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Le cauchemar de l’inflation allemande

Michael J. Kosares Extrait des Archives : publié le 15 novembre 2012
7181 mots - Temps de lecture : 17 - 28 minutes
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Michael J. Kosares.

“Ceux qui s’en sortaient le mieux, c’était la petite minorité qui avait eu la présence d’esprit d’échanger ses marks en devises étrangères ou bien en or, très tôt, avant que les lois ne rendent cela très difficile et avant que le mark ne perde trop de sa valeur ». Introduction Si on peut tirer une leçon de l’Histoire, c’est que l’on ne peut pas faire confiance au gouvernement pour gérer la monnaie. Quand une devise n’est plus convertible en or, sa valeur dépend complètement du jugement et de la conscience des politiciens. (C’est le cas dans ce pays aujourd’hui). Dans le cas d’une crise économique ou d’une guerre en particulier, la pression en faveur de l’inflation devient écrasante. Toute autre alternative semble politiquement désastreuse. Que l’on se rappelle les empereurs romains dépréciant continuellement leur monnaie, le gouvernement révolutionnaire imprimant un flot d’assignats, John Law inondant la France d’une monnaie dévaluée ou le Congrès Continental émettant de la monnaie jusqu’à ce qu’elle n’ait littéralement plus la valeur d’un « Continental » [ndlr : monnaie ayant cours sous la révolution américaine], l’histoire est la même. Un gouvernement faisant face à des difficultés financières trouve que la voie la plus aisée est de recourir à l’émission croissante de monnaie jusqu’à ce que cette dernière perde complètement sa valeur. Le processus entier est accompagné d’une montagne d’explications, de propagande et de nouvelles réglementations qui permettent de cacher la véritable situation à une majorité de gens, jusqu’à ce que ceux-ci aient perdu l’essentiel de leur épargne. Pendant la première guerre mondiale, l’Allemagne, comme les autres gouvernements, emprunta lourdement pour financer les coûts de la guerre. Cela conduisit à une inflation mais pas beaucoup plus importante que celle des Etats-Unis au même moment. Après la guerre, il y eut une période de stabilité mais ensuite, l’inflation reprit. En 1923, l’inflation la plus sauvage de l’histoire fit rage. Souvent les prix doublaient en l’espace de quelques heures. Une course effrénée avait lieu pour acheter des biens et se débarrasser de la monnaie. A la fin de 1923, il fallait 200 milliards de Marks pour acheter un simple pain. Des millions d’Allemands travailleurs et économes virent que leurs économies d’une vie entière ne suffiraient pas à l’achat d’un timbre. Ils étaient sans le sou. Comment cela a-t-il pu arriver à une nation hautement civilisée, dirigée par des leaders intelligents et élus démocratiquement ? Qu’était-il arrivé aux entreprises, aux salaires et à l’emploi ? Comment certaines personnes purent-elles sauver leur capital et certains spéculateurs accumuler des fortunes ? Les années 1914-1921 Quand la guerre fut déclarée le 31 juillet 1914, la Reichsbank (Banque Centrale Allemande) suspendit la convertibilité en or de ses billets. Après cela, il n’exista plus aucune limite quant à la quantité de billets qu’elle pouvait imprimer. Le gouvernement ne voulait pas mécontenter le peuple avec de lourdes taxes. A la place, il emprunta d’énormes montants d’argent qui seraient remboursés par l’ennemi une fois que l’Allemagne aurait gagné la guerre. Une grande partie de l’argent emprunté avait été escompté et monétisé par la Reichsbank. Comme nous le verrons par la suite, cela revenait à émettre une monnaie directement issue des presses à billets. A la fin de la guerre, la quantité de monnaie en circulation avait été multipliée par quatre. De ce point de vue, l’étendue de l’inflation était moindre que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. L’indice des prix à la consommation avait augmenté de 140% en décembre 1918. Cela