L'étude du passé économique tend à pousser celui qui la
mène à insister, volontairement ou non, soit sur la réglementation soit sur
l'innovation soit sur un mélange des deux pour expliquer tel ou tel
phénomène.
A l'opposé, le "théorème
de régression" de Ludwig von Mises présente d'être une application
de l'économie politique à ce qu'on dénomme, en théorie, l'origine de la
monnaie et qui n'a rien à voir ni avec l'innovation, ni avec la
réglementation.
Il l'a expliqué logiquement avec des concepts théoriques qui ne font
référence ni à l'une ni à l'autre.
Soit dit en passant, à défaut, il est aussi classique de parler d'équilibre
économique, voire de croissance économique, sans se préoccuper de
l'alternative innovation-réglementation et, en l'espèce, de l'origine de la
monnaie pour s'envelopper dans une mathématique.
Dans ce cas, le concept d'équilibre économique ou de croissance économique
est effectivement sans relation avec l'innovation - il exclut ce dernier et,
par conséquent, l'origine de la monnaie -, alors qu'il tend les bras à
telle ou telle réglementation.
Qu'à cela ne tienne, les variables théoriques de Mises concrétisent à leur
façon une innovation et ne sont pas d'ordre mathématique.
Reste que beaucoup d'économistes se moquent de son explication,
s'intéressent, avec force de mathématique, à l'équilibre ou à la croissance
économique et justifient ce qu'ils dénomment "monnaie" par ...
l'Etat, à la fois réglementeur par excellence et parachutage mathématique.
1. Réglementation et innovation font deux.
La règlementation ne saurait être confondue avec l'innovation.
L'innovation s'impose à l'ignorance de chacun, elle est imposée après un
temps plus ou moins long.
Soit dit en passant, si vous faites abstraction de l'ignorance, l'innovation
n'a pas de raison d'être et tout ce qui se passe ne peut qu'être magique ou
bien de l'ordre de la réglementation.
A l'opposé, la réglementation s'impose aux règles de droit ou à leur
absence.
Elle est imposée par des groupes de pression, en dépit de l'ignorance dans
quoi ils se trouvent, sans le savoir ou en le
sachant.
Mais la réglementation se suffit à soi-même.
Et les mathématiques portent ses paramètres sans difficulté.
L'innovation est irréversible, toutes les informations qu'elle comporte et à
quoi elle donne lieu sont stockées et contribuent à ce statut.
La réglementation est réversible malgré ce qui en est dit.
Elle n'a pas d'information sur quoi elle pourrait se référer sinon, quand
elles existent, les règles de droit, de justice conduite, qu'elle tend à
déformer ou à dénaturer.
2. Réglementations monétaires.
Beaucoup d'économistes semblent malgré tout se satisfaire aujourd'hui des
réglementations monétaires qui ont perclus tant le XIXè que le XXè siècle et
laissent échapper qu'elles seraient des innovations.
Jusqu'au XVIIIè siècle, le seul choix possible était celui des pièces de
monnaie, il était assez limité.
C'était pour l'Etat, sous couvert d'être législateur, l'altération des
pièces, la diminution ou l'augmentation de leur quantité.
Les économistes ne font pas non plus de lien de causalité entre les nouvelles
réglementations décidées par les gouvernements des Etats et les événements
marquants de ce qu'il est commun de dénommer "monnaie" aujourd'hui,
voire les "crises économiques".
Ils refusent de voir que la situation monétaire actuelle est le résultat
logique des obscurantismes réglementaires appliqués des XIXè et XXè siècles
et canalisés, mais seulement pour une faible part, par l'innovation dans le
domaine (du type "monnaie électronique", cf. ce texte de 1999).
Il y a eu certes la démarche des économistes qui coupaient l'économie
politique de la science juridique et de l'action humaine coûteuse et qui
ouvraient la porte pour l'attacher à une mathématique de leur choix
capricieux
Par exemple, la mathématique utilisée par Wald dans la décennie 1930 qui fait
le bonheur des théoriciens de l'"équilibre économique général" est
très différente de la mathématique montée en épingle dans le même domaine par
Debreu et consorts à partir de la fin de la décennie 1950.
Ces mathématiques n'apportent rien au sujet de l'innovation, mais beaucoup à
la réglementation.
Il y a eu aussi l'action des politiques qui ont réformé les réglementations
de la monnaie
- tant au niveau national, principalement à partir du XIXè siècle, avec le
privilège de monopole accordé à la banque centrale,
- qu'au niveau international, à partir de la "conférence monétaire de
Gènes" en 1922 - antérieurement, il y avait une tacite concurrence sur
l'étalon or-.
