il va être difficile d’oublier qu’en fixant les prix, les autorités, partout dans le monde, ont toujours abouti à une pénurie. En fixant le prix du pain, on crée des famines. En fixant celui de l’essence, on le fait disparaître, même lorsqu’on est assis sur des gisements gigantesques (bisous à Maduro). En France, en fixant le prix des honoraires médicaux, on a immanquablement créé une pénurie là où ces honoraires ne couvrent plus les frais que la géographie, non transformable à coups de lois, entraîne inévitablement.
En fait, en choisissant de collectiviser tous les jours un peu plus le marché de la santé, la France a choisi sa pénurie : ce sera celle de médecins. Pour un pays qui vieillit, je ne suis pas sûr que ce soit un choix intelligent.
L’histoire de la France depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, c’est l’histoire de ce pays qui, comme beaucoup d’autres, a choisi la voie joyeuse et riante du socialisme, c’est-à-dire la collectivisation des moyens de production, mais qui, au contraire de tous les autres, a fait ce choix quasiment sans le savoir, doucement, petit-à-petit, en s’abandonnant progressivement aux délices de l’argent des autres.
Au contraire d’un Chili qui laissa à Allende l’occasion de tester des recettes catastrophiques, d’un Venezuela qui mit en place un Chavez ouvertement collectiviste et sombra de Charybde en Scylla avec Maduro, au contraire d’un Cuba qui aura expliqué urbi et orbi son amour du communisme en faisant sombrer son peuple dans la misère, la France a choisi d’entrer très doucement dans la piscine sanglante du collectivisme : jusqu’au mollets d’abord, avec la retraite par répartition et une assurance maladie taillée pour un autre siècle, puis jusqu’au genoux, en laissant les transports et l’énergie en pâture à des syndicats organisés comme une mafia, puis jusqu’au nombril en laissant le champ libre à une éducation scolaire carrément étique et bourrée des pires poncifs anti-capitalistes.
Et comme tout nageur le sait, une fois les roubignoles accommodées à la température du bain, une fois le nombril à l’aise, le reste du corps suit tout entier sans problème. La voie est maintenant libre aux tribuns de plus en plus populistes et aux idées les plus idiotes voire nauséabondes, tout gentiment, tout doucement, tout progressivement. Le Venezuela a sombré en trois ans, il en faudra peut-être encore le double ou le triple pour un pays comme la France mais l’élan pris les cinquante années précédentes n’autorisera aucun freinage efficace.
Les pénuries arrivent. Ce pays est foutu.