L'aurore de la fin de l'arbitraire fiscal ?

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Published : April 27th, 2011
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Category : Fundamental

 

 

 

 

Il y a près de vingt ans, Pascal Salin a publié un livre l'Arbitraire fiscal (Robert Laffont, Coll.Liberté 2000).
Le
livre a été réédité en 1996 par les éditions Slatkine (Paris), avec le sous titre Comment sortir de la crise et une préface d'Alain Madelin.


1. Un résumé du livre par l’auteur.


Dans le périodique Liberalia, en juillet 1988, Pascal Salin (ci-contre) a eu l’occasion de faire le résumé suivant de l'ouvrage :

« Le bricolage fiscal caractérise la structure des impôts dans un pays comme la France. Les impôts résultent de décisions parcellaires, prises en fonction d'intérêts électoraux ou de conceptions superficielles. Ils ne répondent, par conséquent, à aucun critère valable de justice et donc d'efficacité.

Partout dans le monde on se préoccupe de la réforme fiscale. Pour que celle-ci ait un sens, il faut qu'elle repose sur des principes moraux et des conceptions de théorie économique rigoureuse "l'Arbitraire fiscal" vise à fournir des principes de cet ordre plus précisément, il recherche comment concilier une approche individualiste de la société avec les décisions collectives qui sont à l'origine de l'impôt.

L'ouvrage s'interroge donc, évidemment, sur la nature du phénomène étatique, dont la fiscalité est un instrument majeur. Il s'ouvre par un chapitre sur le rôle de l'Etat et se termine par une réflexion sur les moyens de réformer l'impôt pour qu'il réponde mieux à une vieille exigence: celle du consentement à l'impôt.

Les chapitres intermédiaires abordent des problèmes plus spécifiques. Parmi les thèmes essentiels de l'ouvrage, on peut relever les suivants:

- Une critique radicale de la notion de progressivité de l'impôt. Celle-ci est généralement considérée comme l'expression de la "justice fiscale". Il est montré qu'il n'en reste rien et que la progressivité est simplement la conséquence des mécanismes du "marché politique".

- La surtaxation de l'épargne, qui constitue l'une des causes majeures de la "crise économique". L'impôt sur le revenu est un impôt sue l'épargne et il conviendrait donc de le remplacer par un impôt général sur la dépense ( c'est à dire un impôt déclaratif où l'épargne serait soustraite de l'assiette de l'impôt).
Les implications d'une telle réforme sont étudiées en détail et permettent d'aboutir à une conception unifiée de l'impôt, au lieu du "patchwork" actuel où des impôts multiples aboutissent à des spoliations considérables et à des distorsions aussi importantes que mal connues. L'impôt sur le capital et les droits de succession font évidemment l'objet d'une attaque vigoureuse.

- L'ouvrage souligne le caractère caché de beaucoup d'impôts. Ainsi, il est mythique de croire que les entreprises "paient" des impôts. Les impôts sont toujours payés par des personnes. Mais les hommes politiques ont évidemment intérêt à cacher le poids réel de l'impôt, au mépris des règles de transparence qui devraient inspirer le fonctionnement d'une démocratie.

Au passage, plusieurs impôts sont examinés, par exemple la T.V.A. ou les impôts sur les plus-values, mais toujours dans le cadre d'une conception théorique et éthique unifiée.

"l'Arbitraire fiscal" n'est donc pas un livre de technique fiscale, il n'est pas non plus un pamphlet contre l'impôt.

Il constitue une réflexion en profondeur sur le phénomène fiscal et sur le phénomène étatique. Il fournit un cadre à toute discussion sur la réforme fiscale et il a donc d'importantes implantations pratiques. »


2. Mon « Etude et critique de l'ouvrage »

Dans le même numéro du périodique Libéralia, j’ai eu l’heur de juxtaposer une « Etude et critique de l'ouvrage de Pascal Salin », accepté sans réserve par celui-ci.
En voici le texte 

« Les ouvrages sur la fiscalité sont, dans leur leur grande majorité, de deux types : il y a
- ceux dans lesquels, non initié, on hésite à pénétrer sous prétexte que, dès les premiers paragraphes, on est précipité dans les labyrinthes du "droit fiscal et
- ceux qui tentent de vous faire vénérer le dogme de l'impôt juste comme pour mieux conférer à l'Etat la fonction de grand prêtre du culte.

