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"Marché
conclu !" est une vieille expression française, un peu
surannée de nos jours. Elle témoigne néanmoins que les
actions humaines d'échange de biens en propriété qui
viennent d'être menées étaient en définitive
harmonieuses, au grand dam de certains observateurs.
Mais elle cache aussi aujourd'hui beaucoup de choses discutables.
1. Cachette ou cachot.
Elle cache d'abord un accord juridique d'échange convenu entre deux
parties, i.e. des actions d'échange abouties.
Certes, si on met de côté les règles de droit, comme s'y
emploient beaucoup d'économistes depuis le début du XXè siècle, cela n'a guère
d'importance...
Elle cache aussi une "égalité" arithmétique ou
comptable de quantités de biens en propriété qu'on peut
montrer si on fait intervenir la notion de "prix d'échange
unitaire".
Et, de cette façon, on introduit un peu de mathématiques dans
une science qui, aux yeux de certains, en manquaient cruellement à la
fin du XIXè siècle et qui, pour cette
raison, usurpait la dénomination.
Elle cache encore un "équilibre de forces" qu'on peut
montrer si on fait une analogie entre phénomène économique
d'échange et phénomène mécanique et si on
transpose la représentation mathématique du
phénomène mécanique au phénomène
économique.
Le fait est qu'en conséquence de la démarche, le concept
d'"équilibre" a supplanté au XXè
siècle le concept d'"harmonie", concept à quoi
faisaient référence, par exemple, chacun dans sa discipline,
Frédéric Bastiat au milieu du XIXè
siècle ou Henri Poincaré au début du XXè
siècle.
Soit dit en passant, sous le concept d'harmonie, se cache le "principe
d'économie" cher aux premiers mécaniciens, ceux du XVIIIè siècle, qui l'ont appliqué
à l'action de la Nature: faire autant avec toujours moins ... de
temps, d'effort ou d'action.
Si on préfère, la perfectibilité de l'homme ou le
perfectionnement de l'économie y sont en jeu.
Et cela n'est pas le cas pour le concept d'équilibre.
Le "marché conclu" cache enfin le concept à quoi il a
donné lieu, à savoir le concept "marché" qui
contribue à expliquer les prix et les quantités de biens en
propriété échangés.
2. Il y a mathématique
et mathématique.
Il reste qu'à cause de la mathématique employée ou,
surtout, à cause de la représentation mathématique
transposée du phénomène physique jugé analogue au
phénomène économique en question - distinction à
laquelle peu d'économistes sont sensibles -, les définitions
des concepts économiques peuvent changer au cours des raisonnements
où ils interviennent alors que, tel le portrait de Dorian Gray, sous
leur forme mathématique, elles ne changent pas...
Henri Poincaré, le grand mathématicien, avait souligné
le problème, d'une façon générale, dans son livre
intitulé Science et méthode
et cela l'avait amené à avertir qu'il fallait être
réservé à propos de la démarche qui consiste
à appliquer une mathématique à une science autre et, en
particulier, à une science morale.
Rétrospectivement, on peut dire qu'il n'a guère
été écouté.
En conséquence, beaucoup de concepts économiques se trouvent,
dans le meilleur des cas, avoir des définitions diverses et, dans le
pire, donner lieu à des contradictions, des antinomies sur quoi on ne
s'étend pas.
L'équilibre économique est un concept de ce type, exemplaire
(cf. par exemple, ce texte
de Guido Hülsmann).
Une preuve en est que, pour s'en sortir, le plus souvent, la vulgate
dominante en parle non pas en tant que tel, en faisant
référence à l'une de ces définitions, celle
qu'elle retient pour l'occasion, mais au travers de sa prétendue
mesure "comptable", une mesure qui ne remonte pas au delà de la décennie 1950, à
savoir le produit intérieur brut (P.I.B.).
A titre d'illustration, ci-dessous la variation trimestrielle du P.I.B.
"en volume", d'un trimestre au suivant, et de ses composantes
retenues, de 2007 à 2009 :
source : I.N.S.E.E.
;
et de 2010 à 2012 :
Source : I.N.S.E.E.
Cette
notion de comptabilité nationale arbitraire et hermétique
(cf. par exemple ce billet
de février 2010) qu'est le P.I.B. est tellement ainsi que les
éléments qu'elle recouvre varient d'un pays à un autre
et que des organismes sont chargés de l'"harmonisation" (par
exemple, Eurostat,
cf. son
site)
3. Au-delà de
l'équilibre économique.
