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Espagne: Des inégalités économiques au coeur de l’imbroglio Régional. Nicolas Klein

Liliane Held-Khawam Publié le 30 août 2018
5431 mots - Temps de lecture : 13 - 21 minutes
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Une guerre socio-économique impitoyable au coeur des Régions! Les inégalités socio-économiques, talon d’Achille de l’Espagne Cette reprise économique vigoureuse, qui se traduit par une forte croissance du produit intérieur brut, une réduction rapide du taux de chômage, une diminution très progressive du déficit public et une confiance retrouvée dans l’Espagne, ne doit toutefois pas cacher un phénomène inquiétant : ces avancées se font au prix d’une casse sociale durement ressentie par la population et de fortes inégalités. Ces dernières sont perceptibles à la fois entre Espagnols et entre régions. C’est sur ces deux aspects que nous souhaitons nous arrêter un instant. Et la précarité était le prix à payer La brusque destruction d’emplois dans le pays suite à la crise économique de 2008 a jeté des millions de personnes et de foyers dans la précarité, voire la misère. Le fait de retrouver un poste de travail n’est d’ailleurs pas une garantie en soi de vivre dans des conditions décentes. C’est particulièrement vrai pour les emplois saisonniers qui dépendent du tourisme. Au cours du troisième trimestre de l’année 2017, par exemple, 235 000 postes ont été créés, ce qui a permis de faire baisser le taux de chômage jusqu’à 16,38 % de la population active. Notons néanmoins que 58,4 % de ces nouveaux emplois ont été occupés par des jeunes 16 à 24 ans dans des conditions précaires (avec des contrats de très courte durée pouvant aller jusqu’à un jour seulement)[1]. De façon générale, la jeunesse espagnole doit affronter des difficultés économiques[2]. En 2005, le risque de pauvreté chez les jeunes de 16 à 24 ans était de 23,6 % et il a explosé jusqu’à 40 % en 2016 – tandis qu’il s’est réduit de 32 % en 2005 à 16 % en 2016 chez les Espagnols âgés de 65 ans ou plus[3]. Certains n’hésitent plus à parler d’un « mur invisible » (muro invisible) pour évoquer les entraves qui sont imposées aux jeunes gens sur le marché du travail espagnol[4]. Le sort de ceux qui n’ont pas d’emploi est encore moins enviable puisque 80 % des inégalités qui se sont creusées outre-Pyrénées depuis 2008 sont liées à la perte de son emploi ou à l’incapacité à entrer sur le marché du travail[5]. Le coefficient de Gini a évolué en Espagne de 0,316 en 2004, au plus fort des années de croissance, à 0,347 en 2014 (où 0 représente l’égalité absolue et 1, l’inégalité la plus parfaite). Il dépasse toujours aujourd’hui 0,34[6]. Selon la Commission européenne, les 20 % les plus riches de la population espagnole gagnent 6,6 fois plus que les 20 % les plus pauvres, ce qui situe l’Espagne dans les nations les plus inégalitaires de l’Union européenne[7]. Ce sont désormais les entreprises qui fixent plus librement les conditions de travail et le type de contrat de leurs employés, ce qui entraîne plus de précarité pour ces derniers[8]. Par ailleurs, l’Espagne est touchée à la fois par l’ubérisation de l’économie[9] et à une forte polarisation du marché du travail entre contrats à durée indéterminée (souvent très temporaires) et contrats à durée déterminée[10]. Dans son rapport pour l’année 2015, l’organisation non gouvernementale britannique Oxfam allait encore plus loin en affirmant que, depuis 2007, notre voisin pyrénéen était le pays de l’Union européenne où les inégalités avaient le plus augmenté, juste derrière Chypre[11]. Une déclaration-choc qui n’est pas sans poser des problèmes méthodologiques et qui a été largement contestée par certains organismes espagnols, comme l’Institut Juan-de-Mariana[12]. Source: https://www.wsws.org/fr/articles/2017/09/rctl-s30.html Il ne nous appartient pas de trancher dans ce débat. En revanche, il est certain qu’il existe de grandes disparités de revenus et de richesse entre Espagnols, certains collectifs étant clairement plus pénalisés que d’autres. C’est ainsi que les jeunes Espagnoles travaillant dans l’hôtellerie ou le commerce de détail sont plus susceptibles de toucher le salaire minimum interprofessionnel (SMI)[13] que d’autres groupes de citoyens[14]. De façon générale, entre 2015 et 2016, 40 % de toute la richesse créée dans le pays