Choix politique et tendance de la pensée économique regrettables.

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Published : December 22nd, 2010
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1.      Le choix politique.

La loi de finances de l’Etat de la France et la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2011 viennent d’être votées par le Parlement, dans les mêmes termes, après débats.
A peu de choses près, et malgré certains amendements, ces lois sont, en chiffres, très proches des projet initiaux.
Une année de plus, elles font apparaître, chacune, un excès des dépenses programmées sur les ressources attendues, c’est-à-dire un déficit budgétaire.

Pour les chiffres de l’année dernière, on pourra se reporter à cette page  ou à celle-ci.

1.A. Les dépenses et déficit de l'Etat.

D'après la comptabilité publique selon les règles de quoi est présenté le budget de l'Etat, les dépenses du budget général se montent à :

                                 € 356,9 milliards

(p.12 du projet de loi de finances initial),

et le déficit budgétaire à :

                                  € 92 milliards

(ibid., p.21)

soit :

                           25,8% des dépenses.

Soit remarqué en passant, la charge d'intérêt sur l’endettement de l’Etat programmée est de :

                           € 45,4 milliards.

Ce montant permet de calculer que le déficit budgétaire de l’Etat à financer a un montant double de la charge d’intérêt.
A supposer qu’il n’y ait pas de charge d’intérêt, le déficit budgétaire serait encore de près de 45 milliards d’euros (14,4% des dépenses) !

Le déficit budgétaire attendu représente aussi :

                     34,7% des ressources.

Il faudrait donc augmenter les ressources, donc l'impôt, de ce chiffre pour que les dépenses programmées de l'Etat soient couvertes de cette façon.

1.B. Les dépenses et déficit du para Etat qu'est l'organisation de la sécurité sociale obligatoire .

D'après la comptabilité des opérations de la sécurité sociale – véritable para Etat - selon les règles de quoi est présenté l'état d'icelle, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (toutes branches hors transferts entre branches)  (cf. article 25 p.40 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, avant débat), l’objectif de dépenses est :

                      € 448,9 milliards

pour un déficit de :

                       € 22,7 milliards.

Pour le seul régime général de sécurité sociale (cf. article 26, p.41, toutes branches, hors transferts entre branches)), l’objectif de dépenses se monte à :

                     € 327,5 milliards,

pour un déficit de :

                     € 21,3 milliards.

1.C. Les dépenses et déficit de l'assurance chômage obligatoire.


S'agissant de l'assurance-chômage obligatoire qui ne donne pas lieu à un regard du Parlement sur ses opérations - on ne peut que s'en étonner -, le montant des dépenses pour 2011 établies selon des règles de comptabilité peu connues est programmé à

                    € 33,7 milliards,

pour un déficit de :

                     € 2,6 milliards.


Il reste que tous ces déficits sont bien évidemment conditionnés par le marché financier, « ce pelé, ce galeux… » à entendre certains.
Il lui échoira en effet d’accepter ou de refuser de couvrir tel ou tel déficits encore une année... et de refinancer les dettes de l'un ou de l’autre qui viendront à remboursement.

1.D. L'imperturbabilité politique.

La tendance de ces dernières décennies, qualifiable, au choix, de « grande cavalerie » ou de « suicidaire », n'est donc pas interrompue en 2011, ni inversée, mais perpétuée et surtout approfondie.

Les dépenses publiques continuent à être augmentées contre vents et marées tant en valeur qu'en volume (cf. figure 1 pour l'augmentation annuelle en volume depuis 1988 et jusqu'à 2014).

                                   Figure 1

                          Dépenses publiques
           (en taux de croissance annuel, en %)
                                1988-2014



3.     Source : Sénat


Quant aux déficits et aux amortissements de la dette de l'Etat, l'évolution ne manque pas de sel sur la période 1999-2011 (cf. figure 2).

                                    Figure 2
                                          
      Déficit budgétaire, amortissement de la dette
                et appel au marché financier total

                                 (1999-2011)
                           (en milliards d'euros)

4.    


6.     Source : Sénat.


Ainsi, il est prévu qu'en 2011, le marché financier non seulement couvre le déficit budgétaire, mais encore refinance un amortissement de la dette de l'Etat d'un montant supérieur au montant du déficit (de l'ordre de 100 milliards, soit près de 200 milliards au total).

