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"25 ans d’économie de l’assurance", quinze ans plus tard.

Georges Lane Publié le 10 mars 2010
9077 mots - Temps de lecture : 22 - 36 minutes
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Etant données toutes les idées fausses qui circulent, en France, à propos de l’assurance depuis la décennie 1920, je reproduis ci-dessous un texte que j’ai écrit en 1993 pour un ouvrage collectif fêtant les 25 ans de l’Université Paris IX Dauphine. L’ouvrage a été publié en 1995 par les éditions Masson : la référence exacte en est C. Le Pen et alii (eds.), Vingt-cinq ans de sciences d'organisation, Masson, Paris, 1995, 446p. Soit dit en passant, tous les groupes d’assurance dits "nationaux" - pour ne pas dire "étatiques" - qui existaient à l'époque, ont été privatisés dans par la suite et on sait ce qu’il en est advenu : aucun n’a survécu à la liberté économique, c'est-à-dire la concurrence, mais a été acheté par une autre société d'assurance. Le G.A.N. a même été sauvé ainsi de la faillite à la fin de la décennie 1990. Pour ce qui est de l’université devenue aujourd’hui «Paris Dauphine, grand établissement de technologie », le texte est à compléter par un texte que j’ai écrit en 2005 pour un ouvrage collectif en l’honneur de Pascal Salin : la référence exacte en est G. Hülsmann et M. Laine (eds.), L'Homme libre (Mélanges en l'honneur de Pascal Salin), éditions Les Belles Lettres, Paris, 2006, 525p. J’en ai parlé dans ce blog, dans ce texte. J'aurai l'occasion de revenir sur le sujet prochainement. [Début du texte.] [Introduction.] Il y a vingt-cinq ans, en France, les trente-quatre sociétés d'assurance qui avaient été étatisées en 1946 — et qui étaient alors les plus importantes —, étaient rassemblées en dix, réparties elles-mêmes en quatre groupes : Assurances générales de France (A.G.F.), Groupe des Assurances Nationales (G.A.N.), Mutuelles Générales de France (M.G.F.), Union des Assurances de Paris (U.A.P.). Autrement dit, la puissance publique décidait de concentrer l'industrie des assurances. Aujourd'hui, le Parlement vient de voter une loi (mai 1993) disposant non pas une nouvelle concentration de l'industrie, mais la privatisation des A.G.F., du G.A.N. et de l'U.A.P. Dans l'intervalle, vers 1980, l'étatisation de plusieurs autres sociétés d'assurance avait été envisagée, mais le projet était resté sans lendemain après maints débats. Il y a vingt-cinq ans aussi, la littérature économique s'enrichissait d'études théoriques sur la demande d'assurance. Jusqu'alors, l'offre d'assurance avait été seule examinée et de façon diffuse. L'une était publiée en 1965 et traitait de la demande individuelle d'assurance-vie (Yaari, 1965), l'autre en 1968 à propos de la demande individuelle d'assurance de propriété (Mossin, 1968). Aujourd'hui, théoriques et empiriques, les travaux sur le sujet sont nombreux, voire indénombrables. Conséquence parmi d'autres : le concept de marché d'assurance a acquis droit de cité dans la théorie économique. Le texte qui suit a pour objet de montrer, très schématiquement, que ces deux faits ne sont pas indépendants l'un à l'autre, le marché de l'assurance est leur trait d'union. Pas plus que le changement de position du législateur ne saurait être imputé à quelque instabilité congénitale — il est beaucoup trop sage pour qu'une telle cause soit imaginée —, n'est à retenir l'argument qui consiste à soutenir que l'état d'esprit du peuple n'est plus le même qu'hier, ou que l'opinion publique a évolué au hasard, et que le législateur en a tenu compte et a procédé à une adaptation. Une explication plus sérieuse doit être envisagée. Si on ne passe pas sous silence l'attention qu'a pu porter le législateur à l'évolution de la connaissance économique en matière d'assurance et le résultat cité, la réalité du marché de l'assurance, la raison apparaît alors lumineuse : puisqu'il existe un marché de l'assurance, la maîtrise de l'assurance recherchée par les hommes de l’Etat au travers de firmes étatiques est vaine et onéreuse. Le législateur l’a compris et le montre en procédant à la privatisation. Pendant longtemps, la théorie économique a été développée dans des directions où on entrait non seulement par les portes de l'hypothèse explicite de la certitude ou de la quasi-omniscience des hommes de l'État, mais encore par celles de l'hypothèse de l'inexistence du temps ou du «comme si» le temps n'existait pas, par celles de l'hypothèse implicite selon quoi on peut faire abstraction du « droit des gens » (et, en particulier, de leurs droits de propriété), par celles de l'hypothèse implicite que la technique de l'échange ne consomme pas de ressources (il n'y a pas de coût de transactions), les mathématiques utilisées à l'occasion servant de rampe pour ne pas tomber. Rétrospectivement, on peut dire que cette démarche a rendu insoupçonnables à la sagacité des chercheurs