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1.
Le choix
politique.
La loi de finances de l’Etat de la France et la loi de financement de
la sécurité sociale pour l’année 2011 viennent
d’être votées par le Parlement, dans les mêmes
termes, après débats.
A peu de choses près, et malgré certains amendements, ces lois
sont, en chiffres, très proches des projet initiaux.
Une année de plus, elles font apparaître, chacune, un
excès des dépenses programmées sur les ressources
attendues, c’est-à-dire un déficit budgétaire.
Pour les chiffres de l’année dernière, on pourra se
reporter à cette page ou à celle-ci.
1.A. Les dépenses
et déficit de l'Etat.
D'après la comptabilité publique selon les règles de
quoi est présenté le budget de l'Etat, les dépenses du
budget général se montent à :
€ 356,9 milliards
(p.12 du projet de loi de finances initial),
et le déficit budgétaire à :
€ 92 milliards
(ibid., p.21)
soit :
25,8% des
dépenses.
Soit remarqué en passant, la charge d'intérêt sur
l’endettement de l’Etat programmée est de :
€ 45,4 milliards.
Ce montant permet de calculer que le déficit budgétaire de
l’Etat à financer a un montant double de la charge
d’intérêt.
A supposer qu’il n’y ait pas de charge
d’intérêt, le déficit budgétaire serait
encore de près de 45 milliards d’euros (14,4% des
dépenses) !
Le déficit budgétaire attendu représente aussi :
34,7% des ressources.
Il faudrait donc augmenter les ressources, donc l'impôt, de ce chiffre
pour que les dépenses programmées de l'Etat soient couvertes de
cette façon.
1.B. Les dépenses
et déficit du para Etat qu'est l'organisation de la sécurité sociale
obligatoire .
D'après la comptabilité des opérations de la
sécurité sociale – véritable para Etat - selon les
règles de quoi est présenté l'état d'icelle, pour
l’ensemble des régimes obligatoires de base de
sécurité sociale (toutes branches hors transferts entre
branches) (cf. article 25 p.40 du projet de loi de financement de la
sécurité sociale, avant débat), l’objectif de
dépenses est :
€
448,9 milliards
pour un déficit de :
€ 22,7 milliards.
Pour le seul régime général de sécurité
sociale (cf. article 26, p.41, toutes branches, hors transferts entre
branches)), l’objectif de dépenses se monte à :
€ 327,5 milliards,
pour un déficit de :
€ 21,3 milliards.
1.C. Les dépenses
et déficit de l'assurance chômage obligatoire.
S'agissant de l'assurance-chômage obligatoire qui ne donne pas lieu
à un regard du Parlement sur ses opérations - on ne peut que
s'en étonner -, le montant des dépenses pour 2011
établies selon des règles de comptabilité peu connues
est programmé à
€ 33,7 milliards,
pour un déficit de :
€ 2,6 milliards.
Il reste que tous ces déficits sont bien évidemment
conditionnés par le marché financier, « ce
pelé, ce galeux… » à entendre certains.
Il lui échoira en effet d’accepter ou de refuser de couvrir tel
ou tel déficits encore une année... et de refinancer les dettes
de l'un ou de l’autre qui viendront à remboursement.
1.D. L'imperturbabilité
politique.
La tendance de ces dernières décennies, qualifiable, au choix,
de « grande cavalerie » ou de
« suicidaire », n'est donc pas interrompue en 2011, ni
inversée, mais perpétuée et surtout approfondie.
Les dépenses publiques continuent à être
augmentées contre vents et marées tant en valeur qu'en volume
(cf. figure 1 pour l'augmentation annuelle en volume depuis 1988 et
jusqu'à 2014).
Figure 1
Dépenses publiques
(en taux de
croissance annuel, en %)
1988-2014
3.
Source : Sénat
Quant aux déficits et aux amortissements de la dette de l'Etat,
l'évolution ne manque pas de sel sur la période 1999-2011 (cf.
figure 2).
Figure 2
Déficit budgétaire, amortissement de la dette
et appel au marché financier total
(1999-2011)
(en milliards
d'euros)
4.
6. Source
: Sénat.
Ainsi, il est prévu qu'en 2011, le marché financier non
seulement couvre le déficit budgétaire, mais encore refinance
un amortissement de la dette de l'Etat d'un montant supérieur au
montant du déficit (de l'ordre de € 100 milliards, soit près de
€
200 milliards au total).
