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Méthode économique : informations et cryptomonnaies.

Georges Lane Publié le 10 novembre 2019
8987 mots - Temps de lecture : 22 - 35 minutes
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A Paris, le 9 novembre 2019 1. Introduction A une époque où la notion d’« information », inconnue il y a deux siècles, envahit le discours, on peut s’interroger sur ce qu’en devrait dire l’économie politique. Dans la décennie 1930, des économistes autrichiens (Hayek, etc.) s’y sont référés. Dans la décennie 1960, des économistes « mainstream » (Arrow, etc.) l’ont assujettie aux canons de l’époque, supposés définitifs (utilité marginale, quantité de marchandises) et rien ne semble changer. Entretemps, l’« information » s’est imposée en physique avec, en particulier, les travaux de Claude Shannon mi XXème siècle … et les ordinateurs. En économie politique, la notion d’« information » bringuebale aujourd’hui avec le phénomène des « cryptomonnaies » à quoi des informaticiens ont donné naissance fin décennie 2000 (dans le cas du « bitcoin »). Malheureusement, leur inculture sur ce qu’on dénomme « monnaie » (en abrégé, CQDM) est exemplaire et ne peut qu’avoir des conséquences déplorables pour leur création. Il y a cent ans, comme on le rappellera ci-dessous (section 2), CQDM était encore un ensemble de formes d'état solide de la matière (pièces de monnaie en métal, coupures de billets en papier, comptes bancaires), peu réglementé par les hommes de l’état, toutes proportions gardées. Les économistes s’y intéressaient dans leur étude comme un type d'état solide de la matière valeur plutôt que comme une originalité monétaire. Ils ne considéraient pas qu’il y avait une offre et une demande de CQDM(celles-ci sont apparues au début du XXème siècle). Ils en restaient à la « théorie de la quantité de monnaie » du passé et aux proportions entre les prix en monnaie et la quantité de monnaie à quoi donnait lieu la théorie . Tout a changé à partir de la décennie 1930 avec la multiplication, sans raison (cf. ci-dessous Rueff), des réglementations par les hommes de l’état, nationalement et internationalement. En théorie, des économistes ont envisagé l’offre et la demande de CQDM et oublié les réglementations. Leurs travaux ont donné lieu à un marché susceptible de modifier les autres marchés et, à ce titre, très sensible. Ce fut l'émergence de la macroéconomie et l’économétrie. On n’en est jamais sorti. Information et cryptomonnaies sont-elles des « valeurs » à juxtaposer à la liste des « valeurs » antérieures, celles de la « théorie de la valeur », origine de l'économie politique, ou à expliquer par ces dernières ? Pour répondre à la question, je vais mettre le doigt dans cette « théorie de la valeur » … dont la littérature sur le sujet est plus qu’abondante. Mais je laisserai de côté la démarche marxiste de la pensée économique qui y est la démarche traditionnelle et majoritaire. Pour fixer les idées, je me limiterai à ce qu'ont écrit, au XIXème siècle, Frédéric Bastiat (1801-50) et Vilfredo Pareto (1848-1923) et, au XXème, Ludwig von Mises (1881-1973). Il y a soixante-dix ans précisément, Mises a publié un traité d’économie intitulé L’action humaine. Avec un tel titre, il s’opposait tacitement à la pensée économique majoritaire pour qui l’économie politique, la science économique devait s’intéresser aux seuls résultats de l’action humaine. Cinquante ans auparavant, Pareto avait eu l’occasion d’enfoncer le clou du débat en précisant dans son Cours d’économie politique (et de sa théorie pure de moins de 100 pages), qu’il traiterait des phénomènes résultant de l’action humaine. Pour leur part, Bastiat et Pareto ont schématisé, à cinquante ans d’intervalle, la « théorie de la valeur » en des termes analogues qui méritent attention sinon que Pareto a pu y inclure une partie de son élargissement. Bastiat (1850) a pris pour point de départ les propos d’Adam Smith (et ses références à la matérialité et à la durée). Reste qu’Henri Bergson (1859-1941) a expliqué dans son ouvrage intitulé Matière et mémoire (1896) que, philosophiquement, la notion de « matière » était antérieure à l’alternative entre réalisme et idéalisme, laquelle était elle-même antérieure à l’alternative entre existence et apparence. Dans ces conditions, il était donc difficile de concevoir sereinement la notion de « matière » ou de « matérialité ». Pareto (1896-97) a repris Bastiat et complété ce qu’il avait écrit avec les notions nouvelles d’« ophélimité élémentaire/utilité marginale » et de « résultat d’action humaine » . Curieusement, ni Bastiat ni Pareto n’ont parlé de « CQDM» (section 3) ni du « prix » (section 4) dans leur recension de la « théorie de la valeur » … On ne peut que s’en étonner tant le public a l’habitude de dénommer « valeur » le prix en monnaie d’une marchandise ... et tant des économistes s'attèlent à comprendre CQDM. Ils n’ont pas parlé non plus des « quasi matières » nouvellement découvertes au XIXème siècle, comme les phénomènes d’ « onde » ou de « cycle » qu’avaient mises en évidence les chimistes ou les physiciens… et qu’ont transposées certains économistes dans leur domaine (Kondratieff, etc.) (section 5). En particulier, quoiqu’ouvert à la physique, Pareto ne s’est pas formalisé que les physiciens opposent les phénomènes naturels d’« onde » à la notion de « corpuscule », élément de « corps », de « matière », bref de « matérialité ». Il n'en a pas tenu compte. Pourtant, cela remettait en cause la démarche de Smith sur la "valeur" avec qui il s’entendait. Faut-il voir dans l’« onde » une « valeur » d'un ordre autre que la matière à juxtaposer aux « valeurs » existantes ou bien une conséquence d’une des valeurs traditionnelles, par exemple, … de celles de Smith ? Ni Bastiat ni Pareto n’ont parlé, et pour cause..., de la « quasi matière » nouvellement découverte au XXème siècle, … à savoir l’« information » qu’avaient mise en évidence des chimistes ou des physiciens (section 6). Ceux-ci l’avaient déduite du phénomène naturel d’onde. Emise, l’onde était aussi reçue et sa réception par l'homme a été dénommée « information » ou « donnée »… à défaut de résultat... Faut-il voir dans l’« information » ou la « donnée » une « valeur » d'un ordre autre que la matière à juxtaposer aux « valeurs » existantes ou bien une conséquence d’une des valeurs traditionnelles, par exemple, … de celles de Smith ? 1. Un peu d’histoire sur la « théorie de la valeur ». a. A partir de Frédéric Bastiat… Dans un billet de mon blog de mars 2017, j'ai eu l'occasion de faire apparaître que Bastiat avait eu l’occasion de faire le point sur le "principe de la valeur " en économie politique dans le livre intitulé Harmonies économiques (1850, chap.5), titre qui lui-même n'était qu'une façon tacite de parler des "résultats des actions humaines". Selon Bastiat, la "valeur", c'était alors: - pour Adam Smith (1723-90), ce qui était dans la « matérialité » et la « durée » et donnait lieu aux objets matériels et services, - pour Henri Storch (1766-1835), un jugement, - pour Jean Baptiste Say (1767-1832), une utilité, - pour David Ricardo (1772-1823), un travail, - pour Nassau Senior (1790-1864), une rareté. Il n'y avait pas de distinction entre la physique de la nature et la valeur de la matière. Comme l'objet matériel, le service a été cerné par l’intelligence de l’homme dès lors que celui-ci en recevait une, de sa part. Peu a été écrit alors sur le sujet de l'utilité d'un service, peut-être est-ce à cause de sa mesure et parce qu'il était difficile de donner une quantité concrète à un service... Reste que Bastiat s'était posé la question suivante : … … "Faut-il voir le principe de la valeur dans l'objet matériel et, de là, l'attribuer par analogie, aux services ?". Et Bastiat de répondre : … "Je dis que c'est tout le contraire, il faut le reconnaître dans les services et l'attribuer ensuite, si l'on veut, par métonymie, aux objets matériels." Comme pour encadrer la notion de « valeur », il n’a pas hésité à parler de l’« utilité générale » et de la décomposer en « utilité gratuite » et « utilité onéreuse », et de l’« utilité commune ». Soit dit en passant, les propos de Smith ne doivent pas cacher - une analogie entre l’« économie politique », nouvelle science alors, et la « mécanique », science physique du moment, sur la distinction faite par les savants entre la « matérialité » et la « durée », d’une part, et, - d’autre part, leurs conséquences directes, comme les notions de « vitesse » ou d’« accélération », ou indirectes, comme les notions de « quantité de mouvement », de « force » ou d’ « énergie »… Storch avait mis l’accent sur le jugement de valeur de la personne sur la « matière », « chose » ou « bien », types de « valeur ». A sa façon, J.B. Say a été plus original en ciblant les notions de « chose », de « bien » ou d' « objet matériel », et en introduisant la notion d'« utilité » comme autre type de « valeur » qu’étaient celles-là (cf. un de ses livres https://archive.org/details/coursdconomiepo02saygoog). On peut aussi regretter que Say ait été flou sur la notion de "service", l'autre type possible de « valeur » (« produit » incorporel et non pas corporel, immatériel et non pas matériel) dans la perspective de Smith, et diamétralement