était équivalent à l’inflation pendant la même période en Angleterre et un peu plus qu’aux Etats-Unis mais moins qu’en France. En revanche, la dette flottante était passée de 3 milliards à 55 milliards de Marks ! Pourquoi l’inflation était-elle maitrisée? Pour la même raison que celle qui maintint le rythme de départ de l’inflation bas aux Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale. Les biens de première nécessité étaient rationnés et les biens de luxe peu disponibles. Des millions d’hommes étaient au front et pas sur le marché à acheter des biens. Les civils travaillaient dur et avaient peu de loisirs pour dépenser. Les gens faisaient des économies par rapport au temps de paix et dans certains cas pour contourner les impôts. Mais la matière nécessaire pour une inflation future s’accumulait sous forme de larges quantités de monnaie thésaurisées. Les lourdes réparations imposées à l’Allemagne conduisirent le Mark à se déprécier par rapport aux autres monnaies étrangères. Les nouveaux dirigeants socialistes avaient également promis au peuple tous types de bontés : augmentation de salaires, réduction du temps de travail, expansion du système éducatif et nouveaux bénéfices sociaux. Tout cela signifiait une vaste augmentation de la demande conjuguée à des capacités de production limitées. Toutes ces raisons firent que l’inflation reprit une fois la paix revenue jusqu’à ce qu’en février 1920 le niveau de prix atteigne cinq fois le niveau de prix à la date de l’armistice. Pourtant, pendant ce laps de temps, la quantité de monnaie en circulation n’avait fait que doubler. Les prix augmentaient bien plus vite que le rythme auquel la monnaie était imprimée. De ce fait, raisonnaient les dirigeants, l’inflation ne pouvait pas être imputée au gouvernement. En fait, comme nous le verrons plus loin, un mouvement de pendule entamant la confiance peut jouer un rôle important sur la tendance des prix à court terme. La confiance dans le Mark avait faibli. Dans le même temps, en conséquence, des milliards de Marks thésaurisés sortaient de leurs cachettes et entraient sur le marché. Le combustible accumulé se consumait. En février 1920, cet épisode inflationniste était terminé. Les quinze mois suivants, l’index des prix était stable. Le Mark avait véritablement gagné en valeur en comparaison des autres devises étrangères, de sorte que les prix de certains biens importés étaient tombés de 50%. Ceci était une occasion en or pour établir une monnaie stable. Cependant, pendant ces 15 mois, le gouvernement continua à émettre de la monnaie nouvelle. La monnaie en circulation avait augmenté de 50% et la dette flottante de la Reichsbank de 100%, procurant du combustible pour une nouvelle éruption. En mai 1921, l’inflation des prix reprit et en juillet 1922 les prix avaient augmenté de 700%. La Reichsbank continuait d’imprimer de la monnaie nouvelle, bien qu’à un rythme plus lent que celui de l’augmentation des prix. En fait, pendant toute cette période, l’émission de la monnaie avait lieu à un rythme lent et régulier tandis que l’indice des prix se mouvait par grands bonds entrecoupés de périodes de stabilité. Après juillet 1922 la phase d’hyperinflation commença. Toute confiance en la monnaie disparut et l’index des prix à la consommation augmenta de plus en plus vite pendant quinze mois, dépassant le rythme de la planche à billets qui ne pouvait pas maintenir son rythme d’impression aussi rapide que celui de la dépréciation de la monnaie. Wholesale Price Index Indice des prix à la consommation Juil 1914 1.0 Jan 1919 2.6 Juil 1919 3.4 Jan 1920 12.6 Jan 1921 14.4 Juil 1921 14.3 Jan 1922 36.7 Juil 1922 100.6 Jan 1923 2,785.0 Juil 1923 194,000.0 Nov 1923 726,000,000,000.0 Les années 1922-23 -- Hyperinflation De juin 1922 à Novembre 1923, l’hyperinflation fit rage. Le tableau ci-dessus nous en donne le résumé. Il semble que les directeurs de la Reichsbank pensaient que le problème de fonds