en suivant ce qu’avaient écrit Frédéric Bastiat (1850) puis, un demi siècle
plus tard, Vilfredo Pareto (1896-97) sur la question.
Frédéric Bastiat (1850), p.140.
dans Paillotet, P. (ed.), Oeuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome
sixième, Harmonies économiques, chap. "De la Valeur",
Guillaumin et Cie., cinquième édition, Paris, 1864, 656p.
Et l'ennui a perduré.
a. Arithmétique politique.
A défaut, et
à supposer que l'économie politique soit restée l'"arithmétique politique"
dont parlaient au XVIIème siècle
William Petty ou au XVIIIème siècle
Denis Diderot, les économistes qui le pensent devraient au moins, pour être
"logiques", suivre la ligne que leur a dévoilée Georg Cantor (1845-1918) tout
en faisant, bien sûr, comme si le théorème que Kurt Gödel (1906-78) a développé
sur les limites de l'arithmétique (cf. ce texte) n'avait jamais vu le
jour au XXè siècle.
b. Frédéric Bastiat et le principe de la
valeur.
En 1850, dans le livre intitulé Harmonies économiques, Frédéric
Bastiat (1801-50) a fait le point sur le "principe de la
valeur", point de départ de l'économie politique.
D'après lui, la valeur, c'était alors (par ordre de naissance) :
- pour Adam Smith (1723-1790), la matérialité et la durée,
- pour Henri Storch (1766-1835), le jugement,
- pour Jean-Baptiste Say (1767-1832), l'utilité,
- pour David Ricardo (1772-1823), le travail,
- pour Nassau Senior (1790-1864), la rareté.
Etaient, chacune, "valeur", les choses (objets ou services), les
quantités de choses, les taux ou rapports, substitutions d'une (quantité
de) chose à une autre, les utilités données aux choses, dont le service
qu'était le travail et sa quantité, ou encore la rareté jugée sur une
chose, étant donné une norme de référence (de quantité) tacite.
On peut penser que Storch avait généralisé, sans le savoir ou en le sachant,
l'originalité de la notion d'utilité de Say, en y voyant un jugement de la
personne sur la chose (cf. un de ses livres où intervenait Say https://archive.org/details/coursdconomiepo02saygoog).
Ricardo n'avait pas été original.
Dans la droite ligne de Smith, de la matérialité et de la durée, il avait
privilégié un des facteurs de la production, à savoir le travail,
cela cachant le privilège donné par l'économiste à la production
sur l'échange comme si la production était plus importante que l'échange,
comme si l'action humaine était d'abord action de production et non pas action
d'échange (cf. Mises) ...
Pour sa part, Senior n'avait pas été non plus original.
Il avait mis l'accent sur un aspect de la matérialité et de la durée de Smith,
il l'avait dénommé "rareté".
La "rareté" cachait la quantité de chose à l'instant "t" et une norme ignorée,
à savoir celle que ceux qui en parlaient dénommaient ainsi.
Tacitement, chez ces auteurs, il y avait aussi les marchandises et leurs
quantités, d'une part, et, d'autre part, les prix définis d'une façon ou d'une
autre.
Résumée par H.L. Asser en 1893 (cf. ci-dessous, plus bas), la théorie de la
valeur de Bastiat est la suivante (les intertitres [...] sont de mon
cru):
"[.
La théorie de la valeur].
Pour prouver ma thèse, je mettrai les Harmonies de Bastiat à côté de
l'oeuvre des écrivains v. Böhm-Bawerk et von Wieser*,
_____________________
* Harmonies Economiques, par F. Bastiat, Paris, 1851 ;
Kapital und Kapitalzins, von Dr. E. v. Böhm-Bawerk (1851-1914),
Innsbrück, 1889 ;
Der Natürliche Werth von Dr. F. v. Wieser (1851-1926), Wien,
1889.
______________________
les apôtres de la néo-économie, qui ont adopté et élaboré les idées de Menger
et de Stanley Jevons.
[. L'origine de la valeur des choses]
On sait que Bastiat trouva l'origine de la valeur des choses dans le service
qu'elles nous rendent, là où nous combattons les obstacles qui se mettent entre
nos désirs et leur satisfaction.
La valeur dépend par là, selon Bastiat, aussi bien de la grandeur de notre
désir, que de l'efficacité du service.
Sans aucun doute, notre estimation personnelle de l'aptitude de
l'objet à nous conduire au but, et notre estimation personnelle de ce
but auront une grande influence sur la fixation de la valeur du service dont
nous croyons l'objet capable.
Notre estimation du service de l'objet en question dépend
- de la quantité dont nous pouvons disposer, et
- de la comparaison de cet objet à d'autres, capables, eux aussi, de nous
conduire au même but.
C'est donc l'estimation personnelle, dépendant de l'utilité et de la
rareté !
Voilà l'opinion de Bastiat ;
eh bien, c'est précisément la théorie des néo-économistes, ce sont leurs
propres paroles.
Eux aussi trouvent l'origine de la valeur dans l'existence d'obstacles entre
les besoins humains et leur satisfaction.
Tous leurs traités sur la valeur commencent par des chapitres, consacrés aux
besoins de l'humanité.
On lit chez eux des définitions, telles que :
« décisif pour la grandeur de la valeur est :
1° lequel entre nos besoins dépend de l'objet ? et
2° quelle est l'importance de ce besoin ?* »
_________________________
* V. Böhm-Bawerk, Kapital und Kapitalzins, II, page 148.
_________________________
et ailleurs*:
« aux sortes de besoins correspondent les sortes de biens et le jugement sur la
valeur de celles ci correspond au jugement sur l'importance de ceux-là »
*
_________________________
* Von Wieser, der Natürliche Werth, page 11.
__________________________
et d'innombrables formules de ce genre.
[. L'estimation personnelle.]
Examinons maintenant de plus près les trois éléments, qui constituent la
valeur.
En premier lieu l'estimation personnelle.
Ceci est l'élément que les néo-économistes ont choisi comme fondement de leur
théorie, ce qu'ils nomment la valeur subjective*
________________________
* V. Böhm-Bawerk, ibidem, page 137.
