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Interdiction de la convertibilité contractuelle des substituts de monnaie bancaires

Georges Lane Extrait des Archives : publié le 20 janvier 2014
11393 mots - Temps de lecture : 28 - 45 minutes
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A un moment où Commentaire vient de publier, en français, un texte de R. Solow (2012) intitulé « De Hayek à Friedman, l’idéologie du libéralisme économique » (Commentaire, hiver 2013-14) où il a conclu par ces mots : « Pour un lecteur moderne sérieux, la rhétorique est sans pertinence ou, pire, induit en erreur ou, pire encore, trompe intentionnellement » (R. Solow, op.cit., p.911) je ne peux que faire connaître le texte que j'avais préparé pour la réunion du séminaire J.B. Say, le 15 janvier 2013, à l'aleps, 35 avenue Mac Mahon, Paris 17è et intitulé "Interdiction de convertibilité, substituts de rien bancaires et comptabilité bancaire invariable" tant il est une application du problème dénoncé. On regrettera seulement que Solow n'ait pas appliqué à ses propres propos ce qu'il a analysé. "La notion de la monnaie est une des plus fondamentales en économie politique […] L'idée qu'on s'en est faite a conduit - aux formidables erreurs du système mercantile et de l'exclusivisme commercial, - aux altérations et spoliations de plusieurs siècles de générations, - au papier monnaie qui a fait tant de ruines dans le passé et qui est encore une plaie de l'économie contemporaine" (J. Garnier, 1864, p. 253) Introduction 1933-2013 1. L'€uro est, à sa façon, le dernier grand paquet de réglementations du XXè siècle que des gouvernements ont imposé le 1er janvier 1999 aux habitants d'un certain nombre de pays de l'Union européenne (créée en 1992 par le traité dit de Maastricht). Il ne doit pas cacher l'interdiction de convertibilité des substituts de monnaie bancaires en monnaie or ou argent, deuxième grande réglementation du XXè siècle (décennie 1930), la première ayant été celle qui a résulté de la conférence monétaire internationale de Gènes (1922) . Il y a fort à parier que, sans ces réglementations antérieures, il n'aurait pas vu le jour. 2. Il y a quatre-vingts ans, en effet, le président des Etats-Unis allait interdire par décret aux Américains de détenir de l'or et leur retirer le droit de convertir les « substituts de monnaie » bancaires (S.M.B.) qu'ils détenaient en monnaie or ou argent (avril 1933). Le gouvernement de l'Etat britannique l'avait précédé dans la voie de l'interdiction de la conversion – inexplicable - (1931) et le gouvernement de l'Etat de la France allait l'y suivre quelques années plus tard. En 2013, l'économie mondiale n'est toujours pas sortie de la voie et peu de gens en parlent comme s'il n'y avait rien à changer ou si le sujet était tabou. Elle y chemine même à belle allure, depuis 1999-2002, époque à laquelle des gouvernements des Etats de l'Union européenne – au nombre desquels celui de la France - ont (con)fusionné leur système monétaire dans ce qu'on dénomme l' « €uro ». 3. Etant entendu que l'€uro n'a plus grande chose à voir avec ce qui avait été convenu avant 1999-2002 , la voie pourrait bien être quittée prochainement. D'ailleurs, dans une interview de 2011 à Forbes, R. Mundell envisageait le cas : « Professor Robert Mundell urges gold convertibility for the euro, the currency which he fathered, as well as for the dollar. This is a major step forward. » (Forbes, 3 juin 2011) L'interdiction de convertibilité contractuelle. 4. Qu'on le veuille ou non, l'interdiction de la convertibilité des S.M.B. en monnaie or ou argent a été la réglementation monétaire majeure du XXè siècle. Curieusement, aujourd'hui, hormis Mundell, peu de gens en parlent et en tirent des conséquences en dépit de sa singularité. Tout se passe comme si elle n'existait pas ou avait existé de tout temps ou devait être perpétuelle... Simplement parce qu'une réglementation ne saurait être perpétuelle et irréversible et que son coût ou celui de ses effets ne peut que croître, il conviendrait de la garder à l'esprit. Seules les innovations sont irréversibles et elles le sont parce qu'elles cachent des économies de coûts. Bien sûr, on peut toujours tenter de faire confondre réglementation et innovation, ce qui est la mode politique actuelle, mais cela ne peut durer qu'un temps. L'interdiction de la convertibilité des S.M.B. en monnaie or ou argent n'est pas une innovation, elle ne saurait être perpétuelle, ni irréversible, son coût et le coût de ses effets croissent. 