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M. Gustave de Molinari

Yves Guyot Extrait des Archives : publié le 23 mai 2012
6867 mots - Temps de lecture : 17 - 27 minutes
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Journal des économistes. Tome XXXIII. - Février 1912 (p. 177-192). I. L'Homme et l'Écrivain Au mois de juillet, la Société d'Économie politique perdait son président, M. Émile Levasseur. Le 28 janvier, elle perdait son président d'honneur, . Le 5 juin 1902, la Société d'Économie politique célébrait les quatre-vingts ans de M. Frédéric Passy et le cinquantenaire d'entrée de MM. de Molinari et Juglar. M. de Molinari, né à Liège le 3 mars 1819, en était le doyen à un double titre : et par l'âge et par la date de son entrée. Il était fils d'un officier supérieur de l'Empire, le baron de Molinari qui, venu en Belgique, s'y était fait recevoir médecin et s'y était établi. Dans une étude sur l'Exposition d'Anvers [1], il nous a retracé un de ses souvenirs d'enfance : C'était au mois de novembre 1830. Les volontaires, après avoir fait triompher la révolution à Bruxelles venaient d'entrer à Anvers ; la garnison hollandaise s'était réfugiée dans la citadelle. On avait dépavé les rues, et je crois bien avoir fourni ma petite part de besogne aux paveurs. On tiraillait dans la rue du couvent qui aboutissait à la citadelle, et je vois encore la scène : un volontaire en blouse bleue, dépassant ses camarades de la tête, brandissant un grand sabre de cavalerie au cri de : "En avant !" Un obus éclate, tout le monde lâche pied ; le volontaire au grand sabre bat lestement en retraite derrière une barricade en criant cette fois : "Nous sommes trahis." C'est la première impression qui m'est restée de la guerre. On finit par conclure une trêve ; mais, sur le soir, des volontaires surexcités s'avisent d'essayer la portée de leurs fusils sur une canonnière hollandaise à l'ancre dans l'Escaut. A ces coups de fusils isolés, le commandant de la citadelle, le général Chassé, un vétéran qui avait mauvais caractère, répond par un bombardement. Les habitants se réfugient dans les caves. A travers les soupiraux mal fermés, on voit se projeter la lueur des incendies ; ce n'est bientôt plus qu'une immense coupole rouge que des points noirs traversent avec le bruit grinçant d'une pierre glissant sur un toit d'ardoises. Les femmes et les enfants récitent des prières : au fracas des bombes et des toits qu'elles effondrent, se mêlent des voix qui chantent un cantique devant une statue illuminée de la Vierge au coin de la rue. Aux premières heures du jour, le bombardement cesse ; on se précipite hors des caves et on va voir les incendies, les quartiers voisins de la citadelle et les entrepôts, remplis de tonneaux d'huile et de balles de coton, sont en flammes. C'est superbe ! Nous voici devant la massive porte de l'Escaut, dont la façade a été écornée par des bombes. Des gens du voisinage se sont réfugiés dans l'intérieur ; nous entrons et nous les regardons ébahis, ils ont passé la nuit à jouer aux cartes ; les enjeux sont sur la table avec les pots de bière et ils ne peuvent pas se décider à abandonner la partie. Voilà le beau flegme flamand ! Ces impressions, que je devais retrouver quarante ans plus tard, non sans quelques variantes notables pendant le siège de Paris, sont restées vivantes dans ma mémoire. J'ai cité cette page parce qu'elle prouve la précision et l'acuité d'observation de M. de Molinari, alors qu'il n'était qu'un enfant. Non seulement il conserva ces qualités, mais il les développa et les appliqua à tous les sujets. Cette page montre en même temps le pittoresque et la netteté avec lesquels M. G. de Molinari savait rendre ce qu'il avait observé. M. G. de Molinari croyait que le devoir de l'écrivain était d'épargner l'effort du lecteur, en lui donnant la besogne toute faite. Il éliminait tout ce qui était encombrant ; il simplifiait les faits et n'en présentait que l'essentiel. Il clarifiait et filtrait sa pensée, de manière à lui donner toute la limpidité possible. Par son élégance, sa force et sa délicatesse d'expression, par la propriété des termes, le style de M. de Molinari en fait un des maîtres de la langue française. Animé par la passion de la propagande, il vint à Paris vers 1840 pour y faire du journalisme économique. C'était le moment où commençait la grande révolution industrielle que les chemins de fer, la navigation à vapeur transatlantique, le télégraphe allaient réaliser. Il la comprit avec une admirable prescience, comme le prouve son article publié par la Nation, puis par la Gazette de France, en 1843, intitulé : l'Avenir des chemins de fer. M. de Molinari ne cessait de montrer la contradiction qu'il y avait entre les résultats acquis par l'industrie et par la science pour diminuer les prix de revient, agrandir les marchés par la facilité des moyens de transport et la politique protectionniste qui avait pour but d'en annihiler en tout ou partie les résultats, d'élever des barrières factices contre les progrès du dehors. En 1846, il prit part à la fondation de l'Association pour la Liberté des échanges. Il publia alors un petit volume intitulé : l'Organisation de la liberté industrielle et l'abolition de l'esclavage ; l'année suivante, un autre volume ayant pour titre : Histoire du tarif : les fers, les houilles, les céréales. Il défendit les idées de libre-échange dans le