________________________
comme terme plus juste pour ce qu'on appelait autrefois la valeur
d'utilité.
« I1 ne fut donné » selon eux, « qu'aux explorateurs derniers de découvrir dans
cet élément, négligé par tous leurs prédécesseurs, le porteur d'une des
théories les plus importantes de l'économie politique, l'objet de lois fort
remarquables,
- dont la portée dépasse de beaucoup les limites de la théorie de la valeur
et
- qui servent de base à toute définition théorique de notre science* ».
_________________________
* Cf. Böhm-Bawerk ibidem, page 136.
_________________________
Je pourrais citer bien d'autres passages encore prouvant la conviction de ces
auteurs, qu'ils ont réformé l'économie politique de fond en comble en prenant
pour base la valeur subjective*
________________________
* Voir v. Wieser» VII :
« II n'y a plus personne maintenant qui saurait nier que la théorie de la
valeur devra être réformée de fond en comble. »
________________________,
prouvant aussi, qu'ils sont très fiers de leur apparente découverte ;
entre autres M. von Wieser écrit dans la préface de son livre Der
Natürliche Werth :
" je peux dire qu'on n'a jamais publié une théorie de la valeur plus complète
que celle que je développe ici ".
Mais cette « valeur subjective » n'est-elle pas la même chose que le service,
dont nous croyons un objet capable pour la satisfaction de nos besoins ?
Sans aucun doute.
Qu'on lise dans l'ouvrage cité de v. Böhm-Bawerk (page 147) :
" Die ganze Theorie vom subjectiven Werthe ist nichts anders aïs eine grosze
Kasuistik darüber ;
wann, tinter welchen umstânden und wieviel von einem Gute fur unsere Wohlfahrt
abhängt ".*
_______________________________
* "Toute la théorie de la valeur subjective n'est autre chose que cette grande
casuistique ;
quand, sous quelles conditions et en quelle mesure une chose contribue-t-elle à
notre bien-être "
_______________________________
Est-ce autre chose que le service que les objets nous rendent ?
Peut-on s'imaginer rien de plus subjectif que la théorie de Bastiat, qui nomme
par exemple comme base de la valeur du chant ou de la comédie :
« Que, parmi les plaisirs, dont ils (les hommes riches ou aisés) sont le plus
avides, figure au premier rang celui d'entendre la belle musique de Rossini,
chantée par Mme Malibran ou l'adorable poésie de Racine, interprétée par Rachel
*...
_______________
* H. E. , page 144.
_______________
Tout dépend du jugement qu'on porte des services, témoin la grande valeur de
certaines reliques, qui sont payées si cher par les croyants »*.
_______________
* H. E., page 147.
_______________
La valeur en dépendant du service, qu'un objet nous rendra, doit correspondre à
notre jugement sur l'utilité* de cet objet.
_______________
* H. E., page 140.
_______________
Et n'est-ce pas là la valeur subjective ?
De même Bastiat avait déjà condamné l'opposition de valeur d'usage et valeur
d'échange*;
_______________
* H. E., page 153.
_______________
on sait qu'il a remplacé ces termes par utilité (gratuite et onéreuse) et
valeur.
Tout ce qui est utile a de la valeur subjective et, lorsqu'une chose utile
n'est pas gratuite, qu'elle ne peut être obtenue sans peine, ce qui fait
qu'elle est rare et qu'on apprécie le service rendu par celui qui l'importe ou
la fabrique, alors un tel objet aura de la valeur d'échange.
Je crois avoir prouvé que Bastiat avait déjà mis en avant le fondement
subjectif de la valeur.
Passons aux deux autres éléments qui constituent la valeur, et examinons si
Bastiat les a déjà connus.
[.] L'utilité.
Examinons d'abord si le système des néo-économistes, quant à cet élément de la
valeur, ne reproduit pas seulement les mots de Bastiat, mais également
ses idées.
Car le mot utilité peut s'employer en deux sens.
On peut dire un objet plus utile qu'un autre au point de vue philosophique, en
appliquant cette qualification au pain utile et non pas au diamant, mais on
peut aussi entendre par l'utilité d'un objet :
l'aptitude de cet objet à remplir un certain besoin, et alors, pour celui qui
veut se parer, un diamant sera beaucoup plus utile qu'un morceau de pain.
Eh ! bien, il est évident que tant Bastiat que les néo-économistes ne parlent
que de cette dernière utilité et qu'il existe vraiment une parfaite identité
entre les deux systèmes.
Chez Bastiat, cela résulte déjà de sa définition de « service ».
Il écrit :
« Quand on pose cet axiome : l'utilité est le fondement de la valeur,
si l'on entend dire : le service a de la valeur, parce qu'il est utile à celui
qui le reçoit et le paie, je ne disputerai pas.
Le mot service renferme tellement l'idée d'utilité, qu'il n'est autre chose que
la traduction en français et même la reproduction littérale du mot latin
uti, servir.
Mais malheureusement ce n'est pas ainsi que Say l'entendait.
Il trouvait le principe de la valeur dans les « qualités utiles, mises par la
nature dans les choses elles-mêmes»*.
_____________________
* H. E., page 162.
_____________________
Voilà l'opinion de Bastiat.
Et les néo-économistes ?
Eux aussi expliquent que les écrivains antérieurs s'étaient toujours étonnés de
l'anomalie que des vivres indispensables ont parfois une valeur beaucoup
moindre que des bijoux fort superflus, par ce fait que ces écrivains
confondaient ainsi l'utilité philosophique, qui désigne leur place à tous nos
besoins, du plus nécessaire jusqu'au plus frivole, avec la capacité d'un
certain objet à remplir un certain besoin. (V. Böhm-Bawerk ibidem,
146-151.)
Si l'on veut un exemple fort curieux de la ressemblance entre le "Nützen » des
néo-économistes et le « service » de Bastiat, qu'on lise Böhm-Bawerk.
ibidem page 193, où l'auteur, parlant des biens de deuxième ou
troisième ordre (les matériaux en train de fabrication) fait dépendre leur
valeur du service
(il dit : Nützdienst, c'est utilité et service
réunis en un mot),
qu'ils peuvent rendre pour nous faire obtenir les biens finaux (biens destinés
à la consommation).
