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Régulation financière: le rôle hélas oublié de l'état régalien

Vincent Bénard Publié le 18 mai 2010
5293 mots - Temps de lecture : 13 - 21 minutes
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Objectif Liberté

Le débat sur la "nécessaire régulation" de la finance fait rage, non sans quelque raison. Mais visiblement, personne ne se pose la question des caractéristiques d'une bonne et d'une mauvaise régulation. Aussi beaucoup voudraient qu'il y ait PLUS de règles, et PLUS de régulateurs pour les faire appliquer, croyant que cela suffirait à remettre le secteur financier coupable de tous les maux dans le droit chemin. Or, les échecs, incontestables, du monde financier actuel, ne sont pas le résultat d'un MANQUE de règles. Il sont celui de l'incapacité, pour des raisons variées souvent évoquées ici, des états, de conserver aux réglementations en vigueur leur cohérence, et la capacité de les faire appliquer. On ne peut aborder le sujet de la régulation sans tenter d'en définir des objectifs, les modes d'intervention, les mesures du résultat, avec une démarche intellectuelle rigoureuse. Il n'est pas question de faire le tour de tous ces sujets dans un seul article, mais de progresser au fur à mesure vers une approche systématique et cohérente des différents modes de régulation, de leur efficacité. Voyons aujourd'hui les apports possibles et réels de l'état régalien à la régulation financière. L'état régalien L'Etat régulateur a fixé de nombreux objectifs à ses interventions. Sans discuter de la pertinence de ces objectifs ou de leur atteinte effective, citons: la normalisation technique, la fourniture des moyens de l'échange (routes et monnaie), la prévention des risques, la prévention des faillites bancaires, l'aide aux démunis, la redistribution des richesses, la protection de l'environnement... L'état est il légitime à intervenir dans tous ces domaines ? Est-il efficace ? Pourrait-il l'être ? Tous les articles de ce blog traitent peu ou de cela, pêle mêle. Mais quid de ses fonctions basiques ? Historiquement, le premier rôle des premières formes de pouvoir fut de protéger les communautés des agressions extérieures et des mauvais agissements de certains de ses membres, soit préventivement, soit curativement. Les premières formes de pouvoir étant le plus souvent organisées autour d'un souverain, s'arrogeant le monopole de cette défense, ces missions essentielles furent qualifiées par la suite de régaliennes. Il existe plusieurs courants de pensée au sein du libéralisme. L'un d'entre eux, le courant anarcho-capitailiste, voit en toute forme d'intervention publique une menace implicite et qui pense que toute problématique doit être prise en charge par des institutions de nature privée. L'autre, le courant libéral "classique", largement majoritaire, estime que la société libérale ne peut se passer d'état, pourvu qu'il respecte un certain cahier des charges, pour assumer ces missions régaliennes. Laissons de côté les questions de défense, sans rapport direct avec la régulation financière et économique en général, et intéressons nous plutôt à la régulation de la malhonnêteté, tout à fait essentielle dans un état de droit, et plus particulièrement de la malhonnêteté économique. La régulation de la malhonnêteté : sanction et prévention de la prédation Il existe trois façons de gagner sa vie: s'inscrire dans un système d'échanges libres, y échanger son travail contre celui des autres, et s'y comporter en honnête homme, c'est à dire, selon l'éthique libérale définie par Jacques de Guénin, "s'interdire d'obtenir quoi que ce soit de quiconque par quelqu'un par coercition ou tromperie". Ce comportement peut être qualifié de "producteur", ou "d'honnête homme". A l'opposé du spectre, il existe des individus qui trouvent que la coercition et la tromperie ne heurtent pas leur morale personnelle et qu'il y a pour eux avantage à l'utiliser. Ce comportement est typique du prédateur. Il vise à obtenir plus en donnant moins. Enfin,il existe une troisième famille de comportements, que certains appellent "rentier", "exploiteur" ou "assisté", selon ses préjugés, ou selon que la rente soit d'origine capitaliste, assurancielle, ou d'une politique redistributive des états. La classification des bénéficiaires de ces rentes est l'objet de débats souvent houleux entre libéraux et