|
1.
Quelle est la forme de l’univers ?
Henri Poincaré, le grand mathématicien, s’est posé
en 1904 la question de la forme de l’univers, n’y a pas
donné de réponse, mais a fait une conjecture (cf. O’Shea,
2007, Grigori Perelman
face à la conjoncture de Poincaré, Dunod, Paris, p.2).
La conjecture énonçait que la « sphère
tridimensionnelle » est la seule « variété
tridimensionnelle » simplement « connexe finie » (ibid. p.36)
Elle était l’assertion selon laquelle toute
variété tridimensionnelle « compacte » sur laquelle
tout chemin fermé peut être contracté en un point, est
topologiquement identique (c’est-à-dire «
homéomorphe ») à la sphère tridimensionnelle. (ibid. p.52)
Il a fallu plus de cent ans pour que les mathématiciens
répondent à la question posée par Poincaré sur la
dernière page de la dernière section du dernier de ses grands
articles de topologie.
Au fil des années, la topologie et sa cousine plus âgée,
la géométrie, sont devenues des disciplines cohérentes
et puissantes, cruciales pour les mathématiques et les sciences. (ibid. p.229)
Madrid 2006.
A l’occasion du 25ème congrès mondial de
mathématiciens qui se tenait à Madrid (2006), John Morgan a
retracé l’histoire de la conjecture de Poincaré et a
salué la démonstration de la conjecture donnée par
Perelman comme un « prodigieux accomplissement » non seulement
pour Perelman, mais aussi pour les mathématiques (ibid. p.228)
Giorgi Perelman a en effet résolu la conjecture de Poincaré (ibid.)
Les vérifications rigoureuses ont toutes été
effectuées (ibid.)
Reste que la plupart des mathématiques auxquelles Perelman a fait
appel auraient été incompréhensibles trois
décennies plus tôt. Les outils techniques qu’il a
utilisés sont à la pointe même de ce qui se fait et
dépendent profondément des travaux d’un certain nombre de
membres du public. (ibid.
p.3)
Reste aussi que
« Chacun parmi nous avec une bonne éducation primaire peut
résoudre des problèmes d’arithmétique et
d’algèbre qui auraient tenu en échec les plus instruits
des scribes babyloniens.
Quiconque parmi nous ayant choisi quelques modules de calcul
différentiel et d’algèbre linéaire peut
résoudre des problèmes que Pythagore, Archimède et
même Newton n’auraient su aborder.
Un étudiant de troisième cycle en mathématiques peut
effectuer des calculs topologiques que Riemann et Poincaré
n’auraient pas su démarrer.
Nous ne sommes pas plus intelligents qu’eux, nous sommes les
bénéficiaires de leur œuvre." (ibid. p.230)
En d’autres termes, il y a eu « économie de pensée
» selon la formule de Ernst Mach, formule et physicien chers à
Poincaré comme il l’a écrit en particulier dans Science et méthode.
Et cette économie de pensée a procédé des esprits
des êtres humains, de la logique qu’ils ont suivie et de leur
intuition – comme le développe Poincaré dans le livre
cité -.
Elle n’a pas procédé d’un modèle
mathématique, ni a
fortiori d'un modèle choisi sans explication...
2. Quelle est la
forme de la tendance temporelle de l’activité économique
?
L’activité économique, les échanges entre nous,
êtres humains, ont-ils une tendance temporelle ? Quelle est la forme de
la tendance temporelle ?
Telle est la double question implicite à quoi prétendent en
définitive répondre depuis près de deux siècles
un certain nombre d’économistes.
Il s’agit des théoriciens du « cycle » - commercial,
des échanges, des affaires, de l’économie, etc. selon le
complément qu’ils préfèrent employer -.
Il s'agit aussi des théoriciens de la « crise » -
commerciale, du système capitaliste, économique, etc. -, la
« crise » étant un des deux points de retournement du
« cycle » que des économistes de l’école de
pensée autrichienne préfèrent dénommer «
boom » (depuis Mises (1943)), l’autre point, le point bas,
étant dénommé « bust ».
Ces théoriciens appliquent ainsi à la tendance temporelle des
données qu’ils construisent sur une certaine base statistique ou
comptable, une figure de la géométrie d’Euclide.
A fortiori, les
explications des causes de tel ou tel cycle qualifié ou de telle ou
telle crise qualifiée qu’ils disent observer, qu’ils
avancent ou en déduisent, ne peuvent qu’être sujettes
à caution.
A fortiori,
les remèdes politiques que les hommes de l’Etat en déduisent
et instaurent pour soi-disant réguler l’une et empêcher
que l’autre se reproduise démontrent leur inanité.
Certes, dans le cas des « crises », ils feront valoir que, sans
eux ni les réglementations instaurées jusqu’à la
dernière, cela aurait été pire…
Un choix pernicieux.
Tout cela ne doit pas cacher qu’au départ, les
théoriciens ont choisi des matériaux statistiques ou comptables
pour construire des données et une figure géométrique et
que leur choix s’est fait sans explication digne de ce nom.