5. Il s'agirait d'évoquer en permanence des aspects de ce fait. Le présent texte en envisage deux grands en relation avec les mots et avec la comptabilité bancaire qui sont étroitement liés. Des mots vides de sens. 6. Il est traditionnel en économie politique d'étudier les effets économiques (des réformes ou variations) de la réglementation (pour ne pas dire législation). On analyse alors, avec méthode et concepts, l'effet de telle ou telle réglementation sur telle ou telle phénomène économique. A ma connaissance, jamais l’accent n’a été mis sur les effets de la réglementation sur … les mots. Pourtant, la question n'est pas subalterne pour plusieurs raisons. D'abord parce que : "On ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée, comme disait Mach" (Poincaré, 1908, p.31), considération à l'opposé de David Hilbert pour qui des éléments, tels un point, une droite et un plan peuvent être remplacés par un verre de bière, une chaise et une table, par exemple. Un mot peut cacher un sophisme... "Plus souvent, [le sophisme] se comprime, il se resserre, il se fait principe, et se cache tout entier dans un mot". (Bastiat, 1845, 4, p.115) Et ainsi Vilfredo Pareto de préciser : « C'est de cette considération [le genre de services rendus par la monnaie] exclusive que sont nés un nombre incalculable de sophismes sur la monnaie, entre autres la fameuse théorie de la monnaie signe » (Pareto, 1896-97, § 276) Les mots ont un « pouvoir »... "Les mots ont d'autant plus de pouvoir qu'ils ne sont pas définis. Ce qui est défini scientifiquement n'a pas de pouvoir sur l'opinion". (Guitton, 1979, p. 31) Et c'est encore Francis-Louis Closon, premier directeur de l'I.N.S.E.E., pour qui il fallait : «Remplacer la France des mots par la France des chiffres» (Desrosières, 2003) Pour ne pas parler des problèmes de la traduction des textes: « traductore, traditore ». 7. De plus, des effets des règlementations sur les mots existent, sont évoqués par des auteurs, par exemple, dans le domaine monétaire. Ainsi, sont exemplaires les effets de la réglementation sur le mot « monnaie » (au sens du passé « pré XXè siècle, à savoir monnaie et substituts de monnaie bancaires, réglementés ou non) qui ont vu le jour jusqu'au XIXè siècle: leurs dénominations sont « bonne ou mauvaise monnaie », « vraie ou fausse monnaie », « monnaie saine ou malsaine », et même « pouvoir d'achat de la monnaie» ( ce point est développé dans la section I). Mais le fait est qu'ils ne sont pas toujours mis en relation précise avec leurs causes, i.e. avec les réglementations, ou bien aucune insistance particulière n'est mise sur ces dernières. 8. A la différence des dénominations précédentes qui s'articulent donc sur la monnaie et les substituts de monnaie bancaires, des mots ou expressions ont été développés, directement ou non, au XXè siècle, « sans support » apparent. Sont en question les mots « liquidité », « créances - actifs de patrimoine », « réserve », et « monnaie forte ou faible » (ce point est développé dans la section II). Coïncidence ou non, il en a été ainsi, à partir de la décennie 1930, moment de la grande réglementation prise par les Etats, successivement, qu’est l’interdiction partielle de la convertibilité intérieure des S.M.B. . Fini « bonne ou mauvaise monnaie », « vraie ou fausse monnaie », « monnaie saine ou malsaine », et même « pouvoir d'achat », désormais il sera question de « monnaie » (!), « liquidité », « créances - actifs de patrimoine », « réserve », et « monnaie forte ou faible ». Le présent texte n'exclut pas, au contraire, qu'y ont contribué non seulement l'interdiction de la convertibilité intérieure, mais encore les grandes réglementations convenues et résultantes des conférences internationales du XXè siècle qui enveloppent, d'une certaine façon, l'interdiction nationale. A leur façon, elle les ont confortés. Les mots ont intrigué des économistes. Certains se sont interrogés sur ce qu'ils pouvaient bien désigner. Par exemple, Hicks a exprimé son interrogation sur le mot « liquidité » en 1962 après que Hutt eut connu ce mouvement en 1956. Bref, le présent texte prête un premier grand effet à l'interdiction de la convertibilité des S.M.B., à savoir un effet sur les mots. Billets et dépôts