socialistes, cet article ne l'abordera pas. Retenons simplement que l'homme oscille constamment entre la tentation prédatrice et la raison productrice. L'homme est il par nature bon ou mauvais ? Producteur ou prédateur ? Est il amélioré ou corrompu par le système dans lequel il vit ? A ce jour, il n'y a aucune réponse scientifique sérieuse à cette question qui est l'une des sources majeures de réflexions philosophiques, éthiques et juridiques depuis la nuit des temps. Mais une expérience intéressante apporte quelques éléments de réponse qui en valent bien d'autres. Cette expérience est relatée par Levitt et Dubner (photo) dans le très controversé ouvrage "Freakonomics" qui leur valut un succès d'édition notable, et des polémiques sans fin. Une histoire de Bagels : 13% de "pourris naturels" ? Un fabricant de bagels de l'est des USA, M. Feldman, avait imaginé le modèle économique suivant: il laissait une corbeille de bagels à 1$ aux différents étages des grands établissements de Manhattan, et récupérait le soir la corbeille remplie de dollars et des très rares bagels invendus (ce devaient être de très bons bagels !). Naturellement, une partie des clients prenait les bagels sans payer, car le risque juridique était nul: Tout ce que risquaient les consommateurs indélicats était d'une part, que la connaissance de leur méconduite leur vaille une certaine réprobation sociale de leur entourage, et d'autre part, que la livraison de bagels s'arrête si le produit du vol excédait la marge du fabricant. En contrepartie, le bénéfice du vol était faible: celui qui ne payait pas son bagel pouvait être considéré comme un "malhonnête naturel", c'est à dire quelqu'un dont la tentation malhonnête n'était pas "pervertie" par un risque trop grand ou un espoir de gain trop élevé. Très méticuleux, notre fabricant a consigné toutes ses corbeilles durant des années. La moyenne retournée pour 100 bagels a toujours été à peu près constante autour de 90$ pour 100 bagels, avec un minimum à 87$ avant l'été 2001. La mythologie autour du nombre 13 trouvera là sans doute un nouveau sujet de création artistique ! Plus intéressant, notre fabricant a trouvé que plus la corbeille était posée dans des étages proches de ceux de la haute direction, moins le retour des corbeilles était bon. Cela n'a rien d'étonnant. Ces places sont rares, chères, et il est compréhensible qu'une partie des personnes qui s'y trouvent aient été sélectionnées par leur aptitude aux "coups tordus". Le même phénomène se retrouve au sommet des pyramides politiques, et, lorsque l'on regarde le who's who des politiciens français qui ont été impliqués dans des affaires plus que douteuses, l'on se rend compte qu'au niveau de responsabilités nationales, le pourcentage de gens à la morale personnelle élastique, donc potentiellement prédatrice, excède très notablement 13%. Il ne faut pas faire dire à cette expérience plus qu'elle ne dit. Mais on peut raisonnablement estimer que dans un certain environnement institutionnel et culturel qui est celui des quartiers d'affaires aux USA, le taux de "prédateurs naturels" varie autour de 10-13%, avec une certaine propension à augmenter dans certains milieux, notamment aux sommets des pyramides hiérarchiques. Dans un autre pays avec une autre culture, ce pourcentage serait peut être plus faible ou plus élevé. Au fond, plus de 85% d'honnêtes gens, voilà qui est plutôt rassurant pour l'espèce humaine. Mais évidemment, le problème posé à la société est celui du potentiel de nuisance de la fraction malhonnête restante. Bonnes et mauvaises incitations Intéressons nous aux facteurs qui auraient pu faire varier ce pourcentage. Imaginons maintenant que notre fabricant de bagels ait eu à sa disposition un moyen imparable d'identifier les mauvais payeurs et de leur envoyer un gentil courrier de relance avec menace de dénonciation aux autorités. Le plus probable est que la plupart des 13 % de voleurs auraient soit renoncé à consommer un bagel, soit accepté de payer le dollar réclamé. Notre vendeur aurait alors retiré, disons, 94$ par corbeille de 100 bagels, 4 ou 5 invendus, et le taux de fauche serait tombé à 1 ou 2% par un ou deux irréductibles voleurs congénitaux qui ne pourraient pas s'en empêcher et trouveraient le moyen de contourner la surveillance de M. Feldman. Vous me direz, à ce stade, que vous ne vo...
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