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L’inauguration du tunnel du Diable contée par Slobodan Despot

Liliane Held-Khawam Publié le 19 juin 2016
4301 mots - Temps de lecture : 10 - 17 minutes
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Les représentants religieux relégués au bout du quai… NOUVELLEAKS par Slobodan Despot On ne trompe pas le Diable deux fois Conte suisse 2.0 Note de l’auteur : Cette nouvelle version du « Pont du Diable » est une pure œuvre de fantaisie. Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait totalement fortuite. I. Son petit train électrique Le Prince des Ténèbres s’ennuyait depuis près de mille ans sur son rocher du Gothard lorsqu’il sentit, vers la fin du XXe siècle, des foreuses lui chatouiller le séant. Les industrieux descendants des Helvètes aux bras noueux venaient d’entamer le chantier de ce qui devait être le tunnel le plus long du monde. Il se frotta les griffes ! Depuis près de mille ans, il ruminait son humiliation par ces montagnards pour qui il avait construit un premier pont en une seule nuit. Leur modeste contrepartie consistait à lui céder la première âme qui le franchirait. Et ces madrés apprentis-banquiers lui avaient dépêché… une chèvre ! Cette fois-ci, il comptait bien récupérer son dû. Il attendit donc, patiemment ou impatiemment, on ne le sait pas : car que pèsent dix-sept années dans l’agenda du Diable ? Dix-sept ans et onze virgule un milliards de francs plus tard, les gnomes désormais urbanisés organisèrent une grande fête pour inaugurer leur œuvre, dont ils s’attribuaient tout le mérite. Ils ne savaient pas qu’on ne creuse pas même une taupinière dans ces montagnes sans son aval. Ils ignoraient que les neuf vies perdues « par accident » au fil des travaux n’étaient qu’un acompte sur ses services. Un ouvrier tous les six kilomètres de galerie ! A l’époque, il avait demandé une âme pour dix mètres de passerelle… Mais il les avait laissés faire, se contentant de leur souffler quelques suggestions. Les descendants n’étaient pas du même bois que les aïeux. Ils étaient plus réceptifs, plus « ouverts » comme ils le disaient eux-mêmes. Les retourner n’était qu’un jeu d’enfant. Le Malin décida que leur prodige d’Ingénierie serait son cadeau du millénaire, comme les éternels adolescents s’offrent un petit train électrique à cinquante ans. Ce premier jour du mois de juin de l’an de grâce 2016, Satan s’installa donc devant son écran plasma et s’apprêta à savourer la cérémonie d’ouverture. Il fit défiler les chaînes nationales, mais ne trouva nulle part la retransmission. Les bulletins de nouvelles n’en passaient que des bribes, très brèves, très recadrées, avec des commentaires presqu’embarrassés. La grande messe noire que lui avaient annoncée ses espions était pourtant devisée à huit millions. Les nains avaient vu les choses en grand : six cents figurants, des chœurs, des orchestres, des écrans géants. Ces lèche-culs avaient même fait venir un metteur en scène allemand, pour flatter le grand empire voisin et bien montrer qu’ils ne savaient plus rien faire tout seuls. (Décidément, les temps ont bien changé, s’était dit l’Ennemi en se lissant les cornes.) Tout cela était bien alléchant, mais à quoi bon si on ne le retransmettait pas en diablovision urbi et orbi? Les médias assommaient leur public avec des ouvertures de jeux olympiques qui coûtaient à peine davantage. Sans oublier l’incessant matraquage des events de l’Expo.02, en 2002… Et maintenant ? Black out sur le chantier du siècle ? Il mettrait bon ordre à tout cela ! En attendant, il se passa quelques vidéos de l’État islamique dont il goûtait l’exécution soignée et l’humour subtil. II. Le debriefing La cérémonie une fois terminée, le Prince des Ténèbres convoqua en sa caverne alpestre ses sbires et ses indics, qu’il avait infiltrés parmi le personnel et les invités de la manifestation. Ces démons mineurs se mirent à caqueter tous en même temps. — Silence ! tonna le Maître des Enfers. C’est moi qui pose les questions. Et je ne veux entendre qu’une seule voix !… La cérémonie fut-elle en tout point conforme aux normes sataniques ? — Oui, Maître ! s’écrièrent les démons d’une seule voix. — Fut-elle cacophonique, puante et laide à souhait ? — Oh oui, Maître ! — Mes attributs et symboles ont-ils été disposés en bonne place ? — Oui, Maître ! — Honorés et vénérés sans équivoque ? — Oui, Maître ! — Y a-t-on représenté mes fidèles lieutenants ? — Oui, Maître, en l’apparence de Baphomet, le démon ailé aux seins de femme. On lui a même ajouté une jolie tête blafarde d’hydrocéphale mort-né. — Et ma maudite personne ? — Oui, Maître, sous l’effigie d’un grand bouc. — A-t-on fait défiler l’humanité esclave à mes pieds ? — Oui, Maître, sans le moindre doute. Une armée de prolétaires, tout d’orange vêtus, avançant au pas de zombie sous l’aile du Baphomet… — Et mes domestiques humains, ces larves complaisantes ? — Offerts comme sur un plateau en sous-vêtements blancs, Maître, et dans des poses lascives. — Leurs plateformes, qui plus est, étaient poussées à grand-peine par des prolétaires, pour bien distinguer la caste initiée de la caste laborieuse, ajouta un démon isolé dans un élan de pédanterie. — Une seule voix ou rien, ai-je dit ! Le démon dissident s’évapora aussitôt dans un nuage de soufre. Le lendemain, le Département fédéral de la Justice déplora par communiqué la disparition d’un de ses plus compétents chefs de service lors d’une randonnée en montagne. — Il n’empêche, poursuivit le Tentateur après avoir foudroyé le bavard, cette attention aux détails me plaît. On reconnaît bien là l’esprit germanique ! Aurait-on poussé la prévenance jusqu’à convier ma fiancée, la Putain de Babylone ? — Oui, Maître : la Femme Écarlate était bien là, impossible à confondre dans sa robe rouge ! Elle était grosse de vos œuvres et portait, par surcroît de dérision, un vicieux petit sac à l’effigie de la croix suisse… — Ah, leur croix blanche ! Ils la mettent à toutes les sauces sitôt qu’il s’agit de fourguer du bibelot. Elle se vend si bien qu’on en aura bientôt oublié sa détestable signification ! Sur ces mots, le Diable fut pris d’un rire tonitruant qui fut enregistré par les sismographes dans tout le massif du Gothard. — Bien ! Bien ! Bien ! Mes petits démoncules, tout ceci me paraît fort bien emmanché. A-t-on proclamé, en fin de compte urbi et orbi mon Nom maudit ? La troupe démoniaque fut parcourue d’une hésitation. Un ange essaya de passer. — Comment ? Je ne vous entends pas ! — C’est-à-dire, Maître… La cérémonie n’était guère verbale. Ce n’était pas le concept. Même les c...
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Par Liliane Held-Khawam via lilianeheldkhawam.wordpress.com
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