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Le néant habillé en monnaie.

Georges Lane Publié le 31 janvier 2014
9934 mots - Temps de lecture : 24 - 39 minutes
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« Pour un lecteur moderne sérieux, la rhétorique est sans pertinence ou, pire, induit en erreur ou, pire encore, trompe intentionnellement » R. Solow, hiver 2013-14, p.911 Introduction. 1. Hier, en relation avec ce qu'on dénommait alors "monnaie", des économistes s'intéressaient aux marchandises en propriété des gens qu'ils avaient échangées dans le passé grâce à celle-ci et qui avaient donné lieu à des quantités de ... monnaie ou de substituts de monnaie bancaires 1). L’avenir les laissait de marbre ou dans l’ambiguïté. Par la suite, et ce qu'on dénommait "monnaie" perdant toute relation avec la marchandise en propriété qu’elle était et devenant « substitut de rien bancaire » ou "néant habillé en monnaie" à cause de la réglementation, des économistes se sont interrogés davantage sur ses seuls effets. Beaucoup ont perverti, à cette occasion, de diverses façons ce qu'il convenait d'en penser. En particulier, les mots du vocabulaire la concernant ont explosé, mais chacun d’eux pour ne plus rien vouloir dire. 2. Aujourd'hui, la monnaie n'existe plus. Les réglementations étatiques ont détruit progressivement, en grande partie, la connaissance de ce qu’elle était comme en témoignait, par exemple, Ludwig von Mises (1881-1973) en 1917-18 dans un texte sur les « doctrines monétaires catallactique et a catallactique » - qui deviendra appendice du livre intitulé Theory of Money and Credit 2) - où il fait apparaître que, selon les uns, la monnaie procède de l’échange et, selon les autres, elle procéderait de l’Etat. Les réglementations du XXè siècle ont été essentielles, depuis la décennie 1930. Dès à présent, un autre mot que le mot « monnaie » serait donc nécessaire pour désigner ce que recouvre ce qu’on dénomme « monnaie » aujourd'hui. Comme il n'en existe pas, à défaut, on parlera, avec réserve, de "monnaie/banque réglementée" ou de « banque/monnaie réglementée » ou de "néant habillé en monnaie" 3) . Une chose est certaine : tout cela a contribué à enfouir dans l'ignorance l’origine fondamentale de la monnaie, à savoir son processus découvert par les actes des gens. 3. Une démarche d’économistes de la fin du XIXè siècle et du début du XXè siècle a eu pour conséquences, d’une part, de faire mettre de côté les règles de droit et, d’autre part, de mettre au premier plan ce qu’on dénomme « monnaie » aujourd’hui. Les marchandises en propriété des gens sont devenues des choses, des objets, des services, vendables, achetables, échangeables ou non, mais sans origine ou déduits de l’équilibre économique général téléologique, et non pas des règles de droit. Sans origine cerné, ce qu’on dénomme « monnaie » aujourd’hui est le résultat d’un ensemble de réglementations qui sont ignorées en grande partie des gens privés et qui sont en contradiction avec, par exemple; ce que disait le gouvernement suisse au début de la décennie 1930, à la suite de l’abandon de l’Union monétaire latine (créée en 1865) : « Le Conseil fédéral, dans son Message du 3 Juillet 1930, à l'appui du projet de loi sur la monnaie, tirait de l'Union latine la conclusion suivante: "L'expérience nous a instruits; s'il est un domaine dans lequel les conventions internationales sont non seulement inutiles, mais encore inséparables de gros inconvénients au point de vue économique, c'est incontestablement celui de la législation monétaire.» Ce jugement rappelle singulièrement l'avis des grands économistes allemands du siècle passé (2)." (2) Bamberger, L'or de l'Empire, traduit par Arnoldy et Van der Rest, Bruxelles 1877. p.43. Cfr. Helffe-rich, op. cit. p. 415. (Dubois, 1950) 4) Malheureusement, le message est resté lettre morte chez la plupart des hommes de l’Etat des autres pays depuis lors. Ces éléments cachent le recours croissant à telle ou telle mathématique à quoi ont procédé nos économistes et dont la majorité serait bien incapable de justifier le choix mathématique. La démarche de nos économistes est malheureusement devenue majoritaire et cela malgré l’écart croissant entre ce qu’elle développait et la réalité. 