sous-jacent était la dépréciation du Mark par rapport aux autres monnaies. Vers la fin de l’année 1922, ils ont essayé de soutenir le Mark en l’achetant sur les marchés étrangers. Or, comme ils continuaient d’imprimer la nouvelle monnaie à un rythme fébrile, leur tentative fut vaine. Ils réussirent seulement à acheter des Marks sans valeur en échange d’or et de devises. Tout espoir de contrecarrer l’effondrement du Mark s’évanouit lorsqu’en janvier 1923, les Français —allégeant des violations du traité de paix— occupèrent la région industrielle clef de l’Allemagne, la Ruhr. L’Allemagne subventionnait les sociétés occupées et finançait un programme onéreux de « résistance passive ». Des nouveaux milliards de Marks étaient imprimés pour financer ces nouveaux coûts importants. A la fin de 1923, 300 usines de fabrication de papier tournaient à plein régime et 150 imprimeries avaient 2000 presses tournant jour et nuit pour imprimer de la monnaie. Sous l’impulsion forcée de l’inflation, les entreprises opéraient maintenant à un rythme fiévreux et le chômage avait disparu. Cependant, les salaires réels des ouvriers chutèrent tragiquement. Les syndicats obtenaient des augmentations fréquentes mais elles ne soutenaient pas le rythme. Les ouvriers —les domestiques, les ouvriers agricoles et divers groupes de cols blancs— se portaient particulièrement mal. Ils n’avaient pas de syndicats pour réclamer des augmentations en leur faveur et étaient souvent réduits à la disette. De nombreuses personnes portaient des signes visibles de malnutrition. Les ouvriers qualifiés, les écrivains, les artisans et les professionnels virent leurs salaires diminuer jusqu’à atteindre celui des ouvriers non-qualifiés ce qui signifiait souvent le strict minimum nécessaire pour subvenir aux besoins élémentaires. Les hommes d’affaires commencèrent à abandonner leurs occupations légitimes pour spéculer sur les stocks et les biens. Des milliers de petits patrons tentaient de gagner leur vie en spéculant sur le tissu, les chaussures, la viande, le savon, les vêtements ou tout autre produit qu’ils pouvaient se procurer. Chaque dépréciation du Mark amenait une ruée sur les commerces. Les gens achetaient des chapeaux ou des pulls à la douzaine. Vers le milieu de 1923, les ouvriers étaient payés jusqu’à trois fois par jour. Leurs épouses allaient à leur rencontre, prenaient l’argent et se dépêchaient d’aller dans des magasins l’échanger contre des biens. Cependant, à cette époque là, et de plus en plus souvent, les magasins étaient vides. Les commerçants ne pouvaient plus se procurer de biens suffisamment vite pour protéger leurs recettes. Les fermiers refusaient d’apporter leurs produits à la ville contre du papier sans valeur. Des émeutes dues à la famine se déclenchèrent. Des groupes d’ouvriers marchèrent sur la campagne pour déterrer des légumes et piller les fermes. Les entreprises commencèrent à fermer et, soudainement, le chômage explosa. L’économie était en train de s’effondrer. Entre-temps, ceux de la classe moyenne qui dépendaient de revenus fixes de toute sorte, se trouvèrent sans ressources. Ils vendirent leurs meubles, vêtements, bijoux et œuvres d’art pour se procurer à manger. Les petites échoppes se remplirent de marchandises de cette sorte. Les hôpitaux, les sociétés d’art et de littératures, les institutions charitables et religieuses fermèrent tandis que leurs fonds disparaissaient. Puis, par un simple effort de volonté, le gouvernement entra en jeu et stabilisa la monnaie du jour au lendemain. Pendant tout le “miracle du Rentenmark” la dépréciation avait été contenue, les affaires se ranimèrent et la bamboula inflationniste s’acheva, avec cependant, comme nous allons le voir, encore un vilain reste à venir. Des millions d’Allemands appartenant à la classe moyenne –normalement l’assise d’une république- étaient ruinés par l’inflation. Ils devinrent...
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