A la base du phénomène, il y a le choix politique imperturbable
que l’Etat de la France, le para Etat qu’est l'organisation de la
sécurité sociale obligatoire et l'assurance chômage
obligatoire qu'a en charge l'U.N.E.D.I.C. survivent tels quels, avec des
dépenses croissantes non couvertes par la fiscalité, au crochet
du marché financier, aux prix d’une charge
d’intérêt annuelle et d’un endettement croissant.
Puisque les couleurs politiques des gouvernements et de leur majorité
parlementaire alternent et que rien ne change, seule une tendance de la
pensée économique peut légitimer, justifier ou asseoir
la persistance d’un tel choix politique et, en conséquence, la
tendance imperturbable des lois en question. Laquelle ?
Vaste question, a priori
à nombreuses réponses possibles plus ou moins en opposition.
L’application du prétendu principe de précaution tant
à la mode aujourd'hui dans le monde politique peut-elle être une
réponse ?
A coup sûr non.
Au nom de la précaution la plus élémentaire, les budgets
de l’Etat, du para Etat et de l'U.N.E.D.I.C. devraient avoir un
déficit égal ou proche de zéro.
2. La pensée
économique.
2.A. Sa tendance en 1933.
En 1933, Friedrich von Hayek s'était
interrogé sur la tendance de la pensée économique
d'alors, à l’occasion d’une conférence
prononcée en mars à la London
School of Economics and Political Science intitulée ainsi et
publiée dans Economica
en mai..
La conférence a pour coeur le sort fait
à l’économiste par l’opinion publique qui voit
inéluctable et d’un bon œil le contrôle croissant de
l’Etat et la planification dont « le socialisme est le
frère plus âgé».
Selon Hayek, l’économiste contemporain est désormais
isolé, l’opinion publique ne l’écoute pas - comme
peuvent l'être les scientifiques dans d'autres domaines de la
connaissance - et il n’a aucune influence sur les
événements.
Et Hayek de s'étonner que le progressisme moderne refuse de disposer
de la connaissance que lui fournit l'économiste et qui est le produit
du seul effort permettant d'explorer systématiquement les
possibilités de changement.
En vérité, ce sort cache les changements intellectuels qui sont
intervenus les soixante ou soixante dix dernières années, ainsi
que les causes de ceux-ci. Il les expose en regrettant qu'ils aient
été commis. Je laisse de côté leur
description et renvoie le lecteur à leur lecture.
2.B. Son avenir en l'an
2000.
Soixante sept ans plus tard, à l’occasion de la survenance du
« nouveau millénaire », des économistes
de renom ont écrit des articles sur le thème voisin des
« prévisions sur l’avenir de la pensée
économique » dans The Journal of Economic Perspectives
(hiver 2000).
Certes, entre temps, avaient émergé ou avaient
été approfondies
- l’économie politique, "science statistique" et
l'économétrie,
- la théorie de la valeur – dénommée aussi
théorie de l’équilibre économique
général – à quoi fait allusion J.M. Keynes dans la
Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt et de la
monnaie. en 1936, pour la critiquer ou que G. Debreu prend comme
titre d’un livret en 1960, sous les formes de :
* la microéconomie ou,
* l'économie mathématique walrassienne
ou parétienne ;
- la macroéconomie :
* en économie fermée,
* en économie ouverte,
* en croissance ;
- l'économie expérimentale.
Et c'est à ces divers domaines que nos économistes de l'an 2000
ont fait plus ou moins référence dans leur article.
Mais le biais regretté par Hayek est resté le même.
Paul Fabra, dans un article du quotidien Les Echos du 19-20 mai
2000, le résumera d'ailleurs en donnant son opinion sur ces divers
articles, en une phrase :
« A l’insu des auteurs, il en résulte un
édifiant inventaire des failles de la théorie
pseudo-moderne ».
Je partage son opinion et irai au-delà.
D'une part, je dirai que, dans les oripeaux de la "théorie
économique pseudo-moderne" dont elle se vêt, la
pensée économique dominante reste mal en point, mais fait bon
ménage avec le choix politique.
De fait, ils se soutiennent l'un l'autre. Peu importe qui constitue la
béquille, je le laisse deviner.
3. La science
économique, science générale de l'action humaine
méconnue.
D'autre part, la tendance de la pensée économique qu'observait
Hayek en 1933 ou l’avenir que lui prévoyaient nos
économistes de l'an 2000 ne devraient cacher ni la vraie science
économique, à l’époque ou aujourd’hui, ni ce
qui lui est intimement lié, à savoir l’action humaine.
