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On me demande souvent de
définir en quelques mots la "sécurité
sociale".
Voici la définition que je proposerai désormais.
"Sécurité sociale" est une expression qui semble
avoir été employée pour la première fois par
Simon Bolivar (1783-1830) - si l'on en croît J.-J.
Dupeyroux -.
On la retrouve surtout dans la proclamation du premier congrès
national du parti des travailleurs italiens en 1894 et dans un décret
du Conseil des commissaires du peuple de la République socialiste
soviétique de Russie en date du 31 octobre 1918.
En France, à la fin du XIXè
siècle, il n'était question que de "solidarité
sociale" ou d'"assurance sociale", pas encore de
"sécurité sociale".
Et, à propos de la solidarité sociale, Vilfredo
Pareto avait des mots très durs (cf. ce
texte).
Au XXè siècle,
"sécurité sociale" est devenu
un concept qui a été différencié et
dégagé progressivement de l'idée générale
de "sécurité" et des notions voisines de
"bienfaisance", de "prévoyance" et de
"responsabilité".
Friedrich Von Hayek (1960) lui a d'ailleurs consacré le chapitre 19 de
La Constitution de la
Liberté (Litec (coll. Liberalia), Paris, pp.285-99).
Quelques années plus tôt, Ludwig
von Mises (1947) avait montré dans Le chaos du planisme(traduction en français des
ed. Génin,
Librairie de Médicis, 1956) les dégâts occasionnés
par la sécurité sociale tant dans l'Allemagne de Bismarck que
dans la Russie de Lénine, l'Italie de Mussolini, etc.
En relation avec l'émergence du concept, des institutions existantes,
telles les associations de charité ou les compagnies d'assurances, se
sont vu l'objet de critiques à la fois vives, croissantes et plus
infondées les unes que les autres, d'une part.
D'autre part, selon les pays, le concept a été envisagé
dans son unité ou en partie seulement.
Il a été ainsi interprété comme un projet de
société, un plan, un droit, un organisme unitaire ou encore une
technique de garantie nouvelle des risques dits sociaux, i.e. des risques de
perte en relation avec les accidents du travail, la maladie,
l'invalidité, la vieillesse, le chômage, la famille, les
congés payés, etc. (cf. mon
livre de 2008)
Par exemple, aux Etats-Unis d'Amérique, en 1935, F.D. Roosevelt, le
président en exercice, a institué la "Social
Security", organisme unitaire de retraite obligatoire régi par
l'Etat fédéral et doté d'un "fonds"
créé pour l'occasion.
Dix ans plus tard, en France, le climat politique pour le moins
perturbé de la fin de la guerre de 1939-1945 a permis à un
gouvernement provisoire, sans base élective légitime,
d'instituer par ordonnances un plan de "Sécurité
sociale".
Il a amené à la construction d'un organisme unitaire indépendant
de l'Etat recouvrant - sans les distinguer des prestations de retraite
obligatoire -, non seulement la couverture des dépenses en relation
avec les accidents du travail, la maladie et l'invalidité, mais aussi
les allocations familiales.
Soit dit en passant, l'organisme se moque de l'indemnisation du chômage
pour la "bonne" raison que, de par son existence, sont
supposés assurer le plein emploi et le développement
économique...
De par sa construction, il est censé aussi mettre à l'abri des
"crises" des marchés financiers...
S'il a concerné au départ les seuls employés
salariés du secteur économique dénommé
"industrie et commerce", il va être
"universalisé" par à-coups à toute la population
et recouvrir un grand nombre de régimes différents.
Ce qu'on dénomme aujourd'hui "régime
général", par le nombre de ses affiliés sans
commune mesure avec les autres, est ainsi le descendant de l'organisme
initial.
La sécurité sociale fonctionne sur la base de cotisations
obligatoires en monnaie qu'elle reçoit et à quoi sont
assujettis ses affiliés.
En général, l'obligation réglementaire donnant lieu
à un déplacement de la responsabilité - ce qui est
ignoré ou mis à l'écart -, elle ne peut qu'avoir des
effets désastreux à terme (cf. Bastiat, 1850,
réédité dans Bastiat, F. (2007), Harmonies sociales,
éditions du Trident, Paris ou mon
texte de 2001).