Et telles l'aveugle et le paralytique, ces réglementations se sont données la
main et ont cheminé sur la voie de la contrainte de vous et moi qui a fait
passer le monde économique
- de monnaies nationales réglementées -or ou -argent ou de "substituts
de monnaie bancaires" convertibles en or ou en argent à taux fixe, à la
demande (disons "à partir de 1913" pour fixer les idées),
- à des monnaies réglementées nationales ou régionale - l'€uro, par exemple
-, "substituts de rien bancaires" (en 2013).
Elles ont même parsemé progressivement le chemin d'institutions
"internationales" - sans antécédent et, par conséquent,
originalités du XXè siècle -, du type "Banque des règlements
internationaux" (fin décennie 1920), "Fonds monétaire international"
(mi-décennie 1940) et, tout nouveau, "Mécanisme
européen de stabilité" (2012).
Tous ces organismes ne sont que des faux fuyants, fort coûteux.
3. La "base doctrinale".
Comme l'écrivait Jacques Rueff (1932), la première grande
conférence monétaire internationale a vu le jour en 1922, à Gènes.
En sont résulté des réglementations suppléant l'économie politique du moment
pour la raison que
"Un comité a prolongé l'oeuvre de la Conférence de Gènes, en lui donnant
la base doctrinale dont elle était dépourvue." (Rueff, 1932).
Les réglementations tirées de la conférence de Gènes se sont donc agglomérées
tant bien que mal à ce qui pouvait exister antérieurement comme telles et qui
ne satisfaisait pas beaucoup de gens, elles l'ont fait sans "base
doctrinale".
Une chose est certaine, ces réglementations sans base doctrinale ne sont pas
une innovation.
Et elles n'ont pas évité, comme il fallait s'y attendre, les nouvelles
difficultés, voire les ont précipitées.
Il faut savoir que le comité en question est connu sous le nom de Comité
MacMillan, du nom de son président, et siégea à Londres en 1930 et 1931.
Certes, on ne saurait exagérer l'importance du rapport MacMillan.
Il n'en reste pas moins qu'il résumait toutes les tendances de l'époque des
années 1930, à savoir ce que Rueff précisait en ces mots:
"Il constituera, pour ceux qui l'étudieront, dans l'avenir, l'un de ce
ses monuments les plus caractéristiques et, probablement, l'une des étapes
essentielles sur la voie des catastrophes que nous sommes en train
d'organiser" (ibid.).
Et, effectivement, les catastrophes se sont succédé depuis lors. Nous
en vivons une lancinante aujourd'hui.
Pour sa part, Rueff ne retenait que l'affirmation de principe qui figurait
dans l'introduction du texte (p.4), à savoir :
"La caractéristique essentielle de notre époque, c'est le développement
de la conscience qui nous avons prise de nous-mêmes.
Tant en ce qui concerne nos institutions financières que nos institutions
politiques et sociales, nous pourrions bien avoir atteint le stade où un
régime d'organisation consciente devrait succéder à l'ère des évolutions
spontanées ...
Nous sommes à la croisée des chemins et le futur dépend de notre
choix."(ibid.)
Remarque de Rueff sur ces propos du rapport MacMillan :
"Je ne suis pas d'accord avec cette conclusion [...]
Le problème de l'économie organisée, c'est le problème des vagues de la mer.
Nous connaissons les forces qui les déterminent, nous concevons les
conditions auxquelles la solution du problème doit satisfaire, nous pouvons
même la mettre en équation ;
mais, quant à la résoudre, nous n'y saurions songer.
Bien plus même, en astronomie, le problème des trois corps est à peine résolu.
Pour des astres plus nombreux, nous ne pouvons que recourir à des formules
d'approximation, dont la solution imparfaite exige des calculs extrêmement
pénibles.
Et pourtant chaque soir, dans le ciel, toutes les planètes, tous les soleils,
toutes les étoiles trouvent sans hésitation le chemin qui leur est assigné et
résolvent, en se jouant l'équation aux milles inconnues, dont notre esprit
jamais ne pourra approcher" (ibid.)
En d'autres termes, Rueff refusait l'idée, alors en route, en particulier en France,
qu'un régime d'organisation consciente dût succéder à l'ère des évolutions
spontanées ...
Mais ce régime va se développer jusqu'à aujourd'hui inclus, en particulier en
France.
De ce point de vue, Rueff est en parfaite harmonie avec les économistes que
les historiens de la pensée économique dénomment "autrichiens", au
nombre desquels se trouvent les "hayekiens".
La base doctrinale des économistes franco-autrichiens est qu'il est vain de
vouloir organiser les phénomènes monétaires.
Et tous les organismes internationaux cités ci-dessus sont en conformité avec
l'idéologie du Comité MacMillan de la décennie 1930.
4. Effets des réglementations.
Autre façon de s'exprimer, nous vivons aujourd'hui les effets à long terme
des règlementations des XIXè et XXè siècles, à savoir les banques centrales,
les échanges monétaires internationaux réglementés, les interdictions de la
convertibilité, intérieure ou extérieure, des substituts de monnaie bancaires
en monnaie or (ou argent) et la fusion qu'est l'€uro.
