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Pourquoi Venise est-elle si belle ? La ville qui fit confiance aux propriétaires (1)

Vincent Bénard Publié le 05 octobre 2015
4214 mots - Temps de lecture : 10 - 16 minutes
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Qui n’est pas fasciné par Venise ? Voilà une ville hors norme qui a su résister à tous les outrages du temps. Même au delà des grands palais des anciens quartiers riches, les anciens quartiers populaires fascinent par leur qualité visuelle. Pourtant, la ville fut construite sur une zone inondable, et sa superficie gagnée sur l’eau à l’aide de techniques rudimentaires. Quand on voit la facilité avec lesquelles les hommes d’aujourd’hui construisent des quartiers ou des villes insupportablement laides et socialement à la dérive, accumulations de constructions médiocres et de fonctionnalités mal pensées, on en vient à se demander: “Serions nous capable de recréer Venise aujourd’hui” ? Et la réponse est “non”. Nos villes et quartiers modernes sont laids, alors que nos moyens techniques sont sans commune mesure avec ceux du moyen âge ou de la renaissance. Pourquoi les anciens d’Italie, d’une lagune inhospitalière, ont pu créer un joyau, alors que nous peinons à embellir notre espace ? Que pouvons nous apprendre du développement de Venise, du XIe au XVIIe siècle ? Avertissment: Je ne prétends pas être exhaustif, et j’ai sûrement commis des erreurs. Les informations en Français ou en Anglais sur le droit de propriété vénitien ou le fonctionnement des commissions d’attribution de permis de construire dans la Venise des doges, ne sont pas si faciles à trouver, décrypter, et agréger. Mais je pense avoir a peu près cerné ce qui a permis à Venise d’être la perle de la méditerranée. Je reste bien moins sûr de moi quant aux raisons du relatif déclin de la ville à partir du XVIIe siècle. N’hésitez pas à réagir ou commenter. La république de Venise : un projet politique en réaction aux brutalités féodales Commençons par quelques éléments historiques sommaires. La lagune de Venise était déjà occupée de quelques familles de pêcheurs à la fin de l’empire romain. Mais le développement initial de la ville coïncide avec les invasions des Huns, puis surtout celle des lombards, venus d’Europe du Nord, et qui installent des pouvoirs féodaux très autoritaires dans la vallée du Po et la Toscane, avant le tournant du premier Millénaire. De nombreux italiens, notamment le clergé, fuient la cruauté des ducs lombards et colonisent la lagune, avec dans l’idée de créer une société qui serait l’anti-thèse de la féodalité. Rapidement, des institutions permettant d’éviter le despotisme d’un seul apparaissent. Ainsi, le “Doge”, qui personifie le pouvoir à Venise, n’a rien d’un souverain absolu. Il n’est que l’émanation du “Grand Conseil”, lieu de définition collégiale des orientations politiques dela ville. Et ce conseil n’est pas despotique: son pouvoir est fortement encadré par des conseils des 6 grands quartiers de Venise (“Sestiere”) et par plusieurs cours de justices spécialisées (cour pénale, tribunal de la propriété, etc…) dont la mise en place débute dès le Xe siècle et s’étoffe au fil des décennies. Un droit romain modernisé par les savants de Bologne Parallèlement, Venise se dote d’un “droit civil” permettant à tout un chacun d’entreprendre, et notamment de se tourner vers le commerce maritime. Ce droit fut d’abord inspiré de celui de l’époque romaine, remise au goût du jour par les érudits (“glossateurs bolonais”) de l’université de Bologne. Sa principale caractéristique est de prévoir une stricte égalité en droit civil de tous les vénitiens, de protéger la propriété, et la liberté d’entreprendre pour tous. Si le pouvoir politique reste initialement confié aux “patriciens”, c’est à dire ceux qui donnent leur sang pour défendre militairement la république, tout vénitien peut s’enrichir. Il en résulte que Venise devient rapidement un creuset de prospérité. Très vite, dès le XIe siècle, les institutions politiques issues de la Noblesse se voient complétées d’institutions locales “populaires” où siègent le pouvoir économique, qui créent un contre-pouvoir efficace aux tentations hégémoniques que pourraient avoir certains nobles. Les mariages - Et l’argent !- favorisent le mélange de la noblesse et de la haute bourgeoisie, donnant de fait, dès le XIIe siècle, le poids politique le plus fort aux milieux économiques. La concurrence avec les autres villes d’Italie du Nord La république de Venise, englobant la lagune et les villages côtiers alentours, restera toujours indépendante du saint-empire romain germanique dont l’hégémonie sur l’Italie du Nord ne s’amenuisera qu’à la fin du XIVe et s’achèvera définitivement qu’après la fin du XVIe siècle. Cependant, dès l’an 992, l’empereur Otton III accorde à Venise les mêmes droits commerciaux sur le territoire de l’empire que ceux des villes terrestres. Et très vite, les villes du Nord vont s’inspirer de la modernité politique vénitienne pour créer leurs institutions propres. En effet, les empereurs du Saint Empire se rendent compte qu’ils ne peuvent gérer l’Italie du Nord de façon centralisée depuis Aix la Chapelle. Ils vont donc adopter rapidement des “lois de décentralisation” du pouvoir à leurs vassaux, selon un schéma simple: chaque seigneurie, c’est à dire une ville plus son aire alentours (Contado), devra verser une soulte annuelle à l’empereur en échange de sa protection contre des envahisseurs extérieurs, mais restera relativement libre de s’auto-administrer au plan local. Soucieuses de ne pas se laisser décrocher par Venise, les cités lombardes vont progressivement adopter des institutions calquées sur le même modèle, permettant à un pouvoir économique de prospérer avec la noblesse. Cela donnera une mosaïque curieuse de cités dont les milieux économiques vont collaborer et échanger, pendant que les noblesses oscilleront entre périodes d’alliances et de guerres, parfois interrompues par une incursion des maîtres empereurs allemands pour remettre de l’ordre dans la province. Ainsi, du Piémont à la Toscane, grandissent des villes qui sont concurrentes dans un “marché commun”, sur lesquelles la tutelle germanique lâche permet aux institutions de se développer et d’évoluer rapidement, et où le droit “romain-bolonais” va devenir la base du droit civil. Venise s’inscrira dans ce jeu de collaboration-compétition, bien que n’appartenant pas au saint empire. La ville, qui a inspiré ses voisines, va à son tour leur emprunter certaines expériences qui fonctionnent. Cette émulation concurrentielle est certainement la base du succès économique et culturel de l’Italie du Nord au cours de la première moitié du second millénaire. Le sud de l’Italie (Royaume de Naples) et la Sicile ont eu moins de chance. Du XIIe au XVe siècles, ils furent conquis et placés sous la domination des ducs d’Anjou, qui y instaurèrent un système féodal des plus classiques, et déjà fiscalement gourmand: ce n’étaient pas des français pour rien ! De nombreux historiens situent là l’origine du retard économique irréversible pris par l’Italie du Sud. Droit de propriété, gestio...
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