D’une façon générale, ils ont fait un double choix
méthodologique qui a subordonné la science économique
à un domaine des mathématiques qu’ils connaissent ou que
des mathématiciens leur ont conseillé d’appliquer, mais
que peu de choses sauraient justifier.
Déjà, et à supposer qu’ils n’aient pas tort
de procéder ainsi, rien ne prouve que la mathématique
qu’il devrait employer a été découverte.
Etant donnée leur admiration pour les mathématiques, ils
devraient se couler dans le moule de leurs producteurs plutôt que de
consommer leurs produits, et attacher de la valeur à la logique et
à l’intuition dont ils font preuve plutôt
qu’à l’application servile.
Soit dit en passant, honte à ceux qui, le cas échéant,
sur cette base, se font forts de nier l’existence de la science
économique ou agissent comme s’ils la niaient.
A coup sûr, ni la logique, ni leur intuition ne sont pour quelque chose
dans le choix.
Seule peut l’être l’économie de pensée.
Mais on ne saurait visser quoi que ce soit avec un marteau et n’en est-il
pas ainsi d’appliquer une mathématique à des
données construites avec d’autres mathématiques ?
3. La « crise
financière de 2008 » et la science économique.
Etant donné ce choix guère explicable, on peut toujours
dénommer « crise financière de 2008 »
l’ensemble des données constituées par les baisses
importantes des prix des actions en 2008, les disparitions temporaires des
échanges financiers ordinaires sur un certain nombre de marchés
au même moment, la faillite de firmes (bancaires, financières ou
autres) au même moment ou presque, etc.
On peut aussi voir dans cette « crise financière » un
point de retournement du « cycle financier » ou, plus
généralement, du « cycle économique »
qu’on imagine.
Mais tout cela est bien loin de la science économique, de ce que
devrait toujours être la science économique. A
l'extrême, il y a "crise scientifique".
Ce n’est que la pérennisation d’un déterminisme sans fondement
logique et conditionné par un choix arbitraire d’une
mathématique qu’on fait oublier ou qu’on dissimule, mais
dont les hommes de l’Etat tirent les ficelles de deux grandes
façons :
- en endettant toujours plus les Etats qu’ils sont censés
gérer, et
- en instaurant de nouvelles réglementations des actions que vous et
moi avons la capacité juridique de mener et qui s’ajoutent
à celles qui existaient déjà et qui devaient
empêcher ce qui s’est réalisé…
Science de l'action
humaine.
La science économique, celle de l’école de pensée économique dite
autrichienne - mais aussi "bien française" avant
que le socialisme dénaturât cette dernière - a pour
fondements les actions des êtres humains étant données
les richesses qu’ils possèdent chacun en propriété,
mais pas nécessairement en toute connaissance, et les fins
qu’ils poursuivent, individuellement ou en association.
Quand les fins sont identifiées à des satisfactions de besoins
ou de désirs et quand les richesses sont jugées insuffisantes
en quantité (en nombre, volume, etc.), il est question de
rareté des richesses. Soit dit en passant, pour Quesnay, les
"richesses surabondantes" – air, eau, par exemple –
n’étaient que des "biens"…
Encore faut-il que le concept d’action humaine ne soit pas
déformée comme parfois il l’est par des
mathématiciens qui décrivent l'action ainsi :
«L'action d'un agent peut être décrite en
énumérant la quantité de son intrant ou extrant pour
chaque marchandise (de signes opposés différenciant les
intrants des extrants).
Cette liste peut être traitée comme la liste des
coordonnées d'un point dans l'espace linéaire des marchandises.
»
Et reste qu’il n’est de richesse que d’homme et que la
pensée de l’homme est la mère de ses autres actions.
La science économique ainsi entendue permet de dire l’effet des
actions humaines en tel ou tel domaine, dans le cadre de la loi naturelle.
Elle permet aussi de montrer l’effet des réglementations –
nécessairement entorses à la loi naturelle – des actions
humaines sur celles-ci.
4. Domaines de
prédilection des réglementations étatiques : la monnaie
et la finance.
Depuis près de deux siècles, la science économique
explique ainsi que les privilèges – réglementations par
excellence – donnés par l’exécutif ou par le
législatif en matière de crédit et, plus
généralement, en matière de finance à telle ou
telle personne juridique, physique ou morale, ont des effets
néfastes. Ils font supporter, un jour ou l’autre, à
tous des pertes importantes, de diverses natures, qui devront être
comblées d’une façon ou d’une autre.
Libre à chacun de refuser l’explication, de dénommer
« crise » le phénomène quand il se réalise,
de lui accoler un qualificatif, de l’inscrire a posteriori dans une
figure géométrique dénommée « cycle
», à quoi sera accolé le cas échéant un
qualificatif, ou de corriger des figures géométriques de ce
type existantes !
Mais depuis Charles Coquelin (1802-52) et ses amis du Journal des économistes,
l’enseignement est précis.
