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Un insider raconte: comment l’Europe a étranglé la Grèce Par christian salmon, MEDIAPART

Liliane Held-Khawam Publié le 08 juillet 2015
4246 mots - Temps de lecture : 10 - 16 minutes
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07 juillet 2015 | Quelques jours avant le référendum, un conseiller important du gouvernement grec, au cœur des négociations avec Bruxelles, a reçu Mediapart. Il raconte les cinq mois du gouvernement de Syriza, les discussions avec les Européens, la situation catastrophique de la Grèce. Il détaille surtout la stratégie d’étouffement mise en place méthodiquement par l’Eurogroupe et l’asphyxie financière qui a détruit l’économie grecque. Voici le texte de cet entretien au long cours. Athènes, de notre envoyé spécial.- Quelques jours avant le référendum, un conseiller du gouvernement a reçu plusieurs journalistes français, dont Christian Salmon pour Mediapart (lire notre boîte noire). Il leur a raconté les cinq mois du gouvernement de Syriza, les discussions avec les Européens, la situation catastrophique de la Grèce. Notre interlocuteur était durant tout ce temps au cœur de la machine ministérielle en charge des négociations avec l’Union européenne. Il n’est pas tendre avec les institutions, décrit une stratégie délibérée d’étouffement menée par les institutions européennes, mais juge aussi sévèrement certaines décisions du gouvernement grec. Voici son récit au long cours. (traduction Martine Orange) ———————- Depuis le début, je n’étais pas d’accord sur la façon dont nous avons négocié avec les Européens. Le gouvernement grec a eu des discussions, des arrangements sur la politique budgétaire, sur les conditionnalités, etc. Mais dans ces discussions, c’était toujours le gouvernement qui faisait les concessions, qui se rapprochait de la Troïka, sans qu’eux [les Européens] ne fassent le moindre mouvement vers nous. Ils n’ont jamais discuté de la dette : la restructuration de la dette, sa soutenabilité. Ils n’ont jamais discuté des financements : est-ce que la BCE allait lever toutes ses restrictions ? Dans quelles limites les banques allaient-elles pouvoir emprunter, et l’État emprunter aux banques ? Parce que nous ne pouvons rien emprunter. Nous pouvions le faire jusqu’en février. Nous pouvions encore émettre des billets de trésorerie. Des titres à court terme, des obligations à taux fixe à trois mois, la plupart à un an. Mais ce gouvernement n’a jamais été autorisé à utiliser de tels instruments. À son arrivée, c’était fini. La BCE a dit « plus de billets de trésorerie » (voir La BCE lance un coup d’État financier). Alors, l’État ne pouvait plus emprunter auprès des banques. Aussi, à partir de mars, nous avons commencé à économiser tout ce que nous avons pu dans les dépenses de l’État. Nous avons regroupé toutes les réserves d’argent des différentes branches, des agences, des autorités locales pour payer le FMI. Nous avions un problème avec les finances publiques, avec l’excédent primaire, nous ne pouvions pas payer le FMI, alors nous avons dû gratter partout. Cela a conduit à une réduction interne de la liquidité en cash. Les banques, les entreprises exportatrices, les entreprises manufacturières ne pouvaient plus emprunter. Les gens ne pouvaient plus payer leurs dettes. Ils ne pouvaient plus obtenir la moindre extension de crédits. Le système de crédit a commencé à ne plus fonctionner, à se désintégrer. Bien sûr, les banques avaient des réserves de sécurité. Mais quand ils sont arrivés au point de décider que les banques ne pouvaient même pas accéder aux fonds d’urgence de liquidité [emergency liquidity assistance, ELA], les banques ont dû fermer, parce qu’elles ne pouvaient pas épuiser leurs réserves. Les entreprises qui ne versent pas les salaires sur des comptes bancaires ne peuvent pas payer leurs salariés en cash. Et il y en a beaucoup. Elles disent : « Nous n’avons aucun chiffre d’affaires, alors je vous verse 500 euros au lieu de 800. Nous verrons ce qui arrive après la réouverture des banques. » Nous sommes dans une situation qui, d’escalade en escalade, se transforme en réaction en chaîne, une sorte de lente panique bancaire et d’effondrement. C’est une sorte d’infarctus, si vous voyez la liquidité comme le sang de l’économie. Le week-end dernier, quand la BCE a tout arrêté, nous avons eu une crise cardiaque. Maintenant nous en avons les contrecoups. Différents organes sont paralysés. Certains ont arrêté de fonctionner, d’autres essaient mais n’ont pas assez de sang. Varoufakis n’est pas dans la norme Les gens se demandent pourquoi Yanis Varoufakis est si impopulaire au sein de l’Eurogroupe, pourquoi ils ne l’aiment pas… Beaucoup de gens disent qu’il semble toujours leur faire la leçon, qu’il paraît arrogant. Mais je pense que ces personnes, spécialement les politiques dans l’Eurogroupe, les autres ministres, ont vu un personnage très différent de tous ceux qu’ils ont pu rencontrer dans leur cercle, différent des autres élus dans le cadre d’un processus politique normal. Et c’est vrai, non ? Vous avez un homme qui a sa propre manière de s’habiller [référence à ses blousons en cuir et à son absence de cravate – ndlr]. Il est très sûr de lui et en même temps il est très amical, très ouvert, très honnête. Quand vous lui posez une question, il ne tourne pas autour du pot, il ne change pas de sujet. Et cela crée une difficulté, à la fois pour les politiques, les journalistes et les médias. Rien que ces deux faits montrent que Varoufakis n’est pas dans la norme : il n’est pas convenable, aux yeux des autres. En même temps, c’est une célébrité et il suscite des avis très tranchés : soit vous l’aimez, soit vous le détestez. Il y a une panique face à l’idée que même si les banques rouvrent, elles devront être recapitalisées Normalement, la liquidité sur le marché, l’argent [en numéraire – ndlr] qui circule, se situe autour de 10 milliards d’euros. Maintenant, avec ce qui est arrivé, les gens gardent leur argent sous leur matelas, et la liquidité est autour de 50 milliards d’euros. 50 milliards d’euros en numéraire sont en circulation et la BCE a tout arrêté. Les gens qui ont sur leur compte 20 000, 30 000, 40 000 euros, peuvent seulement tirer 60 euros par jour. Si vous avez plusieurs comptes, vous pouvez tirer plus. Mais que se passe-t-il pour les gens qui n’ont pas d’épargne, qui vivent de leur seul salaire ? À la fin de chaque mois, ils sont fauchés jusqu’à ce que le chèque arrive. Et soudain, ils ne peuvent obtenir que 60 euros. C’est la fin du mois. C’est le moment où les gens sont payés. Ils font la queue devant les distributeurs et ils ont...
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Par Liliane Held-Khawam via lilianeheldkhawam.wordpress.com
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