A la base du phénomène, il y a le choix politique imperturbable que l’Etat de la France, le para Etat qu’est l'organisation de la sécurité sociale obligatoire et l'assurance chômage obligatoire qu'a en charge l'U.N.E.D.I.C. survivent tels quels, avec des dépenses croissantes non couvertes par la fiscalité, au crochet du marché financier, aux prix d’une charge d’intérêt annuelle et d’un endettement croissant.

Puisque les couleurs politiques des gouvernements et de leur majorité parlementaire alternent et que rien ne change, seule une tendance de la pensée économique peut légitimer, justifier ou asseoir la persistance d’un tel choix politique et, en conséquence, la tendance imperturbable des lois en question.  Laquelle ?

Vaste question, a priori à nombreuses réponses possibles plus ou moins en opposition.

L’application du prétendu principe de précaution tant à la mode aujourd'hui dans le monde politique peut-elle être une réponse ?

A coup sûr non.
Au nom de la précaution la plus élémentaire, les budgets de l’Etat, du para Etat et de l'U.N.E.D.I.C. devraient avoir un déficit égal ou proche de zéro.


2. La pensée économique.

2.A. Sa tendance en 1933.

En 1933, Friedrich von Hayek s'était interrogé sur la tendance de la pensée économique d'alors, à l’occasion d’une conférence prononcée en mars à la London School of Economics and Political Science intitulée ainsi et publiée dans Economica en mai..

La conférence a pour coeur le sort fait à l’économiste par l’opinion publique qui voit inéluctable et d’un bon œil le contrôle croissant de l’Etat et la planification dont « le socialisme est le frère plus âgé».

Selon Hayek, l’économiste contemporain est désormais isolé, l’opinion publique ne l’écoute pas - comme peuvent l'être les scientifiques dans d'autres domaines de la connaissance - et il n’a aucune influence sur les événements. 

Et Hayek de s'étonner que le progressisme moderne refuse de disposer de la connaissance que lui fournit l'économiste et qui est le produit du seul effort permettant d'explorer systématiquement les possibilités de changement.

En vérité, ce sort cache les changements intellectuels qui sont intervenus les soixante ou soixante dix dernières années, ainsi que les causes de ceux-ci. Il les expose en regrettant qu'ils aient été commis.  Je laisse de côté leur description et renvoie le lecteur à leur lecture.

2.B. Son avenir en l'an 2000.

Soixante sept ans plus tard, à l’occasion de la survenance du « nouveau millénaire », des économistes de renom ont écrit des articles sur le thème voisin des « prévisions sur l’avenir de la pensée économique » dans The Journal of Economic Perspectives (hiver 2000).

Certes, entre temps, avaient émergé ou avaient été approfondies
- l’économie politique, "science statistique" et l'économétrie,

- la théorie de la valeur – dénommée aussi théorie de l’équilibre économique général – à quoi fait allusion J.M. Keynes dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. en 1936, pour la critiquer ou que G. Debreu prend comme titre d’un livret en 1960, sous les formes de :
* la microéconomie ou,
* l'économie mathématique walrassienne ou parétienne ;

- la macroéconomie :
* en économie fermée,
* en économie ouverte,
* en croissance ;

- l'économie expérimentale.

Et c'est à ces divers domaines que nos économistes de l'an 2000 ont fait plus ou moins référence dans leur article.

Mais le biais regretté par Hayek est resté le même.

Paul Fabra, dans un article du quotidien Les Echos du 19-20 mai 2000, le résumera d'ailleurs en donnant son opinion sur ces divers articles, en une phrase :

« A l’insu des auteurs, il en résulte un édifiant inventaire des failles de la théorie pseudo-moderne ».

Je partage son opinion et irai au-delà.

D'une part, je dirai que, dans les oripeaux de la "théorie économique pseudo-moderne" dont elle se vêt, la pensée économique dominante reste mal en point, mais fait bon ménage avec le choix politique.
De fait, ils se soutiennent l'un l'autre.  Peu importe qui constitue la béquille, je le laisse deviner.


3. La science économique, science générale de l'action humaine méconnue.

D'autre part, la tendance de la pensée économique qu'observait Hayek en 1933 ou l’avenir que lui prévoyaient nos économistes de l'an 2000 ne devraient cacher ni la vraie science économique, à l’époque ou aujourd’hui, ni ce qui lui est intimement lié, à savoir l’action humaine.
Il faut savoir en effet que, bien loin qu’il en soit ainsi, en théorie et en pratique, beaucoup d’économistes mettent à mal pensée et action de l'être humain.

