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1. Etalon de change or et "déficit sans pleurs".
Dans la décennie 1960, il y a eu le "déficit sans
pleurs" de la balance des paiements des Etats-Unis dans le cadre
juridique des accords monétaires internationaux
convenus à Bretton Woods
en 1944.
Ce cadre était celui de l'étalon de change-or, de la
convertibilité à taux
fixe des monnaies nationales en or ou en une monnaie nationale convertible en
or avec l'aide, le cas échéant, de l'organisation
internationale créée pour l'occasion, le Fonds monétaire
international.
On sait l'issue : en août 1971, Richard Nixon, président en
exercice des Etats-Unis, décrète l'inconvertibilité du
dollar en or ; les accords sont caducs ; l'étalon de change-or a
vécu (cf. Rueff, J. (1971), Le
Péché monétaire de l'Occident, Plon, Paris ;
version anglaise).
2. Code de la sécurité sociale et "déficit sans pleurs".
Dans le cadre du "droit de la sécurité sociale"
français, il y a désormais le "déficit sans
pleurs" - projeté à l'horizon 2040 - de la
sécurité sociale vieillesse de base grâce à
l'artifice de l'allongement de la durée de cotisations pour
bénéficier d'une retraite de base à "taux plein" (cf. l'e-audio
"Le couac gouvernemental méconnu" du 28 avril
2008).
La durée en question est, faut-il
le rappeler, une condition parmi d'autres
inventée par les dirigeants de l'organisation de la
sécurité sociale obligatoire pour que les employés
cotisants obligés obtiennent, chacun, une retraite de base à
"taux plein" dans le
cadre du droit de la sécurité sociale issu du coup
d'état de 1945-46 (cf. Code de la
sécurité sociale).
- Reste qu'à l'époque, la durée avait été
fixée à 30 ans (120 trimestres), l'âge de la retraite
"à taux plein"
à 65 ans, la cotisation vieillesse de base n'était pas
distinguée de la cotisation maladie, le taux
global de cotisations – sous plafond - étant égal
à 16 % du salaire.
- Aujourd'hui, la durée est fixée à 40 ans (160
trimestres), l'âge de la retraite "à taux plein" à 60 ans, la seule
cotisation vieillesse de base a un taux
de 16,65 % - sous plafond - (sans tenir compte de la part de la CRDS
correspondant à la dette consolidée de la
sécurité sociale vieillesse de base).
Soit dit en passant, peu de gens le savent, la "retraite de base de
sécurité sociale" mensuelle - "à taux plein" - de quelque employé que ce
soit, est égale, au
maximum, à un "demi plafond de sécurité
sociale", lequel est fixé arbitrairement par le gouvernement
: le plafond mensuel est aujourd'hui
de l'ordre de deux SMIC bruts mensuels.
- Et le gouvernement en arrive à envisager de fixer des durées
de cotisations supérieures ou égales à 41 ans (164
trimestres).
On peut deviner la suite :
- la dénonciation du "droit de la sécurité
sociale" par les dirigeants, les spoliateurs (cf. billet intitulé "Trou de la sécurité sociale de France"
et "Mur de Berlin" : même issue à attendre) ;
ou
- la révolte du cheptel des cotisants obligés, des
spoliés (cf. ibid.),
à commencer par les employés payés au SMIC ; ou
-
les deux.
3. Rien ne s'opposera à cette
issue.
De même qu'entre autres, la
manipulation du marché de l'or en mars 1968 – création
d'un "double marché" -, il y a donc quarante ans, a
retardé la dénonciation des accords de Bretton
Woods, de même, ne fera que retarder la
disparition de la sécurité sociale vieillesse de base le
prochain allongement de la durée des cotisations imposé aux employés.
Les dirigeants de l'organisation de sécurité sociale vieillesse
"justifient" aujourd'hui
le recours à l'allongement de la durée de cotisations par la
projection bureaucratique dans le
futur – jusqu'à 2040 - d'un déficit de la
sécurité sociale vieillesse de base de plus en plus important,
insoutenable, "avec pleurs".
Ils voient dans l'allongement de la durée des cotisations un moyen
efficace pour le combler ou, à défaut, pour
qu'il soit en définitive "sans pleurs".