[.] La rareté.
Voyons maintenant la « rareté » : l'élément nécessaire selon les
néo-économistes, pour donner de la valeur aux objets utiles*.
________________________
* V. Wieser, ibidem, page 20, V. B.-B., ibidem, p. 143.
________________________
Eh bien ! Bastiat ne nie pas la nécessité de cet élément.
Là où il juge la théorie de Senior, qui trouve dans la rareté l'élément
décisif, il dit qu'il veut l'admettre, lorsqu'on l'entend ainsi :
coeteris paribus, un service a plus de valeur dans le cas que nous
aurions à vaincre plus d'obstacles en nous le rendant à nous-mêmes, ce qui fait
qu'un autre peut exiger une récompense plus grande en travaillant pour
nous.
La rareté de l'objet est un de ces obstacles.
Ceci suffira pour ce qui concerne les éléments d'« utilité » et de « rareté » :
l'identité des deux théories de la « valeur » nous semble bien
établie.
Néanmoins, on se croira peut-être obligé de faire deux remarques :
[. Remarque 1 : services ou choses.]
L'une serait :
" Vous comparez deux choses de différente nature, car Bastiat ne parle
que de la valeur des services, tandis que les néo-économistes ont
toujours en vue la valeur des choses elles-mêmes".
C'est vrai ;
mais qu'est-ce que nous lisons dans les Harmonies (page 180) :
« Je suis loin de nier que la valeur ne passe du service au produit»
et qu'est-ce que nous lisons dans le livre déjà cité de von Wieser :
"La valeur d'un objet résulte de son usage (Verwendung)"*.
_____________________________
* V. Wieser, ibidem, page 120.
_____________________________
Par ces simples citations la remarque me paraît réfutée.
[. Remarque 2: la dernière addition.]
L'autre remarque serait :
" L'idée de Grenznützen n'est-elle pas une trouvaille des néo
économistes, dont ils sont très fiers et pour cause " ?
« Der Wert eines Gütes bestimmt sein nach der Grösze seines
Grenznützens
(la valeur d'un bien n'est jamais plus grande que celle de la dernière
addition).»
Mais cette formule est-elle vraiment une nouveauté?
N'est-elle pas la conséquence de la théorie de Bastiat ?
Lorsque la quantité devient plus grande, chaque partie aura moins de valeur
qu'autrefois, étant devenue moins rare ;
plus de personnes se présentant pour nous le fournir, le service de chacun sera
moins estimé, que ce même service ne l'était autrefois.
Quant au nouveau terme de Grenznützen, je ne crois pas qu'il soit
exact.
Grenznützen, utilité limitative, est trop général, il ne fallait
parler que de valeur d'échange limitative.
L'idée de Grenznützen implique que de toutes les parties,
- non seulement la valeur d'échange
- mais aussi la valeur subjective
est égale à celle de la dernière addition ;
et c'est là en réalité l'opinion des néo-économistes. [...]
[. Valeur, effet d'obstacles].
Un autre point faible dans les traités des néo-économistes, c'est qu'ils ne
font pas ressortir que l'existence de la valeur est l'effet d'obstacles, de
difficultés vaincues, ce qui fait que la valeur de tant de choses diminue,
précisément lorsqu'un peuple devient plus riche.
Valeur n'a rien à faire avec richesse.
Bastiat l'avait dit plusieurs fois expressément :
c'est dans l'amoindrissement successif de la valeur que le progrès de
l'humanité consiste.
Je crois avoir démontré que le fondement de la théorie des néo économistes
n'est autre que celui de la théorie de Bastiat. [...]
[. Connaître les idées de Bastiat.]
Puisqu'elle est convaincante et inspire la confiance, l'oeuvre
de Bastiat est d'une valeur bien grande, surtout aujourd'hui, vis-à-vis des
théories utopiques des prophètes de l'égalité et de la contrainte, et c'est
pour cela que j'ai voulu protester contre la manière dont son oeuvre, qui, de
nos jours, après plus de quarante ans, semble plus jeune que jamais, est
oubliée et reniée par ceux qui se considèrent comme les porte-bannière d'une
nouvelle économie politique."
(Fin du texte.)
c. Marginalisme et utilité marginale.
Il convient de souligner en passant qu'à la suite des travaux
de Bastiat, mais sans relation avec ceux-ci, avaient émergé deux grandes
idées, à savoir le marginalisme et le marginalisme appliqué à l'utilité.
i. Le marginalisme.
La première est l'idée du marginalisme, bien connue aujourd'hui dans son
principe même si beaucoup d'erreurs sont commises à son sujet.
Par exemple, Barre y voyait "la découverte et l'élaboration des principes
théoriques fondamentaux (Barre, op.cit., p.48).
Elle fait référence à la "marge", à la "dernière unité" cernée ou encore à
la "prochaine unité attendue avec incertitude" en ligne de mire, lesquelles
sont subjectives et non pas objectives.
Il est ainsi question de "produit marginal", de "revenu marginal",
de "productivité marginale" d'un facteur de production, d'"utilité
marginale" de la personne, etc.
ii. Le marginalisme appliqué à l'utilité.
La seconde idée est centrée sur la notion d'"utilité" et tient dans la
dénaturation de l'utilité individuelle par l'utilité dite "marginale" (que
Pareto a dénommée "ophélimité élémentaire ", cf. ci-dessous).
Comme il l'a indiqué, Pareto a adopté sa dénomination "ophélimité" pour
insister sur le caractère "subjectif" de l'utilité, ce que Say, trois quarts de
siècle plus tôt, n'avait pas cru bon de faire tant, d'après lui, l'utilité ne
pouvait qu'être subjective.
D'après Pareto, en effet :
"82. Une autre grande classe de théories met la source de la valeur dans
l'utilité.
Cette conception est développée par J. B. Say. [... ]
Il est difficile, en bien des cas, de se rendre compte si les économistes
veulent parler
- de l'utilité subjective (ophélimité), ou
- de l'utilité objective.