4. Comme si de rien n’était, un « Conseil européen du risque systémique » (European Systemic Risk Board, E.S.R.B.) 5) a été créée récemment, en 2010, en relation avec l’€uro 6). C’est un organisme indépendant de l’Union Européenne, responsable de la supervision macro-prudentielle du système financier au sein de l’Union. L’expression « risque systémique » n’y est guère clairement définie. Elle fait partie de ces expressions nouvelles dont la rhétorique - au mauvais sens du mot - devrait amener chacun à se souvenir du propos de R. Solow (2012) donné en exergue: « Pour un lecteur moderne sérieux, la rhétorique est sans pertinence ou, pire, induit en erreur ou, pire encore, trompe intentionnellement » (ibid. p.911) En relation avec ce qu’on dénomme « monnaie » aujourd’hui, il en est de même à la fois du « risque systémique » et d’un mot qui lui va de pair, à savoir le mot « liquidité » : ils sont sans pertinence, induisent en erreur et trompent intentionnellement. Le présent texte tend à donner une véritable définition économique au « risque systémique » en relation avec ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui et qu'on devrait appeler "néant habillé en monnaie". 5. Il propose de définir le "risque systémique" comme l’échangeabilité ou, mieux, comme la catallaxie attendue avec incertitude par les gens. Au lieu de « risque systémique », il préférera donc « risque de catallaxie » en suivant le raisonnement de l’assurance. Ex post, le "risque de catallaxie" est réalisé quand, en particulier, les gens ont perdu les capacités d’échanger ce qu'ils espéraient, ni ne peuvent échanger comme ils l’entendaient avec ce qu’on dénommait « monnaie ». 6. Le texte montre dans sa section I que le « risque de catallaxie » procède à la fois de deux notions économiques bien connues, à savoir le pouvoir d’achat de la monnaie et la vendabilité de celle-ci, mais curieusement séparées l’un de l’autre. Il les intégre dans la notion de « catallaxie » de préférence au mot « échangeabilité » qui en découle logiquement. 7. Un des aspects économiques du « risque de catallaxie » mérite le détour : c’est la "conversion contractuelle" monétaire attendue avec incertitude ou, si on préfère l’expression plus usuelle, la convertibilité monétaire (sous-entendu ex ante), pour ne pas parler de la méconnue qu'est l’assurancielle, « risque de conversion contractuelle ». Ce fait de la "conversion contractuelle" attendue avec incertitude est très ancien, même s’il a été l’objet de mainte contrefaçon en cours de route (par exemple, depuis la création de l'administration des monnaies et médailles en France). 8. Mais, comme les assureurs l’ont montré dès le XIXè siècle, il convient de distinguer le risque et ses facteurs de risque. Au nombre des facteurs, interviennent la nature, les actes de chacun ou ceux des hommes de l’Etat, ou encore un mélange des uns et des autres. Comme le « risque de catallaxie », le « risque de conversion contractuelle » a donc des facteurs au nombre desquels sont essentiels les actes irréfléchis ou irresponsables des hommes de l’Etat. Le présent texte privilégie le facteur réalisé à partir de la décennie 1930 qu’a été l’interdiction de la convertibilité monétaire qu'ont décidée les législateurs ou des hommes des Etats nationaux (section II). Une chose est certaine : cette interdiction étatique n’a aucune raison doctrinale indiscutable. D’autre part, rien ne justifie de l'oublier et de ne pas la combattre. 