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La Banque centrale européenne à vau l’eau ?

Georges Lane Publié le 28 décembre 2011
8056 mots - Temps de lecture : 20 - 32 minutes
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La Banque centrale européenne (1) a acheté le 21 décembre 2011 près de €500 milliards de titres pour trois ans, i.e. fin 2014 – cf. par exemple cette nouvelle -. Quand on sait qu’au 31 décembre 2010, le total de son bilan s’élevait à : € 163,5 milliards (cf. ce billet du 11 novembre 2011), ce montant d’achat apparaît pour le moins déraisonnable. Cette "politique monétaire" ne peut que déchaîner l'expansion monétaire. Certes, la situation hebdomadaire de l’"eurosystème" au 16 décembre 2011 faisait apparaître un total de bilan de près de : € 2500 milliards (cf. la source). Au 31 décembre 2010, le total "n'était que de" : € 2000 milliards (cf. le billet du 11 novembre). Tout cela ne situe guère dans le raisonnable… d' une quantité de monnaie en croissance "modérée" puisque l'augmentation est déjà de l'ordre de 25%. On attendra avec patience ce qu'en dira la Banque centrale européenne dans son communiqué de presse attendu pour le 27 décembre 2011... Plus généralement, si l’expérience de la monnaie « euro » est sans précédent dans l’Histoire, sa pièce maîtresse, à savoir la Banque centrale européenne (B.C.E.), est une institution à la queue leu leu bien connue d’autres homologues nationales. Et il ne faudrait pas l'oublier. Il y a cinquante ans, en 1962, Milton Friedman a d’ailleurs consacré implicitement un article à cette queue leu leu. Alors, la Communauté économique européenne – qui ne comprenait que six pays membres – n’en était qu’à l’instauration dans le "marché commun" d’une « politique agricole commune », i.e. à la mise en place de règles tarifaires et non tarifaires qui, soit dit en passant, feront le malheur des agriculteurs français. Parce qu’il fournit aux questions que soulève aujourd’hui la B.C.E., banque centrale « indépendante » par statuts, mais aussi qu’elle devrait poser, autant de réponses, l’article vaut le temps de sa lecture. On regrettera seulement que ses considérations sur la politique monétaire présupposent qu'il en faudrait une. Mais on aura l'occasion de voir que ce n'est pas vrai. En voici des extraits. Le texte a été publié à l’origine dans L.B. Yeager (ed.), In Search of a Monetary Constitution, Harvard University Press, Cambridge, 1962, et reproduit en 1968. Ce qui est "[...]" est de mon crû... « La parabole de ce texte, pour paraphraser la formule fameuse de [Raymond] Poincaré, est la suivante : « La monnaie est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des banques centrales.» Cette présentation suggère une question : comment une société libre devrait-elle s'organiser pour contrôler la politique monétaire? Le partisan d'une société libre — c'est-à-dire un « libéral » au sens originel de ce terme mais malheureusement pas au sens où on l'entend d'ordinaire dans notre pays [les Etats-Unis d’Amérique] — se méfie avant tout de la concentration du pouvoir. Il souhaite conserver à chaque individu le maximum de liberté compatible avec celle des autres. Il est convaincu que son objectif requiert la décentralisation du pouvoir, et qu'il est nécessaire qu'on empêche sa concentration entre les mains d'un seul homme ou d'un seul groupe. Cette nécessité soulève un problème particulièrement difficile dans le cas de la monnaie. On s'entend généralement pour dire que le gouvernement doit avoir une certaine part de responsabilité dans les questions monétaires. Dans l'ensemble, on reconnaît également que le contrôle sur la monnaie fournit un instrument efficace pour diriger et orienter l'économie. Son pouvoir se trouve résumé dans la maxime célèbre de Lénine, selon laquelle le moyen le plus efficace de détruire une société consiste à détruire sa monnaie. La manière dont la mainmise sur la monnaie a été utilisée pour soutirer sans difficulté des impôts à l'ensemble d'une population, nous en fournit une illustration plus prosaïque. C'est vrai depuis des époques très reculées, depuis le moment où les monarques ont commencé à rogner les pièces de monnaie, jusqu'à aujourd'hui, où l'on a recours à des techniques plus subtiles et plus raffinées, telles que la planche à billets ou la falsification pure et