Quand ils portent leur attention spécialement sur ce sujet, ils les distingent,
mais bientôt ils les confondent.
C'est là, à proprement parler, outre l'omission de la considération des
quantités, le défaut de cette classe de théories.
J. B. Say a pourtant très bien vu le caractère subjectif de la
valeur;
il dit:
'La vanité est quelquefois pour l'homme un besoin aussi impérieux que la
faim.
Lui seul est juge de l'importance que les choses ont pour lui et du besoin
qu'il en a.'" (Pareto, op.cit. § 82)
En d'autres
termes, la notion a été déformée, voire dénaturée.
En relation avec ce qu'avait écrit Léon Walras (1834-1910), Pareto a, en
particulier, identifiée l'ophélimité élémentaire à la "rareté
relative".
Soit dit en passant, des économistes ont aussi juxtaposé à l'utilité
individuelle l'utilité dite "collective" (objective ou subjective, cardinale ou
ordinale, totale ou marginale, on ne sait...) dont Kenneth Arrow fera ses
choux gras à partir de la décennie 1950 (cf. ce texte de janvier
2014).
3. Les premiers "économistes
autrichiens".
Les économistes dits "autrichiens" ont développé leurs propositions
économiques dans la droite ligne de leur initiateur, Carl Menger (1840-1921),
qui précisait dans la décennie 1870, en suivant ce qu'avait écrit J.B.
Say, que l'utilité n'était pas inhérente aux "biens", mais au
jugement de valeur ... de vous et moi sur les choses:
"La valeur n'est rien d'inhérent aux biens [...]
[n'est] pas une propriété de ceux-ci,
ni une chose indépendante existant en elle-même.
C'est un jugement que les individus font de l'importance des biens [...]
la valeur n'existe pas en dehors de la conscience des individus." (Menger,
1871, pp.120-21)
a.
Frédéric Bastiat et les "néo autrichiens" à la fin du XIXème siècle, même
combat ignoré.
De fait, un lien étroit a uni les "économistes autrichiens" à ce qu'avait
écrit Bastiat, même s'il est méconnu ou a été dénaturé par les marxistes
(cf. ce
texte de mai 2015).
Les "économistes autrichiens" sont, en effet, en partie, des disciples de
Bastiat et donc de Say, mais cela est ignoré.
Dans un article intitulé "Frédéric Bastiat et les néo-économistes autrichiens"
du Journal des économistes (mars 1893, pp.337-346), H.L. Asser, avocat
habitant Amsterdam, l'a fait apparaître explicitement.
Voici des extraits de l'article de Asser (les intertitres [...] sont de mon
cru).
(Début du texte.)
"[. Ode à Bastiat].
Les pages suivantes sont écrites en vue de défendre les idées de Frédéric
Bastiat,
- non contre les attaques de ses adversaires,
- mais contre l'oubli et l'ingratitude de ses successeurs de nos jours qui,
tout en développant les théories déjà soutenues par lui, il y a plus de
quarante ans, aiment à se représenter comme les inventeurs de ces idées et,
par-là, comme les rénovateurs de notre science, si bien qu'ils se sont donné le
nom de néo-économistes.
Ceci ne doit pas trop nous étonner : de nos jours, on admire peu ce qui a été
pensé et écrit il y a quarante ans.
Et, sous plusieurs rapports, ce manque d'estime semble justifié ; car c'est
l'ombre, que jette la lumière des admirables qualités de la période où nous
vivons ;
l'aversion de tout ce qui n'est pas sincère et réel ;
l'aversion de tout ce qui est de convention dans l'art et les moeurs, dans
l'appréciation de beauté, soit physique, soit morale.
Mais ces mêmes qualités, ce culte de la vérité et de la nature, doivent nous
faire applaudir aux idées et aux écrits de Bastiat,
- parce que lui n'a jamais connu d'autre idéal que la nature et la vérité
et
- parce qu'il est par-là si éminemment moderne.
C'est lui le champion infatigable du libre développement "de l'individu,
combattant sans relâche les protectionnistes et tes socialistes, dont les mis
veulent restreindre la liberté d'échange entre les nations, les autres régler
les relations de l'humanité entière."
C'est à cause de ces qualités
- que nous ne devons pas tolérer que l'oeuvre de Bastiat soit ignorée par ses
successeurs;
- que les vérités qu'il a trouvées, soient montrées au monde comme des
diamants, nouvellement déterrés par eux, et cela tellement enfouis dans une
monture embrouillée, que l'éclat du diamant en est obscurci et que le peuple,
ne pouvant découvrir la pierre précieuse, la rejette avec dédain.
[. La vérité des idées de Bastiat]
Ce sont les économistes « savants » eux-mêmes, qui détournent l'esprit du
peuple de notre science et le préparent aux sophismes populaires de ceux qui
lui promettent l'accomplissement du rêve de bonheur.
On sait que Bastiat était persuadé
- que la société humaine est subordonnée à des lois non moins salutaires que
celles qui régissent les choses matérielles ;
- que les intérêts de tous sont essentiellement harmoniques et
- que la misère existante n'est causée que par la violation des saintes lois de
la nature.
Eh bien!
- on peut désapprouver son système de faire ressortir le contraste entre la
nature toujours bienfaisante et l'humanité toujours corruptrice,
- on peut déclarer que c'est nier la loi de Ricardo,
- on peut démontrer
que la propriété foncière, cette institution toute naturelle, laissée en pleine
liberté, cause des rentes foncières et des prix de loyer toujours grandissants
et
que c'est le devoir de l'homme d'agir ici en régulateur,
cela n'empêche pas que Bastiat n'ait expliqué les lois de la société humaine
d'une manière si simple et, en même temps, si extraordinaire,
- que le lecteur doit avouer que tous ses prédécesseurs, bien qu'ils aient
enseigné beaucoup de choses justes et vraies, n'ont pu voir qu'un seul côté de
la question, tant ils étaient absorbés dans leur propre science,
- mais que Bastiat, n'étant qu'un homme simple et intelligent, a pu voir,
comprendre et expliquer le tout.