Ce fut en particulier, dans la décennie 1930, l'interdiction de la
convertibilité – dite « intérieure » - des « substituts de monnaie bancaires
» en monnaie or qu'étaient alors les billets et les comptes de dépôts
bancaires détenus par les nationaux et qui devenaient ainsi, pour eux, des «
substituts de rien ».
Ce fut, au début de la décennie 1970, en 1971-73, l'interdiction de la
convertibilité – dite « extérieure » - des « substituts de monnaie bancaires
» en monnaie or détenus par les étrangers et qui devenaient ainsi, pour eux
aussi, des « substituts de rien » et, à la fin de la décennie, la mise en
oeuvre d'un système monétaire européen.
Il y eut, à partir de la fin du XXè siècle, en 1999-2001, la fusion de
monnaies nationales réglementées de certains pays d'Europe en une monnaie
régionale réglementée nouvelle dénommée « €uro ». C'est ainsi qu'a
disparu le franc français, (nom de la) monnaie nationale réglementée de la
France depuis ...
Aucune de ces réglementation n'est justifiable, aucune n'a une "base
doctrinale" digne de confiance.
Dernières réglementations en date tout aussi injustifiables tant en théorie
qu'en droit:
- les décisions qui ont été prises par les dirigeants de la Banque centrale
européenne en matière d'achats de créances sous pression des gouvernements
des pays membres de la zone euro quoique, par statuts, la Banque fût
indépendante de ces derniers ;
- le nouveau traité qu'est le « mécanisme
européen de stabilité » (M.E.S.), qui institutionnalise la « facilité
européenne de stabilité financière » (F.E.S.F.) créée en 2011 et dont le but
explicite est donné dans son article 3.
- les propos tenus, à diverses occasions, par le nouveau gouverneur de la
Banque centrale européenne qui tendent à s'articuler sur sa conception de ce
que doit être l'euro (cf. ce billet
par exemple) et non pas sur les statuts de la Banque qui ont été, certes
indirectement, votés par les peuples dans la décennie 1990, et sans que
ceux-ci le sachent, en aient conscience ou les comprennent bien, et qui
disposent ce que la Banque doit faire... (cf. par exemple ce texte).
Pour ne prendre qu'un seul exemple, l'€uro d'aujourd'hui n'a plus grand chose
à voir avec l'€uro de 1999-2001, malgré les apparences.
Si les formes tangibles de ce qu'on dénomme la "monnaie euro" sont
les mêmes (pièces, billets et comptes de dépôt bancaires), son organisation
règlementaire - les banques - a profondément changé dans un sens en grande
partie ignoré par vous et moi (... et ne peut que l'être, cf. par exemple ce
qui est dit concernant la situation
financière hebdomadaire du système européen des banques centrales) et qui
est en passe de l'être encore davantage.
Tous ces effets ont été désastreux, "catastrophiques" malgré ce
qu'en disaient les gouvernements des Etats.
Nous les vivons.
5. Régionaliser ou dénationaliser la monnaie.
La série de "catastrophes" dont témoigne aujourd'hui l'€uro n'a
rien d'irréversible.
Elle ne l'est ni plus ni moins que, par exemple, l'Union
monétaire latine que les gouvernements des Etats, à savoir
principalement la France, la Grèce, l'Italie, la Belgique, le Luxembourg, la
Suisse, ont abandonnée au lendemain de la guerre de 1914-18.
Leur mutisme sur la question est éloquent.
La solution à la monnaie régionale réglementée dénommé "€uro"
serait une partie de la sortie de la série de décisions prises par les
gouvernements depuis, au moins, le XIXè siècle.
Laissons de côté ce qu'ils peuvent connaître de la "base
doctrinale" sur les zones monétaires optimales et les politiques
monétaires du même tabac ...
Friedrich von Hayek s'était penché sur le sujet et l'avait démontré dans la
décennie 1970 dans le livret intitulé Dénationalisation de la
monnaie (1976-78) où allait sa préférence.
Hormis la référence à des "bases doctrinales" erronées ou bien à
l'envahissement de la pensée économique par l'égalitarisme socialiste (cf.
par exemple ce livre de
Pareto), rien ne justifie de vouloir que soient irréversibles toutes ces
décisions prises en matière de monnaie par les gouvernements des Etats des
pays.
Péripétie à l'échelle de l'histoire, la situation actuelle a
vraisemblablement une porte de sortie qui ne relèvera pas de la logique, mais
de l'intuition de chacun (cf. ce billet de juillet
2012).
A chacun d'"intuiter" à sa façon ... et, à la fois, les règles de
droit s'imposeront aux réglementations qui tendent à les détruire et
l'innovation en matière monétaire pourra se développer sur les restes des
réglementations au bénéfice de la croissance et du développement économique.
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