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Il y a quarante ans, le 15 août 1971 allait survenir avec son cortège de surprises…

Georges Lane Publié le 03 août 2011
9812 mots - Temps de lecture : 24 - 39 minutes
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Le dernier article de Raymond Aron sur le sujet de la monnaie que j'ai rappelé dans un billet précédent était daté du 10 août 1971, cinq jours avant la décision du président des Etats-Unis d'Amérique, Richard Nixon, de suspendre la convertibilité extérieure en or du dollar, la convertibilité intérieure étant interdite depuis 1933. Dans cet article, il n'envisageait en aucune façon une telle décision ni que les circonstances qu'il décrivait y conduiraient. Cet article et d'autres reproduits dans le billet faisaient suite à des articles de mai 1971 que j'ai rappelés dans ce billet, après en avoir rappelé six autres, de la période février 1969- février 1970, dans ce billet. : dans aucun d'eux, l'idée d'un tel événement n'est effleurée. Raymond Aron fera connaître ses premières impressions sur la décision prise dans un article intitulé "Comment dévaluer le dollar ?" qu'il publiera le 26 août dans le quotidien Le Figaro. Cet article sera suivi de cinq autres en septembre, les 3, 6, 7, 8 et 17 septembre 1971. Je les ai reproduits ci-dessous. Pourquoi ce rappel ? Pour deux grandes raisons : Parce que ces événements de 1971 ne sont pas sans relation avec ceux d'aujourd'hui, de 2011, ni avec ceux plus anciens de 1931. Relativement à ces derniers, ils en sont même des causes intermédiaires. La trame est la même. Elle n'a rien à voir avec un quelconque sens de l'histoire. Des hommes de l'Etat irresponsables institutionnellement prennent des décisions et des commentateurs plus ou moins stipendiés par iceux-ci et peu au fait de ce dont ils parlent s'en font l'écho. Elle n'a rien à voir non plus avec une connaissance économique de la question de la monnaie qui déboucherait sur de telles décisions. J'y reviendrai ci-dessous après les articles. Seconde raison : parce que Jacques Rueff les avait très rationnellement prédits étant donnés sa connaissance de la science de la monnaie et son intérêt pour cette science, une science différente de la science officielle qui sévissait déjà à l'époque. I. Raymond Aron. - Les caractères en gras sont de mon crû. - 1. Comment dévaluer le dollar? Le Figaro, 26 août 1971 Le président Nixon ne voulait pas, en 1969, être le premier président des Etats-Unis à perdre une guerre : le voici en train d'en perdre plusieurs. Camouflant sous des coups de poker et un style agressif la retraite à laquelle le contraint l'opinion américaine, il liquide - la politique asiatique des vingt dernières années, - puis le système monétaire de Bretton-Woods, - demain peut-être il liquidera la présence américaine sur le vieux continent. Liquidation inévitable ? Il fallait reprendre contact avec le gouvernement de la Chine populaire, à coup sûr. Mais fallait-il mettre des alliés, en particulier le Japon, devant le fait accompli? Le système monétaire international était condamné à mort moins par l'inconvertibilité de fait du dollar en or que par l'incertitude sur la valeur de la monnaie américaine par rapport aux autres monnaies. Devait-on lui porter le coup de grâce par des décisions prises soudainement, dans le secret, sans même consentir à une discussion d'ensemble avec les partenaires-concurrents ? La rhétorique nationaliste du président Nixon accompagne, d'un bruit de fond désagréable, la renonciation des Etats-Unis à leurs responsabilités d'économie dominante. André François-Poncet aime à dire que les Français sont régulièrement surpris par les événements qu'ils prévoyaient. La formule s'applique cette fois non pas aux seuls Français mais à tous les Européens, aux Japonais aussi, à tous ceux qui appartiennent à l'économie mondiale, capitaliste ou occidentale, comme on voudra dire. Depuis des années, on savait que, en suprême recours, les Américains rompraient définitivement le lien entre le dollar et l'or, ou encore, ce qui revient au même, mettraient l'embargo sur leur stock d'or, déclareraient officiellement le dollar inconvertible et abandonneraient une parité fixe entre leur monnaie et les autres monnaies. [Ma remarque - et il n'y en aura pas d'autre...