Bien évidemment, certains sont à cheval sur les deux catégories précédentes et d'une certaine façon inclassables.

Si l'Arbitraire fiscal est lui aussi inclassable, c'est pour une raison différente d'un ordre autrement respectable. Ce livre a pour fondement la réalité, c'est-à-dire l'individu, la liberté de choix et d'action dont celui-ci dispose par nature et ne devrait pas être dépossédé par les hommes de l'Etat.

Avec ce point de départ original, inédit, mais si peu discutable qu'on se demande pourquoi la littérature l'a ignoré pour l'instant, Pascal Salin entreprend de démystifier la fiscalité qui régit la France dans la décennie 80.

Dans un premier temps, il prend soin de décrire, en termes simples et lumineux, l'impôt progressif sur le revenu, les impôts sur le patrimoine, l'impôt sur l'héritage, la T.V.A., les impôts cachés, les illusions, bref tous les ingrédients de la spoliation légale.

Au passage, il montre pourquoi, tous autant les uns que les autres, ceux-ci sont arbitraires et qu'ils le resteront tant qu'ils auront pour principe la contrainte de l'individu. Plus fondamentalement, il suggère, me semble-t-il, qu'à cause de cette dernière caractéristique ils resteront même doublement destructeurs.

L'idée que les techniques fiscales provoquent la destruction de richesses matérielles n'est pas nouvelle. En la rappelant, Pascal Salin témoigne une fois de plus de sa rigueur scientifique, mais aussi de son souci de rendre compte de l'étendue actuelle des dégâts.
En développant l'idée que ces techniques portent atteinte à la nature même de l'homme, il fait preuve par contre de la plus extrême perspicacité.

Jusqu'à présent, personne en France ne s'était rendu compte que la richesse suprême que constitue l'homme n'est pas épargnée par le fléau fiscal. L'arbitraire suscite l'arbitraire.
Là où, en toute conscience, l'individu devrait destructeur, prendre des décisions qui forgent son avenir, il en arrive à cause de la fiscalité à se préoccuper du seul présent, il choisit encore mais de façon à payer aujourd'hui le moins possible d'impôts, voire affecte ses efforts de recherche à la "fraude fiscale" quand il ne se détourne pas de sa prévoyance instinctive, son épargne étant dévastée par le fisc.

Ainsi éclairé, le lecteur est alors en mesure de percevoir qu'aussi importantes les destructions matérielles soient-elles, elles sont dérisoires comparées au sort que réservent les hommes de l'Etat au contribuable : la destruction inéluctable de sa conscience.

Sauf s'il a démissionné et voit dans l'Etat l'étable, il ne peut qu'être d'accord avec Pascal Salin et chercher avec lui, parmi les moyens qu'il présente dans la seconde moitié de son livre, ceux qui réduiront l'arbitraire fiscal le plus efficacement.

La vanité d'une réforme qui fixerait des limites à l'action fiscale de l'Etat lui saute aux yeux, l'arbitraire serait simplement déplacé. Et la solution lui apparait évidente : fonder la fiscalité sur un principe qui soit assorti à la nature humaine et ne puisse en conséquence l'altérer.

Dans l'état actuel des connaissances, un tel principe n'a pas encore été découvert, s'en approche évidemment le principe du consentement de l'individu à l'impôt.

Mais comme le fait remarquer Pascal Salin, l'impôt consenti" serait le principe recherché si le consentement pouvait être total, or, comme il le prouve, celui-ci sera toujours partiel. Le type de fiscalité qui en découle, certes moins pernicieux que l'impôt sur la dépense globale, autre possibilité qu'il envisage, n'en reste pas moins destructeur.

