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La diplomatie du dollar…

Georges Lane Publié le 12 octobre 2011
5579 mots - Temps de lecture : 13 - 22 minutes
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Voici quatre articles que Raymond Aron a publiés dans le quotidien Le Figaro, les 5, 6, 7 et 8 octobre 1971, c'est-à-dire il y a exactement quarante ans. Pourquoi les reproduire aujourd'hui ? Pour plusieurs raisons. 1) Parce qu'ils nous situent près d'un mois après la décision du 15 août 1971 prise par le président des Etats-Unis, Richard Nixon, de "suspendre" la convertibilité extérieure du dollar en or (cf. ce billet). 2) Parce que Raymond Aron a eu le temps de réfléchir dans l'intervalle à tout ce qui lui avait échappé pour ne pas prédire une telle décision (cf. ce billet, celui-ci, celui-ci, celui-ci) et cela contrairement à ce qu'avaient fait d'autres qu'il n'avait eu de cesse de railler. 3) Parce que les articles évoquent un certain nombre de faits historiques à ne pas oublier à cause de leurs conséquences, connues ou non, et parmi eux, des événements vieux alors de seulement 25 ans. 4) Parce que Raymond Aron s'attache au dollar dans le dernier article de la série - celui du 8 octobre - qu'il intitule en sous titre "diplomatie du dollar", après avoir intitulé les autres, en sous titres, respectivement "vers un nouvel ordre européen" et "l'histoire universelle se déplace vers l'Orient", le premier du 5 octobre n'a pas de sous-titre, mais le titre global de la série, à savoir "Après l'après guerre". 5) Parce que Raymond Aron est la référence de beaucoup aujourd'hui. 6) Parce que, sur la base de certains propos de ces articles, on peut mesurer la valeur à donner à la référence et aux propos de ceux qui la revendiquent et tentent de l'imposer. 7) Parce que, aujourd'hui, les hommes de l'Etat et leurs conseillers semblent avoir enfin compris qu'il y avait une crise monétaire, qu'ils préfèrent dénommer "crise bancaire", comparable à celle de 1971 si on ne reconnaît pas qu'elle en est la suite logique ou l'avatar en dépit de toutes les nouvelles réglementations introduites entre temps pour y mettre un terme. 8) Parce que, aujourd'hui, les hommes de l'Etat et leurs conseillers n'ont toujours pas compris qu'ils étaient la cause de la crise monétaire, en définitive permanente, en ne refusant pas d'abolir les réglementations que leurs prédécesseurs avaient produites ou qu'eux-mêmes ont renforcées - par exemple, création de la banque centrale européenne - sur la base de considérations économiques absurdes. J'évoquerai une dernière raison en conclusion. 1. Après l'après guerre (article du 5 octobre 1971). "Tous les commentateurs s'accordent sur un point : le système international tel que nous l'avons connu depuis 1947, c'est-à-dire depuis la rupture de la grande alliance contre le IIIe Reich, dominé par les superpuissances, n'existe plus. Le jeu diplomatique avec trois acteurs principaux se substitue à la confrontation des deux Grands, partout présents et toujours opposés, fût-ce en une implicite connivence. L'accord des commentateurs ne dépasse pas ces propositions aussi évidentes que déjà banales. a) Est-il possible d'aller au-delà et de discerner les lignes majeures du système qui s'élabore sous nos yeux ? Union soviétique et Etats-Unis demeurent différents en nature de tous les autres Etats : seuls à posséder une panoplie complète, depuis les armes thermonucléaires jusqu'aux instruments de la guérilla, seuls capables d'intervention en toutes: lès: zones de la planète. Le rôle des grands frères ennemis n'en a pas moins changé pour trois raisons principales : - le rapport des forces militaires russo-américaines s'est modifié au profit de Moscou ; - les Etats-Unis, par suite du fiasco vietnamien et de la crise intérieure de leur société, battent en retraite ; - la Chine, en dépit de sa relative faiblesse matérielle, exerce dès maintenant une influence profonde sur l'ensemble des relations inter étatiques. Reportons-nous à la publication de l'Institut international d'études stratégiques de Londres. Les Soviétiques disposent de 1.500 fusées intercontinentales cependant que le nombre de ces fusées aux Etats-Unis est resté constant à 1.054. Les Etats-Unis conservent la supériorité en fait d'engins lancés à partir de sous-marins à propulsion nucléaire (656 contre 440) mais le programme soviétique doit conduire à l'égalité vers 1974. Comparaison grossière et, à certains égards, trompeuse : les fusées intercontinentales américaines, les Minuteman 111, comportent des ogives multiples, chacune braquée sur un objectif