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Les débuts historiques de l'École économique autrichienne (2)

Ludwig von Mises Extrait des Archives : publié le 01 juillet 2012
5951 mots - Temps de lecture : 14 - 23 minutes
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Ludwig von Mises.

Article précédent Ce texte a été publié pour la première fois en 1962 dans sa traduction espagnole – El Establecimiento Histórico de la Escuela Austriaca de Economía. La version anglaise ne fut publiée qu'en 1969 sous le titre The Historical Setting of the Austrian School of Economics par Arlington House. Et il existe une traduction italienne datant de 1992 – La Collocazione Storica della Scuola Austriaca di Economia. Nous publions ici la première partie du texte dont la traduction française a été réalisée par Hervé de Quengo. II. Le conflit avec l'École historique allemande 1. Le rejet allemand de l'économie classique L'hostilité que les enseignements de la théorie économique classique rencontra sur le continent européen fut principalement causée par des préjugés politiques. L'économie politique, telle qu'elle avait été développée par plusieurs générations de penseurs anglais, brillamment exposée par Hume et Adam Smith et perfectionnée par Ricardo, fut le résultat le plus remarquable de la philosophie des Lumières. C'était le coeur de la doctrine libérale, qui visait à établir le gouvernement représentatif et l'égalité de tous devant la loi. Il n'était pas surprenant qu'elle fut repoussée par ceux dont les privilèges étaient attaqués. Leur tendance naturelle à rejeter l'économie était considérablement renforcée en Allemagne par l'esprit nationaliste montant. Le rejet borné de la civilisation occidentale – que ce soit la philosophie, la science, la doctrine et les institutions politiques, l'art et la littérature –, qui conduisit en fin de compte au nazisme, trouve ses origines dans la critique véhémente de l'économie politique britannique. Il ne faut cependant pas oublier qu'il y avait aussi d'autres raisons à cette révolte contre l'économe politique. Cette nouvelle branche de la connaissance soulevait des problèmes épistémologiques et philosophiques auxquels les savants ne trouvaient pas de réponse satisfaisante. Elle ne pouvait pas être intégrée dans le système traditionnel d'épistémologie et de méthodologie. La tendance empiriste qui domine la philosophie occidentale suggérait de considérer l'économie comme une science expérimentale, à l'instar de la physique et de la biologie. L'idée même qu'une discipline traitant de problèmes « pratiques » comme ceux des prix et des salaires puisse avoir un caractère épistémologique différent de celui des autres disciplines portant aussi sur des sujets pratiques, était au-delà des possibilités de compréhension de l'époque. Mais, d'un autre côté, seuls les positivistes les plus doctrinaires n'arrivaient pas à comprendre qu'il était impossible d'entreprendre des expériences dans le domaine que l'économie essaye d'expliquer. Nous n'avons pas à traiter ici de la situation telle qu'elle s'est développée à l'époque du néo-positivisme ou de l'hyper-positivisme du vingtième siècle. Aujourd'hui, partout dans le monde mais avant tout aux États-Unis, des nuées de statisticiens se consacrent dans des instituts à ce que les gens appellent « la recherche économique ». Ils rassemblent des chiffres fournis par le gouvernement et par diverses entreprises, les réarrangent, les ajustent et les reproduisent, calculent des moyennes et tracent des graphiques. Ils présument qu'ils « mesurent » de ce fait le « comportement » de l'humanité et qu'il n'y a pas de différence notable entre leurs méthodes de recherche et celles appliquées dans les laboratoires de recherche en physique, en chimie ou en biologie. Ils regardent avec pitié et mépris les économistes qui, ainsi qu'ils le disent, sont comme les botanistes de « l'antiquité » et comptent sur « de nombreuses réflexions spéculatives » au lieu de compter sur les « expériences »[5]. Mais chez les économistes de la première partie du dix-neuvième siècle, ce contresens quant aux fondements des sciences de l'action humaine n'allait pas aussi loin. Leurs tentatives de traiter des questions épistémologiques de l'économie se soldèrent, bien entendu, par un échec total. Rétrospectivement, nous pouvons pourtant dire que cette frustration était une étape nécessaire sur la route conduisant à une solution plus satisfaisante du problème. Ce fut le traitement avorté de John Stuart Mill au sujet des méthodes des sciences morales qui montra de manière involontaire la futilité de tous les arguments avancés en faveur de l'interprétation empiriste de la nature de l'économie. Quand les Allemands commencèrent à étudier les travaux des économistes classiques britanniques, ils acceptaient sans aucun problème l'hypothèse selon laquelle la théorie économique découlait de l'expérience. Mais cette simple explication ne pouvait satisfaire ceux qui étaient en désaccord avec les conclusions auxquelles, à partir de la doctrine classique, on devait aboutir quant à