Courrier français (1846-1847), dans le Libre-échange, dans le Commerce (1848), dans la Patrie (1849-1851). Pendant la Révolution de 1848, il combattit les socialistes en même temps que les conservateurs du statu quo. Dans son livre les Soirées de la rue Saint-Lazare, entretiens sur les lois économiques et défense de la propriété, il poussa jusqu'à des limites extrêmes l'opposition à toute intervention de l'État. Le régime dictatorial qui résulta du coup d'État du 2 décembre 1851 heurtait les opinions libérales de M. de Molinari. Il retourna en Belgique, où il publia, en 1852, un petit volume intitulé : les Révolutions et le despotisme. Il devint professeur d'Économie politique au Musée royal de l'industrie belge et à l'Institut supérieur du commerce d'Anvers. Il a donné le résumé de ses leçons sous le titre de Cours d'Économie politique. La seconde édition parut en 1862. C'est un des ouvrages qui, avec ceux de J.-B. Say, d'Adam Smith et de Bastiat, m'ont initié à la science économique. J'y ajoute : les Questions d'Économie politique et de droit public, publiées en 1861. Il revint à Paris vers 1860 et, en 1867, entra au Journal des Débats dont il devint rédacteur en chef sous la direction de M. Bapst (1871-1876). Il resta à Paris pendant la guerre de 1870 et pendant la Commune. Il n'avait pas dédaigné d'aller se rendre compte des opinions populaires dans les réunions publiques ouvertes après la loi du 6 juin 1868. Il en a recueilli dans deux volumes ses comptes rendus qui sont des chefs-d’œuvre de fine analyse : le Mouvement socialiste et les réunions publiques avant la Révolution du 4 septembre 1870 ; les Clubs rouges pendant le siège de Paris [2]. Dans un article relatif à l'un des livres de M. de Molinari, je disais [3] : On raconte qu'Hegel était si absorbé dans ses abstractions qu'il n'en put être distrait par la bataille d'Iéna qui faisait rage autour de sa maison. M. G. de Molinari aurait ouvert sa fenêtre et regardé. Il aurait peut-être pris part à l'action. Loin de s'isoler des réalités du monde, il a voulu le voir sous ses divers aspects. Il a parcouru la Russie vers 1860, époque où peu d'Occidentaux s'y risquaient et il est retourné à plusieurs reprises. Il a fait diverses traversées de l'Atlantique, est allé trois fois aux États-Unis, autant au Canada, il a visité la Martinique et Panama. Il s'est promené en Europe dans tous les sens. Il a publié en partie ses impressions de voyage dans des lettres au Journal des Débats, qui ont été reproduites dans plusieurs volumes dont la lecture, très attrayante, est pleine d'enseignements [4]. M. de Molinari visitait tout, voyait tout, écoutait tout, y compris la théorie du bourreau Marwood "sur la supériorité, pour la pendaison, de la grosse corde qui laisse le condamné intact, sur la petite qui coupe les chairs et fait une besogne malpropre." Il soulignait d'une ironie dédaigneuse et supérieure les contradictions, les habitudes fâcheuses, les stupidités législatives et administratives. Il se montrait plein de sympathie pour les pauvres gens broyés par leur propre ignorance et victimes de l'ignorance des autres. Il était humain dans le large sens du vers de Térence. Quand il visite la prison de Galway, en Irlande, il dit : Ce qui me paraît vraiment admirable dans ce pays, ce sont les garanties effectives que la loi assure à l'homme le plus misérable et le plus dégradé. Tandis que, ailleurs, le condamné, la fille publique, le mendiant et les autres rebuts de la civilisation sont livrés trop souvent à l'arbitraire grossier d'employés et de subalternes, ici, nul, si rabaissée et si misérable que soit sa condition, n'est privé de la protection de la loi commune, ni dépourvu des garanties nécessaires pour la faire valoir [5]. Il indique la faiblesse de l'Europe dans cette page toujours actuelle : Il m'a fallu échanger en Allemagne mes francs contre des marks, puis, en Russie, ce qui me restait de marks contre des roubles ; prendre à Saint-Pétersbourg des marks finlandais qu'il ne faut pas confondre avec des marks allemands, me procurer des krônes et des öres en Suède et en Danemark, puis, de nouveau, des mars à Hambourg, des florins en hollande, pour revenir, après quels déchets ! aux francs en Belgique et en France, encore en me gardant d'accumuler du nickel belge ! Et ma malle ! Elle a été ouverte à Bruxelles par les douaniers belges ; à Cologne, par les douaniers allemands ; à Sosnovence, par les douaniers russes ; à Stockholm, par les douaniers suédois ; à Copenhague, par les douaniers danois ; à Hambourg, pour la seconde fois, par les Allemands ; à Veule, par les Hollandais ; entre Maestricht et Liège, encore par les belges, et finalement à Paris, par les Français. Si j'avais eu des articles soumis aux droits, ils les auraient acquittés neuf fois [6] ! De là la supériorité des États-Unis avec leur immense territoire et leur large population. Mais il faut y entrer, et, en 1876, il note que "le gouvernement américain refuse d'accepter aux offices de sa douane son propre papier-monnaie." ; il montre "les tarifs protectionnistes provoquant la démoralisation du commerce et la corruption de l'administration : une maison importait en franchise, à titre d'objets d'art, des statues de Christophe Colomb et autres personnages majestueux et ventrus en plomb". M. G. de Molinari a fait trois voyages au Canada...
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