Il faut savoir en effet que, bien loin qu’il en soit ainsi, en
théorie et en pratique, beaucoup d’économistes mettent
à mal pensée et action de l'être humain.
3.A. De la pensée
économique à la science économique.
Qu'à cela ne tienne, une façon de remettre sur la selle de
l'opinion publique la pensée économique digne de la
dénomination est de la mettre en relation avec la tendance de la
science en général et de la vraie science économique en
particulier.
a. Tendance de la science et
économie de pensée.
Selon Ernst Mach, le physicien autrichien dont le nom a été
donné à l’unité de mesure de la vitesse du son,
que reprend dans Science et
Méthode (1908) Henri Poincaré, le
mathématicien dont la conjecture vient seulement d’être
démontrée grâce à des mathématiques qui
n’existaient pas il y a une trentaine d’années, la
tendance de la science, c’est l’économie de pensée.
Poincaré rend hommage à Mach en ces termes :
"Et c'est ainsi également que cette économie de pensée,
cette économie d'effort, qui est d'après Mach la tendance
constante de la science, est une source de beauté en même temps
qu'un avantage pratique [...]
Le célèbre philosophe viennois Mach a dit que le rôle de
la science est de produire l'économie de pensée, de même
que la machine produit l'économie d'effort [...]
C'est à l'économie de pensée que l'on doit viser, ce
n'est donc pas assez de donner des modèles à imiter [...]
on ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de
pensée, comme disait Mach" (Poincaré, 1908, pp.17-31)
Pour sa part, la science, c’est la méthode (selon
Poincaré) et non pas d’abord la mesure – comme le veut par
exemple la Cowles Foundation
-, a fortiori des
statistiques. Ce ne sont ni des mots, ni des chiffres (cf. Desrosières, 2003).
Certes, étant donné le pli pris aujourd’hui par certains
scientifiques contemporains, d’autres– François
Lurçat par exemple, un physicien – considèrent que la
tendance actuelle de la science mène à l’ignorance. Ils
rejoignent ainsi ce qu’écrivait J.F. Revel qui, en se
plaçant d'un point de vue différent, faisait le constat de la connaissance inutile. .
Mais revenons à l'économie...
b. Economie de pensée
économique et tendance de la science économique.
Par imitation ou transposition de la proposition de Mach-Poincaré, on
peut dire que la tendance de la "science économique",
c’est l’économie de pensée économique.
Qu'est-ce que la pensée économique ? C'est ce dont Hayek (1933)
a expliqué la tendance et dont des économistes de l'an 2000 ont
prévu l'avenir.
De fait, il y a une distorsion entre l'économie de pensée
économique et les tendances hier présente et à venir
développées. La tendance de la pensée
économique présentée chaque fois s'avère être
non économique...
Hayek s'en était ému et avait réagi dans sa
conférence alors que nos économistes s'en sont moqué ...
contrairement à Fabra.
Cela fait apparaître que ce qui est dénommé science
économique ou tel ou tel synonyme de celle-ci par l'opinion publique
ou par le progressisme n'a rien qui tienne de la science.
Qu'est-ce que la vraie science économique ? C'est le domaine de la
connaissance dont la tendance est l'économie de pensée
économique.
A la base de la science économique, il y a la pensée
économique et non pas quelque artifice, par exemple,
mathématique.
Eclatent au grand jour que la science économique n’a pas
à prouver ni à prédire quoi que ce soit, mais
qu’elle a à fournir à l’être humain, à
l'opinion publique une information sur la réalité économique,
une connaissance toujours accrue sur celle-ci et toujours plus
acérée.
Si la science économique est la reine des sciences, c'est justement
qu'elle inclut dans son cadre un grand principe qu'elle ne prend
à personne - à savoir le principe d'économie ou, si on
préfère, de moindre action - et que ce principe lui est
emprunté par d'autres sciences.
Quant à la réalité économique, dans cette
perspective, sachant qu’on ne fait rien sans rien, c’est le
constat qu’on a appliqué ou non le principe d'économie,
c'est-à-dire qu'on a fait ou qu'on n'a pas fait :
- autant avec moins,
- plus avec autant, ou bien
- le plus avec le moins.
Ce que les économistes qui laissent de côté l'action
humaine comme concept, dénomment la rationalité...
3.B. Pensée
économique, action humaine et science générale de
l’action humaine.