opposée à l'"objet matériel"… … "Qu’entendez-vous par l’utilité ? J’entends cette qualité qu’on certaines choses de pouvoir nous servir, de quelques manières que ce soit. Pourquoi l’utilité d’une chose fait- elle que cette chose a de la valeur ? Parce que l’utilité qu’elle a la rend désirable, et porte les hommes à faire un sacrifice pour la posséder. On ne donne rien pour ce qui n’est bon à rien : mais on donne une certaine quantité de choses que l’on possède (une certaine quantité de pièces d’argent, par exemple) pour obtenir la chose dont on éprouve le besoin. C’est ce qui fait sa valeur " (Say, op.cit., p. 12) Malheureusement, simultanément, il a considéré que la chose/bien/objet matériel… était une qualité donnée à ce qui était cerné par l’esprit de la personne ... (cf. Say, 1815 et ce texte de novembre 2015). N’écrivit-il pas dans son Catéchisme (1815) : … "Comment donne-t-on de la valeur à un objet ? En lui donnant une utilité qu’il n’avait pas." (Say, op.cit., p. 10) Plus encore que la "valeur" - si on peut dire... -, l' « utilité » donnée faisait qu’elle était nécessairement subjective ? Mais cela cachait une ambiguïté. A sa façon, la notion d'"utilité" de Say a recouvert, implicitement, à la fois, - le résultat de l’action humaine qu’était la valeur d'usage ou la valeur d'échange et - les deux actions elles-mêmes. Ce florilège de Bastiat sur l’utilité ne saurait cacher l'alternative ancienne à quoi il ne faisait pas référence et qui a été reprise, par exemple, par John Locke (1632-1704) entre « valeur d'usage » et « valeur d'échange ». Elle s’articulait sur les propos d’Aristote ou de saint Thomas d’Aquin sur le sujet de la « valeur » (cf. Gordon, 1964 ou Kauder, 1953). Elle allait de pair avec le fonctionnement des droits de propriété, « récipient à valeur » selon l’expression de Jacques Rueff (1896-1978) dans son ouvrage intitulé L’ordre social (1945). Elle ouvrait tacitement la voie en économie politique à l'action humaine d'usage ("usus") et à l'action humaine d'échange. Pour sa part, Ricardo n'avait pas été original. Dans la droite ligne de Smith, de la « matérialité » et de la « durée » données par le savant à partir de ce qui l’intéressait, il avait privilégié un objet non matériel, un "service", à savoir le "travail", sans le savoir ou en le sachant… En mettant l’accent sur un des "facteurs de production" pris pour type de valeur, il cachait le privilège donné par l’économiste, à la production sur l'échange comme si la production était plus importante économiquement que l'échange... Au nombre de ces types de « valeur », il y avait la notion de « ressource »… qui est une façon de parler d’un des facteurs de production (il est alors question de « ressource », naturelle ou autre, plutôt que de « matière première »). On regrettera d’ailleurs que Say ait contribué à la confusion qui a consisté à mettre en regard ce qu’il a dénommé « valeur » et la notion de « produit » : Les choses auxquelles on a donné de la valeur ne prennent-elles pas un nom particulier? Quand on les considère sous le rapport de la possibilité qu’elles confèrent à leur possesseur d’acquérir d’autres choses en échange, on les appelle des valeurs ; quand on les considère sous le rapport de la quantité de besoins qu’elles peuvent satisfaire, on les appelle des produits." (Say, 1815, p. 14) La notion de « coût » a rassemblé divers types de « valeur » au nombre de quoi le « coût de production ou le « coût d’opportunité » (cf. Buchanan, 1969). Senior enfin n'avait pas été non plus original. Il avait mis l'accent sur un aspect de la « matérialité » et de la « durée » de Smith qu'il avait dénommé "rareté" (cf. appendice). Enfin Bastiat a insisté en particulier sur le fait que : … « C’est par pure métonymie qu’on a attribué la valeur à la matière elle-même, et, en cette occasion comme en bien d’autres, la métaphore a fait dévier la science.» cf. http://bastiat.org/fr/echange.html 1850. http://blog.georgeslane.fr/category/Ignorance-action-humaine-et-duree/page/147 Bref, Bastiat faisait une différence entre matière et valeur différente de Smith. b. L’ajout de Vilfredo Pareto. Au florilège de Bastiat qu’il a évoqué dans son Cours d'économie politique (et de sa théorie pure de moins de 100 pages), Pareto a ajouté les considérations de : - Karl Marx (1818-83) qui faisait référence explicitement à la "marchandise" et au "travail" et dont lui-même n'a pas hésité à démontrer les erreurs (cf. par exemple Pareto, op. cit. §18), - Gustave de Molinari (1819-1912) qui expliquait la valeur par l'"intensité comparée des besoins" (cf. ibid....
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