Il est dans le vrai : tout ce que ses prédécesseurs avaient trouvé, est fondu
par lui en un ensemble parfait dans le feu de son esprit.
[. Les mensonges.]
Après Bastiat, on ne saurait rien trouver de nouveau sur le terrain où il a
travaillé ;
sur ce terrain, tout changement, au lieu d'être une amélioration, devra
toujours reconduire
- soit aux oeuvres moins parfaites d'autrefois
- soit à celles d'une décadence confuse et surchargée.
Tel est le sort de tous ceux, qui, après Bastiat, ont tâché de reconstruire les
principes de l'économie politique.
Tel est aussi le sort des auteurs dont je veux parler dans ces pages et qui se
proclament si pompeusement les fondateurs de la néo-économie ;
car ils ne veulent pas combler la lacune, qu'on pourrait découvrir dans
l'oeuvre de Bastiat.
Non, sans le citer comme auteur, et, probablement sans l'avoir compris, ils
s'emparent de sa théorie des fondements de la société humaine, comme si
c'étaient eux qui auraient les premiers jeté un coup d'oeil juste sur la
société.
Le fondement de l'économie politique, c'est la théorie de la valeur,
et je tâcherai de démontrer dans ces pages, que le système de valeur des
néo-économistes n'est autre que celui de Bastiat ;
la réforme, dont ils sont si fiers, n'en est pas une pour celui qui a lu
Bastiat.
Dans ce temps où chacun raisonne et déraisonne sur les questions sociales les
plus graves, les prétentions des néo-économistes ne peuvent que diminuer encore
le peu de confiance que le peuple met dans notre science ;
dans ce temps il est fort dangereux que l'oeuvre d'un économiste classique soit
reniée par ses successeurs, qui, à une démonstration simple et claire,
substituent une philosophie confuse et vague, peu différente du reste de la
théorie du maître. [...]
[. Capharnaüm].
Mais on pourrait demander :
n'est-ce pas un mérite de leur part d'avoir développé les idées de Bastiat,
peut-être inconsciemment ?
Ce développement n'était-il pas nécessaire ?
Je crois pouvoir répondre que non,
et, si l'on insiste, en me demandant, si, quoique superflu, ce développement ne
pourrait être utile comme explication des idées de Bastiat,
je dirai que ces auteurs ont substitué au traité si clair de Bastiat des
raisonnements sans fin, si confus et si vagues, ornés de tant de
distinctions*
_____________________________
* Que dire, par exemple, de la distinction d'une valeur d'échange
subjective et objective à côté d'une valeur subjective
?
M. Böhm-Bawerk nomme la valeur qu'une pièce d'argent a dans l'estimation d'une
personne privée, la valeur d'échange subjective de cette pièce ;
mais il est clair que cette valeur d'échange subjective n'est autre chose que
la valeur subjective ordinaire.
Échanger l'argent, c'est en faire usage.
_____________________________
et de définitions
(dont quelques-unes de 18 lignes " überaùs einfach " — fort simples —
selon l'auteur)
qu'ils sont incompréhensibles pour quiconque n'a pas l'intelligence profonde
des Allemands.
Et où nous mène ce torrent d'argumentations?
Parfois aux plus curieuses conclusions.
M. Böhm-Bawerk, par exemple
(dans son livre Kapital ünd Kapitalzins, qui est bâti sur la
soi-disant nouvelle théorie de la valeur)
conclut après de longues dissertations, que la rente foncière, aussi bien que
l'intérêt, doit son existence au fait que la valeur des choses futures est
estimée moindre que celle des choses présentes :
« ûnd hiermit erst », nous lisons page 280, " wird die Lösûng des
Grùndrenten-Problems bis zü ihrem wirbeliçhen Abschlùsze gefùhrt.
- Ce n'est qu'ici que le problème de la rente foncière est véritablement résolu
-. »
Ces mots donnent peut-être une idée de la modestie de l'auteur, quant à la
question elle-même,
j'ose dire qu'il n'a pas trouvé l'origine de l'intérêt.
On ne paie pas 3 florins d'intérêt,
- parce qu'on peut disposer aujourd'hui de fl.100, au lieu de n'en disposer
qu'après une année,
- mais parce qu'on aura, à partir d'aujourd'hui, pendant toute une année la
disposition de ces fl.100.
L'hypothèse de V. Böhm-Bawerk étant juste, l'on n'aurait pas à ajouter
d'intérêt en rendant, après un an, l'argent emprunté, car fl.100, payés alors,
ne seront plus un bien futur et vaudront en réalité fl.100.
Non, l'intérêt et la rente foncière existent,
- parce que la nature collabore à la production,
- parce que celui qui dispose d'un capital ou d'une terre durant une année,
aura le produit annuel des forces naturelles que ce capital ou cette terre
représentent.
L'aide de la nature étant sensée utile, et les capitaux et le sol étant
relativement rares, le service des propriétaires, qui offrent la disposition
des capitaux et du sol pendant un certain temps, a de la valeur.
La valeur moindre des choses futures n'est pas la cause de l'intérêt, mais tous
les deux sont la conséquence de la production de la nature.
Et pour arriver à sa conclusion fautive, l'auteur a eu besoin d'une série de
pages innombrables, regorgeant de formules et de noms artificiels, tels que «
Werthabschlag », "Abnûlznùgsquote» «Nützûngsrate»,
etc., etc.
Comme exemple, comment M. von Wieser aussi se noie dans ses propres théories,
je cite le passage suivant :
« Tant que les hommes se croient riches en possédant un coin de la terre ou
quelques matériaux, ils prouvent par là qu'ils accordent à ces forces, comme
récompense, une part des fruits et n'accordent au travail que le reste.
Le socialiste, qui veut son État aussi riche que possible en capitaux, réfute
ainsi sa propre théorie que le travail seul rend riche »*.
_____________________
* V. Wieser, ibidem, p. 79.
_____________________
[. L'idée fausse du socialiste]
Je serais curieux de savoir quel socialiste, si fanatique qu'il puisse être
dans la foi que l'État peut et doit régler tout, ait jamais soutenu que la
terre et les machines ne collaborent pas à la production.
