M'accorderez-vous ;
1- que les "prix en monnaie observés" des marchandises sont un
fait ?
2- qu'au premier regard, les "quantités de choses, de biens, d'objets
matériels ou de marchandises, échangées", sont un fait ?
3- qu'on peut chercher à établir, de façon abstraite, des
"relations" constantes entre les uns et les autres, depuis au moins
Antoine
Augustin Cournot (1838), et y parvenir, c'est la théorie de
l'équilibre économique général ?
4- qu'on transforme ces hypothèses supposées démontrées en faits ?
5- que tout se complique dès qu'on veut "entrer" dans les autres
faits et qu'on veut les expliquer ?
6- qu'a fortiori, des faits ne sautent pas aux yeux comme les
"services", le "travail", l'"information" (ou
leurs "quantités" respectives...) que je n'ai d'ailleurs pas
introduits dans ce qui précède ?
Mais, soit dit en passant, "pourquoi séparer le fait 'prix en monnaie
observés' et le fait 'quantités de choses, etc.' ?" me direz-vous.
A cause de déductions tirées du troisième fait cité, à savoir les
"relations hypothétiques", qui amèneraient à le faire ?
Pis, pourquoi, à défaut du fait "prix en monnaie observés", le
prix en monnaie hypothétique est souvent exclu des théories économiques ?
Il est aussi supposé y exister mais n'y pas varier à cause des hypothèses
de la concurrence ou des réglementations...
Si vous me l'accordez, vous devrez alors admettre que toutes ces questions
de nature différente doivent recevoir, chacune, une réponse par priorité.
Reste que ces questions ne doivent pas en cacher d'autres, tout aussi
importantes.
L'une d'elles me semble essentielle :
7- Pourquoi le raisonnement économique officiel,
"mainstream", met-il de côté les actions menées par vous
et moi pour préférer mettre l'accent sur des résultats observés et mesurés de
certaines de ces actions ou tout simplement imaginés?
Exemplaire est le mal économique qui résulte de la démarche, véritable
fait, que cache la question (cf. figure ci-dessous):
Figure
Source
: Robert Boyer, 2005, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00587700/document
La "théorie de l'équilibre économique général" et la
"théorie des jeux" ne sont pas des faits, mais des constructions de
l 'esprit humain.
La théorie de l'équilibre économique général est un ensemble d'hypothèses
essentiellement mathématiques.
Faut-il rappeler qu'en 1975 Edmond Malinvaud écrivait:
"Jusque vers 1950, on pouvait objecter aux théories de l'équilibre et
de l'optimum de négliger ainsi un aspect fondamental du monde dans lequel
nous vivons.
Il était alors difficile de savoir dans quelle mesure l'hypothèse
simplificatrice d'absence d'incertitude affectait la portée des résultats
obtenus.
Grâce aux progrès récents de la théorie des décisions en face du risque
cette importante lacune a pu être comblée en grande partie". (Malinvaud,
1975, p.287)
[dans Malinvaud, E. (1975), Leçons de théorie microéconomique,
Dunod (coll. statistique et programmes économiques), nouvelle édition,
Paris].
La théorie des jeux, plus récente, qui n'est jamais qu'une
généralisation de cette théorie de la décision face au risque, l'est
tout autant même si elle tend à faire croire, à tort, qu'elle traite des
actions économiques de vous et moi.
Boyer a résumé son texte sur la remise en question des lois économiques au
cœur du mal, et non pas sur des faits, en ces mots:
Après
avoir souligné la diversité des définitions et conceptions des lois en
économie, l’article montre comment les progrès même de l’analyse économique
ont conduit à relativiser l’existence de telles lois.
Il n’a pas été possible de généraliser la théorie de l’équilibre général
et le remarquable développement des méthodes économétriques et banques de
données, n’a pas permis, jusqu’à présent, de mettre à jour des régularités
traversant le temps et l’espace.
C’est à cette même conclusion qu’aboutissent les recherches
régulationnistes sur les régimes de croissance.
D’une part, on peut mettre en évidence une significative diversité des
configurations institutionnelles, alors que,
d’autre part, le succès d’un régime conduit à sa déstabilisation, donc à
la disparition des régularités antérieures.
Ainsi, variété des formes du lien social et irréductibilité du temps
historique au temps du projet conduisent à relativiser le concept de loi en
économie.
Nous sommes en pleine abstraction, largement mathématique.
La remise en question des lois économiques à quoi il a procédé est
mathématique.
Les concepts d’action et d’échange sont déformés, déguisés, dénaturés,
dévoyés, falsifiés (sigle "D.D.D.D.F.").
L’action ne saurait se définir autrement qu’en termes de coût
d’opportunité et de profit attendu avec incertitude par qui la mène.