Que faire dans ces conditions en attendant ?

A défaut de réduire directement l'arbitraire de l'impôt consenti, Pascal Salin propose de circonscrire des dépenses étatiques et donne à cette fin plusieurs moyens disponibles.
L'un d'eux me semble essentiel à souligner : il consiste à mettre en concurrence les monopoles que les hommes de l'Etat se sont peaufinés au fil du temps.

Il n'existe pas de monopoles naturels malgré ce que ceux-ci prétendent pour justifier la situation.
Il existe soit, en phase de progrès technique, des activités un moment en situation de monopole mais bien vite concurrencées quand la réglementation en place ne retarde pas l'évolution, soit, en période ordinaire, des activités protégées aux frais des contribuables par de véritables privilèges qui, délibérément ou non, leur confèrent un statut monopolistique le plus souvent public.

Abolir ces privilèges, ne plus interdire la concurrence, ne plus empêcher la création d'entreprises privées dans un secteur aujourd'hui monopole public, provoquerait, par efficacité et informations accrues de celui-ci, la réduction des dépenses étatiques superflues.
A solde budgétaire désiré constant, celle-ci entraînerait à son tour la réduction des recettes fiscales qui les couvraient (en type et en montant) et par conséquent celle de l'arbitraire fiscal.

Mais surtout, simultanément, les destructions cachées que celui-ci occasionnait seraient elles aussi atténuées.
En particulier, et comme elles le font par ailleurs, les personnes expérimenteraient alors leur faculté de choix entre les produits désormais concurrents, mettraient en œuvre leur liberté d'action en créant des entreprises sur les marchés concernés, tant que le degré de concurrence leur semblerait insuffisant, et, au total, retrouveraient chacun une part de la partie de nature humaine qui leur a été extorquée par les hommes de l'Etat."


3. Réduire l’arbitraire.

Dans Le Figaro du 4 novembre 1985, Pascal Salin avait eu l’occasion d’insister sur un aspect de son livre, dans un article intitulé « Réduire l’arbitraire ».
Voici l’article :

Dans la plupart des grands pays, la décrue fiscale est amorcée et la France n'échappe pas à cet heureux mouvement, au moins dans les esprits. Pourtant, un grave danger nous guette : celui du bricolage qui conduirait seulement à rapiécer, plus ou moins bien, un système fondamentalement mauvais.

Ce risque est réel parce que les hommes de l'État ont naturellement tendance à accorder des privilèges à des groupes spécifiques - dont les membres perçoivent clairement les avantages dont ils bénéficient ainsi - et à masquer le coût réel de leur intervention en rendant l'impôt incolore ou en le faisant supporter, plus particulièrement, par des groupes restreints, afin de minimiser les pertes de voix aux élections.

L'accumulation de mesures parcellaires de ce type a abouti au monstrueux édifice fiscal que nous connaissons.
Il est illusoire de s'imaginer qu'il sera possible de retrouver la prospérité et de rendre leurs liberté aux Français sans une profonde réforme fiscale.
Celle-ci doit se déduire d'une conception cohérente du fonctionnement de la société (1).

(1) C'est cette conception que nous proposons dans notre ouvrage, L'Arbitraire fiscal (Robert Laffont, 1985).
Au lieu de considérer l'impôt comme un instrument de régulation macro-économique nous en recherchons la place par rapport à une conception individualiste de la société.

Prenons l'exemple de l'impôt sur le revenu. Nombreux ont, maintenant, ceux qui en réclament la suppression pure et simple.
Mais les arguments changés concernent en général les conséquences de cet impôt et non son principe.
Or, pour porter un jugement sur cet impôt, i1 convient de distinguer deux choses : son caractère progressif, d'une part, et le fait que le revenu serve de base d'évaluation.