9. Le présent texte vise enfin à montrer (section III) que le « risque de conversion contractuelle » englobe un autre mot de rhétorique qui a fait florès au XXè siècle, à savoir le mot de « liquidité », qui est méconnu en tant que tel et qui en définitive ne veut rien dire… Pourquoi, par exemple, parler de "liquide" plutôt que de "fluide" ou de "visqueux"? Ces mots ont des sens précis en chimie physique, mais aucun en économie politique 7). Il montre ainsi qu’est incluse tacitement dans le facteur du « risque de conversion contractuelle », la notion de « liquidité » et que celle-ci permet de faire prendre des vessies pour des lanternes en parlant des « réserves officielles » qui sont des objets comptables, mais en rien des réserves. 10. Tous ces éléments cachent des coûts qu’en général les économistes mettent de côté et sur quoi on reviendra en conclusion en relation avec les innovations et les réglementations monétaires. ****************** I. Le « risque de catallaxie ». I.1. Pouvoir d'achat de la monnaie. Malgré le titre du livre intitulé The Purchasing Power of Money (its Determination and Relation to Credit, Interest and Crises) (1911) qui laissait penser que le pouvoir d'achat de la quantité de monnaie était le coeur du livre, Irving Fisher (1867-1947) s’était intéressé d'abord à l' « équation des échanges » de marchandises contre monnaie dans le passé. Cela l'avait amené à insister sur le « pouvoir d'achat » de la monnaie, notion chère au début du XXè siècle à beaucoup d’économistes qui, tel Ludwig von Mises (1881-1973), y voyaient la "valeur" de la monnaie. De l'"équation des échanges", une équation qu'il considérait du premier degré à une inconnue, Fisher a calculé l'inconnue qu'il a dénommée "vitesse de circulation de la quantité de monnaie" et que, plus tard, les monétaristes (à commencer par Milton Friedman, 1912-2006) monteront en épingle économique au prix de quelques modifications. De là, sans explication déterminante, il a expliqué qu'à certaines conditions en relation avec la vitesse de circulation de la monnaie, primo, toute variation de la quantité de monnaie dans un sens provoquait une variation des prix en monnaie des marchandises - ou du "niveau des prix" - de même sens et, secundo, que les effets de la variation de la quantité se répercutaient sur les prix en monnaie des marchandises. 1.a. Pouvoir d’achat ex post ou ex ante. A la suite de cette causalité qu’il ne justifiait pas, Fisher a fait passer simultanément son équation des échanges du passé à l'avenir, de l’ex post à l’ex ante ! Il y a le pouvoir d’achat qu’on calcule à partir de l’expérience passée – pouvoir d’achat ex post - et le pouvoir d’achat qu’on espère dans l’avenir – pouvoir d’achat ex ante -. Reste que Vilfredo Pareto (1848-1923) était réservé à l'égard de la notion de « pouvoir d'achat de la monnaie » qu'il dénommait aussi "puissance d'achat" (cf. §75 de son Cours d'économie politique de 1896-97). Il préférait mettre l'accent sur les prix en monnaie des marchandises. Il considérait ainsi que la monnaie était la marchandise qui servait de prix aux autres marchandises (ibid., §269) 8). 1.b. La valeur de la "monnaie". Comme si de rien n’était, le pouvoir d’achat ex post est devenu pouvoir d’achat ex ante, la valeur ex post valeur ex ante ! La valeur qui intéresse l’économiste fait référence le plus souvent aux prix et quantités des marchandises, résultats de l'offre et de la demande de marché, voire des actions économiques d'untel ou untel. Le fait est que le prix de la monnaie en une marchandise n'est pas la valeur de celle-là. Il y a quelques siècles d'ailleurs, la valeur de ce qu'on dénommait alors "monnaie" donnait lieu à des jugements dans ce sens. De façon très générale, il était question, dans l'ordre, de bonne ou de mauvaise monnaie (depuis au moins Aristophane jusqu'à Thomas Gresham), de vraie ou de fausse monnaie (cf. Vilfredo Pareto), d’artificielle ou de naturelle, puis au XXè siècle, de monnaie saine ou malsaine, de monnaie forte ou faible. Et J.M. Keynes (1936) de mettre son grain de sel à l'occasion en se référant aux deux valeurs que J. Locke donnait, en 1692, à la monnaie (valeur d'usage en relation avec le taux d'intérêt, valeur d'échange en relation avec les