l'action politique. Ils soulevèrent rapidement des questions: l'expérience à partir de laquelle les auteurs britanniques ont déduit leurs théorèmes n'est-elle pas différente de celle à laquelle est confronté un auteur allemand? L'économie britannique n'est-elle pas défectueuse parce que le matériel duquel elle a été extraite était uniquement en provenance de Grande-Bretagne, et uniquement de la Grande-Bretagne du hanovrien Georges? Après tout, existe-t-il vraiment une science économique valable pour tous les pays, toutes les nations et toutes les époques? La façon dont répondaient à ces trois questions les auteurs considérant l'économie comme une discipline expérimentale est évidente. Mais une telle réponse équivalait à la négation apodictique de l'économie en tant que telle. L'École historique aurait été cohérente si elle avait rejeté l'idée même de la possibilité d'une science économique et si elle s'était scrupuleusement abstenue de faire la moindre déclaration différant d'un compte rendu sur ce qui s'est passé à un moment donné du passé et en un lieu donné de la terre. Une prévision des effets à attendre d'un événement donné ne peut être faite que sur la base d'une théorie revendiquant une validité générale, et non une simple validité quant à ce qui s'est produit par le passé dans un pays déterminé. L'École historique nie catégoriquement qu'il puisse exister des théorèmes économiques d'une telle validité universelle. Mais cela ne l'empêche pas de recommander ou de condamner – au nom de la science – diverses idées ou mesures nécessairement destinées à modifier les conditions futures. Il y avait par exemple la doctrine classique concernant les effets de la liberté du commerce et du protectionnisme. Les critiques n'entreprirent pas la tâche (sans espoir) de découvrir quelque syllogisme erroné dans la chaîne de raisonnement de Ricardo. Ils se contentèrent d'affirmer que des solutions « absolues » n'étaient pas concevables sur de tels sujets. Il existe des situations historiques, disaient-ils, où les effets engendrés par la liberté du commerce ou le protectionnisme diffèrent de ceux décrits par la théorie « abstraite » d'auteurs « en chambre ». Pour soutenir leur idée, ils se référaient à divers précédents historiques. Ce faisant, ils négligeaient gaiement de prendre en compte une chose: que les faits historiques, étant toujours le résultat conjoint de l'opération d'une multitude de facteurs, ne peuvent prouver ou réfuter aucun théorème. Ainsi, l'économie du deuxième Reich, représentée par les professeurs d'université nommés par le gouvernement, dégénéra en un ensemble incohérent, pauvrement assorti, de diverses bribes de connaissance empruntées à l'histoire, à la géographie, à la technologie, au droit et pour partie à la politique, ensemble truffé de remarques réprobatrices sur les erreurs des « abstractions » de l'école classique. La plupart des professeurs faisaient de la propagande plus ou moins ardente dans leurs livres et dans leurs cours en faveur des politiques du gouvernement impérial: conservatisme autoritaire, Sozialpolitik, protectionnisme, armements immenses et nationalisme agressif. Il serait injuste de considérer cette intrusion de la politique dans le domaine de l'économie comme un phénomène spécifiquement allemand. Il était au fond causé par une interprétation épistémologique perverse de la théorie économique, défaut qui ne se limitait pas à l'Allemagne. Il y a un deuxième facteur qui conduisit l'Allemagne du dix-neuvième siècle en général et les universités allemandes en particulier à regarder d'un mauvais oeil l'économie politique britannique: c'était la préoccupation de cette dernière quant à la richesse et sa relation avec la philosophie utilitariste. Les définitions alors en vigueur de l'économie politique la décrivaient comme la science traitant de la production et de la distribution de la richesse. Une telle discipline ne pouvait pas être autre chose que méprisable aux yeux des professeurs allemands. Ces derniers s'estimaient être des personnes se sacrifiant pour poursuivre la recherche de la connaissance pure, sans point commun avec tous ces individus triviaux aux buts lucratifs, ne se souciant que de biens terrestres. La seule mention de choses vulgaires comme la richesse et la monnaie était taboue au sein de ceux qui se vantaient de leur haute culture (Bildung). Les professeurs d'économie ne pouvaient conserver leur réputation au sein des cercles de leurs collègues qu'en soulignant que le sujet de leurs études n'était pas les basses préoccupations de l'industrie à la recherche du profit mais la recherche historique, par exemple les nobles exploits des électeurs de Brandebourg et des rois de Prusse. La question de l'utilitarisme n'était pas moins importante. La philosophie utilitariste n'était pas tolérée dans les universités allemandes. Des deux grands utilitaristes allemands, Ludwig Feuerbach ne réussit jamais à obtenir un poste d'enseignement, tandis que Rudolf von Jhering enseignait le droit romain. Tous les malentend...
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