Qu'en est-il tout d'abord de la progressivité ?
On évoque souvent, en sa faveur, la nécessité d'égaliser les sacrifices entre contribuables ou les exigences d'une prétendue « justice sociale ». Mais aucun de ces arguments ne résiste à l'examen de l'analyse économique ou même de l'analyse morale.

En réalité, si l'impôt progressif existe, c'est parce qu'il est toujours possible de trouver une majorité pour spolier une minorité. Mais on n'attaque pas impunément les droits naturels, parmi lesquels le droit de propriété tient une place éminente: tout le monde pâtit du freinage de la prospérité qu'impliqué cette pénalisation de l'effort et de l'épargne. C'est pourquoi la diminution profonde et rapide de la progressivité, jusqu'à sa suppression totale, constitue une priorité dont tous les citoyens profiteront.

Faut-il pour autant supprimer l’impôt sur le revenu (qui. même s'il n'était que proportionnel et non progressif, serait inégalement réparti entre les contribuables) ?

Le revenu constitue un concept sans grande signification théorique puisqu'il représente à la fois des valeurs qui sont consommées — et qui disparaissent donc du circuit économique — et des valeurs qui sont épargnées, c'est-à-dire accumulées pour accroître le capital et fournir des ressources futures.

Prendre le revenu comme base de taxation c'est donc surtaxer l'épargne par rapport à la consommation.
Et c'est pourquoi nous préconisons d'imposer non pas le revenu mais la dépense globale (c'est-à-dire le revenu moins l'épargne).
Mais il nous paraît préférable de réformer ainsi l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire en supprimant son caractère progressif et en exemptant totalement l'épargne, que de le supprimer: en effet, il est nécessaire que l'impôt soit douloureux pour que le citoyen sache combien l'État lui coûte.

Nous rencontrons ainsi deux exigences auxquelles devrait satisfaire une réforme fiscale : « libérer l'épargne », combattre l'illusion de la gratuité qui naît de l'impôt indolore. En ce qui concerne le premier point, tout d'abord, il faut insister sur l'extraordinaire surtaxation du capital, dans notre système fiscal.

Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'aller chercher ailleurs l'explication de la « crise économique » : on la prétend bien souvent inhérente au fonctionnement du système capitaliste, elle est en fait le résultat de la spoliation du capital par l'État (impôt sur le revenu, impôt sur le capital, droits de succession, etc.)

Quant à l'illusion fiscale, on en trouverait de multiples exemples.
Retenons-en un seul : on veut nous faire croire que les entreprises « paient des impôts ». Il n'en est rien, car les entreprises sont des t faisceaux de contrats » et seuls paient des impôts ceux qui signent les contrats, c'est-à-dire des individus, les apporteurs de capitaux, les salariés, les clients et fournisseurs. Il se peut fort bien, par exemple, que les impôts sur les bénéfices des sociétés soient payés par les salariés...

Mais il est facile pour les hommes de l'État de dire « l'entreprise paiera » : celle-ci n'a pas le droit de vote et les électeurs ignorent qu'ils sont les véritables payeurs.

Il est enfin une dernière exigence que l'on devrait imposer à un système fiscal, à savoir, de ne pas être une source de risques pour l'activité humaine. Il est souvent admis que la politique de stabilisation économique constitue l'une des fonctions essentielles de l'État. En réalité, l'État est devenu la source principale de l'instabilité : en modifiant sans préavis le système fiscal, il peut ôter toute rentabilité à un investissement et bouleverser les projets des hommes.

C'est pourquoi la véritable réforme fiscale est d'abord une réforme institutionnelle : il est urgent de protéger le citoyen contribuable contre les spoliations arbitraires dont il est victime, d'imposer à l'État les règles de la société civile, c'est-à-dire le contrat et le respect du contrat -

La réforme fiscale n'est pas seulement affaire de technique, elle concerne d'abord les principes.
Pour sortir de la barbarie fiscale il n'est pas suffisant de dénoncer les méfaits de l'impôt. La solution ne sera trouvée que dans la résurgence de la philosophie politique et même de la philosophie morale.