bancaires ont été dénommés « monnaie », mais surtout « liquidité », « créance-actif de patrimoine », « réserve », et « monnaie forte ou faible » alors que l'interdiction aurait dû faire reconnaître leur réalité, ils étaient désormais des S.R.B. et rien d'autres. Le portrait de Dorian Gray. 9. A l'opposé, il est remarquable que l'interdiction de la convertibilité des S.M.B. en monnaie or n'ait pas eu d'effet observable sur le compte de bilan de la banque (ce point est développé dans la section III) alors que, parfois, elle en a eu un sur l'organisation des banques elles-mêmes . Billets et dépôts bancaires sont restés enregistrés au passif du compte de bilan de la banque comme s'ils étaient des dettes de celle-ci. Il semble même que l'invariance « contre nature » du compte de bilan malgré l'interdiction de convertibilité soit l'artifice de la transformation de celle-ci en un anéantissement de la monnaie: n'a-t-elle pas été le support de l'effet précédent, i.e. de ce que, contre toute logique, les deux formes de S.R.B., à savoir les billets en papier et les dépôts bancaires, soient dénommées « monnaie, liquidité, etc... ». En vérité, de mauvaises et de bonnes raisons peuvent être invoquées pour expliquer l'invariance du compte de bilan de la banque suite à l'interdiction de la convertibilité des S.M.B. Le second grand effet qu'a eu l'interdiction de la convertibilité des S.M.B. et que développe ce texte, c'est donc, contre toute attente, de ne pas en avoir eu un sur la comptabilité bancaire alors qu'elle aurait dû en avoir un. 10. Cette non modification a été un effet à la fois immédiat et persistant jusqu'à aujourd'hui. Tel Le portrait de Dorian Gray, la comptabilité bancaire est restée l'ensemble imperturbable d'éléments que n’avait pas affecté l'interdiction, mais désormais sans grande relation avec les règles de droit. Elle n'était plus l'alliance de règles de droit, des prix en monnaie des biens échangés et de l'arithmétique qu’elle n'aurait pas dû cesser d'être. Elle était devenue l'alliance de réglementations tombées de l'hélicoptère du législateur, des prix en monnaie de « on ne sait trop quoi » et de l'arithmétique. Elle témoignait de l'accent mis désormais, consciemment ou non, sur la mathématique élémentaire qu'elle était en partie auparavant - l'arithmétique comptable – au détriment des règles de droit. Elle cacherait, en conséquence, un choix discutable. 11. Mais les informations qu'elle allait devoir gérer et donner par la suite ne pouvaient qu'être bouleversées, bouleversantes et elles l'ont été. Et cela a ébranlé le modèle économique arithmétique coupé des règles de droit qu'elle était devenue... Avec les « nouveaux produits financiers », innovation financière post décennie 1980, le modèle économique arithmétique, a démontré un jour, comme il fallait s'y attendre, qu'il était « dépassé ». Comme pris de court et à la recherche d’une solution, bref acculés les modélisateurs en sont arrivés à créer un concept, à savoir le « hors bilan », considération en décalage total avec les principes de la comptabilité générale en droits constatés, i.e. des règles de droit. Et aujourd'hui, ce sont les « experts » du Comité de Bâle qui continuent à chercher des solutions ... Tout cela en se situant dans un cadre arithmétique où les mots n'ont pas nécessairement d'importance et non pas d'abord le cadre des règles de droit... Et on n'en est pas sorti. I. Principaux effets de la réglementation de la monnaie sur le mot « monnaie » jusqu'au XIXè siècle.. Les effets de la réglementation de la monnaie sur le mot « monnaie » jusqu'au XIXè siècle.. sont bien connus, nous n'y insisterons pas trop. Faut-il rappeler que, déjà, au XIXè siècle, le mot « monnaie » posait problème à certains économistes, par exemple S. Jevons : “The word cash is used with exactly the same ambiguity as money.” (Jevons, 1898, p.245) Les effets ont été caractérisés en adjoignant une épithète au mot monnaie sauf dans le cas du “pouvoir d'achat”. Comme toujours, l'épithète est plus importante que le mot sur quoi elle porte et contribue à le déformer, voire à le dénaturer. a) Bonne ou mauvaise monnaie Bonne ou mauvaise monnaie est vraisemblablement la plus ancienne façon de caractériser l'effet de la réglementation sur la monnaie puisqu'elle remonterait à Aristophane (445-365 avant J.C.) La mauvaise monnaie chasse la bonne dans un monde de non liberté. Dans