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Entretien avec Cécile Philippe, dernière partie : environnement, modèle social, marché du travail

Grégoire Canlorbe Publié le 31 décembre 2014
3875 mots - Temps de lecture : 9 - 15 minutes
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Grégoire Canlorbe : Il n’est pas rare dans les débats d’expert de brandir la notion de développement durable comme prétexte automatique pour toutes sortes d’interventions et de dépenses publiques. Vous écrivez que « l’austérité est au service du développement durable » et non point en contradiction avec celui-ci. Pourriez-vous expliciter et justifier cette affirmation iconoclaste ? Cécile Philippe : Il n’est pas simple de se faire une idée précise de la question, car les mesures d’austérité recouvrent des situations très différentes aux effets économiques parfois diamétralement opposés. Les politiques de rigueur ou d’austérité sont des politiques publiques visant à rétablir l’équilibre des comptes publics. Or, cet équilibre peut être atteint par des moyens différents. Le premier consiste à augmenter les recettes fiscales, alors que le second vise à réduire les dépenses publiques. Souvent, les politiques mises en place sont un mélange des deux types de mesures, puisque les comptes publics peuvent être rétablis si les recettes augmentent plus vite que les dépenses. En fait, les politiques visant à rééquilibrer les comptes publics peuvent s’inspirer de deux philosophies diamétralement opposées. Celle qui voit dans l’ la source de la croissance et se traduit pas une hausse des impôts et celle qui, au contraire, juge que la croissance de l’ nuit à la croissance économique et qu’il faut inverser la tendance en diminuant les dépenses. Dans le débat actuel, la faillite des mesures d’austérité est jugée à l’aune de la baisse des dépenses publiques qui serait sans précédent. Cette situation ne décrit pas la réalité européenne et encore moins française : « La France se situe d'ailleurs dans le peloton de tête des pays où les dépenses et les impôts ont le plus augmenté. » En effet, pendant toute la période durant laquelle les mesures d’austérité ont été mises en place, les gouvernements ont continué à augmenter les dépenses. Les diminutions de déficits observées dans plusieurs pays ont été réalisées grâce à une augmentation plus rapide des recettes fiscales par rapport aux dépenses. C’est précisément ce que les données d’Eurostat montrent, avec une augmentation des recettes de 1,6 point de PIB entre 2009 et 2013, soit une hausse de 14,6 %. Si les dépenses publiques ont baissé de 2 points de PIB de 2009 à 2012, elles sont restées supérieures de 3,5 points au niveau d’avant-crise (49 % en 2013 contre 45,5 % en 2007). Plus encore, les dépenses des gouvernements n’ont jamais cessé de croître pour l’Union européenne dans son ensemble depuis le début de la crise financière, sauf en 2011 où elles sont restées constantes. Elles ont crû de 6,5 % entre 2009 et 2013, période pendant laquelle les politiques d’« austérité » sont censées avoir été mises en œuvre. La France, quant à elle, a vu ses dépenses augmenter de 9,8 %. L’austérité fiscale est donc une réalité pour les contribuables qui ont vu leur pouvoir d’achat diminuer sous l’effet de l’augmentation de la pression fiscale, mais pas pour les s qui tardent à se mettre au régime. On voit donc bien la forme que prend la rigueur en France. Elle touche les ménages, en limitant leur pouvoir d’achat, alors que la baisse des dépenses publiques se fait attendre. Dans ce contexte il n’y a plus grand-chose à espérer de nouvelles augmentations de la fiscalité, alors qu’il y aurait beaucoup à attendre d’un retour à l’initiative privée, l’entrepreneuriat, l’innovation, la créativité. À l’inverse, le Canada est sans doute le cas le plus emblématique d’une austérité réussie ayant permis un retour à une croissance durable. Au milieu des années 1990, le Canada subit une grave crise de ses finances publiques. Confrontés à une dette publique qui atteint 67 % du PIB, en hausse de 11 points par rapport à 1974-1975 et à un déficit de 5,3 %, les pouvoirs publics décident d’entamer un vaste programme de baisse des dépenses afin de supprimer le plus rapidement possible le déficit. Ce sera mission accomplie en un temps record puisqu’en 1997-1998, le gouvernement du Canada enregistre son premier surplus budgétaire depuis 28 ans. Il sera suivi de 11 autres et surtout d’une croissance économique qui fera envie aux autres pays de l’OCDE. En effet, de 1997 à 2003, l’emploi au Canada augmente en moyenne de 2,3 % par an et le taux de croissance est de 2,8 %. C’est le taux le plus élevé des pays du G7. Le revenu réel des Canadiens, mesuré en termes de pourcentage du PIB/habitant, va augmenter de 20 % pendant cette période. Alors que le Canada était le deuxième pays le plus endetté en 1993, il se trouve être le meilleur élève en la matière en 2007. Il est tentant de rapprocher ces bons résultats économiques d’un classement réalisé par l’institut de recherche Gallup qui mesure les endroits où les gens s’estiment les plus heureux. En février 2012, dans le cadre d’un sondage réalisé dans 160 pays, le Canada se situait juste après le Danemark en termes de satisfaction. Il y a donc là matière à s’interroger sur cette croyance selon laquelle les baisses des dépenses publiques seraient nécessairement négatives au point de vue de la croissance et du bonheur en général pour les individus. Grégoire Canlorbe : Le modèle social français, en ce qui concerne la cotisation, la prise en charge des soins et le financement des retraites, est souvent décrit comme la quintessence de l’État-Providence et comme une réussite que le monde entier nous envie. Pourquoi la réalité est-elle selon vous moins rose qu’il ne paraît au prime abord ? Cécile Philippe : Concernant cette question, il faut à mon avis distinguer la question santé de la question retraite. On peut effectivement dire que notre système de santé offre de bonnes prestations et que comparativement à d’autres, les Français sont plutôt bien lotis. Sauf que les choses changent à grande vitesse. Le problème de notre système est qu’il coûte très cher. La protection sociale et la m...
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