a été captée par seulement 1 % des citoyens et quatre nouveaux multimillionnaires sont entrés dans le classement des principales fortunes mondiales[15]. Comme nous venons de l’expliquer, les inégalités sur le marché du travail y sont pour beaucoup. Entre le 1er janvier et le 30 novembre 2017, près de 20 millions de contrats de travail ont été signés outre-Pyrénées mais 26 % d’entre eux ont duré cinq jours ou moins[16]. Selon les calculs de Florentino Felgueroso, chercheur à la Fondation des Études d’Économie appliquée (FEDEA), un travailleur au contrat précaire devait attendre en moyenne 94 mois pour décrocher un contrat à durée déterminée durant la période 2008-2016, contre 57 mois au cours de la période 2001-2007[17]. En juillet 2017, les contrats à durée déterminée ou à temps partiel (le plus souvent subi) représentaient 42,4 % de l’ensemble des contrats de travail du pays[18]. Il en va de même dans le secteur public : l’emploi de ce dernier a certes crû de 4,44 % au premier trimestre 2018 mais il est devenu de plus en plus temporaire[19]. C’est, semble-t-il, le prix à payer pour maintenir la fameuse « compétitivité-coût » de l’Espagne. Ces problèmes face au marché de l’emploi ont des conséquences à la fois socio-économiques (un fort taux de travail non déclaré, par exemple) et politiques (une méfiance palpable face aux institutions publiques)[20]. Même sur des sujets aussi idéologiques que l’indépendantisme catalan, l’appartenance à telle ou telle couche de la société conditionne les décisions politiques. En Catalogne, ceux qui ne rendent pas publics leurs revenus mensuels, qui touchent moins de 900 euros par mois, de 900 à 1 200 euros ou de 1 200 à 1 800 euros sont majoritairement unionistes (respectivement à 54 %, 59 %, 66 % et 51 %). Au contraire, plus on dépasse les 1 800 euros de revenus mensuels, plus on est séparatiste : à 53 % entre 1 800 et 2 400 euros, à 55 % entre 2 400 et 4 000 euros et à 54 % au-delà de 4 000 euros[21]. La guerre des communautés autonomes Une concurrence généralisée entre régions Ces considérations catalanes nous amènent à nous pencher plus précisément sur les inégalités régionales, très marquées outre-Pyrénées. Il faut dire qu’il existe à la base des différences de structures économiques et sociales entre communautés autonomes espagnoles, depuis le Pays basque et la Navarre (qui disposent d’un statut fiscal très avantageux grâce à l’État central)[22] jusqu’à l’Andalousie, l’Estrémadure ou les îles Canaries (qui souffrent d’un taux de chômage traditionnellement plus élevé que dans le reste de l’Espagne, d’une faible diversification économique, d’un emploi non déclaré endémique, etc.) L’essentiel des grandes compagnies et du tissu industriel espagnols est concentré dans le Nord du pays et à Madrid, là où se trouvent également les plus faibles taux de chômage, la productivité la plus élevée ainsi que l’emploi le plus stable et le plus spécialisé[23]. De plus, la conjonction entre chômage et vieillissement de la population a des conséquences dramatiques dans certaines communautés autonomes comme la Principauté des Asturies, la Galice ou la Castille-et-León, où le taux d’actifs se réduit chaque année un peu plus[24]. Les autonomies les mieux placées dans la plupart des classements économiques espagnols sont généralement la Communauté de Madrid, le Pays basque, la Navarre, la Catalogne et la Communauté de Valence[25]. D’autres, au contraire, cumulent les handicaps et ont été l’objet de peu d’attention de l’État central ces dernières années. C’est le cas de l’Estrémadure, communauté autonome à la frontière avec le Portugal, peuplée d’un peu plus d’un million d’habitants. Si son patrimoine historique, architectural et artistique est extraordinaire, sa situation économique est traditionnellement délicate. Elle affiche au premier trimestre de l’année 2018 un taux de chômage de 25,9 % de la population active[26] (contre 16,1 % au niveau national) et ses infrastructures de transport, notamment dans le domaine ferroviaire, sont peu développées[27]. La région a du mal à lutter sur un pied d’égalité avec la Catalogne, y compris dans de domaines agroalimentaires où elle a des atouts, comme la production de cava (le « champagne espagnol »)[28]. Un jeu truqué ? C’est qu’en réalité, l’« Espagne des autonomies » repose sur une o...
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