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Confusions (augmenté...).

Georges Lane Publié le 23 octobre 2018
5892 mots - Temps de lecture : 14 - 23 minutes
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1. La confusion de l'économie politique. Il n'est pire science que l'économie politique d'aujourd'hui tant la confusion qui y règne est grande. Ce n'est pas nouveau. a. Machlup et la confusion des mots. Il y a près de cinquante ans, Fritz Machlup (1902-1983) écrivait (cf. billet d'août 2017) : … "Quand un terme possède tant de significations que nous ne savons jamais ce que veulent dire ceux qui l'emploient, il faudrait - soit le supprimer du vocabulaire du spécialiste, - soit le "purifier" des connotations qui nous embrouillent." Comme je crois qu'il est impossible d'exclure les mots "équilibre" et "déséquilibre" du discours économique, je propose de les soumettre à un travail de nettoyage approfondi." (Machlup, F., 1958, The Economic Journal, Vol. LXVIII, Mars) Et d'ajouter: "En essayant d'accomplir cette tâche, je ne prendrai pas en compte les significations de ces expressions dans d'autres disciplines." (ibid.) La cible que Machlup avait en ligne de mire dans le texte était donc la notion d'"équilibre » en économie politique sur quoi s'était penché, vingt ans plus tôt, dans une perspective voisine, Arthur Marget (1899-1962) dans un article du Journal of Political Economy (Vol. 43, No. 2, avril 1935, pp. 145-186). Pour sa part, Murray Rothbard (1926-1995) est revenu sur la dénaturation de la notion d'équilibre économique dans un article de 1987 dans The Review of Austrian Economics (volume 1, pp. 97-108) et s'en est pris à ce qu'avaient pu écrire Joseph Schumpeter (1883-1950) et Alvin Hansen (1887-1975) avant que Guido Hülsmann s'en prît à d'autres (cf. son texte). A sa façon, John Hicks (1904-1989) s'en est pris à son tour, si on peut dire, au sujet de Machlup au travers de la notion de "liquidité" (dans l'article “Liquidity”, The Economic Journal, Vol. 72, No. 288, décembre, 1962), pp. 787-802). En vérité, la liste de ces mots qui tiennent de la rhétorique "au mauvais sens du mot", est abondante (par exemple, inflation, chômage, croissance, etc. monnaie...). On pourrait ajouter à ces notions - le mot "société" - que certains attribuent à Emile Durkheim (1858-1917), l'homme qui a introduit la "conscience collective"!- ou - le mot "état" (cf. ce texte de de Jasay, 1994), mais je ne saurai m'y appesantir. i. Robert Solow. Robert Solow a certes dénoncé la "rhétorique au mauvais sens" du mot, mais un peu tard, d'autant qu'il y avait fortement contribué auparavant. En effet, récemment, Solow a enfoncé le clou de la question en s'opposant à la rhétorique - sous entendu, "au mauvais sens du mot" - de façon très claire : « Pour un lecteur moderne sérieux, la rhétorique est sans pertinence ou, pire, induit en erreur ou, pire encore, trompe intentionnellement » ( R. Solow, Commentaires, hiver 2013-14, p. 911). Il oubliait, seulement, ses amours pour telle ou telle mathématiques qu'il avait utilisées dans le passé et qui n'étaient jamais que d'autres formes de la rhétorique "au mauvais sens du mot"... Il a oublié, en particulier, d'insister sur ce qu'avait écrit le grand mathématicien David Hilbert (1862-1943) sur l'utilisation des mots en mathématique. Celui-ci soutenait que: "[...] les axiomes devaient être tels que si on remplaçait les termes de 'points', 'droites', et 'plans' par 'bière', 'pieds de table' et 'chaises', la théorie devait toujours tenir." (O'Shea, 2007, p.169) - dans O'Shea, 2007, Gregory Perelman face à la conjecture de Poincaré ii. Henri Poincaré. Dans ces conditions, on pourrait remplacer le géomètre par le "piano à raisonner" imaginé par Stanley Jevons (1835-82), l'économiste de la "double coïncidence des besoins qu'est l'échange direct"..., a eu l'occasion de souligner, pour sa part, Henri Poincaré (1854-1912) au début du XXème siècle, dans Science et méthode (1908), et de montrer son opinion: "Il y a là une illusion décevante" (Poincaré, 1908, p.4) D'ailleurs, que nous disait, ces dernières décennies, Roland Omnès sur les mathématiques: "Ce qui compte en mathématiques ne sont aucunement les choses, mais les relations qui existent entre elles" (Omnès, 1994, p.107) dans Omnès, R. (1994), Philosophie de la science contemporaine, Gallimard (coll. Folio, essais), Paris. Par exemple, l'existence des unes est sans relation avec l'existence des autres qui a pour fondement la non contradiction (cf. sur le sujet, Poincaré à propos de Stuart Mill dans Science et méthode). Mais, selon Poincaré (dont j'ai déjà eu l'occasion de parler, en particulier dans ce billet de décembre 2010), les mathématiques ne peuvent être réduites à la logique, à une logique