4. L’article d’un politique prétendument ... de l’opposition du moment.

Nous étions en 1985. Les ravages du socialo-communisme allaient bon train en France : François Mitterrand était président de la République et Laurent Fabius, Premier ministre.
Vraisemblablement les élections législatives prochaines de 1986 seraient perdues par la majorité du même nom, en place, et une nouvelle majorité - dite "libérale" - en finirait avec les erreurs du passé.

Le Figaro avait cru bon de juxtaposer à l’article précédent de Pascal Salin, en particulier un article d'Alain Juppé (ci-dessous) - représentatif de l'opposition - intitulé « Se donner les moyens d'inverser la tendance ».
Un second article était proposé : intitulé "Une illusion dangereuse", il émanait d'un représentant de la majorité, à savoir Christian Pierret.  Je le laisserai de côté.
 
Rétrospectivement, la lecture de l'article d'Alain Juppé est édifiante et chacun pourra mesurer "l'inversion de la tendance" qui a eu lieu et en tirer des conséquences. 
En voici le texte :

« Il faut rendre aux socialistes du moins cette justice : leur échec a porté un coup sérieux au mythe de l'État-providence omniprésent, omniscient et omnipotent.

En l'espace de quelques années, les yeux se sont ouverts sur les vertus irremplaçables de l'entreprise privée ; les mots longtemps bannis de capital, de rentabilité, de concurrence, de marché et de profit ont retrouvé droit de cité en cessant, les uns de sentir le soufre, les autres de faire peur.

Un large consensus s'est établi sur la nécessité de déplacer la frontière entre les responsabilités économiques et sociales jusqu'ici assumées par l'État, et celles que peuvent prendre en charge les citoyens.

Dans cet éveil des esprits, dans cette prise de conscience des effets inhibants d'un système exagérément dirigiste et redistributifs, la révolte contre l'augmentation continue des prélèvements obligatoires, passés de 35,6 % en 1973 à 45,5 % en 1984, a joué un très grand rôle.

Non tant parce que cette hausse était perçue, à proprement parler, comme injuste — puisqu'elle était la contrepartie de transferts — qu'en raison de ce que, passé un certain seuil, elle apparaissait comme une absurdité économique :
les citoyens les plus actifs, frappant les entreprises (avec des charges plus lourdes de 60 à 100% que celles de nos principaux partenaires, celles-ci investissent de moins en moins, s'endettent de plus en plus - + 30 % depuis 1980 - et sont de plus en plus nombreuses à faire faillite - 2200 au printemps 1984 contre 1 300 l'année précédente) ; décourageant l'épargne.

La leçon à tirer de ces remarques est double.
La première est que la réforme fiscale souhaitée par les Français est moins affaire de « grands principes » que d'une appréciation réaliste de l'état de la société et des « seuils de tolérance » à ne plus transgresser.

C'est pourquoi il n'y a rien à attendre sur ce terrain des socialistes, qui, empêtrés dans leur idéologie égalitaire, font mine de s'orienter dans le bon sens, mais à cloche-pied : la diminution d'un point du dernier budget de M. Bérégovoy n'est du reste qu'un trompe-l'oeil, obtenu par des transferts de charges de l'État aux grandes banques nationalisées, à la Caisse des dépôts, à la Sécurité sociale, etc., et il est vraisemblable que le déficit annoncé de la loi de finances pour 1986 est inférieur de plusieurs dizaines de milliards au chiffre effectif.

Il convient, pour la même raison, de résister à la tentation de l'intégrisme libéral qui, parti de prémisses souvent justes, commet l'erreur de raisonner par syllogismes dans un domaine extrêmement sensible, où on ne peut prétendre tout réformer de fond en comble sans se condamner à un échec certain.

L'objectif ne saurait être en effet de pratiquer à notre tour la politique de la table rase.
Mais de nous donner les moyens d'inverser la tendance.

