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Soixante-dix ans de sécurité sociale.

Georges Lane Publié le 06 octobre 2015
10258 mots - Temps de lecture : 25 - 41 minutes
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Il y a dix ans, je faisais le point sur ce machin dénommé "sécurité sociale" en France (cf. en particulier ces textes d'octobre 2005 n°1 et n°2). Dans la foulée, je publiai aux éditions du Trident un livre intitulé La sécurité sociale et comment s'en sortir. Rien n'a changé depuis, sinon des déficits de plus en plus lourds malgré l'augmentation des réglementations que supporte chacun d'entre nous et dont s'accommodent les hommes de l'état de tous les horizons politiques. Je reproduis donc ci-dessous, sans changement, le texte. (Merci à Libres.org pour le dessin) I. 4 octobre 1945 et après … le monopole réglementaire. Sur le portail internet conçu par les Caisses nationales de sécurité sociale- créées seulement depuis 1967/68, en particulier, par éclatement de la Caisse nationale de sécurité sociale du régime général - de l'organisation actuelle de la sécurité sociale, on peut lire que : … "En 1945 les bâtisseurs du système français de sécurité sociale poursuivent un triple objectif : unité de la sécurité sociale, généralisation quant aux personnes, extension des risques couverts sous la double influence du rapport BEVERIDGE de 1942 et du système BISMARCKIEN. L'ordonnance du 4 octobre 1945 prévoit un réseau coordonné de caisses se substituant à de multiples organismes, l'unité administrative ne sera cependant pas réalisée et ne l'est toujours pas. Les professions agricoles vont conserver leurs institutions spécifiques dans le cadre de la mutualité sociale agricole. Les salariés des régimes spéciaux vont refuser de s'intégrer dans le régime général et conserver dans un cadre " transitoire " qui dure encore, leurs régimes spécifiques (fonctionnaires, marins, cheminots, mineurs etc..). L'ordonnance du 19 octobre 1945 concerne les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès. La loi du 22 août 1946 étend les allocations familiales à pratiquement toute la population et la loi du 30 octobre 1946 intègre la réparation des accidents du travail à la sécurité sociale. La loi du 22 mai 1946 pose le principe de la généralisation de la sécurité sociale à l'ensemble de la population mais les professions non salariées non agricoles s'y opposeront. Les principes de 1945 dont certains n'ont pu être appliqués rapidement entrent progressivement dans les faits. L'unité administrative de la sécurité sociale n'est toujours pas achevée mais plusieurs évolutions contribuent à la renforcer. Les évolutions démographiques et le développement du salariat ont conduit à la suppression de petites caisses et à l'introduction d'un mécanisme de compensation entre les régimes subsistants, le rapport démographique cotisants/inactifs étant défavorable aux petits régimes qui perdent leurs actifs au profit du régime général. Les différences de prestations et de cotisations entre les différents régimes s'estompent rapidement." Très exactement, l'article 1er de l'ordonnance du 4 octobre 1945 stipule que: … "Il est institué une organisation de la Sécurité Sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs capacités de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent. L'organisation de la Sécurité sociale assure dès à présent le service des prestations prévues par les législations concernant les assurances sociales, l'allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et maladie professionnelle, et les allocations familiales, et le salaire unique aux catégories de travailleurs protégés par chacune de ces législations dans le cadre des prescriptions fixées par celles-ci, et sous réserve de dispositions de la précédente ordonnance. Des ordonnances ultérieures procéderont à l'harmonisation desdites législations et pourront étendre le champ d'application de l'organisation de la sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par les textes en vigueur" Mais il y a beaucoup plus important à faire connaître et ne pas le signaler est pour le moins de mauvais augure. Ce que n'indique pas le portail internet, c'est que les Français sont aux dates citées dans une situation de vide institutionnel presque total, de néant constitutionnel, et aux mains d'autorités plus ou moins auto proclamées puisque la Constitution de la IVè République ne sera votée que le 27 octobre 1946, c'est-à-dire plus d'une année plus tard ! Il conviendrait aussi de souligner qu'à aucun alinéa des 106 articles du texte de la Constitution, il n'est question de l'organisation de la sécurité sociale. Quant au préambule si souvent évoqué à d'autres occasions, il précise en particulier qu' : … "1. Il proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : 2. La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. 3. Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. 4. Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. 5. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. 6. Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. 7. Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. 8. Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. 9. La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. 10. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. 11. La Nation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. 12. La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat. […]" En d'autres termes, préambule et articles de la Constitution de la IVè République sont muets sur l'organisation de la sécurité sociale obligatoire en cours. Force est de reconnaître que le texte la fait donc échapper à la sagacité et au vote des Français. A priori, l'Etat et l'organisation de la sécurité sociale obligatoire (en abrégé O.S.S.O.) vont faire deux. Implicitement, le texte laisse entendre, pour qui tend l'oreille bien sûr, que l'organisation constitue un coup d'Etat sans précédent - et, semble-t-il, sans mort - et la pose en para- ou méta-Etat. Et à la Constitution va se juxtaposer progressivement un droit de la sécurité sociale, "droit exorbitant" (selon l'expression de J.J. Dupeyroux dans son livre Droit de la sécurité sociale) dont la construction fera qu'il n'a aujourd'hui comme rival, en nombre de textes pondus, que, peut-être, le droit fiscal. Ce ne sont pas non plus les références que donne le portail internet de l'OSSO qui changeront quoi que ce soit à ces faits. Quelles sont les références ? Il y en a deux données à l'occasion d'un développement purement arbitraire sur quoi je n'insisterai tant il y a, pour le moins, d'inexactitudes proférées ! … "Loi n° 2003-775 du 21 août 2003, art 1er - « La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. » Loi n° 2004-810 du 13 août 2004, art 1er – « La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance maladie. »" On conviendra aisément que, pour n'avoir jamais affirmé quoi que ce soit sur tel ou tel point, la Nation ne saurait le réaffirmer. D'ailleurs pourquoi cette différence de ton entre 2003 et 2004: on prétend "réaffirmer" en 2003, mais on ne fait qu'"affirmer" en 2004. A quand l'amende honorable pure et simple pour avoir dupé 60 ans ? Si de jure, la France est sortie de la Constitution de la IVè République pour se mettre dans celle de la Vè, puis de facto de celle de la Vè République pour dériver dans ce qu'on supporte aujourd'hui, il faut se rendre compte qu'elle agonise à l'heure actuelle du fait de ce droit exorbitant dit de la sécurité sociale qui a émergé un certain 4 octobre 1945, il y a soixante ans. II. 19 octobre 1945 et après … l'adhésion obligatoire. Le titre 1 - de l'Ordonnance n° 45/2454 du 19 octobre 1945 - dénommé "Champ d'application" est essentiel: c'est lui qui a institué l'obligation esclavagisante ou asservissante (selon les goûts: esclave ou serf...). Il l'institua en ces termes : … "Article premier. Les assurances sociales couvrent les risques de maladie, d'invalidité, de vieillesse et de décès, ainsi que des charges de maternité, dans les conditions ci-après. Article 2 Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes de nationalité française de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. Article 3 Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article 2 ci-dessus, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de l'outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires : [Suit une longue liste de professions] […] Article 5 Les travailleurs étrangers remplissant les conditions visées à l'article 2 ci-dessus sont assurés obligatoirement, dans les mêmes conditions que les travailleurs français. Lesdits travailleurs et leurs ayants droit bénéficient des prestations d'assurances sociales s'ils ont leur résidence en France. Les mêmes dispositions s'appliquent aux étrangers ayant leur résidence à l'étranger et leur lieu de travail permanent en France, s'il a été passé à cet effet une convention avec leur pays d'origine. Les assurés visés aux deux alinéas ci-dessus, qui cessent d'avoir leur résidence ou leur lieu de travail en France conservent le bénéfice de la rente inscrite à leur compte individuel d'assurance vieillesse à la date du 1er janvier 1941 et éventuellement les avantages susceptibles de résulter pour eux de conventions diplomatiques. Article 6 Le règlement général d'administration publique fixe les modalités suivant lesquelles est effectuée l'immatriculation aux assurances sociales des travailleurs remplissant les conditions requises pour être affiliés." Tels sont les articles qui