un monde de liberté, la bonne chasse la mauvaise. Selon Mundell (1998), l'effet repris par Thomas Gresham (1519-79) résulte de la loi de l'économie, de la rationalité de l'individu face à la réglementation: « Gresham's Law comes into play only if the "good" and "bad" exchange for the same price. "Good money drives out bad if they exchange for the same price" is an acceptable expression of Gresham's Law. But a better statement of it is that "Cheap money drives out dear, if they exchange for the same price." Put in this way, Gresham's Law becomes a theorem of the general law of economy, a consequence of the theory of rational economic behavior. » (Mundell, 1998) b) Monnaie vraie ou fausse Selon Pareto, la monnaie ne doit pas cacher la réglementation de l'échange dont elle tire sa raison d'être, de là, sa vérité ou sa fausseté : « On a un vrai numéraire et une vraie monnaie, lorsque les prix résultent d'échanges absolument libres ». (Pareto, 1896-97, §270) « Toute monnaie qui n'est pas de la vraie monnaie, est ou de la monnaie fiduciaire ou de la fausse monnaie. C'est de la monnaie fiduciaire, si chaque individu l'accepte et la donne de plein gré, sans être la victime d'aucune fraude, ou d'aucune violence, même déguisée. C'est de la fausse monnaie, si elle est mise ou maintenue en circulation par la fraude ou par la violence, même légale. (ibid., §271) « Les gouvernements peuvent imposer à leurs sujets une monnaie vraie ou fausse » (ibid. §317) c) Monnaie saine ou malsaine Monnaie malsaine et Etat totalitaire font un, selon Jacques Rueff (dans L'ordre social, 1945). Au début du XXè siècle, à la monnaie malsaine, aux prétendues maladies de la monnaie, sont proposés de prétendus remèdes sous forme de nouvelles réglementations. Grande maladie de la monnaie soulignée par beaucoup: l'inflation. Ils oublient ou ne savent pas malheureusement que l'inflation résulte du monopole monétaire accordé à une personne juridique. Les remèdes sont toutes les règlementations en matière de monnaie, depuis le privilège de monopole d'émission de billets accordé à une banque centrale – au XIXè siècle - jusqu'à la (con)fusion des systèmes monétaires nationaux dans ce qui est dénommé « €uro » - fin XXè siècle - en passant par les interdictions de convertibilité des S.M.B. en monnaie or ou argent qui ont fleuri partout dans le monde au XXè siècle – à partir de la décennie 1930 -. En vérité, l'économie politique de la monnaie a été ravagée par les prétendus remèdes, à savoir les réglementations, apportés à des phénomènes économiques (cf. Rueff, Hayek, Rothbard, etc.). Tout ce qui est dit à propos des réglementations est erroné à cause d'une inversion de la causalité au départ elle-même fondée sur une référence théorique erronée. La causalité « juste » ainsi que le remède sont donnés en particulier par Pareto : échange libre, donc prix libres (échanges aboutis libres) et vraie monnaie, vraie monnaie et monnaie saine – « sound » en anglais – ou bonne monnaie font un, ce sont en définitive trois façons de parler du même phénomène économique. d) Pouvoir d'achat de la monnaie. Au XIXè siècle, on parlait enfin du « pouvoir d'achat » de la monnaie sans distinguer l'existence de celle-ci de l'existence de ses formes ou de sa quantité, voire de sa valeur , ni en précisant s'il s'agissait de la quantité totale ou de la quantité unitaire de la monnaie. A la fin du XIXè, à commencer par Mises (1912), on voyait dans le « pouvoir d'achat » de la monnaie sa « valeur »... Pour sa part, Vilfredo Pareto ne parlait pas de « pouvoir d'achat », mais de « puissance d'achat ». Il en parlait en regrettant l'expression: « 75. Mais qu'est-ce alors que la puissance d'achat, que certains auteurs (par exemple J. St Mill, E. P. l, liv. III, chap. l, § 2) font synonyme de valeur d'échange? Ce n'est, au fond, qu'une vague conception de l'ophélimité. Pareillement, les anciens parlaient de corps pesants et de corps légers, et ces termes sont encore en usage dans le langage ordinaire, mais la science leur a substitue la notion plus précise du poids spécifique. 76. L'emploi du terme puissance d'achat a le grand défaut de rendre plus facile une erreur que l'on n'est déjà que trop porté à commettre, en confondant la valeur avec une propriété objective des marchandises. » (Pareto, 1896-97, §§75-76) II. Effets de...
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