de vastes étendues, comme par exemple l'assurance, qui ne demandaient qu'à être explorées. Si on préfère, elle a, à la fois, verrouillé et caché maintes portes d'accès. Tout cela jusqu'à la décennie 1960 où des économistes ont fait sauter des verrous tandis que d'autres découvraient des issues inconnues et y pénétraient. Ce que nous entendons ainsi par « économie de l'assurance », aujourd'hui dans la décennie 1990, est le résultat de ce double mouvement. D'un côté, l'assurance est un exemple désormais souvent choisi par les économistes orthodoxes pour illustrer leurs dernières découvertes dans des domaines de prédilection de la recherche traditionnelle, mais où les contraintes constituées par les hypothèses adoptées hier ont été desserrées, c'est ce qu'on peut dénommer l’« économie appliquée à l'assurance». De l'autre, elle est un champ d'étude nouveau où s'appliquent les principes généraux de la science économique, c'est ce que nous appellerons la « théorie assurancière » : de même qu'il y a une théorie monétaire ou une théorie financière, de même est à envisager une « théorie assurancière » (au sens strict) ; de même qu'il y a une théorie de la banque, une théorie des intermédiaires financiers ou plus généralement une théorie des institutions financières, de même est à prendre en considération une théorie des «organisations d'assurance» (« théorie assurancièr e» au sens large). Si la théorie assurancière au sens strict est aujourd'hui bien avancée, au sens large, elle est encore dans les limbes. Le développement qui suit ne se veut pas un panorama complet et détaillé de cette double évolution de la connaissance économique en matière d'assurance dans la période sous revue, le foisonnement y est trop grand. Il insiste seulement sur les éléments fondamentaux pour sérier les deux faits privilégiés. A l'occasion, il va au-delà et évoque certaines considérations prometteuses comme, par exemple, celle qui aboutirait à libérer, à tous égards, l'assurance de la finance et qu'on peut résumer en écrivant que l'assurance est à l'ignorance des individus, dans un contexte supposé atemporel, ce que la finance est à la durée, dans un contexte hypothétique d'omniscience. I. Des verrous sautent (ou de l'économie appliquée à l'assurance). Plus que d'autres, quatre domaines de la théorie économique invitent à prendre comme illustration de ce qui est découvert et expliqué l'exemple de l'assurance, il s'agit de la théorie de l'équilibre économique général dans un contexte d'incertitude, la théorie des droits de propriété, la théorie économique des contrats et la théorie de la finance. I.A. La théorie de l'équilibre économique général dans un contexte d'incertitude. Pendant longtemps, la théorie de l'équilibre économique général a négligé l'assurance. La raison en est qu'elle faisait abstraction de l'incertitude des individus, la certitude était l'hypothèse de règle, implicite ou non. En certitude, il ne saurait y avoir d'assurance, celle-ci ne procédant jamais que de l'incertitude de perte de quantité d'objet juridique (objet en propriété ou en responsabilité). Les rares fois où l'incertitude était l'hypothèse, il était expliqué que l'État était l'unité de décision la moins incertaine et, par conséquent, la mieux placée pour en venir à bout et aider les citoyens. De leur côté, ceux-ci n'avaient pas à s'en occuper finalement. Au total, l'incertitude était exclue du cadre théorique, soit pour simplifier : « Dans les modèles considérés jusqu'à présent, nous avons supposé que les agents connaissaient parfaitement les conséquences de leurs décisions et que ces décisions déterminaient complètement l'équilibre, du moins si elles étaient compatibles entre elles. La situation dans laquelle se trouvait l'économie ne comportait aucune incertitude, aucun risque. Jusque vers 1950, on pouvait objecter aux théories de l'équilibre et de l'optimum de négliger ainsi un aspect fondamental du monde dans lequel nous vivons ». (Malinvaud, 1975, p. 287) soit parce qu'elle n'était pas jugée essentielle : « Il faut accorder une grande importance à l'incertitude, comme à beaucoup d'autres facteurs encore, si ce qui nous intéresse est de développer une théorie satisfaisante de la composition du "portefeuille", ou ce qui est équivalent, du taux de variation des actifs pris individuellement. Ces considérations ne semblent pas essentielles pour le développement d'une théorie utile des facteurs déterminant le taux global d'épargne [...]