Ce que le socialiste veut, c'est
- que chacun ait un même droit sur l'aide de la nature, et
- que personne ne puisse céder en échange d'argent une partie de la terre et
des matériaux ;
ils veulent que ces facteurs de la production ne soient pas plus rares pour
l'un que pour l'autre;
de sorte que, bien qu'ils soient estimés fort utiles et d'une grande importance
pour la satisfaction de nos besoins, ils n'aient pas de valeur
(d'échange).
Ceci est tout à fait en harmonie avec la théorie de la valeur de von Wieser
et,
s'il ne le comprend pas, cela prouve que lui aussi s'est noyé dans la mer
théorique.
[. La destruction de l'économie
politique]
De tout ceci, ne résulte-t-il pas que les livres des néo-économistes ne
peuvent remplacer les traités si clairs de
Bastiat?
Les néo-économistes me font l'effet
- de fermer au nez du peuple la porte du temple de la science, et
- d'aller tout seuls chercher leur chemin en tâtonnant dans l'ombre derrière
cette porte fermée, par des corridors sans fin, qui mènent on ne sait où
!
Bastiat, au contraire, laisse la porte grande ouverte, tout le monde peut
entrer à loisir, et, plein de confiance, on le suit à la lumière de son
jugement si juste, puisqu'il nous conduit directement au but : trouver ce qui
est inévitable et bon !"
b. Carl Menger et les idées fausses en cours.
Un an plus tôt, en 1892, Menger s'était opposé à la double idée fausse en
cours, à savoir :
- qu'il y avait une valeur d’échange, quantum déterminé inhérent à
chaque bien individuel, et
- que ce quantum pouvait être mesuré par le quantum
de valeur renfermé dans l’unité monétaire (cf. Carl Menger,
"La
monnaie, mesure de valeur", Revue d’économie politique, Vol.
VI).
Il avait conclu l'article en ces termes:
"[...] l’échange n’a pas pour base
- la mesure de certains quantum de valeur,
- mais le prix qui s’est établi sur le marché sous l’empire des mobiles
[...],
chacun de ceux dont le concours a formé ce prix ne poursuivant que son propre
avantage".
4. Vilfredo Pareto et la théorie de la valeur fin XXème siècle.
Un demi-siècle après les propos de Bastiat sur l'état de la
"valeur", Vilfredo Pareto (1848-1923) a ajouté dans son
Cours d'économie politique de 1896-97 d'autres propos :
- ceux de K. Marx (1818-83) qui faisait référence explicitement à la
"marchandise" (cf. §18),
- ceux de G. de Molinari (1819-1912) qui expliquait la valeur par l'"intensité
comparée des besoins" (cf. §81) et
- ceux de W.S. Jevons (1835-82) qui, selon l'auteur, aurait introduit le
concept de "taux d'échange" en économie politique (cf. §74) et qu'il a dénommé
"prix d'une chose en une autre chose", anticipant ce qu'en diront les
"économistes autrichiens".
On remarquera en passant, avec étonnement, que Raymond Barre
(1924-2007) qui n'était pourtant pas marxiste, n'avait pas évoqué ce point
dans son ouvrage, aux nombreuses éditions, intitulé Economie
politique (P.U.F., Thémis, 1969, 8ème éd.) quoiqu'il se voulût
général!
Pour les premiers "économistes autrichiens", à savoir ceux que Asser dénommait
les "néo économistes", le point de départ de l'économie politique apparaissait
être aussi
- tout ce que cachaient les prix passés des marchandises et
- non pas ses seuls résultats comme l'avaient supposé Pareto et ses disciples
(cf. ce texte de 1969 sur
L'établissement de l'école de pensée économique autrichienne : une perspective
historique.
celui-ci de 1962 sur
Quelques observations préliminaires sur la praxéologie. ou encore
celui-ci de 2012 sur
"Histoire de l'école autrichienne d'économie" par le Professeur Guido
Hulsmann).
Soit dit en passant, Ludwig von Mises n'avait alors que douze ans et Friedrich
von Hayek n'était pas encore né, il naîtra six ans plus tard (cf. ce
texte http://rd.springer.com/journal/11138/28/3/page/1).
Etant donné ces propos, il convient de reconnaître que rien ne justifie
aujourd'hui de parler d'"économie autrichienne" plutôt que d'"économie
française", pour désigner l'économie politique, la vraie science de l'homme,
sauf à avoir dans l'esprit, de sombres idées qu'on prend soin de taire et qu'a
évoqué Asser.
a. La dénaturation.
Malgré tout cela, depuis le XIXème siècle, la théorie
de la valeur a été aussi dénaturée par des économistes épris de mathématiques
(souvenir de l'arithmétique) qui ont créé,
- d'un côté, ce qu'ils ont dénommé la "théorie de l'équilibre
économique général" et,
- de l'autre, la "théorie macroéconomique" à partir de la décennie 1930,
les deux amenant aujourd'hui, de façon absurde, à opposer ceux qui prônent
la "théorie de la demande" et ceux qui prônent la "théorie de l'offre".
Malheur à celles-ci.
b. Quand les raisonneurs résonnent ... faux.
Soit dit en passant, depuis le XIXème siècle, l'économie
politique est en butte à des raisonneurs absurdes qui tendent à détruire la
science nouvelle qu'elle était alors et contribuent à aggraver les questions à
quoi s'affairent ses savants.
Force est de reconnaître qu'au moins en France, ils y ont réussi en suivant
différents chemins (cf. par exemple, ce
texte de juillet 2014,
celui-ci d'août 2015 ou encore ce
dernier d'octobre 2016).
Oublier les démarches amènerait, en particulier, à expulser de l'économie
politique la rhétorique "au mauvais sens du mot" dont, il faut bien le
reconnaître, elle est gavée (par exemple, le mot "friction" ou
l'expression "pouvoir d'achat" - cf. billet d'octobre 2014 -, qui tendent à
impressionner plutôt qu'à expliquer quoi que ce soit et ne veulent en
définitive rien dire).
