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Peut-on dire que la monnaie
de la France était dépendante du budget de son Etat au
début du XXème siècle ?
On peut toujours le soutenir même si cela est très discutable.
La monnaie d'un pays et le budget de l'Etat de celui-ci n'ont a priori rien à voir
l’un avec l’autre.
Peut-on le soutenir aujourd'hui, au début du XXIème
siècle?
Non, car la France a pour monnaie l'euro et que l'euro ne lui est pas propre.
Peut-on soutenir alors que la monnaie euro est dépendante des budgets
des Etats des pays membres de la zone euro ?
Certains le soutiennent plus ou moins tacitement. Rien ne justifie
pourtant une réponse affirmative à la question sinon pour tenter de perpétrer un mauvais coup.
1. Petit rappel.
La quantité de monnaie – la « masse monétaire
» comme on dit en France – circulant dans un pays et le budget de
l’Etat de ce pays n’ont a
priori rien à voir l’un avec l’autre.
La monnaie contribue à réduire le coût de l’échange des biens en
propriété tandis que la plupart des postes du budget de l'Etat
recouvrent des opérations qui court-circuitent l’échange
et qui tiennent davantage dans des vols légaux de propriétés
aux uns et dans des dons de celles-ci à d'autres, voire à
eux-mêmes.
Cette indépendance de la quantité de monnaie et du budget a
longtemps étayé la recherche macroéconomique, discipline
de l’économie politique apparue à la fin de la
décennie 1930.
Celle-ci portait principalement sur les effets respectifs de la politique
monétaire et de la politique budgétaire sur le revenu national
– la production, l’emploi – et, le cas
échéant, sur le taux de change de la monnaie nationale
réglementée.
Forme extrême de cette recherche : le modèle
économétrique « monétariste » dit
"réduit" de la Banque fédérale de Saint Louis
(U.S.A.) qui avait vu le jour à la fin de la décennie 1960
et qui établissait une relation directe chiffrée entre le
revenu national, la quantité de monnaie "dollar" et le
budget de l’Etat fédéral.
Il laissait de côté le taux de change du dollar.
Dans le cadre de l’expérience actuelle de l’euro
commencée en 1999, les hommes de l’Etat des pays membres de la
zone euro semblent vouloir faire croire aujourd’hui que «
beaucoup de choses », à commencer par l'existence même de
l'euro, dépendent des budgets des Etats en question.
Selon eux, étant données les politiques budgétaires qui
ont été menées par les uns et les autres depuis le
début de l’expérience, qui s’avèrent
être en opposition avec les règles convenues, et leurs
endettements respectifs résultant, il faut instituer une
solidarité entre Etats.
En d’autres termes « terre à terre », il faut
prendre aux peuples des uns et donner aux peuples des autres, en se servant
au passage – il faut bien vivre, n'est-ce pas … -.
Premiers organismes créés dans cette optique : l’"Eurogroupe" et la « facilité européenne de
stabilité financière » (F.E.F.S.) .
De fait, aujourd’hui, les pays membres de la zone euro n’ont pas,
chacun, une quantité de monnaie spécifique qui circule dans
leurs frontières et qui irrigue leurs activités
économiques.
Leurs populations respectives s’adressent spontanément au
système monétaire "euro", un système
bureaucratique hiérarchisé au sommet de quoi se trouve une
banque créée pour l’occasion, la banque centrale européenne
(B.C.E.).
Statutairement, la B.C.E. a reçu mission de faire en sorte qu’il
y ait stabilité des prix en monnaie dans la zone euro et que le
système monétaire qu’elle coiffe offre de la monnaie en
conséquence - sauf conditions extraordinaires, vraisemblablement
méconnues du grand public … -.
En d’autres termes, elle doit faire en sorte que le pouvoir d’achat
de l’euro soit stable.
Soit dit en passant, curieusement, certains distinguent aujourd’hui le
pouvoir d’achat d’une monnaie et son taux de change : la
création de l’Eurogroupe en est une conséquence directe.
Exit, dans ces
conditions, la discussion officielle sur les effets de la politique
monétaire sur le revenu national dans chacun des pays de la zone euro.
Reste la politique budgétaire.
Les pays membres de la zone euro n’ont pas, par contre, une politique
budgétaire commune.
Ils avaient des règles que les hommes de l’Etat
s’étaient donnés au départ, dont ils
étaient convenus et qui devaient faire fonction ou jouer le rôle
de la politique budgétaire commune.
Le fait est que la plupart des hommes de l'Etat ne
les ont pas respectées.
Certains voulaient même l’institution d’un Etat
européen qui s’en chargerait, mais des peuples consultés
par referendum sur la question l’ont refusé.
L’entreprise de solidarité entre Etats en gestation est donc un
camouflet de plus – certes caché par la rhétorique
– donné aux peuples, voire à l’intelligence des
phénomènes économiques par les économistes.
Même si les apparences semblent faire croire le contraire,
l’entreprise n’est pas nouvelle.
Elle est une espèce de poursuite d’une entreprise passée
dont on peut dater la naissance.