- : Monsieur Aron est pour le moins "gonflé" d'écrire cela. Il suffit de se reporter aux articles qu'il avait écrits sur le système monétaire international et que j'ai reproduits dans les trois billets de ce blog cités ci-dessus. Loin de s'y attendre, il lançait des flèches à qui faisait de telles prédictions, comme, par exemple, Jacques Rueff, cf. ci-dessous]. Entre la fixation d'une nouvelle parité dollar or d'une part, l'embargo sur l'or avec un dollar flottant de l'autre, les Américains, s'ils devaient choisir, choisiraient le deuxième terme de l'alternative. Il ne semble pas qu'en aucun pays les responsables aient étudié à l'avance les conséquences et les exigences de la conjoncture ainsi créée. L'autre terme de l'alternative eût-il été préférable aux yeux des Européens et des Japonais ? Le président Nixon aurait pu convoquer le Congrès et obtenir de lui une modification du prix de l'or — ce qui aurait consacré une dévaluation officielle du dollar. On ne l'a pas fait (et tous ceux qui connaissent Washington savaient qu'il ne le ferait pas, au moins dans la première phase) pour diverses raisons parmi lesquelles figurent en bonne place des raisons de prestige, d'amour propre national. Mais cette solution, modification du poids d'or du dollar, comportait aussi des difficultés. Une dévaluation de l'ordre de 10 à 20 % n'aurait probablement pas suffi à ramener le prix de l'or sur le marché libre au niveau du prix officiel. Tant qu'à changer le prix officiel, il aurait mieux valu prendre du champ comme en 1934. Or un doublement du prix de l'or entraînait d'autres dangers (l'inflation) et favorisait Afrique du Sud et Union soviétique. Enfin et surtout la dévaluation officielle du dollar par rapport à l'or ne déterminait pas automatiquement les nouvelles parités entre la monnaie américaine et les autres. Les gouvernements de Paris, de Londres et de Tokyo auraient-ils accepté une dévaluation du dollar de 15 % sans contre-mesure ? Nous en arrivons ainsi au problème crucial que personne ou presque ne semble avoir discuté au cours de ces dernières semaines : le dollar, avant les décisions du président Nixon, était-il oui ou non surévalué par rapport à l'ensemble des autres monnaies ? La théorie de la surévaluation du dollar n'a rien d'original. Le professeur Samuelson, prix Nobel d'Economie, l'avait exposée secrètement à J.-F. Kennedy en 1961. Nombre d'experts français la défendent ouvertement et, en privé, certains des responsables français la tiennent pour évidente. Dès lors, si le dollar est effectivement surévalué, la modification de la parité entre le dollar et les principales monnaies s'impose, d'une façon ou d'une autre. Mais quand il s'agit d'une monnaie qui a servi d'étalon international pendant vingt cinq ans, la façon importe grandement et le problème prend un autre caractère. Le déficit global de la balance américaine des paiements résulte de la compensation entre - postes positifs (balance commerciale, revenus des investissements eu dehors) et - postes négatifs (exportations de capitaux, dépenses d'ordre militaire ou politique). Même quand la balance commerciale est globalement déficitaire (ce qui est le cas pour la première fois depuis trois mois), elle reste excédentaire à l'égard de certains pays ou groupes de pays, France, Communauté européenne. Les différents pays du monde n'acceptent pas la dévaluation du dollar comme ils acceptent celle du franc ou même de la livre. D'autre part, depuis des années, les entreprises américaines continuaient d'investir au-dehors au-delà des revenus des placements extérieurs, en dépit du déficit global des comptes. Les gouvernements étrangers