Commentaire a d'ailleurs publié, en français, un texte de Robert Solow
(2012) intitulé « De Hayek à Friedman, l’idéologie du libéralisme économique »
(Commentaire, hiver 2013-14) où l'auteur a conclu son propos par ses
mots :
« Pour un lecteur moderne sérieux, la rhétorique est sans pertinence ou, pire,
induit en erreur ou, pire encore, trompe intentionnellement » (R. Solow,
op.cit., p.911).
On ne peut que regretter que Solow ne se soit pas appliqué antérieurement la
proposition qu'il dénonce aujourd'hui et qui a contribué à tout ce que nous
connaissons.
Reste que, de tout cela, les économistes majoritaires n'ont cure et se vautrent
par priorité dans la théorie macroéconomique et les chiffres que les
statisticiens ou économètres lui donnent depuis la décennie 1940 (cf. ce
billet de juin 2010 ou celui-ci d'octobre
2009).
Tout porte à croire que l'état lamentable de l'économie politique en France
procède
- non seulement du suivi de cette démarche,
- mais aussi de celles des socialistes, en triomphe politique croissant depuis
le XIXème siècle, qui ne sont pas d'ailleurs étrangers à la démarche, qui ont
subordonné celle-ci à telle ou telle mathématique, à telle ou telle application
de la physique ou à une comptabilité nationale, et ont fait comme
si les règles de droit et de justice naturelle n'avaient pas d'importance
et pouvaient être mise hors économie politique.
5. L'essence de l'action humaine.
Tout cela ne doit pas cacher que la théorie de la valeur n'est pas tombée
du ciel, mais de ce qu'avaient fait les gens auparavant, et jusqu'alors.
La théorie de la valeur était une conséquence de leurs actions, de la théorie
des actions des gens, bref de la praxéologie (cf. ce billet sur
Praxéologie et économétrie : une critique de l'économie
positive.).
a. Rareté des valeurs ou abondance des actions.
Avant de s'intéresser aux valeurs (quantités ou autres imaginées) dont
vous et moi sommes supposés disposer malgré leur rareté définie à partir d'une
norme de référence non dite, il conviendrait d'abord de cerner les
actions
- que chacun a la capacité de mener (capacités juridique, technique et
économique) et mènent et
- dont le nombre lui est a priori inimaginable,
étant donné son infirmité d'esprit et de corps qui veut qu'il ne puisse
faire qu'une chose à la fois (ou qu'un très petit nombre).
Il faudrait ainsi prendre en considération les actions que vous ou moi
avons choisi de mener, nos actions successives, étant donné les règles
juridiques, techniques et économiques
- que chacun de nous a appris à connaître à sa façon et
- dont une partie a été modifiée par ses soins,
tout cela limitant ainsi l'ignorance de la réalité où nous sommes
plongés.
b. Connaissance limitée.
Qu'on le veuille ou non, la personne est infirme de corps et d'esprit, elle
n'est pas omnipotente.
Cette infirmité se confond avec sa connaissance limitée de la réalité où elle
vit, ou bien, si l'on préfère, relativement à l'ignorance, a priori
inconnue qu'elle peut concevoir ...
bref, elle n'est pas omnisciente.
Sans cette limitation, il n'y aurait pas, en particulier, de savant ayant
choisi de mener des recherches ...
Les sciences et leur méthode ont pour point de départ le phénomène de
l'ignorance de la personne sur la réalité, celui de ses connaissances limitées
... (cf. ce billet de
mai 2009).
Elles excluent de se situer d'un point de vue ex post comme aiment à
s'y pavaner les théories macroéconomiques actuelles (cf. ce billet de mai 2012 ou
celui-ci de
novembre 2012).
Elles s'opposent au totalitarisme et à ses bureaucrates (cf. ce texte de novembre
2013) .
c. L'action de la personne exige-t-elle l'insatisfaction?
Mises a remarqué que toute action venait d'un sentiment de
malaise:
"Nous dénommons contentement ou satisfaction l'état d'un être humain qui ne
résulte pas et ne peut pas entraîner d'action.
L'homme agissant est désireux de remplacer un état de choses plus satisfaisant
à un moins satisfaisant.
Son esprit imagine les conditions qui lui conviennent mieux, et son action vise
à créer cet état désiré.
L'incitation qui pousse un homme à agir est toujours quelque malaise.
Un homme parfaitement content de l'état de ses affaires n'aurait aucune
incitation à changer les choses.
Il n'aurait ni souhaits ni désirs ; il serait parfaitement heureux.
Il n'agirait pas ; il vivrait simplement libre de souci. " (Mises, Human
Action, I.2)
Soit dit en passant, selon Gene Callaghan (2003, cf.
le texte),
"Le philosophe et historien britannique Michael Oakeshott est arrivé à des
formulations praxéologiques très semblables à Mises, apparemment
indépendamment.
Oakeshott fait écho à Mises quand il dit,
"La compréhension par un agent de sa situation est un
diagnostic:
c'est-à-dire un verdict dans quoi [sa situation] est reconnue être, à
certains égards, insatisfaisante, manquante, mal, ou très désagréable, et donc
suggérer une modification"(Oakeshott, On Human Conduct, p.38).
Mais un de mes correspondants se demandait si l'action exigeait réellement un
malaise.
N'est-il pas vrai, a-t-il demandé, que les gens doivent agir, qu'ils se sentent
mal à l'aise ou non?
Après tout, on ne peut choisir de ne pas agir: choisir de rester au lit pour la
journée est une action.
Et c'est autant une action que les activités les plus vigoureuses: comme le dit
Mises,
"Il n'y a pas d'action dans quoi les catégories praxéologiques ne paraissent
pas complètement et parfaitement" (Mises, Human Action, II.3).
Mais c'est une erreur de penser que nous sommes toujours engagés dans
l'action parce que nous ne pouvons pas choisir de ne pas agir.
Il y a des moments où nous ne choisissons pas!
Un exemple évident est lorsque nous sommes inconscients.
"Bien sûr", dirait mon correspondant, "seuls les humains conscients
agissent".
Cependant, il y a des moments où nous sommes conscients et nous ne sommes
toujours pas dans l’action.