2. L'évidence.
Jusqu’à l’interdiction de la convertibilité en
or de "la" monnaie – en toute rigueur, la
convertibilité en or des substituts de la monnaie bancaires (billets
et compte de dépôt) puisque la monnaie était de l'or (ou
de l'argent) -, l'indépendance de la monnaie et du budget d'un Etat
était une évidence pour chacun.
Les ajustements économiques se faisaient spontanément par
variations ponctuelles des prix en monnaie des échanges
intérieurs, par variations de la quantité de monnaie-or,
couverture des substituts de monnaie bancaires, en
relation avec les échanges extérieurs et,
à l’extrême, par variation du prix de
« la » monnaie en or.
3. La révolution
de palais ignorée.
Avec l'interdiction de la convertibilité en or et la charlatanerie
qui s'est ensuivie, l'apparence de la dépendance de la monnaie au
budget de l'Etat a été prise pour "argent comptant"
par l'opinion publique.
En vérité, les hommes de l'Etat de l'Occident ont fait une
espèce de révolution de palais, curieusement ignorée des
historiens, dans la décennie 1930.
Ils y ont procédé quand ils ont interdit, chacun leur tour - ceux de France en 1937 -, la
convertibilité intérieure en or de « la »
monnaie dans les pays de l’Occident – et malgré
l’exemple récent alors des dégâts qu’avait
causés l’inconvertibilité de certaines monnaies au
lendemain de la guerre de 1914-18 (cf. par exemple, le livre de Jacques Rueff
intitulé Théorie
des phénomènes monétaires et publié
en 1927) -.
Ils ont considéré qu'ils étaient les plus forts ainsi et
qu'ils ne seraient plus pris de court par les ajustements économiques,
celui du début de la décennie 1930 serait le dernier.
A défaut de tous les empêcher, au moins ils
"amoindriraient" leur intensité .
De plus, après les variations des prix des monnaies nationales en or
choisies dans la première moitié de la décennie 1930 et
les interdictions de la convertibilité intérieure de la monnaie
nationale en or – à commencer par les Etats-Unis -, des
économistes ont affirmé expliquer que les ajustements
économiques peuvent se faire ou se contrer par des opérations
budgétaires (fiscalité, dépenses de l’Etat,
endettement), bref par la politique budgétaire.
Et ils ont été écoutés par les hommes de l'Etat.
4. Faut-il rappeler la
suite ?
La suite, c’est le débat des économistes sur les
coûts et avantages de la politique budgétaire et de ce
qu’on dénomme depuis récemment alors, la
« politique monétaire », pour ne pas parler,
comme c’est le cas entre autres en France, de la
« planification », jusqu'à aujourd'hui inclus (cf.
par exemple ce texte).
C’est le débat sur les déséquilibres des balances
des paiements internationaux des pays membres du système
monétaire international convenu à Bretton Woods (U .S.A.)
en 1944, jusqu'à aujourd'hui inclus.
C’est la décision du président des Etats-Unis, Nixon,
qui, en 1971, décrète l’inconvertibilité
extérieure du dollar en or et cela, en définitive, en
dépit de l’action menée par le Fonds monétaire
international (F.M.I.), organisme créé en 1944, qui devait
aider au fonctionnement du système conclu alors – en
d’autres termes, et entre autres, pour empêcher une telle
décision -, qui a donc échoué et qui, contre toute
attente rationnelle, a survécu à la décision
présidentielle.
Ce sont alors des augmentations permanentes des dépenses des Etats des
pays et des augmentations de leurs déficits budgétaires
respectifs jusqu'à aujourd'hui inclus.
C’est l'ajustement économique par la montée du chômage dans les pays de
l'Occident à des niveaux parfois élevés
d'où, comme en France, il ne descendra plus guère.
C’est
parallèlement l'ajustement économique par l’inflation
mondiale de la fin de la décennie 1970 et du début de la
décennie 1980.
Ce sont des ajustements économiques, dénommés le plus
souvent "financiers", à répétition, depuis 1987.
5. L'entrée en jeu
de l'euro.
C’est encore l’« €xpérience »
– je veux insister par ce mot sur l’expérience actuelle de
l’euro – depuis le 1er janvier 1999, sur la base des
règles convenues entre les gouvernements des Etats d’un certain
nombre de pays de l’Union européenne (résultat du traité de Maastricht),
des règles que les hommes de l’Etat de ces gouvernements se sont
empressés de ne pas respecter sauf une, celle à quoi
ils ne pouvaient échapper, à savoir les prix de fusion des
monnaies nationales en euro convenus en mai 1998.
6. Le marché de
l'or.
C'est enfin l'évolution du prix de l'or qui équilibre le
marché de celui-ci, voire très indirectement l'économie
mondiale...
Cette dernière semaine, le prix de l’once d'or en dollar a
atteint :
$ 1450,
une once, c'est 31,1 grammes.