. » (Modigliani et Bromberg, 1954, cité par P. Salin, 1965, p.55) Bien que la démarche fût confortée par la démonstration de l'équivalence mathématique de l'incertitude à la certitude dans certaines conditions (Theil, 1954), des économistes de l'école de l'équilibre économique général (Debreu, 1959 ou Arrow, 1964 par exemple) prirent soin d'introduire explicitement l'incertain dans leur modèle mathématique : « Jusque vers 1950 [...] [i]l était [...] difficile de savoir dans quelle mesure l'hypothèse simplificatrice d'absence d'incertitude affectait la portée des résultats obtenus. Grâce aux progrès récents de la théorie des décisions en face du risque, cette importante lacune a pu être comblée en grande partie. » (Malinvaud, op. cit., p. 287) Mais rien de fondamental ne fut modifié dans les résultats obtenus, l'équilibre économique général continuait à exister, unique. En vérité, l'objet « assurance » avait été introduit de pair avec l'hypothèse de l’incertitude, mais implicitement. Pour cette raison, il faut se rendre à l'évidence et admettre, par comparaison des solutions ancienne et nouvelle, que sa disponibilité n'avait pas d'influence essentielle et ne remettait pas en question le principe de l'existence de l'équilibre économique général et de son unicité. Si la porte était ouverte pour que l'assurance acquière dans le domaine une position (cf. par exemple, Klock et Pfeffer, 1974, ou Laffont, 1985) qui lui avait été refusée a priori jusqu'alors par les hypothèses en définitive très spéciales qui avaient été retenues, elle était d'abord une marchandises comme une autre, c'est-à-dire un artifice commode pour « boucler le modèle ». Il convient d'avoir conscience de cette approche et ne pas passer sous silence les réactions qu'elle n'a pas suscitées immédiatement chez le législateur. Les conclusions obtenues ne le heurtent pas, semble-t-il, outre mesure alors qu'elles sont à l'opposé de ce qu'il a expliqué dans le passé, à savoir que l'assurance n'est pas une marchandise comme une autre. N'a-t-il pas légiféré pour que l'assurance soit régie par des règles nationales appropriées et pour que son domaine ne soit ni la «jungle », ni l'« injustice sociale » ? A cet égard, on ne reconnaît pas non plus dans la marchandise de la théorie, l'assurance que la puissance publique a tendance à se réserver, quel que soit le pays industrialisé où on se situe (1). [1. La réglementation de l'assurance a été telle, par exemple, aux États-Unis que K. J. Meier (1988) s'est fondé sur son histoire pour établir une théorie de la façon dont la réglementation fonctionne en général, en fait.] Et, on ne peut que le constater, la réserve est telle que les gouvernements nationaux n'ont jamais coopéré en matière d'assurance, fût-ce au travers d'institution internationale créée pour l'occasion. Aucune institution internationale en matière d'assurance n'a vu le jour après la guerre de 1939-45 contrairement à ce qui s'est passé dans tous les autres domaines (de la monnaie à la santé en passant par l'alimentation ou la protection de l'innovation technologique). Pourquoi la puissance publique devrait-elle continuer à vouloir maîtriser l'industrie des assurances, une industrie qu'implicitement la théorie de l'équilibre économique général explique être en fait comme les autres ? Sauf à vouloir tout régir ? La volonté de maîtrise pouvait se comprendre au temps où l'assurance n'avait pas de statut théorique, où elle était exclue du modèle économique par des hypothèses et où elle était considérée arbitrairement par le législateur n'être pas comme les autres industries. Désormais, les choses ont changé. Mais, bien entendu, rien ne s'oppose à ce que la même direction soit maintenue dans le cas où la puissance publique rejette en bloc la théorie de l'équilibre économique général ou bien dans le cas où elle affirme améliorer les caractéristiques de l'équilibre. Les réactions seront longues à venir chez les économistes, mais elles viendront. Par exemple, Stiglitz montrera dans la décennie 1980 que la validité des hypothèses n'est pas générale (2). [2. D'après Stiglitz : « In this paper, I wish to explore the relationship between risk, Insurance, incentives, and imperfect information. Understanding the relationship between these is fundamental, and not only to an understanding of the functioning of insurance markets. The phenomenon of risk and insurance, and the problem which they pose, are pervasive throughout the economy, often in quite disguised form; they are many features of the economy that can best be understood as an institutional adaptation to the problems of risk and incentives. Somewhat surprisingly what has become the standard paradigm for analyzing the market economy, the competitive mode (as exposited, say by Arrow (1964) and Debreu (1959)), systematically ignores these considerations: as a result, not only does it fail to provide insights into some of the important features of modem capitalist economies, but also it reaches conclusions, e.g. concerning the efficiency of the market and the existence of equilibrium, which are necessarily suspect. Indeed, recent research which I will discuss today has shown them not to be generally valid. » (Stiglitz, 1983, p. 4) ] Grâce à ces réactions, l'assurance acquiert une position d'exemple...
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