4. Malheur à eux !
Un billet, intitulé "L'absurdité de l'allongement de la durée des
cotisations obligatoires vieillesse" a insisté sur
l'incohérence des promoteurs de l'organisation de la
sécurité sociale obligatoire actuelle
- où, d'un côté, par principe, les constructeurs ont mis
de côté la durée, fondement du capitalisme qu'ils
honnissent (la sécurité sociale vieillesse et la
sécurité sociale maladie n'étaient même pas
distinguées l'une de l'autre
lors de la construction, mais fondues dans "la sécurité
sociale") et,
- où, de l'autre, les
dirigeants manipulent périodiquement depuis 1967 certains de ses
aspects (individualisation des "branches de risque", âge de
la retraite, durée de cotisation).
Le recours à l'allongement de la durée des cotisations de
sécurité sociale vieillesse de base ne saurait
sauver l'organisation du chaos
à quoi l'incohérence précédente ne peut que
conduire.
L'organisation de la sécurité sociale vieillesse de base est au bord d'un précipice prédictible
comme l'a été l'étalon de change or dans la
décennie 1960 - mais aussi
l'URSS dans la décennie 1980... - avant d'y tomber : les unes et
les autres sont des organisations
totalitaires, utopiques, qui ne sauraient
perdurer dans la réalité.
Des économistes tels que, par exemple, Jacques Rueff ou Friedrich
von Hayek ont expliqué en long et en large
le phénomène, mais leurs écrits sont voués aux gémonies par la doxa et, en
conséquence, les explications qu'ils ont
données, ignorées.
5. Perspectives.
Comme il fallait s'y attendre, tous les artifices mis en œuvre dans le
passé par les politiques – dont celui de l'allongement de la
durée des cotisations – n'ont pas éloigné
l'organisation de la sécurité sociale vieillesse de base du
précipice comme ils pensaient que cela se passerait.
Le prochain allongement de la durée des cotisations l'y fera
peut-être tomber pour la raison qu'il est en contradiction avec les
principes de l'organisation et avec le principal d'entre eux, à savoir
: on prend aux uns pour donner aux autres
- en se servant au passage -, en faisant abstraction de la durée car honni
soit le capitalisme.
Autre raison : étant donné l'accent croissant mis
désormais sur la durée de cotisations par les
thuriféraires de l'organisation, les cotisants obligés ne
peuvent qu'être amenés, un jour ou l'autre,
à être sensibles à la durée en question –
comme l'est n'importe quel capitaliste -, à l'évaluer, à
évaluer sa variation, chacun à sa façon.
Les valeurs obtenues – des "coûts" - ne sauront être laissées de
côté et sans conséquence, mais elles précipiteront
l'issue.
6. Une comparaison.
Soit dit pour conclure, d'abord, l'employé en activité,
payé au SMIC, voit son SMIC
amputé, en particulier, d'une "cotisation vieillesse de
base" et d'une "cotisation vieillesse complémentaire"
qui réduisent d'autant son
pouvoir d'achat.
A ce propos, il faut savoir
qu'annuellement, en 2008,
l'employé payé au
SMIC verse un montant de cotisations égal à 2 SMIC mensuels,
soit l'équivalent d'un plafond mensuel de sécurité
sociale 2008.
Et ce n'est pas parce que, aujourd'hui
1er mai 2008, le SMIC brut mensuel est augmenté
de 2,3% et fixé à 1 308 euros (calcul de l'URSSAF faisant
apparaître que celle-ci prend comme référence la semaine
de travail de 37,89 heures...) que quoi que ce soit est changé en la
matière.
Le plafond mensuel de sécurité sociale avait déjà
été augmenté
au 1er janvier 2008 de 3,4 % et
fixé à 2 773 euros, entrainant une augmentation
des montants des cotisations de sécurité sociale vieillesse de
base obligatoire des "salaires hors plafond" qui sont passés
désormais "dans le plafond".
Une chose est aussi certaine : le
montant de la cotisation mensuelle de sécurité vieillesse
de base obligatoire du "smicard" augmente
de 2,3% (soit 4,8 euros par mois) pour atteindre 217,8 euros.
Et le nombre d'employés payés au
SMIC va même continuer à augmenter
en pourcentage de la population salariée (cf. évolution dans la
période 1995-2005, de 11,2% à 16,8 % ci-dessous).
Soit dit en passant, le SMIC
brut horaire est passé de 5,64 euros (1995) à 8,63 euros (au 1er mai 2008), soit une augmentation
de 53% en 13 années.
Etant données les augmentations de cotisations de toute nature, le
prix du travail du "smicard" dans les entreprises qui n'ont pas
fait faillite entre temps, payé par le client, a augmenté de plus de 53% sur la même
période. Et il en a été de même de sa
productivité.