Ce prix fait apparaître une multiplication du prix de l'once d'or en
dollar de 1900 - $ 20,7 - par un chiffre de l’ordre de:
70
et de l’ordre de :
40
si on fait référence à son prix de 1934, année de
la première dévaluation du dollar depuis 1900
décidée par le président des Etats-Unis, Roosevelt :
prix fixé à $35.
Pour sa part, le franc, monnaie de la France, est passé de :
322 mg d'or en 1900
à
1,6mg d'or en 1969
- soit une division par plus de :
200,
en d'autres termes, le pouvoir d'achat du franc a été
divisé par 200 ! -.
Il a disparu en 1999, fusionné
avec d'autres monnaies de pays de l'Union européenne dans l'euro sur
la base de :
€ 1 = F 6,55957 .
Par comparaison, il faut savoir qu'entre
1803 et 1914, le prix du franc était resté égal à
322 mg d'or, donc son pouvoir d'achat stable malgré les
périodes de trouble traversées.
De plus, le franc à ce prix était devenu à partir de
1865 la référence de l'Union monétaire latine (qui
regroupait la Suisse, la Belgique, l'Italie et la Grèce) et le restera
jusqu'à 1914.
Un franc, c'était aussi une lire ou une drachme, 322mg d'or.
Il le restera malgré en particulier la défaite militaire de la
"guerre de 1870" qui amènera l'Etat de la France à
devoir payer à l'Allemagne, au titre des réparations, F 5
milliards (en fait F 6 milliards au total...).
Pour avoir une idée de l'ordre de grandeur de ce chiffre, il faut
savoir que le budget de l'Etat de la France en 1869 était un peu
supérieur à F 2 milliards et qu'en1914,
équilibré, il était de peu inférieur à F 5
milliards.
Pour sa part, en 1873, le prix du mark allemand était fixé en
or et le restera jusqu'à 1914 :
1 mark = 393 mg d'or
Quant à l'Angleterre, première puissance financière
mondiale reconnue alors, en 1900 :
1 souverain = 7.99 g d'or.
Depuis 1971, les monnaies réglementées nationalement ou
régionalement ne sont donc plus convertibles en or.
Sur le marché de l'or, de janvier 1971 à février 2008,
le prix de l'once d'or en dollar a eu l'évolution retracée sur
la figure ci-dessous :
Figure 1
Prix de l'once d'or en dollar
janvier 1971- février 2008
Si on privilégie les dates extrêmes, l'once d'or est
passée de $35 à $950,
Cette évolution est à interpréter comme un ajustement
économique durable, ponctué des péripéties
citées sur le graphique.
Et depuis janvier 2006 jusqu'à aujourd'hui, le prix de l'once d'or en
dollar a eu l'évolution suivante :
Figure 2
Prix de l'once d'or
(janvier 2006-Avril 2011)
source : http://goldprice.org/gold-price-history.html
L'once d'or est passé de $600 à plus de $1450.
Sur la base d’un prix de l’euro en dollar voisin de $1,45 la
semaine dernière, le prix de l’once d’or a donc atteint grosso modo :
€ 1000.
Comment interpréter ce phénomène d'ajustement
économique durable qui a donc fait "pan dans le 1000"?
7. La morale.
Malgré tout ce qui s'est produit et aurait dû convaincre qu'elle
n'était pourtant pas la réalité, mais un contraire de
cette dernière, manipulé, qui la minait, la dépendance
de la monnaie d'un pays au budget de l'Etat de celui-ci a
prospéré comme idée.
Elle atteint aujourd'hui un comble
avec le système
monétaire actuel de l'euro.
Il y aurait une dépendance de la monnaie
« euro » aux budgets des Etats des pays de la zone
"euro", au moins est-ce ce à quoi veulent faire croire
beaucoup d'hommes de l'Etat.
A les entendre, refuser
cette dépendance ou mieux..., ce qu'elle cache selon eux, à
savoir une solidarité nécessaire entre Etats, serait
économiquement dangereux, mieux..., immoral.
D’où, en
particulier, dernièrement, la création de la « facilité européenne de
stabilité financière », un
intermédiaire financier créé ex nihilo… et abondé, comme si la coupe
n'était pas encore pleine.
De telles leçons de morale de la part de ces mêmes hommes de
l’Etat qui n'ont pas respecté les règles dont ils
étaient convenus, une fois de plus, devraient faire réagir les
peuples!
A les entendre, et avec un minimum de mémoire, on ne peut
qu’admettre qu’il y a vraiment une grandeur dans le mal - leur
démarche depuis l'origine - qui mérite l’attention
qu’on peut porter à la grandeur dans le bien. Sa mesure ?
Peu importe sa mesure.
Mais si on tient absolument à en avoir une, c'est pour l'instant:
€ 1000,
le niveau où a grimpé le prix - en euro - de l’once
d'or, cette dernière semaine.
Ce prix informe d'un ajustement économique en cours extraordinaire
dont la cause et l'issue devraient préoccuper.
Pour ma part, je vois la cause dans
la révolution de palais ignorée qui s'est produite dans la
décennie 1930. Quant à l'issue, elle va bien survenir un
jour ou l'autre, elle tient dans la responsabilisation des hommes de l'Etat.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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