marchandises). Longtemps, les économistes ont mélangé la valeur de la monnaie, voire l’ont confondue avec la quantité de la monnaie. Ainsi, le prix fixé, invariable, de l'unité de monnaie était qualifié de "valeur intrinsèque" de la monnaie alors qu'il désignait simplement le poids ou le nombre d'une (quantité de) marchandise. Et plus près de nous, R.W. Clower (1969) n’a pas hésité à transformer le titre du chapitre intitulé "The total value of the currency needed by a country" - du livre de A. Marshall intitulé Principles of economics - en "The total currency needed by a country" sans rien dire sur le "truandage" qu’il opérait ainsi et qui faisait passer à la trappe le mot « valeur »… (ce n'était pas une coquille). 1.c. L’achetabilité de la monnaie ex ante. Fisher n’a pas contribué à faire préférer à l’expression « pouvoir d’achat de la monnaie » l'achetabilité de celle-ci (... i.e. en ligne de mire de son demandeur). Le mot n’apparaît jamais. L’achetabilité en question est l’achetabilité ex ante et non pas l’achetabilité ex post. Rien ne s’oppose néanmoins à dénommer le pouvoir d’achat ex post achetabilité ex post et le pouvoir d’achat ex ante achetabilité ex ante. A ce dernier détail près, il y a trois façons de s’exprimer: il y a l’achetabilité, l’espérance morale – anticipation - ou le risque. L’espérance morale ou anticipation fait intervenir des considérations de la personne physique tandis que le risque est une façon de caractériser une entité non personnelle en relation avec le domaine de l’assurance. Le mot « achetabilité » n’est pas beau, mais plutôt que de parler de pouvoir d’achat, il est toujours possible de parler de l’achetabilité de la monnaie par comparaison à la vendabilité de la monnaie qui, elle, a été employée (cf. § 2 ci-dessous). 1.d. Le « risque de pouvoir d’achat » de la monnaie. Avec la mode actuelle sur l’emploi du mot « risque » qui intervient à toutes les sauces, on peut voir dans le pouvoir d’achat ex ante de la monnaie le « risque de pouvoir d’achat » de la celle-ci. Du point de vue de chacun, le « risque de pouvoir d’achat » n’est autre que l’espérance morale ou anticipation de pouvoir d’achat attendue avec incertitude. Du point de vue de l’acte humain, le risque correspond à l’achetabilité ex ante. 1.e. Les facteurs du « risque de pouvoir d’achat ». De l’« équation des échanges » se déduit le pouvoir d’achat de la monnaie, répétons-le. Dans Man, Economy and the State (1962), Murray Rothbard (1926-95) est très sévère sur le développement de Fisher sur l’ « équation des échanges » 9). Sans s’y référer, Rothbard a fait apparaître des facteurs du « risque de pouvoir d’achat » qu’on peut y trouver et que n’a pas évoqué Fisher. “13. The Fallacy of the Equation of Exchange […] Monetary theory in American economics, […] has been presented in entirely different terms—in the quasi-mathematical, holistic equation of exchange, derived especially from Irving Fisher. The prevalence of this fallacious approach makes a detailed critique worthwhile.[…] Money is a generally acceptable medium of exchange, and purchasing power is rightly defined as the “quantities of other goods which a given quantity of goods will buy.”49 49 Ibid., p. 13. He explains that the lower the prices of goods, the larger will be the quantities that can be bought by a given amount of money, and therefore the greater the purchasing power of money. Vice versa if the prices of goods rise. This is correct; but then comes this flagrant non sequitur: “In short, the purchasing power of money is the reciprocal of the level of prices; so that the study of the purchasing power of money is identical with the study of price levels.” 50 50 Ibid., p. 14. From then on, Fisher proceeds to investigate the causes of the “price level”; thus, by a simple “in short,” Fisher has leaped from the real world of an array of individual prices for an innumerable list of concrete goods into the misle...
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