Ensuite, tout euro que l'employé verse aujourd'hui
au titre de la cotisation
vieillesse de base obligatoire, c'est, pour lui, dans 30 ou 40 ans:
* pas de capital effectif disponible ;
* un "droit à retraite", sous certaines conditions, dont le
montant n'est pas fixé aujourd'hui,
qui le sera alors et peut donc être autant
"très élevé" que nul (si faillite du
système) ! bref, la sécurité sociale vieillesse est
un casino très particulier ! ;
* entre temps, pas d'épargne, mais des conditions de "droit à
retraite" qui auront
vraisemblablement varié comme, par exemple, la condition de la
durée de cotisations qui n'est jamais qu'une autre expression de la condition de la
durée de retraite...
Dans l'organisation qu'a connue la France jusqu'en 1941 pour les "bas
salaires", que les constructeurs de l'organisation de la
sécurité sociale ont détruite en 1945-46 et qu'il
conviendrait de réinstaurer,
tout euro qu'il verserait aujourd'hui
comme cotisation vieillesse de base, ce serait pour lui :
* au taux
d'intérêt de 3%, dans 30 ans, un capital disponible de 2,4 euros
et, dans 40 ans, un capital disponible de 3,26 euros ;
* au taux
de 5%, dans 30 ans, 4,3 euros de capital disponible et, dans 40 ans, 7,04
euros de capital disponible ;
* entre temps, une épargne qui s'accumule et bénéficie
à l'économie toute entière (via l'investissement moins
onéreux) ; éventuellement, en particulier, un allongement de la
durée de 40 à 41ans dans ce cas, c'est pour l'euro
épargné aujourd'hui,
un capital effectif disponible qui passera de 3,26 à 3,36 (au taux
de 3%) et de 7,04 à 7,39 (au
taux de 5%).
En d'autres termes, toutes choses
égales, les 2 SMIC mensuels 2008 que l'employé versera en 2008
en cotisations constitueraient un capital effectif disponible :
- après 40 ans, de 6,5 SMIC mensuels (au
taux d'intérêt de 3%)
et de 14 (au taux de 5%) ;
- après 30 ans, de 4,8 SMIC mensuels (si taux
de 3%) et de 8,6 (si taux de 5%)
- après 10 ans, de 2,7 SMIC mensuels (si taux
de 3%) et de 3,3 (si taux de 5%).
A tout euro que l'employé verse aujourd'hui,
il faut ajouter les euros qu'il a
éventuellement versés successivement dans le passé
et les euros qu'il va verser successivement dans l'avenir jusqu'à ce
qu'il "prenne sa retraite" :
* dans l'organisation actuelle, force est de constater que rien ne prendra
forme, même si l'employé fait des versements pendant 40 ans ;
* avec l'autre organisation, on
mettra aisément le doigt sur l'importance du capital effectif
disponible que tout employé, fût-il
rémunéré au
SMIC, constitue et dont ainsi il bénéficiera l'âge de
retraite venu : il sera devenu "capitaliste".
La comparaison précédente des deux organisations
révèle la faille ignorée sur quoi l'organisation
actuelle végète :
- des capitaux abandonnés,
envolés, non accumulés, pour ne pas dire détruits
aveuglément, qui réduisent d'au
moins autant la croissance et le
développement de l'économie, et par conséquent l'emploi,
par rapport à ce qu'ils pourraient être ;
- marginalement (à chaque allongement de la durée de
cotisation), un montant de plus de capital non accumulé,
abandonné, détruit qui réduit encore la croissance et le
développement de l'économie, et par conséquent l'emploi,
par rapport à ce qu'ils pourraient.
L'allongement de la durée de cotisations, trace fossile du capitalisme
dans l'organisation de la sécurité sociale obligatoire que
celle-ci cherchait à éradiquer de l'économie
française en 1945-46,
a permis jusqu'à présent à
l'organisation de perdurer.
Etant donnée la taille qu'elle atteint désormais, la
durée de cotisations va permettre à chacun de prendre
conscience de la duperie de plus en plus coûteuse dont il est victime
et de demander en conséquence que soit réinstaurée l'organisation d'avant 1941.
Bien évidemment, dans les pays où cette organisation n'a pas
été détruite, elle a innové au contraire de l'organisation de la
sécurité sociale qui, par principe, ne le peut pas.
En conséquence, l'organisation à réinstaurer est celle d'avant 1941, non pas dans son
état d'alors, mais dans son état de la décennie 2000
que, vraisemblablement, les Français ignorent en majorité
étant donné le conditionnement dont ils sont victimes
dès l'école.
George
Lane
georgeslane.fr/
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de Paris-dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux
authentiques en France.
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