3.A. De la pensée économique à la science économique.

Qu'à cela ne tienne, une façon de remettre sur la selle de l'opinion publique la pensée économique digne de la dénomination est de la mettre en relation avec la tendance de la science en général et de la vraie science économique en particulier.


a. Tendance de la science et économie de pensée.
Selon Ernst Mach, le physicien autrichien dont le nom a été donné à l’unité de mesure de la vitesse du son, que reprend dans Science et Méthode (1908) Henri Poincaré, le mathématicien dont la conjecture vient seulement d’être démontrée grâce à des mathématiques qui n’existaient pas il y a une trentaine d’années, la tendance de la science, c’est l’économie de pensée.

Poincaré rend hommage à Mach en ces termes :

"Et c'est ainsi également que cette économie de pensée, cette économie d'effort, qui est d'après Mach la tendance constante de la science, est une source de beauté en même temps qu'un avantage pratique [...]
Le célèbre philosophe viennois Mach a dit que le rôle de la science est de produire l'économie de pensée, de même que la machine produit l'économie d'effort [...]
C'est à l'économie de pensée que l'on doit viser, ce n'est donc pas assez de donner des modèles à imiter [...]
on ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée, comme disait Mach" (Poincaré, 1908, pp.17-31)

Pour sa part, la science, c’est la méthode (selon Poincaré) et non pas d’abord la mesure – comme le veut par exemple la Cowles Foundation -, a fortiori des statistiques. Ce ne sont ni des mots, ni des chiffres (cf. Desrosières, 2003).

Certes, étant donné le pli pris aujourd’hui par certains scientifiques contemporains, d’autres– François Lurçat par exemple, un physicien – considèrent que la tendance actuelle de la science mène à l’ignorance. Ils rejoignent ainsi ce qu’écrivait J.F. Revel qui, en se plaçant d'un point de vue différent, faisait le constat de la connaissance inutile. .

Mais revenons à l'économie...


b. Economie de pensée économique et tendance de la science économique.
Par imitation ou transposition de la proposition de Mach-Poincaré, on peut dire que la tendance de la "science économique", c’est l’économie de pensée économique.

Qu'est-ce que la pensée économique ? C'est ce dont Hayek (1933) a expliqué la tendance et dont des économistes de l'an 2000 ont prévu l'avenir.

De fait, il y a une distorsion entre l'économie de pensée économique et les tendances hier présente et à venir développées.  La tendance de la pensée économique présentée chaque fois s'avère être non économique...
Hayek s'en était ému et avait réagi dans sa conférence alors que nos économistes s'en sont moqué ... contrairement à Fabra.

Cela fait apparaître que ce qui est dénommé science économique ou tel ou tel synonyme de celle-ci par l'opinion publique ou par le progressisme n'a rien qui tienne de la science.

Qu'est-ce que la vraie science économique ? C'est le domaine de la connaissance dont la tendance est l'économie de pensée économique.
A la base de la science économique, il y a la pensée économique et non pas quelque artifice, par exemple, mathématique.

Eclatent au grand jour que la science économique n’a pas à prouver ni à prédire quoi que ce soit, mais qu’elle a à fournir à l’être humain, à l'opinion publique une information sur la réalité économique, une connaissance toujours accrue sur celle-ci et toujours plus acérée.

Si la science économique est la reine des sciences, c'est justement qu'elle inclut dans son cadre un grand principe  qu'elle ne prend à personne - à savoir le principe d'économie ou, si on préfère, de moindre action - et que ce principe lui est emprunté par d'autres sciences.

Quant à la réalité économique, dans cette perspective, sachant qu’on ne fait rien sans rien, c’est le constat qu’on a appliqué ou non le principe d'économie, c'est-à-dire qu'on a fait ou qu'on n'a pas fait :
- autant avec moins,
- plus avec autant, ou bien
- le plus avec le moins.

Ce que les économistes qui laissent de côté l'action humaine comme concept, dénomment la rationalité...

3.B. Pensée économique, action humaine et science générale de l’action humaine.