La seconde leçon est que la nouvelle politique fiscale exige, pour renverser durablement la tendance, d'être inscrite dans une politique d'ensemble.

Tel est l'esprit des propositions en la matière du pacte du R.P.R. pour la France et de la plate-forme de l'opposition présentée à la convention libérale des 8 et 9 juin 1985 : il faut recréer une économie de croissance, génératrice d'emplois, qui repose sur l'autofinancement des entreprises et sur l'épargne des particuliers, et non plus sur les bases malsaines de l'endettement.

Dans ce but, priorité sera donnée dans le budget de 1987 aux allégements fiscaux — consistant dans la réduction par étapes de la taxe professionnelle, la suppression de l'impôt sur les grandes fortunes et la limitation progressive à 50% du taux maximal de l'impôt sur le revenu (mesure qui existe dans d'autres pays, dont les États-Unis) - de façon à ramener en quelques années le poids des prélèvements obligatoires à un niveau comparable à celui de nos grands partenaires commerciaux.

Mais ces allégements, pour essentiels qu'ils soient, ne seront qu'une pièce de l'ensemble : la libération des prix et la déréglementation devront compléter la charpente.

D'autre part, à la différence de l'expérience Reagan, qui a réduit les recettes de l'État tout en creusant son déficit, ces mesures ne seront viables que si elles s'accompagnent d'une réduction corrélative des dépenses publiques — de l'ordre d'un point de P.N.B., soit 40 milliards, par an. Impossible ! clame-t-on dans la majorité.
Tout à fait raisonnable, au contraire, au point que ce chiffre, retenu par la convention libérale (200 milliards sur cinq ans), est aussi l'objectif fixé par la Commission de Bruxelles aux pays de la Communauté, afin d'alléger le poids de la dette et de diminuer la ponction de l'État sur le marché financier.

Comme Jacques Chirac le rappelait encore récemment, l'effort de compression des dépenses devra porter sur quatre postes :

1. La fonction publique, par le remplacement partiel des départs en retraite, représentant une économie d'au moins 5 milliards.

2. Les frais de fonctionnement de l'État (on devra assurer, dans ce domaine, un renforcement du contrôle des citoyens sur l'utilisation des deniers publics) et certains grands projets, comme le transfert du ministère des Finances à Bercy, qu'il faudra différer : également 5 milliards.

3. Les aides et subventions aux entreprises, dont le C.N.P.F. lui-même vient de demander la suppression, en contrepartie d'allégements fiscaux équivalents — pour un montant estimé il y a deux ans par Jacques Delors lui-même à 20 milliards.

4. Les plus-values de recettes liées aux dénationalisations : au moins 10 milliards (l'évaluation de Jean-Maxime Lévêque s'élève à 50 milliards).

Sans doute, pour certains, ce programme, sèchement chiffré, n'aura-t-il pas la saveur forte de nos vieilles «stratégies de rupture».

Qu'on y prenne garde cependant. Mis en œuvre par une opposition décidée à l'appliquer dans toute sa cohérence, il marquera dans notre histoire un changement décisif, en répudiant enfin le colbertisme pour vérifier ce trait de sagesse libérale si fortement exprimé par Benjamin Constant :
« Plus on laisse de moyens à la disposition de l'industrie des particuliers, plus un État prospère. »

On eût aimé que, dix ans plus tard, nommé par le nouveau président de la République Premier ministre, le sieur Juppé appliquât la formule.


5. Dix ans plus tard, un député prend parti pour l’ouvrage.

Plus de dix ans plus tard, Georges Mesmin, député U.D.F. de Paris (ci-contre) dans Le Figaro du 9 juillet 1996, a écrit un article à l’occasion de la réédition du livre, intitulé « Deux livres sur un sujet prioritaire - Une urgence absolue : la réforme fiscale »

Alain Juppé était donc alors le Premier ministre en exercice, nommé par Jacques Chirac, élu président de la République en mai 1995.
En voici le texte.

