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Un gros oubli.

Georges Lane Publié le 01 avril 2017
7542 mots - Temps de lecture : 18 - 30 minutes
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1. Remarques préliminaires. Longtemps, l'économie politique a procédé de la théorie dite "de la valeur". Il ne semble pas excessif de dire que celle-ci a même été au départ de l'économie politique (cf. ce texte de juillet 2014). a. Economie politique et autres sciences. Cette position que lui ont donnée les premiers économistes, a contribué à séparer l'économie politique des autres sciences, les autres étant "welt freiheit ", c'est-à-dire ignorantes de la notion de "valeur" compte tenu de l'axiome que la réalité était libre ... Le savant non économiste ignorait ainsi la notion de "valeur" et, en particulier, celle de "coût". b. Une erreur. Mais il y a eu, en particulier, la mauvaise démarche qu'a évoquée, il y a quelques décennies, Raymond Barre (1969) à cause, vraisemblablement, des propos erronés de Joseph Schumpeter (1883-1950), socialiste bon teint, aux termes de quoi : "L'histoire de l'économie politique peut être faite de deux points de vue que Joseph Schumpeter a bien mis en évidence : 1) II est d'abord possible de retracer l'évolution de la pensée économique : il convient alors d'étudier les opinions, les doctrines, les documents de politique économique, qui ont trouvé dans les faits économiques des diverses époques leur inspiration et qui se rattachent à des systèmes d'économie politique fondés sur certains principes normatifs. 2) II est aussi possible de décrire l'évolution de la science économique, c'est-à-dire des hypothèses, des outils d'analyse par lesquels les économistes se sont efforcés de maîtriser la réalité économique et d'en fournir une explication. « Par histoire de l'analyse économique, écrit Schumpeter dans son livre posthume, j'entends l'histoire des efforts intellectuels que les hommes ont fait pour comprendre les phénomènes économiques, ou ce qui revient au même, l'histoire des aspects analytiques ou scientifiques de la pensée économique » (History of Economic Analysis, p. 3). Dans ce chapitre, nous ne serons pas fidèles à une tradition qui fait consacrer en France de longs développements préliminaires à l'histoire de la pensée économique. Beaucoup d'économistes ont été des réformateurs politiques et sociaux ; aussi leurs oeuvres figurent-elles à bon droit dans les histoires de la pensée économique, dans des études sur les grandes oeuvres politiques ou dans des histoires des doctrines sociales. L'intérêt de ces oeuvres est certes grand sur le plan des idées et de la culture ; mais si Fourier, Cabet ou Bastiat sont des personnalités attachantes, on peut s'interroger sur l'importance de leur contribution à la connaissance des phénomènes économiques et de leurs relations. De surcroît, l'histoire de la pensée économique présente souvent l'inconvénient de mêler - ce qui relève de la science économique, c'est-à-dire l'exposé d'uniformités théoriques concernant les faits, et - ce qui relève de la doctrine, c'est-à-dire les jugements de valeur qui procèdent d'une opinion personnelle (religieuse, éthique ou politique), d'une conception du monde (Weltanschauung). Or on conviendra qu'il y a, par exemple, quelques différences entre - une théorie de la détermination du salaire sur le marché du travail, qui permet d'expliquer le niveau effectif des salaires, et - une doctrine qui se prononce sur tel ou tel niveau de salaire jugé souhaitable dans un livre classique : Scope and Method of Political Economy (p. 34), John Neville Keynes distingue : « Une science positive... un corps de connaissances systématisées concernant ce qui est ; une science normative ou régulatrice... corps de connaissances systématisées discutant des critères de ce qui doit être... ; un art..., un système de règles pour atteindre un but donné» ; l'auteur ajoute que la confusion entra ces divers plans de pensée est source d'erreurs nombreuses et fâcheuses. ll serait regrettable de négliger cette distinction. Une telle attitude conduirait d'ailleurs à mettre en relief les désaccords qui naissent entre économistes de leurs diverses conceptions du monde et à négliger le fonds d'explications communes à tous les économistes, qui peut constituer un terrain d'entente pour des hommes d'opinions opposées. Il est alors aisé, devant l'arc-en-ciel des doctrines, de parler de faillite de l'économie politique. Lionel Robbins note avec humour et bon sens : « Enfermez M. Hawtrey dans une chambre comme secrétaire d'un Comité composé de Bentham, de Boudha, de Lénine et du président de United States Steel Corporation, réunis pour statuer sur la morale de l'usure et il est peu probable que M. Hawtrey puisse produire un document voté à l'unanimité. Réunissez ce même comité pour déterminer les résultats objectifs d'une réglementation gouvernementale du taux de l'escompte, et il ne semble pas dépasser les possibilités humaines d'obtenir l'unanimité ou tout au moins un rapport majoritaire, Lénine votant peut-être contre» (Essai sur la nature et la signification de la science économique, p. 145). Nous insisterons essentiellement, pour notre part, sur l'histoire de la science, ou de l'analyse économique. Il est évident que nous ne pourrons la retracer dans le détail : cela supposerait en effet une connaissance précise des phénomènes et des mécanismes économiques. Une telle étude ne peut être qu'un couronnement. Aussi nous bornerons-nous à tenter de signaler l'état de la science économique contemporaine en marquant les principaux jalons de son développement. Nous décrirons d'abord la constitution de la science économique en partant du point de vue que « le seul critère, et le plus important, de la maturité d'une science, c'est l'état de sa théorie systématique » (Talcott Faisons). (...) Nous distinguerons dans cette évolution 4 phases : - la phase pré-scientifique