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La haute valeur des civilisations de marché

Georges Lane Publié le 22 février 2012
4267 mots - Temps de lecture : 10 - 17 minutes
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Il y a civilisation et civilisation, n'en déplaise à beaucoup. Pour illustrer le point, je reproduis ci-dessous le texte d'une conférence que Jacques Rueff a donnée en mai 1957 à l'assemblée de la Fédération internationale de la laine sur ... les civilisations de marché. Le texte a été publié sous le titre « Grandeur et décadence des civilisations de marché » dans la Revue des Deux- Mondes (1er octobre 1957, pp. 422-432). En plus de son thème le plus général, celui des civilisations qui a monopolisé l'attention des oppresseurs impénitents ces derniers jours, le texte est intéressant à au moins trois égards d'actualité que je soulignerai brièvement ci-dessous. "Qu'est-ce qu'une civilisation de marché ? Un économiste répondra que c'est celle où fonctionne un marché libre et qui s'ordonne en vue et en conséquence de ce fonctionnement. Il ajoutera sans doute qu'un marché libre est celui qui n'a d'autre régulateur que le mécanisme des prix, dont le jeu fixe chaque prix au niveau où la quantité que les producteurs estiment désirable de produire est égale à celle que les consommateurs estiment désirable de demander. Ces définitions, élémentaires et classiques, sont tout autre chose qu'un exercice d'école : elles évoquent un siècle et plus d'histoire économique, car le monde où nous vivons est l'héritier ingrat d'une civilisation de marché. Au début du XIXème siècle, en effet, presque rien n'était donné des réalités qui constituent aujourd'hui notre structure économique. A chaque état des techniques eussent pu correspondre d'innombrables possibles, profondément différents les uns des autres par les fruits qu'ils étaient susceptibles de produire. C'est la solution unique qui, à chaque instant, s'inscrirait dans les champs et les vignes, dans les mines et dans les usines, dans les canaux et dans les chemins de fer, pour forger l'unique réalité du moment, qu'il fallait à chaque instant sélectionner. Le mécanisme des prix, mieux que la plus puissante machine électronique, a résolu l'immense système d'innombrables équations à innombrables inconnues, pour en tirer la solution qui, à chaque instant, donnerait aux hommes tels qu'ils sont, dans l'infinie diversité des choses telles qu'elles sont, et par l'emploi des techniques issues, en chaque époque, de l'ingéniosité humaine, le maximum de satisfaction pour le minimum de peine. C'est ce mécanisme qui a apporté aux hommes, pendant ce XIXe siècle, qualifié bien à tort de stupide, un bien-être que nul n'eût pu imaginer, tout en augmentant immensément l'effectif des populations humaines. 1. LE PROTECTIONNISME AGRICOLE Cependant, ce progrès, par sa nature évolutive — qui en est l'essence même —devait soulever les difficultés et susciter les résistances qu'impliqué toujours la modification des situations existantes. La discipline du marché tendait en effet à faire disparaître toute activité devenue indésirée, à proportionner, à chaque instant, la production au volume des demandes dont, au prix auquel elle pouvait être offerte, elle serait l'objet et, enfin, à la concentrer dans les entreprises bénéficiant, en raison de conditions naturelles ou de leur supériorité technique, des prix de revient les moins élevés. Cette sévère discipline s'exerçait toujours par la dépression du prix des articles indésirés, donc par la diminution des revenus gagnés par les producteurs dont ils émanaient. Aussi, en tous temps, les producteurs menacés d'éviction demandèrent-ils aux gouvernements, ou s'efforcèrent-ils d'établir par eux-mêmes une protection contre leurs concurrents mieux placés ou plus habiles. Leurs efforts se traduisirent par la généralisation des droits de douane et par l'établissement d'ententes ou de cartels, nationaux ou internationaux. Mais c'est surtout dans le domaine agricole que s'exerçaient, avant 1914, les exigences protectionnistes. Dans l'industrie, en effet, les reclassements de main-d'oeuvre, imposés par le progrès technique, étaient grandement facilités par l'expansion constante de la demande en fonction des revenus. La demande de produits alimentaires, au contraire, ne suit que dans une mesure limitée l'augmentation des ressources, alors que la productivité agricole augmente rapidement. Le nombre des hommes nécessaires à la production agricole est donc de moins en moins élevé. Or, les agriculteurs, pour des raisons hautement respectables, ne quittent pas volontiers leur terre. L'excédent des effectifs dans les activités agricoles produit constamment un excédent de denrées. C'est en déprimant les prix, et avec eux les revenus ruraux, que le mécanisme des prix tend à rejeter vers des activités industrielles une partie des travailleurs de la terre. Il fait vivre, presque en permanence, la plus grande partie d'entre eux dans une atmosphère de dépression. C'est pour y parer que, depuis 1892, la France s'est engagée dans une politique de protectionnisme agricole, tendant à réserver à la production nationale des débouchés toujours insuffisants pour l'absorber. Cependant, cette politique, se bornant à corriger les effets de la concurrence mais ne la supprimant pas, restait modérée. Elle sauvegardait, dans l'essentiel, l'influence ordonnatrice des prix, respectant par là le principe fondamental des civilisations de marché. Le rappel des conditions dans lesquelles ce principe a été progressivement abandonné, pour être finalement renié et dénoncé, n'appartient pas seulement à l'histoire : il est essentiel à l'intelligence du présent. 2. LA GRANDE DÉPRESSION DES ANNÉES 1929-1933 Si la guerre de 1914-1918 suspendit temporairement, dans de larges secteurs, le mécanisme des prix, les gouvernements s'efforcèrent, dès la fin des hostilités, d'en rétablir le jeu, dans des conditions aussi proches que possible de celles qui existaient avant le conflit. A la fin de 1928, pratiquement, tous les pays du monde étaient revenus au régime économique antérieur à 1914. Ils avaient accepté d'autant plus aisément ce rétablissement que l'activité économique se trouvait portée par une vague de prospérité croissante, établissant dans tous les domaines — sauf dans l'agriculture — des niveaux de production sans précédent. Mais ce mouvement en avant prit fin au « Black Friday » du 24 octobre 1929, lorsque éclata la crise foudroyante des marchés américains. Un renversement de la tendance n'était certes pas un fait exceptionnel. L'activité économique a toujours présenté un caractère cyclique, marqué par des alternances de prospérité et de dépression. Mais en 1929, ce fut plus qu'une crise : un effondrement. L'indice de la production industrielle passa, entre septembre 1929 et mars 1933, aux Etats-Unis, de 110 à 54, en Angleterre de 110 à 86, en Allemagne de 102 à 65. Ces chiffres sont abstraits. Pour évoquer leurs conséquences sociales, il suffit de constater qu'à la fin de mars 1929, les Etats-Unis n'avaient pratiquement pas de chômeurs ; à la fin de mars 1933, 13 355 000 hommes s'y tr...
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