« Notre fiscalité et sa progression de type socialiste détruisent le tissu économique français - Pas de réforme possible sans une baisse forte et rapide des impôts.

Grignoté par les impôts, alourdi par les dépenses publiques et sociales, les déficits publics et les dettes, miné par le chômage et l'exclusion, notre pays semble aujourd'hui s'enfoncer dans le déclin économique.
Mais, lorsque la classe politico-médiatique cherche à inventer une «  autre politique », elle retombe toujours en fait sur les mêmes vieilles recettes à base de partage du travail, de relance de la consommation et d'intervention de l'Etat.
Toutes aboutissent à augmenter les impôts.

Quel que soit le vocable employé (socialisme, colbertisme, étatisme, interventionnisme, volontarisme, bonapartisme, keynésianisme), ces fausses solutions, qui correspondent à l'idéologie ambiante, ne constituent que la poursuite des politiques actuelles qui ont échoué, échouent et échoueront.

a) Un débat fondamental.

Dans ce flot d'erreurs économiques et de naïvetés, quelques-uns arrivent encore courageusement à nager à contre-courant. C'est le cas de Pascal Salin, professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine (1), ainsi que de Philippe Lacoude et Frédéric Sautet (2).
(1) Pascal Salin, L'Arbitraire fiscal Comment sortir de la crise ? Ed. Slatkine, Paris, 334 p. 98 F.
(2) Philippe Lacoude et Frédéric Sautet, Action et taxation. Le défi fiscal français. Ed. Slatkine, 465 98F. [Les auteurs sont deux étudiants de Pascal Salin]

Que l'on ne s'y trompe pas : les problèmes de la fiscalité française - sa complexité et ses taux spoliateurs (qui constituent souvent des records mondiaux) - ne sont pas de simples débats de techniciens.
Il ne s'agit pas de digressions universitaires entre des juristes ou des économistes.
Il s'agit bien, au contraire, du débat fondamental, qui détermine les performances économiques de la France, et donc le niveau de vie des Français.

Notre fiscalité et sa folle progression, de type socialiste, détruisent petit à petit le tissu économique français. « II n'existe pas de bon impôt », nous démontrent ces économistes.
Tous les impôts dissuadent l'activité économique.

Se refusant à admettre cette évidence, nos gouvernants, à chaque fois qu'ils créent ou augmentent un impôt, s'étonnent des conséquences. On taxe le commerce. Et l'on s'étonne que les boutiques ferment et que se développe le travail au noir. On taxe l'immobilier, sa détention et sa transmission.

Et l'on s'étonne que plus personne ne veuille acheter et que le bâtiment soit en plein marasme. On taxe le travail et les gros revenus. Et l'on s'étonne que les entreprises licencient et qu'il y ait une fuite des cerveaux. On taxe l'épargne, le capital et les entreprises.
Et l'on s'étonne que plus personne ne veuille prendre des risques, investir, créer des emplois et que les capitaux quittent le pays.
On souhaite que nos gouvernants cessent de s'étonner et arrivent à ce constat, aujourd'hui incontestable : depuis vingt ans, le chômage et les prélèvements fiscaux augmentent de manière parallèle.
Notre crise n'est en rien une crise du capitalisme, mais au contraire une crise de l'étatisme.

b) Les idées reçues

Car, comme l'expliquent fort bien ces deux ouvrages,
« l'Etat, contrairement au marché, joue le court terme contre le long terme, parce que l'horizon des hommes de l'Etat est borné par les élections, alors que les individus font des projets pour toute leur vie et même celle de leurs enfants ».

L'Etat « privilégie ce qui se voit par rapport à ce qui ne se voit pas », et donne ainsi la priorité à la distribution - pour se constituer des clientèles électorales - par rapport à la production.

Le lecteur pourra aussi méditer la fameuse courbe de Laffer, qui montre que « Trop d'impôt tue l'impôt », parce que plus on paye d'impôt, moins on a d'intérêt personnel à produire.