jusqu'au XVIIIème siècle, - la phase de la naissance de la science économique (1750-1870), - la phase de découverte et d'élaboration des principes théoriques fondamentaux (1870-1930), - la phase contemporaine d'approfondissement et d'extension." (Barre, Economie politique, Thémis, 1969) N'y pensons plus. c. L'émergence socialiste. Reste qu'à partir du XVIIIème siècle, l'émergence de ce qui allait devenir le "socialisme", avait tendu à dénaturer le propos initial de l'économie politique, à savoir la "théorie de la valeur", ou à le faire oublier, ou les deux... En effet, des économistes ont amené des gens à affirmer que l'économie politique était "welt freiheit" quand ils n'hésitaient pas à dire qu'elle n'était pas une science. Et ils sont partis de telle ou telle mathématique ou de telle ou telle transposition des sciences physiques, biologiques ou autres pour développer des faits ou phénomènes économiques qu'ils voulaient expliquer. d. Bastiat et Pareto. Entretemps (cf. texte de janvier 2007), comme pour mettre un terme à la divagation qu'il constatait en 1850, Frédéric Bastiat (1801-1850) avait fait le point sur le "principe de la valeur" en économie politique dans le livre intitulé Harmonies économiques. D'après lui, la "valeur", c'était alors: - pour Adam Smith (1723-1790), la matérialité et la durée, - pour Henri Storch (1766-1835), le jugement, - pour Jean Baptiste Say (1767-1832), l'utilité, - pour David Ricardo (1772-1823), le travail, - pour Nassau Senior (1790-1864), la rareté. En d'autres termes, Ricardo n'avait pas été original. Dans la droite ligne de Smith, de la matérialité et de la durée, il avait privilégié quelque chose de non matériel, un objet non matériel, un service, à savoir le travail. En mettant l’accent sur un des "facteurs de production", valeurs en général, il cachait le privilège donné par le savant économiste, à la production sur l'échange comme si la production était plus importante que l'échange, comme si l'action humaine était d'abord action de production avant d'être action d'échange... Pour sa part, Storch avait mis l’accent sur le jugement de valeur de la personne sur la chose. A sa façon, Say avait ciblé la notion en introduisant la valeur « utilité » de la chose (cf. un de ses livres où intervenait Say https://archive.org/details/coursdconomiepo02saygoog). Senior n'avait pas été non plus original. Il avait mis l'accent sur un aspect de la matérialité et de la durée de Smith qu'il avait dénommé "rareté". La "rareté" cachait, à la fois, la quantité d’objet matériel à l'instant "t" et une norme ignorée, à savoir celle que ceux qui en parlaient dénommaient ainsi. A la question de l'état de la « théorie de la valeur" proposé par Bastiat, quelque temps plus tard, Vilfredo Pareto (1848-1923) a ajouté, pour sa part, dans son Cours d'économie politique (1896-97), les propos de : - Karl Marx (1818-83) qui faisait référence explicitement à la "marchandise" et au "travail" et dont lui-même n'a pas hésité à démontrer les erreurs (cf. par exemple §18), - Gustave de Molinari (1819-1912) qui expliquait la valeur par l'"intensité comparée des besoins" (cf. §81) et - W. Stanley Jevons (1835-82) qui, selon lui, aurait introduit en économie politique le concept de "taux d'échange" d’une marchandise en une autre (cf. §74) et qu'il a préféré dénommer "prix d'une chose en une autre chose", ne mettant pas ainsi, malheureusement, l’accent sur l’accord convenu entre les parties. Et puis plus rien de fondamental depuis lors, à ma connaissance, sinon l’utilité transformée par telle ou telle mathématique en fonction continue dérivable ou seulement continue ... e. Evaluation ou mesure. Il convient de distinguer, - d'un côté, la question de la "valeur" donnée par la personne aux notions de "objet matériel" ou de "service" (par définition objet non matériel) ou à la notion d'"acte humain", qui résultent de son évaluation, et, - de l'autre, celle de sa "mesure". Evaluer un objet matériel ou un service n'est pas, en effet, le mesurer. Le savant économiste donne une valeur, il ne la mesure pas nécessairement, physiquement ou autrement. Il peut la mesurer au moyen de la référence à telle ou telle mathématique ou au moyen d'un instrument de physique ou de chimie ou de toute autre science. f. Sans valeur ou de valeur nulle. Il convient de ne pas confondre, non plus, - d'un côté, quelque chose à quoi la personne qui en parle n'a pas donné de valeur - elle l'a dite alors "sans valeur" - et, - de l'autre, quelque chose à quoi elle a donné une "valeur nulle", une "valeur égale à zéro" - merci aux chiffres de l'arithmétique ... Dans les deux cas, la valeur donnée n'apparaît pas dans les résultats du raisonnement sur quoi l'économiste a mis l'accent, tout se passe comme si, dans le second cas, elle avait disparu... 2. Les faits. Avant que les approches du socialisme perpétuassent leurs destructions perdurantes, en particulier, en faisant oublier la "théorie de la valeur", les économistes ont défini, comme types de "valeur", un nombre croissant de notions courantes dont il s'agirait de ne pas s'écarter d'autant qu'ils ne les ont jamais comparées, au moins de façon explicite. Rétrospectivement, on peut dire que sont apparues, dans l'ordre ; - les choses elles-mêmes et les biens ou maux qui leur étaient donnés naturellement par les gens; - les marchandises (échanges) et leurs quantités échangées, leurs taux ou rapport d'échanges de quantités, - les objets matériels ou les services (objets non matériels ou immatériels), leurs quantités (travail, information, chance de gain ou risque de perte, etc.), leurs taux ou rapports de quantités ; - les produits et les facteurs de production (travail, capital, matières premières, etc.), leurs quantités, les taux ou rapport des quantités (productivité, efficacité, rendement, etc.) ; - ce qu'on a dénommé "monnaie", intermédiaire des éc...
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