formelle. Comme Poincaré l'explique dans Science et méthode, l'intuition est essentielle au mathématicien et cela n'est pas une question de logique analytique, a fortiori de logique formelle. L'intuition va de pair avec l'application du principe d'induction complète que certains de ses opposants prétendent avoir démontré au prétexte que, selon eux, il n'existe pas de jugement synthétique a priori. Soit dit en passant, Poincaré insiste à propos de la logique nouvelle de MM. Couturat et Russell - ce qu'il dénomme "la logistique" qui va faire florès au XXè siècle - sur le fait que, malgré ce que ces derniers en disent: "Nous n'avons pas le droit de regarder [leurs] axiomes comme des définitions déguisées et [...] il faut pour chacun d'eux admettre un nouvel acte d'intuition [...] un acte nouveau et indépendant de notre intuition et, pourquoi ne pas le dire, un véritable jugement synthétique a priori" (Poincaré, op. cit. p.185) "La logique reste donc stérile, à moins d'être fécondée par l'intuition.[...] La logistique n'est plus stérile, elle engendre l'antinomie." (ibid., pp.222-23)) Poincaré n'avait pas hésité à mettre en garde à diverses reprises contre la démarche de l'application d'une mathématique à une discipline de la pensée humaine, et à formuler les plus expresses réserves dans le cas des sciences morales (dont l'économie politique). iii. Ivar Ekeland Une grande raison que rappelle Ivar Ekeland dans le livre intitulé Le calcul, l'imprévu (Les figures du temps de Kepler à Thom) (Seuil, Paris, 1984) est que : «certains événements prédits par le modèle mathématique ne se produiront pas dans la réalité physique » (Ekeland, 1984, pp.52-53). Ekeland souligne humoristiquement à cette occasion que « les mathématiques nous donnent une manière originale de réparer un pneu crevé : il suffit d'attendre qu'il se regonfle spontanément » (ibid., p.54) Soit dit en passant, et d'une part, il convient de distinguer l'application d'une mathématique et, ce qui n'est pas mieux, la transposition d'un modèle mathématique d'un phénomène physique, biologique, etc. pour "expliquer" un phénomène économique Mais cette distinction n'est pas prise en considération par les économistes qui procèdent à l'une ou à l'autre. On est loin de ce que pouvait écrire Léon Walras. En effet, quelques années plus tôt, en 1886, dans la même veine, Walras considérait dans un livre intitulé Théorie de la monnaie http://archive.org/stream/thoriedelamonna01walrgoog#page/n7/mode/2up que : « Je crois, quant à moi, que, lorsqu'il s'agit d'étudier des rapports essentiellement quantitatifs comme sont les rapports de valeur, le raisonnement mathématique permet une analyse bien plus exacte, plus complète, plus claire et plus rapide que le raisonnement ordinaire et a, sur ce dernier, la supériorité du chemin de fer sur la diligence pour les voyages ». Reste que, comme l'a rappelé Ekeland, tous ces éléments ne doivent pas cacher le recours croissant donné par des gens depuis lors à telle ou telle mathématique à quoi ont procédé nos économistes et dont la majorité serait bien incapable de justifier le choix mathématique pour la raison suivante: "Pour ma part, je chéris l'aphorisme de Sussman : 'En mathématiques, les noms sont arbitraires. Libre à chacun d'appeler un opérateur auto-adjoint un 'éléphant', et une décomposition spectrale une 'trompe'. On peut alors démontrer un théorême suivant lequel 'tout éléphant a une trompe'. Mais on n'a pas le droit de laisser croire que ce résultat a quelque chose à voir avec de gros animaux gris". (Ekeland , 1984, p.123). Et les "gros animaux gris" sont nombreux en économie politique. Faut-il rappeler que Francis-Louis Closon (1910-1998), premier directeur de l'I.N.S.E.E., a eu l'occasion de déclarer qu'il fallait : «Remplacer la France des mots par la France des chiffres» (cf. Desrosières, 2003). comme si les "chiffres" n'étaient pas les "gros animaux gris" d'une mathématique... Et on sait ce qu'est devenu l'I.N.S.E.E., grand monopole étatique devant l'éternel. Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, cette question situe à l'opposé du point sur quoi Poincaré avait insisté dans Science et méthode : "On ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée, comme disait Mach" (Poincaré, 1908, Science et méthode, p.31). Quant à la méthode des sciences et à propos des "sociologistes" - devenus "sociologues" par la suite... -, on remarquera que Poincaré n'avait pas hésité pas à y écrire : "Le Sociologiste est plus embarrassé ; les éléments, qui pour lui sont les hommes, sont trop dissemblables, trop variables, trop capricieux, trop complexes eux-mêmes en un mot ; aussi, l’histoire ne recommence pas ; comment alors choisir le fa...
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