craignaient ou pouvaient craindre que la dévaluation du dollar par rapport aux autres monnaies servît non à rétablir l'équilibre des comptes mais à accumuler ces excédents commerciaux qui eux-mêmes permettraient de nouveaux placements au-dehors. Enfin, la réévaluation des monnaies européennes par rapport au dollar laisserait intacte le rapport or-dollar, alors qu'une dévaluation officielle de la monnaie américaine relèverait le prix de l'or du pourcentage de la dévaluation elle-même. La surévaluation de la monnaie étalon, le lien inévitable entre le cours du dollar et l'ensemble du système monétaire international créent une situation à ce point complexe que les gouvernements ont tous cédé à la tentation de la facilité : adopter une tactique et laisser aux événements le soin de dessiner pour eux les lignes de stratégie possible. En dehors de toutes les complexités techniques, de quoi s'agit-il? I1 s'agit d'abord de mettre fin à la surévaluation du dollar ou, si l'on veut, d'amener le dollar à trouver par rapport aux autres monnaies une parité réaliste. Si déplorable que soit 1a manière du président Nixon, la prétention des Japonais de conserver tous les avantages dont ils ont bénéficié au cours de ces dernières années sans offrir de contrepartie devait provoquer une réaction aux Etats-Unis, et peut-être ailleurs. La dévaluation du dollar doit s'accompagner d'une révision du rôle de la monnaie américaine. Celle-ci ne peut ni ne doit remplir seule la fonction de mesure de tous les prix et de moyen d'échange valable à travers le monde entier. Le président Nixon a rendu cette révision nécessaire en donnant l'impression que la relance intérieure de l'économie lui importait plus que la fonction internationale du dollar. Révision nécessaire mais non pas inévitable : tant que les Européens ne parleront pas d'une seule voix, les Etats-Unis n'auront pas en face d'eux d'interlocuteurs valables. 2. La crise monétaire – Chacun sa vérité. Le Figaro, 3 septembre 1971 Comment interpréter les événements monétaires déclenchés par les mesures du président Nixon ? A lire la presse française et étrangère, le commentateur a le sentiment que trois interprétations s'offrent à lui. La première aurait pour titre ou pour thèse "Je vous l'avais bien dit"; la deuxième : "Cynisme et bonne conscience à Washington" ; la troisième : "Enfin ou Une lumière à l'horizon". Essayons de résumer les arguments principaux des unes et des autres. 2.A. « Je vous l'avais bien dit » (en anglais : I told you so). Cette interprétation est la plus populaire en France dans les milieux officiels, parmi les hommes politiques, les fonctionnaires, les disciples de Jacques Rueff, les gaullistes qui n'ont pas oublié certaine conférence de presse. Le système fondé sur. l'étalon-dollar portait en lui une contradiction qui le condamnait à mort. Les Etats-Unis avaient transformé leur propre monnaie en monnaie transnationale. Ils se désintéressaient du déficit de leur balance des comptes et obligeaient les banques centrales des principaux pays à conserver des quantités croissantes de dollars, en fait inconvertibles. Un jour ou l'autre, ces banques centrales devaient refuser de jouer aux billes selon les règles absurdes de l'étalon de change-or, autrement dit de placer outre-Atlantique leurs créances en dollars, résultant du déficit américain. Selon le mot de Jacques Rueff : « Ce qui doit arriver arrive ». ou encore, aujourd'hui : « Ce qui devait arriver est arrivé », ou encore : "Le roi est nu, le dollar est nu". 