Dans le cas de la sécurité sociale, la responsabilité se
déplace de l'affilié vers l'organisme si ce dernier est
régi par l'Etat, donc directement vers l'Etat, i.e. vers les
contribuables "pour payer les pots cassés".
Si l'organisme est régi autrement, le déplacement se fait
d'abord vers lui, puis, étant donnés les effets insoutenables,
l'Etat s'y substitue et, par conséquent, les contribuables sont
appelés à payer.
Sous prétexte que réglementairement, l'"assiette" de
cotisation est le salaire de l'employé et qu'il est question le plus
souvent d'un "taux" de cotisation "employeur" et d'un
taux de cotisation "employé", il est habituel
d'évoquer une cotisation versée par l'employeur et une autre
par l'employé.
Mais c'est une erreur (cf. par exemple ce
texte de 2010).
En fin de compte, c'est le client du produit que met sur le marché
l'employeur qui paie le prix du travail de l'employé (i.e. le salaire
augmenté de la cotisation "employeur").
Et c'est donc l'employé qui sous estime
à la fois le prix du travail qui lui est payé et ce qu'il paie
réellement en sécurité sociale.
Les prestations à quoi a droit l'affilié sont en relation avec
le risque de perte, dit "social", réalisé, et en
général indépendantes des montants des cotisations qu'il
a versés.
En conséquence, déresponsabilisés, des affiliés
cherchent à obtenir les prestations les plus élevées ou
ne se soucient pas de celles mirobolantes qui peuvent leur échoir.
Autre grande conséquence, en principe, les assujettis à de
faibles cotisations peuvent bénéficier de prestations
très élevées : c'est la redistribution sur quoi
insistent beaucoup.
Alliée à l'obligation, la redistribution donne lieu à ce
que certains auteurs ont dénommé "nouvelle technique de
garantie", à savoir la "répartition
obligatoire".
La répartition obligatoire veut qu'en principe, à chaque
instant, ses dirigeants fassent en sorte que le montant des cotisations soit
égal au montant des prestations : c'est l'équilibre de la
sécurité sociale (aux frais d'administration près...),
la "règle d'or".
Le cas échéant, comme en France où il y a plusieurs
régimes de sécurité sociale, la répartition
obligatoire est complétée par la "compensation entre
régimes".
Les régimes à excédent financier, s'il s'en trouve, sont
obligés de donner leurs excédents aux régimes
déficitaires.
En pratique, par exemple en France, il s'avère que, comme il fallait
s'y attendre (déplacement de la responsabilité), le montant des
cotisations est inférieur au montant des prestations, et cela
malgré l'augmentation des taux de cotisations, l'élargissement
de l'assiette, les subventions de l'Etat, et la diminution des prestations.
C'est le déficit de la sécurité sociale à quoi a
permis d'exister le marché financier par les fonds que celui-ci a
fournis, ce marché contre quoi s'est constituée la
sécurité sociale au départ.
Il reste que tant les critiques des institutions existantes que la
nouveauté de la technique évoquées hier ont
été des propos fallacieux, écume de l'idéologie
socialiste en pleine expansion alors dans le monde.
D'une part, les institutions héritées du passé, et donc
fruit d'innovations antérieures, ne s'étaient pas
révélées de plus en plus insuffisantes comme cela avait
été colporté.
Elles devaient seulement surmonter les obstacles de tous les jours.
Parmi ceux-ci, méritent d'être soulignés ceux que, soit
les politiques fiscale et monétaire (inflation) du moment, soit la
réglementation de leurs activités jetaient sur la voie de leur
cheminement.
D'autre part, la sécurité sociale n'était ni une
technique nouvelle, ni même une technique.
Une réglementation juridique extrême comme l'est la
répartition obligatoire mâtinée de compensation ne
saurait être définie comme telle.
Une preuve en est qu'elle n'est pas susceptible de perfectionnement ou
d'innovation comme l'est toute technique digne de ce nom, mais seulement de
réformes...
Quant à l'obligation réglementaire, condition de la
redistribution, elle est vieille comme le monde et ne saurait donc être
assimilée à un processus d'innovation, seulement à une
pérennité de l'esclavage.
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
., , 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris,
intitulé Liberté
économique et progrès social, n° 70, mars 1994, pp.
10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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