Il a même été affiné au XXème siècle
par des économistes aussi différents que L. von Mises (1912 ou
1966) ou F. von Hayek (1929), d’un côté, et, de
l’autre, I. Fisher (1911) ou J.B. Taylor (2009) dans son livre
intitulé Getting Off Track: How Government Actions and
Interventions Caused, Prolonged, and Worsened the Financial Crisis.
[Ma traduction de ce titre :
Sortir de la trace:
Comment les actions et les interventions gouvernementales ont causé,
prolongé et aggravé la crise financière.]
Hier, les banques privilégiées ou les banques publiques –
aujourd’hui, d'un côté, les banques centrales sous la
tutelle de qui se trouvent toutes les autres banques, de l'autre, les
institutions internationales monétaires ou bancaires tu type
"fonds monétaire international" - ne peuvent qu’avoir
une mauvaise gestion du crédit et de la finance car elles ne sont pas
soumises à la concurrence et, par conséquent, orientées
par celle-ci.
Et cette mauvaise gestion est sanctionnée périodiquement par
des pertes, plus ou moins importantes, de diverses natures, qu'il faut
combler : c'est la "crise".
Il faut distinguer la mauvaise gestion monopolistique du crédit qui
donne corps au signal, à la « crise » (cf. par exemple
Taylor sur ce point) et celle qui prolonge le
signal, qui donne une épaisseur temporelle, une durée à
la crise (cf. par exemple Taylor I ou Taylor II).
Dans le cas de la « crise financière de 2008 », il
apparaît que se sont juxtaposées à la mauvaise gestion
monopolistique du crédit par les banques centrales, sui generis, des
réglementations des exécutifs et législatifs nationaux,
à commencer par ceux des Etats-Unis en matière
immobilière (réglementations donnant lieu au crédit de
type "subprime").
Par exemple :
« Il y a un consensus certain que les causes immédiates de la
crise sont les suivantes:
(i) Le secteur financier américain a pratiqué une affectation
de ses ressources à l'immobilier défectueuse, financée
par l'émission de nouveaux instruments financiers exotiques.
(ii) une partie importante de ces instruments ont trouvé le chemin,
directement ou indirectement, des bilans des banques commerciales
d'investissement.
(iii) Ces investissements ont été financés en grande
partie par de la dette à court terme.
(iv) Le mélange a été puissant et a provoqué une
rupture à grande échelle en 2007.
Sur ces questions, il y a un large accord. » (Rajan, 2009)
Autre exemple :
« La crise financière de 2008-09 - la plus sévère
depuis les années 1930 -, a ses origines dans le marché du
logement.
Après plusieurs années de croissance rapide et de
rentabilité, les banques et autres établissements financiers
ont commencé à supporter des pertes importantes sur leurs
investissements dans les prêts immobiliers et les titres liés
à ceux-ci dans la seconde moitié de 2007.
Ces pertes déclenchèrent une crise financière totale
lorsque les banques et autres prêteurs demandèrent tout à
coup des taux d'intérêt beaucoup plus élevés sur
les prêts aux emprunteurs risqués, y compris parmi eux d'autres
banques, et les échanges dans de nombreux instruments financiers
reculèrent fortement.
Une série de faillites et de quasi faillites des principales
institutions financières - dont Bear Stearns, IndyMac Federal Bank, la
Federal National Mortgage Association (Fannie Mae), la Federal Home Loan
Mortgage Corporation (Freddie Mac), Lehman Brothers, American International
Group (AIG), et Citigroup – firent vivre des marchés financiers
sur le fil pendant une grande partie de 2008 et en 2009.» (cf. Bulard et alii, 2009)
5. La solution
à toute crise financière à venir : la banque libre.
Aucune nouvelle réglementation ne saura jamais conjurer tous les
effets prévisibles des réglementations existantes et lourdes de
crises potentielles futures, en étant juxtaposée à ces
dernières.
Le président des Etats-Unis a peut-être des comptes personnels
à régler avec le secteur bancaire pour vouloir en faire
appliquer de nouvelles dans son pays, mais cela est une autre question.
Les nouvelles réglementations changeront peut-être la forme des
crises à attendre, mais pas leur fond.
La solution à leur fond, c’est la liberté, i.e. la
concurrence, étant donné le cadre de la loi naturelle.
Cette solution de la "banque libre" n’a rien
d’extraordinaire et ne serait pas une cause de discussion si les hommes
de l’Etat avaient lu attentivement l'histoire des doctrines
monétaires.
L'école de la banque libre - "free banking school" - est
intervenue au XIXème siècle dans la controverse qui a
existé entre la "currency school" et la "banking
school" à la suite de la "crise de 1825".
Les arguments qui ont été employés hier et le sont
aujourd'hui sont à peu près les mêmes, même si c'est un autre système monétaire et
financier qui est à la base de l'économie actuelle,
forcément différent de celui qui régnait dans la
première moitié du XIXe siècle.
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
|
|