différent. L'infériorité du nombre des engins n'entraîne donc pas nécessairement une infériorité authentique. Ces brèves indications tendent seulement à suggérer un fait sur lequel il n'y a guère de contestation entre les experts : l'Union soviétique atteint pour la première fois à une véritable égalité avec les Etats-Unis et ceux-ci s'en accommodent sans la moindre velléité d'un effort en vue de reconstituer une supériorité temporaire. La même égalisation s'observe en d'autres secteurs d'armement : l'Union soviétique pousse ses constructions navales et modernise sa flotte afin de réduire, voire de combler entièrement son retard. A son tour, elle fait flotter le pavillon à la faucille et au marteau sur tous les océans, selon la pratique et l'ambition traditionnelles des grandes puissances. Plus que le rapport des forces pèse aujourd'hui dans la balance le rapport des volontés ou des résolutions. Manifestement, le président Nixon est engagé dans une révision fondamentale de la diplomatie de son pays. Révision à laquelle le contraint l'opinion publique mais qui exprime aussi sa propre vision du monde. Pour en résumer l'idée directrice en une phrase, il s'agit de favoriser, en Asie comme en Europe, des équilibres ou des quasi-équilibres régionaux, les Etats-Unis réduisant le plus possible leur présence militaire et leur action directe afin de se réserver le rôle de garant nucléaire, de suprême recours. L'Union soviétique, en revanche, semble plus que jamais résolue à tenir pleinement son rôle de grande puissance et à remplir les vides qu'ouvrirait éventuellement le retrait américain. Washington et Moscou, pour progresser ou pour se retirer, doivent également tenir compte de la Chine populaire. Le président Nixon ne peut pas ignorer qu'un règlement asiatique, au nord comme au sud, exige une participation, voire un consentement chinois. Les dirigeants de l'Union soviétique, grande puissance asiatique, voient dans la Chine populaire à la fois un rival idéologique, peut-être temporaire, et un voisin permanent. Qu'ils aient ou non renoncé à l'espoir d'une réconciliation, ils la regardent désormais comme l'ennemi numéro un. Non pas seulement parce que les querelles entre ceux qui se réclament de la même foi sont inexpiables mais parce qu'à la longue l'empire russe d'Asie a plus à redouter des masses chinoises, « innombrables et misérables » que de la république américaine, instable et déchirée. Il a donc suffi que la Chine populaire sorte de la révolution culturelle et reprenne des relations avec tous les Etats qui y consentent pour qu'elle devienne visiblement, en quelques mois, un acteur principal. Depuis les incidents militaires sur l'Oussouri, en 1969, l'Union soviétique a massé une trentaine de, divisions à la frontière sino-soviétique. Que Mao Tsé Toung redoute ou non une agression préventive des « révisionnistes » de Moscou, il a pris des mesures destinées à prévenir une telle éventualité. La visite du président Nixon figure au nombre de ces mesures. Nul n'aperçoit clairement quels accords précis le président Nixon pourrait conclure à Pékin, mais la simple reprise de contact, le fait même du dialogue créent une conjoncture nouvelle et soustraient la Chine populaire à l'isolement ou, pis encore, au tête-à-tête avec l'Union soviétique. De plus, une fois admis que les Etats-Unis manoeuvrent en retraite et que les coups de boutoir au Cambodge, au Sud-Laos ou au Nord-Vietnam ne visent qu'à couvrir le dégagement, la Chine populaire, en tant que grande puissance, sinon en tant qu'Etat idéocratique, a moins de motifs de craindre la république américaine. Le président Nixon n'a plus guère de cartes au Vietnam dans la mesure même où l'opinion le contraint à l'évacuation et ne lui permet donc pas de la monnayer ou d'obtenir des contreparties. Mais il détient encore un argument de poids : l'alliance japonaise. La propagande chinoise se déchaîne actuellement contre « l'impérialisme nippon», contre le renouveau du « militarisme japonais ». A n'en pas douter, dans le dialogue entre Nixon et Tchou En-Lai se glisse un troisième homme, le Japon, géant économique et nain militaire. b) Dans la stabilisation d'un nouvel ordre asiatique, quelle place les Etats-Unis réservent-ils à leur ennemi de la dernière guerre et allié de l'après-guerre ? Par le traité de non prolifération, les Etats-Unis se sont efforcés, en accord avec l'Union soviétique, de fermer le club atomique. Mais comment se retirer si l'une des trois grandes puissances d'Asie, le Japon, ne dispose pas des armes suprê...
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