ont institué la cage de l'O.S.S.O. où nous nous trouvons aujourd'hui, en France. Pour fixer les idées sur le passé de cette ordonnance du 19 octobre 1945, je retiendrai aussi dans le titre VI intitulé "dispositions transitoires" : … Article 127 Les personnes qui n'étaient pas assujetties au régime obligatoire des assurances sociales antérieurement à la publication de la présente ordonnance et qui le deviennent du fait de cette publication pourront, si elles avaient souscrit volontairement, avant cette date, des contrats en vue de la constitution de retraites ou d'assurances vie auprès d'organismes publics ou privés, résilier en tout ou en partie leur contrat, sans que cette résiliation entraîne la déchéance des droits résultant des versements déjà effectués par elles. Un règlement d'administration publique pris sur le rapport du ministre du travail et de la Sécurité Sociale, du ministre de l'économie nationale et du ministre des finances, fixera les conditions et les modalités selon lesquelles les intéressés pourront exercer cette faculté. Article 127 bis Les travailleurs salariés ou assimilés, qui ont été exclus du régime général des assurances sociales pendant tout ou partie de la période écoulée du 1er juillet 1930 au 1er janvier 1947 du fait que le montant de leur rémunération était supérieur au chiffre limite d'assujettissement aux assurances sociales, peuvent, quel que soit leur âge au 1er janvier 1947 et même s'ils n'exercent plus à cette date une activité salariée, être intégralement rétablis, au regard de l'assurance-vieillesse, dans les droits qu'ils auraient eus si le régime général des assurances sociales leur avait été applicable pendant cette période. Article 128 Sont abrogées toutes dispositions contraires à la présente ordonnance, qui entrera en vigueur le 1er janvier 1946, sauf en ce qui concerne les dispositions pour lesquelles des décrets fixeront une date d'entrée en application différente. Il est à souligner que le Chapitre III du titre IV intitulé "Contentieux judiciaire" verra ses quatre articles 106, 107, 108 et 109 abrogés par la loi du 24 octobre 1946, loi votée par un parlement enfin élu, dans une France avec un état enfin constitutionnalisé par le texte de la IVè République qui venait d'être agréé par referendum. En effet, voici la chronologie de la construction de la IVe République 21 octobre 1945 : élections législatives : PCF = 26%; MRP = 24 %; SFIO = 23%. Référendum : "Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit une Assemblée constituante ?" : 96% de oui. 5 mai 1946 : référendum : proposition de Constitution, soutenue par PCF et SFIO : 53 % de non. 2 juin 1946 : élections législatives constituantes : MRP en tête. Les trois partis ont plus de 75 %. 13 octobre 1946 : référendum : proposition de constitution : 53 % de oui. Que n'ont-ils abrogé les autres articles ! Comme l'a souligné Friedrich von Hayek dans Constitution de la liberté (1959) (traduction française en 1994 par R. Audouin, J. Garello et G. Millière, chez Litec, coll. Libéralia, Paris) : "Dès le début, 'assurance sociale' ne signifia donc pas seulement assurance obligatoire, mais adhésion obligatoire à un organisme unitaire contrôlé par l'Etat" (Hayek, 1994, p.287) En vérité, en France, "assurance sociale" signifia adhésion obligatoire à une organisation dont les constructeurs voulaient qu'elle fût "unitaire", "universelle", mais qui donnera lieu à ce qu'on dénommera "régime général" par opposition à d'autres régimes (agricole, spéciaux, etc.) existant alors ou qui seront créés postérieurement. Et rétrospectivement, on ne peut que constater que la régime général a eu une fâcheuse tendance à absorber progressivement les autres régimes qui dépérissaient faute de cotisants ou pour d'autres raisons (dernier régime absorbé: celui de l'EDF pour des raisons de privatisation). Et ce n'est pas fini. Autre originalité française : ce ne sont pas les hommes de l'Etat qui contrôlent, ou de très loin et si peu (comme va d'ailleurs le regretter la Cour des Comptes à partir de 1952, de plus en plus), ce sont surtout les hommes des syndicats dits "représentatifs" qui dirigent et ...contrôlent. Il reste que Hayek a ajouté : "Si au départ, on a mis l'accent sur le fait que l'organisation unique et obligatoire serait la plus efficace, d'autres considérations aussi étaient manifestement présentes à l'esprit de ses partisans. […] Seule une institution d'Etat monopolistique peut agir, elle, sur la base d'un principe d'allocation selon le besoin, sans tenir compte d'une obligation contractuelle […] Seule aussi une institution de ce genre peut être en mesure – et c'est le second objectif majeur – de redistribuer les revenus entre personnes ou groupes de la façon q...
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