Une action à profit certain ou à coût autre qu’un coût d’opportunité est
une action "D.D.D.D.F." (ou, si on préfère, "4D.F.")
Les concepts d'action et d'échange sont "4D.F." depuis
essentiellement la décennie 1940 du fait des premiers économistes de la
« théorie des jeux » ou des disciples de T. Koopmans dont Edmond
Malinvaud (1954) rendait compte dans le livre intitulé Activity
Analysis of Production and Allocation (Proceedings of a Conference, New
York), John Wiley and Sons, (Cowles Commission, Monograph no 13), 1951,
en ces termes :
« Le livre est une œuvre
collective qui rassemble vingt-cinq contributions différentes présentées à
une conférence réunie en 1949 pour l'étude spéciale de [plusieurs]
questions.
Il ne vise donc pas à fournir un exposé systématique. »
Très précisément :
« La méthode d’approche
consiste à définir dans chaque cas un nombre restreint d’activités
élémentaires susceptibles de représenter correctement les conditions
techniques du problème.
Une activité élémentaire est caractérisée par la transformation de
certains facteurs en certains produits, les quantités des uns et des autres
se trouvant dans des proportions bien définies
Si on multiplie par deux les quantités de tous les facteurs, alors on
obtiendra nécessairement deux fois plus de tous les produits […]
Une particularité frappera le lecteur dès le premier abord; c'est le
formalisme mathématique de cet ouvrage.
Même pour des économistes doués d'une bonne culture mathématique, la
lecture peut s'en avérer très difficile.
En effet, lès auteurs utilisent des concepts pris davantage dans la
théorie des ensembles et des matrices que dans l'analyse différentielle
classique.
A vrai dire, ce n'est pas la première fois que des économistes font appel
à ces nouvelles méthodes de déduction.
L'emploi des mathématiques modernes pour l'étude économique remonte aux
années 1930 à 1937, période durant laquelle un groupe de chercheurs
d'origines allemande et autrichienne étudia de façon rigoureuse les
questions posées par l'existence de l'équilibre économique général.
Malheureusement, leurs travaux passèrent à peu près inaperçus à l'époque
et furent seulement découverts après le succès de la « Théorie des Jeux ».
Aujourd'hui, on en vient de plus en plus à penser
- que les mathématiques modernes sont mieux adaptées que l'analyse
classique à la nature logique des problèmes économiques généraux, et
- qu'elles sont appelées à des applications de plus en plus nombreuses
dans notre science. »
Boyer n'a pas expliqué des faits économiques, ils sont, tout
simplement, ignorés.
Nos prétendus savants restent coincés dans les méfaits de Walras selon qui, dans Eléments
d'économie pure:
"il y a une économie politique
pure qui doit précéder l'économie politique appliquée, et
cette économie politique pure est une science tout à fait semblable aux
sciences physico-mathématiques.
Cette assertion est neuve et paraitra singulière" (Walras, 1900, ,
p.29)
"Si l'économie politique pure, ou la théorie de la valeur d'échange
et de l'échange, c'est-à-dire la théorie de la richesse sociale considérée en
elle-même, est, comme la mécanique, comme l'hydraulique, une science
physico-mathématique, elle ne doit pas craindre d'employer la méthode et le
langage des mathématiques.
La méthode mathématique n'est pas la méthode expérimentale, c'est la
méthode rationnelle." (Ibid.)
Permettez moi de rappeler un extrait de mon billet
d'août 2012 sur la raison du refus de l'analogie entre l'économie
politique et non pas les mathématiques, mais la physique, que donnait en
1939 Friedrich von Hayek (1899-1992), il s'y applique tout autant :
"Dans les sciences sociales, toutefois, la situation est exactement
l'inverse.
D'une part, l'expérimentation est impossible : nous ne pouvons donc
connaître des règles définies dans le phénomène complexe comme dans les
sciences naturelles.
D'autre part, la situation de l'homme à mi chemin entre les phénomènes
naturels et les phénomènes sociaux - dont il est l'effet en ce qui concerne
les premiers, et la cause, en ce qui concerne les seconds - prouve que les
faits essentiels de base dont nous avons besoin pour l'explication du
phénomène social participent de l'expérience commune et de la matière de nos
pensées.
Dans les sciences sociales, ce sont les éléments des phénomènes complexes
qui sont connus, sans aucune contestation possible [...]
Or l'existence de ces éléments est tellement plus certaine que l'existence
des règles quelconques dans le phénomène complexe auquel ils donnent
naissance, que ce sont eux qui constituent le vrai facteur empirique dans les
sciences sociales. [...]
dans les sciences sociales, [le processus de déduction] part directement
d'éléments empiriques connus et les utilise à la découverte des règles dans
les phénomènes complexes que l'observation directe ne peut établir".
Tels sont les faits économiques.