2.B. "Cynisme et bonne conscience à Washington". A coup sûr, le dollar a rompu les amarres qui le rattachaient à l'or, il n'est pas encore officiellement dévalué par rapport au métal, mais il se déprécie par rapport aux principales monnaies. Perte de face ? Humiliation ? Aux yeux des profanes ou du grand public, peut-être. Mais, en fait, c'est le gouvernement américain qui a rejeté les anciennes règles du jeu et qui cherche à en imposer de nouvelles, c'est lui qui a mis à exécution une menace implicite depuis des années, à savoir l'embargo sur le stock d'or et la fluctuation du dollar. Les partenaires des Etats-Unis craignaient la mise à exécution de cette menace parce que, toute question de prestige mise à part, elle compromet leur prospérité beaucoup plus que celle de l'économie américaine. La suppression officielle de la convertibilité du dollar en or entraîne, au moins dans l'immédiat, une dépréciation de celui-ci par rapport aux monnaies des grands pays industriels, c'est-à-dire l'appréciation du mark, du yen ou du florin par rapport au dollar. Je dis : dépréciation et appréciation parce que la dévaluation ne serait consacrée que le jour où une nouvelle parité-or aurait été fixée. Provisoirement, un gouvernement au moins, celui de Paris, refuse d'accepter la dépréciation du dollar sur les marchés libres comme l'équivalent d'une dévaluation (qui, elle, exigerait la détermination d'un nouveau poids d'or du dollar). Qu'importe, répondent les tenants de la deuxième thèse, l'attitude d'un gouvernement. Le président Nixon voulait libérer la politique économique des Etats-Unis de la contrainte qu'imposait la relation-dollar et, en même temps, il voulait contraindre Allemands et Japonais (subsidiairernent les autres Européens) à subir l'appréciation de leur monnaie par rapport au dollar. Or cette appréciation favorise les exportations américaines, défavorise les exportations des concurrents. Là où la première école voit l'effondrement du dollar, la fin d'une hégémonie monétaire, la deuxième voit une victoire nouvelle, une autre forme de la domination. La flottaison du yen devient une défaite japonaise. Le langage militaire revient sous la plume des journalistes : les gouvernants défendent la parité des monnaies comme jadis les tranchées. Alors que d'ordinaire la dépréciation passe pour un aveu de défaite, cette fois, c'est l'inverse : l'appréciation d'une monnaie par rapport au dollar fait figure tantôt de recul stratégique et tantôt de capitulation. Les responsables de Washington abusent doublement de leur force. Si le dollar est surévalué, pourquoi n'acceptent-ils pas d'adopter la méthode courante et normale : modifier le poids or de leur unité monétaire ? Les autres pays garderaient le choix , ou bien de maintenir eux, la parité ancienne, et, en cette hypothèse, d'apprécier leur monnaie par rapport au dollar ; ou bien de modifier la parité ancienne, mais éventuellement d'un pourcentage inférieur à celui que les Américains eux-mêmes auraient fixé. Ensuite et surtout, en admettant que le dollar soit surévalué, le déficit des comptes des Etats-Unis, au long des années, a été dû aux exportations de capitaux et non à l'excès des importations sur les exportations — excédent qui ne date que de quelques mois. Les revenus des capitaux américains placés au dehors permettraient d'équilibrer les comptes extérieurs, même avec un déficit faible et temporaire des échanges commerciaux. Mais le président Nixon veut que le flux des investissements au dehors ne se ralentisse pas et, à cette fin, il se donne un double moyen de pression : l'appréciation des autres monnaies et la taxe de 10 %. L'opinion américaine applaudit sans scrupule de conscience cette politique du big stick économique. Pour relancer l'économie américaine, il risque de provoquer une dépression au Japon ou en Europe, voire de déclencher la guerre commerciale ou les , de funeste mémoire. 2.C. « Enfin, ou Une lumière à l'horizon ». Un hebdomadaire célèbre a salué les décisions du président Nixon avec un enthousiasme lyrique, The Economist. Pourquoi ? D'abord et avant tout à cause de la rupture avec le principe des parités fixes. Alors que la plupart des fonctionnaires et des hommes politiques tiennent pour sacro-saint le principe des parités fixes, posé à Bretton Woods et abandonné le 15 août, l'hebdomadaire londonien ne cesse de rompre des lances en f...
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