simple de la comptabilité. [Le problème selon Friedman] Le problème consiste à se demander comment mettre sur pied des institutions qui permettent au gouvernement d'exercer des responsabilités en matière monétaire, tout en limitant l'étendue de ses pouvoirs et en empêchant qu'il en soit fait usage davantage pour affaiblir que pour renforcer les franchises d'une société libre. Trois types de solutions ont été suggérés : la première réside dans l'institution d'un bien comme référence monétaire, à l'exclusion, en théorie au moins, de toute intervention gouvernementale; la [deuxième] consiste à charger une banque centrale « indépendante » du contrôle de la monnaie; la troisième revient à faire voter à chaque législative un ensemble de règles strictes, limitant par avance la marge d'initiatives dont peuvent disposer des autorités monétaires. […] I. La solution d'une banque centrale indépendante. La [deuxième] solution, déjà mise en place, recueille un grand nombre de suffrages: il s'agit de faire fonctionner une autorité monétaire dite « indépendante» — une banque centrale — destinée à contrôler la politique monétaire et à empêcher qu'elle devienne le jeu des manipulations politiques. 1.A. [Le point de vue politique.] La prise de position marquée en faveur d'une banque centrale indépendante repose sur l'adhésion, dans certains cas avec beaucoup de réticences, à l'idée, déjà évoquée à l'occasion de l'étalon produit, qu'une régulation parfaitement automatique ne permet pas de parvenir à un système monétaire à la fois stable et autonome par rapport à toute manoeuvre irresponsable de la part du gouvernement. La formule d'une banque centrale indépendante rappelle qu'il est essentiel d'éviter que la politique monétaire devienne une amusette au jour le jour, à la merci de n'importe quel caprice des autorités monétaires en exercice. C'est une solution rationnelle si on la considère comme une sorte de constitution. L'argument implicite des partisans d'une banque centrale indépendante (autant que je sache, car leur point de vue n'a jamais été exposé de manière explicite) consiste à dire que le contrôle sur la monnaie constitue une des prérogatives essentielles de l'État, comparable à l'exercice des pouvoirs législatif, judiciaire ou administratif. Munis de ces considérations, il est important de distinguer le système lui-même des interventions au jour le jour qui s'opèrent à l'intérieur de ce système. Dans notre type de régime, cette distinction est établie entre les règles constitutionnelles qui imposent une série de prescriptions et d'interdits aux autorités législatives, exécutives et judiciaires et les interventions particulières de ces différentes autorités, à l'intérieur du cadre des règles générales. De la même façon, l'argument qui sous-tend le plaidoyer en faveur de la Banque centrale indépendante consiste à dire que le système monétaire a besoin d'une sorte de constitution, qui prévoit certaines règles destinées à la fois à fonder et à délimiter les pouvoirs de la Banque centrale, à fixer les fonds qui lui sont alloués, etc. Dans ces conditions, il est nécessaire que l'action de la Banque centrale soit largement coordonnée avec celle des autorités législatives, exécutives et judiciaires, afin que ce mandat constitutionnel repose sur une pratique quotidienne. A une époque récente, la crainte d'un élargissement du contrôle étatique sur l'ensemble de l'activité économique s'est souvent trouvée renforcée par des propositions impliquant une expansion de la monnaie. Les dirigeants des banques centrales ont généralement été les champions de la « monnaie saine », tout au moins verbalement, c'est-à-dire qu'ils se sont efforcés d'attacher une grande importance à la stabilité du taux de change, au maintien de la convertibilité de la monnaie nationale en devises et en or, et à la lutte contre l'inflation. Ils ont eu tendance pour cette raison à s'opposer à de nombreuses propositions en faveur de l'élargissement de la sphère gouvernementale. Leur point de vue coïncide à cet égard avec celui des gens — dont je fais partie — [moi, Milton Friedman] qui considèrent qu'une société libre exige que l'étendue des pouvoirs du gouvernement soit limitée de manière très stricte, et ceci explique pour beaucoup la faveur que l'idée d'une banque centrale indépendante recueille auprès