Vous êtes-vous déjà assis à votre bureau, avec l'intention de travailler, puis
vous êtes-vous retrouvé au milieu d'une rêverie?
Est-ce qu'il y avait un moment où vous avez choisi de commencer la
rêverie?
Selon mon expérience, la rêverie est un état dans lequel vous vous trouvez
simplement.
Certes, une fois que vous vous rendez compte que vous rêvez, vous pouvez
choisir de continuer à le faire ou de décider de revenir au travail.
Mais l'initiation de la rêverie se produit sans un choix conscient, ou du moins
c'est dans mon expérience.
Une caractéristique des rêveries, qui est une grande partie de leur nature
agréable, est l'absence de malaise.
Les pensées se déroulent sans souci, sans but, sans attente d'améliorer une
situation insatisfaisante.
Oakeshott, dans son essai The Voice of Poetry in the Conversation of
Mankind, suggère qu'une telle pensée non dirigée est la source de
l'art.
Dans de tels moments, nous nous engageons à «contempler» ou à «nous
émerveiller».
Les images de l'esprit ne sont pas évaluées pour savoir si elles sont «faits»
ou «non-faits», il n’est pas question du comment et du pourquoi elles ont été
créées, « et elles ne sont pas des moyens pour une fin, elles ne sont ni utiles
ni «inutile».
Nous trouvons une idée similaire (mais non pas identique) à celle de Mises
quand il parle du génie créatif:
"Nous ne traitons pas des performances créatives du génie ; le travail du génie
est en dehors de l'orbite de l'action humaine ordinaire et est comme un cadeau
gratuit de la destinée qui vient à l'humanité du jour au lendemain
..."
Les activités de ces hommes prodigieux ne peuvent pas être entièrement
intégrées dans le concept praxéologique de travail.
Ce n’est pas du travail parce qu'ils sont pour le génie, non pas un moyen, mais
des fins en eux-mêmes.
Il vit dans la création et l'invention ...
Son incitation n'est pas le désir d'aboutir à un résultat, mais l'acte de le
produire. "(Mises, Human Action, VII.3)
Bien sûr, tout artiste concret et réel est aussi un acteur humain.
Dès qu'il arrête la "rêverie" et décide de prendre le stylo pour le papier, ou
de peindre sur toile, il agit.
Il choisit d'exécuter sa vision comme un roman ou une histoire courte, en huile
ou en acrylique, comme une symphonie ou une musique de chambre.
Il choisit combien de temps il passera à développer sa vision, exactement quand
il passera ce temps, à qui il essaiera de vendre son travail, et à quel prix il
devra le demander.
Néanmoins, la conception initiale de l'artiste est hors de portée de la
praxéologie.
En fait, comme l'a souligné saint Thomas d'Aquin, «l'art propre» se caractérise
par l'absence d'un objectif pratique de la part du créateur.
« L'art impropre », dans la formulation d'Aquin, est didactique ou
pornographique.
Il tente de pousser ou attirer son public vers un but du créateur:
en donnant plus de dollars pour l’aide des pauvres,
en agitant la démocratie, ou
en évitant une vie d'abus de drogue."
d.
Insatisfaction actuelle et future.
"Un sujet étroitement lié a été soulevé par David Gordon, dans une critique
très gentille de mon livre Economics for Real People.
Il exprime une plainte concernant la relation que je pose entre
l'insatisfaction et l'action: il me semble pas tout à fait correct de
dire,
… "Si nous sommes complètement satisfaits de la manière où les choses se
trouvent en ce moment, nous n'avons pas de motif à agir: toute action ne
pourrait qu’être pire!" (p.22).
Pas d'insatisfaction avec le présent, mais le mécontentement de ce qui serait
le cas si l'on n'agissait pas, est nécessaire à l'action. (Son échec inhabituel
à faire cette distinction amène Mises dans des difficultés théologiques à un
endroit de Human Action.)
Je ne suis pas d'accord avec Gordon sur ce point - bien que j'aurais aimé
mieux formuler mon idée - et je défendrai le point théologique de
Mises aussi.
Comme je le conçois, la prémonition de l'insatisfaction future est elle-même
une source du malaise présent.
Par exemple, l'idée que je pourrais me trouver affamé la semaine prochaine me
dérange actuellement.
Je pourrais choisir de faire face à ce malaise, par exemple, en stockant des
aliments.
Aucune action ne vise jamais à modifier une situation actuelle. [...]
Mais la cible de l'action est toujours l'avenir.
Si un éventuel état de choses future ne me causait pas un malaise actuel, je ne
serais pas amené à agir par la possibilité de ce qui peut arriver. " (cf. ce
texte de
2003)
6. Les actions de la personne pour changer de situation.
Au nombre des actions connues des gens (cf. ce billet), la recherche
scientifique est une action que peut choisir de mener la personne pour changer
de situation, l'échange de choses avec autrui en est une autre, la production
une troisième.
a. "On ne peut faire qu'une chose à la
fois".
Reste qu'on ne peut choisir de mener qu'une action ou qu'un très petit nombre
d'actions ... à la fois.
Se cache derrière cette réalité, le problème de l'abondance des actions offerte
à chacun ... plutôt que celui de la rareté des choses.
C'est, en conséquence, celui du choix d'une action qui est d'abord un
sacrifice (par exemple, l'action de spécialisation...) et non pas celui du
choix des choses comme le développent la plupart des économistes.
Au cœur de ce choix, il y a toujours la substitution d'une situation à une
autre par la personne.
b. "On ne fait rien sans rien".
Une fois l'action que la personne veut mener choisie, elle met en parallèle les
éléments qu'elle juge nécessaires et ceux qui ne le sont pas.
Cela cache l'hypothèse des choses connues, jugées rares, l'hypothèse des
valeurs, des types de valeur ... des économistes, praxéologiques ou
non.
Et la plupart des économistes mettent en relation les valeurs, choses résultats
de l'action observés ou attendus par ceux qui les mènent, avec les
valeurs qui les ont permises, que les relations soient, en particulier, de
production ou d'échange...