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Réflexion autour du concept de droit à la concurrence

Jean Louis Caccomo Publié le 13 septembre 2003
3920 mots - Temps de lecture : 9 - 15 minutes
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Chroniques en liberté

L'économiste n'est sans doute pas un spécialiste du droit tout comme le juriste n'a pas vocation à être un expert en économie. Pourtant, les interactions entre ces deux domaines sont fortes et nombreuses comme le montrent les développements importants de la législation sur la concurrence et la volonté qui en découle de vouloir réglementer un nombre croissant de décisions à caractère économique. Il y a sans doute là matière à développer des pistes de réflexion si nous ne voulons pas que se mette en place subrepticement tout un appareil législatif et réglementaire qui pourrait s'avérer de nature à étouffer l'économie à force de prétendre l'encadrer ou la réguler. M'interrogeant sur le rôle et l'utilité du droit en général, il me vient à l'esprit que sa fonction première est de faire en sorte que les hommes aient des comportements qui soient en accord avec un principe d'harmonie sociale. Le droit de la concurrence repose donc sur le présupposé implicite que la concurrence livrée à elle-même – la concurrence « sauvage » – aboutirait à des comportements, des décisions et des résultats non harmonieux ou de nature à briser l'harmonie dans la société. À la loi aveugle et spontanée de l'offre et de la demande, il conviendrait donc de superposer la loi voulue et maîtrisée par le législateur. Il y a là un premier élément de réflexion. Si l'on considère que la concurrence est un processus régulateur en soi, y a t-il un sens à vouloir réguler le régulateur? Y a-t-il un sens à encadrer les mécanismes de marché par la mise en place d'un droit de la concurrence qui se traduira par la prolifération de réglementations, de normalisations et de prohibitions dans des domaines croissants? Il faut bien avouer qu'il n'y a pas beaucoup de façons d'envisager cette question. Soit l'on considère en effet que la concurrence régule les phénomènes économiques et alors il faudra bien laisser s'épanouir les processus concurrentiels dans le plus grand nombre possible de secteurs; soit l'on considère au contraire que les phénomènes économiques livrés à eux-mêmes conduisent au chaos, et c'est l'État qui va réguler et administrer les comportements(1). Il n'y a pas de troisième voie. Or, le droit de la concurrence risque de se fourvoyer dans une illusoire troisième voie qui consiste à tolérer le marché, à condition qu'il soit encadré par l'action correctrice du législateur. Concurrence imparfaite et régulation de la concurrence Dès 1849, Gustave De Molinari posait la question sociale dans les termes suivants: « Les souffrances des masses ont-elles leur source dans les lois économiques qui gouvernent la société ou dans les entraves apportées à l'action bienfaisante de ces lois? »(2) La question du droit de la concurrence en particulier, et de la politique de la concurrence en général, s'inscrit dans cette problématique. La justification du droit de la concurrence repose, en effet, sur l'idée que le marché est caractérisé par un certain nombre de défaillances dommageables à l'ensemble de la société au point qu'il conviendrait de protéger le marché de lui-même. Sans rejeter d'emblée cette idée, doit-elle laisser entendre qu'il existerait dans l'économie un agent à ce point exempt de défaillances qu'il lui reviendrait la charge de corriger les autres? Pourtant, l'origine des défaillances est loin d'être établie clairement. Considérons rapidement l'exemple du marché du travail pour illustrer ce propos. Le marché du travail en France est caractérisé aujourd'hui par la coexistence, d'un côté, d'un nombre important de chômeurs de longue durée et de chômeurs diplômés, et de l'autre, par une pénurie croissante de personnel dans un nombre important de secteurs, que ce soit de personnel qualifié ou non. Le moins que l'on puisse observer est donc une grande défaillance dans la quête d'un équilibre du marché du travail. Face à ce constat, on en appelle généralement aux pouvoirs publics. Pour autant, le marché du travail en France est-il l'exemple d'un marché libre? Il suffit de mentionner l'existence du SMIC, la complexité du droit du travail, le poids des charges sociales, des nouvelles réglementations, la mainmise de l'État sur l'éducation et la formation, pour constater qu'il n'existe pas dans les faits un réel marché du travail. C'est plutôt à une tentative constante de régulation et de manipulation de l'offre et de la demande de travail par des mécanismes réglementaires et administratifs que l'on assiste dans ce cas précis. Et cette tentative se solde par de terribles échecs. Dans ces conditions, le chômage nous renseigne plus sur les défaillances de l'administration et de sa gestion que sur les prétendues défaillances inhérentes au marché libre. Car comment imputer le déséquilibre constaté aux défaillances d'un marché qu'on empêche précisément de fonctionner? La référence implicite – et quasiment inconsciente – du législateur dans le domaine économique est le modèle (pour ne pas dire le mythe) de la concurrence pure et parfaite. Cette définition néo-classique de la concurrence, qui reste la vision académique dominante, repose sur des hypothèses tellement irréalistes que, par contraste, la réalité du processus concurrentiel sera qualifiée du vocable « imparfaite ». Précisons au passage qu'un modèle à prétention scientifique se devrait de se rapprocher le plus possible de l'objet réel qu'il prétend appréhender. Dans le cas de la concurrence, on définit un modèle dans l'absolu et on force la réalité à s'en rapprocher. Et ce rôle qui consiste à forcer la réalité à se rapprocher de l'idéal théorique en sera assigné au droit de la concurrence puisque seul l'État a le monopole de la contrainte légitime. En conséquence, le législateur va se proposer de corriger les « imperfections » dont les modèles théoriques de référence auront postulé l'existence. Mais, l'imperfection étant la règle – puisque rien de ce qui est humain n'est parfait –, l'interventionnisme juridique se généralise et la concurrence libre devient l'exception. Pourtant, ce que les économistes néo-classiques désignent comme « imperfections » à la lumière du modèle de concurrence pure et parfaite est en fait le fondement même de la compétition réelle et effective. Même si le mot « imperfection » est malheureux, il n'est pas hasardeux. Tout comme le déséq...
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