Encore faut-il pour établir cela ne pas faire abstraction de l’action humaine, ne pas dénaturer ni déformer celle-ci ou d'autres mots comme le font une grande majorité d’économistes.


a) Des pièges.
En effet, c’est en général le cas aujourd’hui de la « science économique » ou de l’un ou l’autre de ses synonymes communément employés, à commencer par sa propre dénomination.

Pourquoi préférer la dénomination « science économique » aux autres, par exemple à la dénomination « économie politique » ?

Pourquoi ne pas rejeter les unes et les autres étant données l’abstraction, la dénaturation ou la déformation des mots qu'elles comportent?

Pourquoi, comme s'y est prêté en définitive Hayek, ne pas leur préférer le fait de parler de la « pensée économique » ?

Cette façon de procéder évite pourtant de se faire piéger.

En effet, la science économique et ses synonymes sont des expressions plus ou moins piégées par leurs hypothèses ou leur méthode qui mettent à l'écart pensée et action humaines dignes de ces noms.  On dira que les synonymes le sont plus si on veut se protéger des pièges ou qu'ils le sont moins si on s’en accommode.

Et parmi les pièges, il y a donc le vocabulaire dénaturé ou déformé employé.


b. La science générale de l'action humaine.

La pensée économique, nécessairement humaine, ne doit pas cacher non plus sa jumelle, l’action humaine, qui n’est pas nécessairement économique, ni nécessairement scientifique, cette action humaine dont, l’année même de la conférence de Hayek, Ludwig von Mises dénommait la science générale, « praxéologie » (cf. Mises, L. von (1933), Gundprobleme der Nationalökonomie: Untersuchungen über Verfahren, Aufgaben und Inhalt des Wirtschafts und Gesellschaftslehre, Gustav Fisher, Iéna ; disponible en anglais sur le site du Mises Institute).

En effet, l’être humain pense et agit, l’action humaine ne saurait être séparée de la pensée.

Au nombre des actions, il y a les actions économiques que certains économistes refusent comme « concept scientifique » pour préférer les « résultats des actions » et les phénomènes économiques autres qui en résultent.
Au passage, ils n'hésitent pas à parachuter l'action des hommes de l'Etat en lui donnant le nom de "politique" et sans faire intervenir ses caractères - au nombre de quoi coercition ou spoliation -.

Une action, économique ou autre, nécessite des moyens – au nombre de quoi, la pensée - et vise des fins.
En d’autres termes, elle a un coût d’opportunité évalué et, si menée, elle un profit attendu avec incertitude.
Pourquoi s'en moquer ?

Malgré cela, jusqu'à récemment, à l'exception des économistes de l'école de pensée économique dite « autrichienne » - mais de fait, si on remonte dans le passé, aussi « autrichienne » que « française » - la plupart des économistes ne l'ont pas prise comme axiome, ni comme concept.

Quant à ceux d'autres écoles qu'elle est parvenue à charmer, ils semblent lui témoigner leurs réserves en la dénaturant ou la déformant.

L’action humaine de Mises ou de Hayek, la vraie, a en effet peu de choses à voir avec ce qu’en dit par exemple G. Debreu en 1960 quand il écrit :

« une action "a" d’un agent est un point de l’espace des marchandises "Rl", un système de prix "p" est un point de l’espace "Rl", la valeur d’une action "a" relative à un système de prix "p" est le produit intérieur "p.a" ».

Pauvre "agent" !
Que d'entorses au plus élémentaire bon sens peut-on faire pour appliquer des théorèmes d'un domaine des mathématiques qu'on a choisi arbitrairement, au nom de l'économie mathématique !


4. En bref.

Bref, ce n'est pas pour tout cela "que votre fille est muette", mais c'est pour tout cela que choix politique et tendance de la pensée économique regrettables font depuis des années bon ménage en France, dans le ménage à trois qu'ils forment avec le marché financier, lequel ne peut qu'avoir néanmoins une certain dent contre ce choix arbitraire de certaine mathématique (cf. ce texte).

Il s'ensuit des déficits du budget de l'Etat, un endettement de celui-ci - par le marché financier - et des dépenses publiques croissants.

Jusqu'à quand ? Personne ne saurait le dire.

Mais je dirai pour ma part ... jusqu'à ce que l'opinion publique reconnaisse la science économique comme la science générale de l'action humaine et comme rien d'autre.

 

Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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