du groupe des « libéraux » (au sens originel du terme). I.B. [Le point de vue pratique] Sur un plan pratique, les dirigeants des banques centrales semblent mieux armés pour restreindre la portée des manœuvres irresponsables en matière monétaire, que ne le sont les autorités législatives elles-mêmes. I.C. [Le point de vue critique] Si nous nous plaçons d'un point de vue critique, il nous faut tout d'abord examiner ce que signifie l’ « indépendance » d'une banque centrale. [Définition] On peut lui accorder un sens trivial, qui mettra sans doute tout le monde d'accord sur son bien-fondé. Dans n'importe quel type de bureaucratie, il est souhaitable de confier des fonctions particulières à des organismes spécialisés. La direction des fonds peut être considérée comme un organisme indépendant, à l'intérieur du Département du Trésor. En dehors des départements gouvernementaux habituels, il existe des organisations administratives séparées, telles que le Secrétariat du Budget. Cette sorte d'indépendance existerait en matière de politique monétaire si, à l'intérieur de la hiérarchie administrative centrale, on mettait en place une organisation séparée, chargée de la politique monétaire et subordonnée au chef de l'exécutif, bien que disposant d'une marge de latitude plus ou moins importante en ce qui concerne les décisions de routine. Pour ce qui nous occupe, ce me semble être une manière d'accorder une signification bien élémentaire au terme d' « indépendance », radicalement différente de celle à laquelle se réfèrent les polémiques qui ont trait à l'autonomie de la Banque centrale; elle ne met en question que la meilleure organisation possible de la hiérarchie administrative. Il serait plus significatif de dire que la Banque centrale devrait être une branche indépendante du gouvernement, coordonnée avec les autres branches, législatives, exécutives, ou judiciaires, et dont l'action serait supervisée par le pouvoir judiciaire. [La Banque d'Angleterre] La concrétisation la plus poussée de cette forme d'autonomie, c'est-à-dire celle qui se rapproche le plus de l'idéal des partisans d'une banque centrale indépendante, a été obtenue lorsqu'une organisation, à l'origine entièrement privée et ne relevant pas le moins du monde des Pouvoirs publics, a fait fonction de banque centrale. Un exemple vient immédiatement à l'esprit, celui de la Banque d'Angleterre, née d'un organisme strictement privé, étranger aux Pouvoirs publics jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Si une telle organisation privée ne pouvait fonctionner comme autorité monétaire centrale, en dehors des canaux politiques ordinaires, pour parvenir à l'indépendance souhaitée il faudrait créer une banque centrale dans un cadre constitutionnel, susceptible de n'être modifié que par amendements constitutionnels. Ainsi, la Banque centrale ne serait pas soumise au contrôle direct de l'Assemblée. C'est en ce sens que j'entendrai l’ « indépendance » lorsque je discuterai par la suite des avantages et des inconvénients d'une banque centrale autonome, sous l'angle de l'efficacité du contrôle de la politique monétaire. Je doute beaucoup que les États-Unis - - ou, dans le cas précis n'importe quel pays - - aient jamais fait fonctionner une banque centrale indépendante, au plein sens du terme. [En cas de crise...] Même lorsque les banques centrales étaient [supposées] complètement indépendantes, elles ne l'étaient en fait que dans la mesure où elles ne se trouvaient pas confrontées au reste des Pouvoirs publics. Dès qu'un conflit sérieux apparaissait (comme ce fut le cas par exemple en temps de guerre) qui opposait les intérêts des autorités budgétaires, désireuses de collecter des fonds, et ceux des autorités monétaires, attachées à maintenir la convertibilité en espèces, c'est presque toujours la banque qui a cédé le pas, et non l'inverse. Il apparaît donc que même les banques centrales jugées tout à fait indépendantes ont été étroitement subordonnées au pouvoir exécutif. Mais, bien entendu, la question n'est pas réglée pour autant. Il est rare que l'idéal soit parfaitement réalisé. [Objections à l’indépendance d’une banque centrale] A supposer que nous puissions disposer d'une banque centrale indépendante, entendue comme un organisme séparé, établi ...
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