Un récent document publié par la Fondation Res Publica révèle que
certaines banques centrales majeures, dont celle de l’Allemagne,
envisageraient la possibilité d’une sortie de l’Euro et la création d’une
zone monétaire indépendante assise sur un nouveau « mark »
ressuscité pour l’occasion.
Dimanche 16 octobre 2016, une publication du think tank Res Publica
(dirigé par Jean-Pierre Chevènement) dévoilait certains détails de
l’intervention de Gaël Giraud, économiste et chef économiste de l’Agence
française de développement (AFD), au colloque intitulé Les évolutions du
contexte économique et financier mondial qui s’est tenu le 4 juillet
dernier. Dans son allocution, l’économiste a indiqué avoir participé à des
discussions autour de la création d’une nouvelle zone monétaire
impliquant les pays du nord de l’Europe.
Les pays du Nord ne supportent plus ceux du Sud
En fait, lassés de « l’incapacité des pays du Sud à se mettre en
rang face au règlement intérieur européen« , certaines banques
centrales européennes (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande) planchent
actuellement sur une éventuelle sortie de la zone euro en
vue de reconstruire une « zone mark Nord ». Et il est vrai que ces pays
semblent particulièrement mécontents de l’union monétaire à laquelle ils ont
dû se résoudre en impliquant des pays comme l’Espagne ou le Portugal, par
exemple, dans leur grand projet de monnaie unique. Des États
selon eux mal gérés, impécunieux et à la limite de l’escroquerie
institutionnelle, envers lesquels les Allemands considèrent d’ailleurs que
les autorités européennes « dialoguent trop » alors qu’il
faudrait au contraire durcir les sanctions et les appliquer sans sourciller.
À la base, il faut garder à l’esprit que l’euro a été construit comme une
sorte de « super-mark » dont les mécanismes mais aussi la valeur
relative n’étaient pas adaptés à tous les pays de l’Union européenne,
à commencer par ceux dont l’économie était moins florissante que celle de
l’Allemagne. C’est-à-dire à peu près tous les autres pays d’Europe. Comme le
dit Jean-Michel Naulot, auteur du livre Crise Financière – Pourquoi les
Gouvernements ne font rien (éditions Le Seuil, 2013), « l’euro
a succédé au deutschemark, pas à dix-huit monnaies« , ce qui a eu
des effets sur la compétitivité de certains pays, notamment dans le sud de
l’Europe… mais aussi en France, avec comme conséquence une
désindustrialisation massive et continue de ces pays qui n’a pas
facilité le maintien de leur croissance.
Les Allemands ne veulent plus être solidaires
Quoi qu’il en soit, totalement hermétiques à la notion de « communauté »
monétaire européenne, qui veut que si un pays de la zone euro a des
excédents, c’est que d’autres ont nécessairement des déficits, les Allemands
comme leurs voisins nordiques refusent de payer pour les pays que
l’euro aura juste contribué à enfoncer davantage dans le déficit chronique.
Et pourtant, ces mêmes Allemands sont les plus vindicatifs quand il s’agit de
demander à viser un équilibre budgétaire universel, sans admettre pour autant
que cet équilibre ne pourra survenir que si les pays ayant dégagé un excédent
le redistribuent aux autres États de la zone euro. Sans doute parce
qu’aujourd’hui, le pays qui dégage le plus d’excédent, c’est l’Allemagne
justement… Pourtant, à l’origine, c’est comme cela que le projet européen
avait été « vendu » aux futurs États membres.
Aujourd’hui, alors que l’heure est venue de respecter ces engagements, les
États du Nord préfèrent donc froncer les sourcils et jouer la carte de la
réprimande en faisant planer le chantage d’une sortie de la zone Euro
pour mieux se retrouver entre eux, loin de cette plèbe du Sud qu’il leur a
bien fallu subir le temps de retrouver une situation économique plus digne de
leur prestige. Car n’oublions pas que l’économie allemande
était loin d’être idyllique dans les années 90, au moment où le projet
européen s’est accéléré sous l’égide du couple Kohl-Mitterrand, surtout après
la réunification des deux Allemagnes qui a obligé celle de
l’Ouest à éponger le colossal retard socio-économique de sa petite sœur de
l’Est.
Désormais, après que le Brexit a montré qu’on pouvait revenir sur
l’unité européenne, il semble que certaines voix jusqu’ici discrètes
n’aient plus la moindre réticence à faire entendre certaines options pour le
moins décomplexées. Finalement, tout semble possible, il n’y a plus de sujet
tabou, l’Europe n’est plus un sanctuaire intouchable. Et les dissensions qui
apparaissent aujourd’hui entre ses membres mettent en lumière, non seulement
l’échec du projet européen, mais aussi la nécessité de sa
refondation profonde. Reste à savoir si elle se fera en douceur et dans
l’intérêt de tous les États, ou, au contraire, dans la violence et la crise
avec le retrait des plus puissants qui laisseront alors les plus faibles
totalement exsangues, dans un continent économiquement plus sinistré qu’avant
la construction européenne.