Encore faut-il pour établir cela ne pas faire abstraction de
l’action humaine, ne pas dénaturer ni déformer celle-ci
ou d'autres mots comme le font une grande majorité
d’économistes.
a) Des pièges.
En effet, c’est en général le cas aujourd’hui de la
« science économique » ou de l’un ou
l’autre de ses synonymes communément employés, à
commencer par sa propre dénomination.
Pourquoi préférer la dénomination « science
économique » aux autres, par exemple à la
dénomination « économie
politique » ?
Pourquoi ne pas rejeter les unes et les autres étant données
l’abstraction, la dénaturation ou la déformation des mots
qu'elles comportent?
Pourquoi, comme s'y est prêté en définitive Hayek, ne pas
leur préférer le fait de parler de la
« pensée économique » ?
Cette façon de procéder évite pourtant de se faire
piéger.
En effet, la science économique et ses synonymes sont des expressions
plus ou moins piégées par leurs hypothèses ou leur
méthode qui mettent à l'écart pensée et action
humaines dignes de ces noms. On dira que les synonymes le sont plus si
on veut se protéger des pièges ou qu'ils le sont moins si on
s’en accommode.
Et parmi les pièges, il y a donc le vocabulaire dénaturé
ou déformé employé.
b. La science
générale de l'action humaine.
La pensée économique, nécessairement humaine, ne doit
pas cacher non plus sa jumelle, l’action humaine, qui n’est pas
nécessairement économique, ni nécessairement
scientifique, cette action humaine dont, l’année même de
la conférence de Hayek, Ludwig von Mises
dénommait la science générale, « praxéologie »
(cf. Mises, L. von (1933), Gundprobleme der Nationalökonomie:
Untersuchungen über Verfahren, Aufgaben und Inhalt des Wirtschafts und Gesellschaftslehre, Gustav Fisher,
Iéna ; disponible en anglais sur le site du
Mises Institute).
En effet, l’être humain pense et agit, l’action humaine ne
saurait être séparée de la pensée.
Au nombre des actions, il y a les actions économiques que certains
économistes refusent comme « concept
scientifique » pour préférer les
« résultats des actions » et les
phénomènes économiques autres qui en résultent.
Au passage, ils n'hésitent pas à parachuter l'action des hommes
de l'Etat en lui donnant le nom de "politique" et sans faire
intervenir ses caractères - au nombre de quoi coercition ou spoliation
-.
Une action, économique ou autre, nécessite des moyens –
au nombre de quoi, la pensée - et vise des fins.
En d’autres termes, elle a un coût d’opportunité
évalué et, si menée, elle un profit attendu avec
incertitude.
Pourquoi s'en moquer ?
Malgré cela, jusqu'à récemment, à l'exception des
économistes de l'école de pensée économique dite
« autrichienne » - mais de fait, si on remonte dans le
passé, aussi « autrichienne » que
« française » - la plupart des
économistes ne l'ont pas prise comme axiome, ni comme concept.
Quant à ceux d'autres écoles qu'elle est parvenue à
charmer, ils semblent lui témoigner leurs réserves en la
dénaturant ou la déformant.
L’action humaine de Mises ou de Hayek, la vraie, a en effet peu de
choses à voir avec ce qu’en dit par exemple G. Debreu en 1960
quand il écrit :
« une action "a" d’un agent est un point de
l’espace des marchandises "Rl", un
système de prix "p" est un point de l’espace "Rl", la valeur d’une action "a"
relative à un système de prix "p" est le produit
intérieur "p.a" ».
Pauvre "agent" !
Que d'entorses au plus élémentaire bon sens peut-on faire pour
appliquer des théorèmes d'un domaine des mathématiques
qu'on a choisi arbitrairement, au nom de l'économie
mathématique !
4. En bref.
Bref, ce n'est pas pour tout cela "que votre fille est muette",
mais c'est pour tout cela que choix politique et tendance de la pensée
économique regrettables font depuis des années bon
ménage en France, dans le ménage à trois qu'ils forment
avec le marché financier, lequel ne peut qu'avoir néanmoins une
certain dent contre ce choix arbitraire de certaine mathématique (cf. ce texte).
Il s'ensuit des déficits du budget de l'Etat, un endettement de
celui-ci - par le marché financier - et des dépenses publiques
croissants.
Jusqu'à quand ? Personne ne saurait le dire.
Mais je dirai pour ma part ... jusqu'à ce que l'opinion publique
reconnaisse la science économique comme la science
générale de l'action humaine et comme rien d'autre.
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous
droits réservés par l’auteur
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