Oubliant ou refusant le point de départ, à savoir l'action
humaine d'échange, les règles de droit et l'harmonie
économique, des économistes se polarisent aujourd'hui sur
l'égalité et les forces de l'équilibre économique
pour se situer au-delà de l'équilibre qu'ils identifient, pour
l'occasion, à l'égalité des quantités offertes et
demandées ou à celle des revenus et des dépenses.
A sa façon, le concept d'"équilibre
économique" renvoie ainsi au concept d'"infini actuel"
(cf. ce billet
de mai 2012) et au désastre scientifique à quoi donne lieu
ce concept et qu'avait dénoncé Poincaré.
Comme pour résumer sa pensée, ce dernier mettait l'accent sur
les géomètres en insistant sur le fait qu'
"[...] ils
sont arrivés à des résultats contradictoires, c'est ce
qu'on appelle lesantinomies cantoriennes [...]
Ces contradictions ne les ont pas découragés et ils se sont
efforcés de modifier leurs règles de façon à
faire disparaître celles qui s'étaient déjà
manifestées, sans être assurés pour cela qu'il ne s'en
manifesterait plus de nouvelles" (Poincaré, 1908).
En effet, par hypothèse, le concept d'"équilibre
économique" exclut la perfectibilité de l'homme, son
devenir, et tout ce qui va de pair (perfectionnement de l'économie...).
Il place donc dans une situation au-delà des limites.
Et certains politiques n'hésitent pas d'ailleurs, à l'occasion,
à s'y complaire (cf. par exemple, ce billet
de avril 2011).
Nos économistes introduisent aussi, à l'occasion,
l'"Etat", "machina
ex machina". En vérité, je devrais
écrire "parachutent" tant il s'agit d'un coup de baguette
magique dans le monde de "non droit" où ils se situent.
Et ils déduisent de cette situation, via les théorèmes
mathématiques qu'ils peuvent connaître et auxquels ils
choisissent de se référer, des conséquences.
C'est la théorie de l'équilibre économique
général sous telle ou telle forme (théorie de l'optimum
incluse) ou les théories macroéconomiques actuelles.
Au passage, comme si de rien n'était, les
"hédonistes" abandonnent la considération
générale de la causalité, la font oublier pour la
remplacer par les considérations de l'interdépendance et de la
détermination mutuelle.
4. L'enseignement de
l'économie politique.
Mais c'est d'abord, et surtout, l'enseignement de l'économie politique
identifiée à ces dernières.
A cet égard, la démarche de nos économistes n'est pas
sans rappeler la démarche des mathématiciens qu'avait
critiqués, au début du XXè
siècle, Henri Poincaré, le grand mathématicien dont la
"conjecture" vient d'être démontré
par Gregori Perelman, au
début du XXIè siècle (cf. ce billet
de janvier 2010).
La démarche consistait, en particulier, à vouloir enseigner
dans le secondaire l'arithmétique en commençant par
établir les propriétés générales des
nombres cardinaux transfinis, puis distinguer parmi eux une toute petite
classe : les nombres entiers ordinaires ...
"Grâce
à ce détour, on pourrait arriver à démontrer
toutes les propositions relatives à cette petite classe
(c'est-à-dire toute notre arithmétique et notre algèbre)
sans se servir d'aucun principe étranger à la logique" (ibid,
p.162)
Mais, alors que le désir de ces mathématiciens n'a pas
été exaucé, l'enseignement de l'économie
politique commence aujourd'hui, en général, par
l'établissement des propriétés de l'équilibre
économique (équilibre général, équilibre
microéconomique, équilibre macroéconomique, etc.) et
distingue rarement, ensuite, les actions coûteuses que vous et moi
choisissons de mener et qui y ont donné lieu.
En d'autres termes, il a exclu, a
priori, l'école de pensée économique dite
"autrichienne" - qui est tout autant "française"
qu'"irlandaise ou "autre" (cf. ce billet
de novembre 2012).
Malgré les apparences - et je paraphrase ce qu'a écrit
Poincaré -, la méthode est contraire à toute saine
psychologie : ce n'est certainement pas comme cela que l'esprit humain a
procédé pour construire l'économie politique (cf. par
exemple ce billet
de février 2010).
Mais est-elle du moins logique, ou pour mieux dire, est-elle correcte ?
Il est permis d'en douter.
Un indice : les destructions qu'occasionne la prétendue politique
économique qui s'y articule (cf. par exemple ce billet
d'août 2008).
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