Pascal Salin et ses confrères tordent le cou aux idées reçues.
Non, les entreprises ne payent pas d'impôts : ce sont les propriétaires de l'entreprise qui voient le rendement de leur capital diminuer et sont incités à réinvestir ailleurs.
Non, la part « patronale » des cotisations sociales n'est pas à la charge du patron : elle est incluse dans le coût global du travail et vient en fait diminuer le salaire versé au travailleur.
Non, le capital n'est pas « peu taxé en France » : il s'exerce un « racket sur le capital », avec des superpositions d'impôts qui découragent une épargne pourtant indispensable.

Ces livres montrent la voie.

Ils l'illustrent par de nombreux exemples de pays qui (comme la Nouvelle-Zélande), ont adopté une politique libérale et connaissent l'enchaînement vertueux : la baisse des taux d'imposition engendre une augmentation de la croissance qui, à terme, génère une augmentation des rentrées fiscales, une diminution des déficits et une réduction du chômage.

c) La croissance

On ne devrait jamais oublier que la croissance n'est pas un don du ciel, qu'elle n'est pas automatique : « Elle dépend des efforts d'imagination et d'épargne faits par les hommes dans l'espoir d'en obtenir certains fruits dans le futur. »

On les a découragés : la crise est là.
Qu'on les laisse développer leurs activités, et la prospérité repartira.

Et que cesse ce matraquage médiatique qui prétend que seuls les « riches », les « élites » ou les « bourgeois » bénéficieraient des réformes libérales.

Ceux qui ont tout à gagner sont au contraire les millions d'exclus et de gens modestes à qui il faut rendre un travail, une dignité et l'espoir d'une vie meilleure. Remettre en route l'ascenseur social ne menace que les privilégiés.

Il n'est pas étonnant que « L'arbitraire fiscal » soit préfacé par l'un- des rares hommes politiques français qui comprennent les mécanismes économiques : mon ami Alain Madelin.
Durant son passage au ministère des Finances, on ne lui avait pas permis d'engager la grande réforme fiscale qu'il souhaitait et qui était si nécessaire. Ce fut une erreur que nous payons par une croissance nulle sur les quinze derniers mois.

Depuis le 3 juin, M. Juppé semble mieux disposé.
« II n’y a pas de réforme des impôts sans baisse des impôts » nous explique-t-il.

Sans une baisse forte et rapide, ajouterai-je.
J'espère que les intentions gouvernementales ne sont pas que des mots et des promesses.
En attendant les actes, je souhaite que L'Arbitraire fiscal et Action ou taxation deviennent les livres de chevet de ceux qui prépareront ce « grand soir fiscal ». Parce qu'il n'y a rien de plus urgent.


6. L’"entretien" de 1996.

Dans son périodique « L’avenir du XVIème », presque dans la foulée de l’article précédent, Georges Mesmin avait proposé un entretien à Pascal Salin. L’interview a été placé dans la rubrique du périodique intitulée : «  Les Cahiers du libéralisme ».

« Pascal Salin est Professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine et ancien président de la Société internationale du Mont Pèlerin.
Ses ouvrages les plus récents sont : « la Vérité sur la monnaie » (Odile Jacob, 1990) ; « Macro-économie» (PUF, 1991) et « l'Arbitraire fiscal » (éditions Slatkine).
Il est également l'auteur de nombreux articles., principalement en français et en anglais, dans des revues, ouvrages collectifs et journaux, en France et à l'étranger.
Par sa présence sur tous les fronts, Pascal Salin est l'économiste libéral le plus connu en France. (1)
Dans cet entretien, Pascal Salin a repris certaines expressions qu'il a utilisées dans son article "Comment gaspiller ses dernières chances" paru dans "Valeurs Actuelles" du 4 janvier 1997.


LE PROBLEME FRANÇAIS, C'EST SA DROITE


* Avenir de Paris 16eme
:
Quelle appréciation portez-vous sur l'action de la majorité RPR-UDF depuis qu'elle est au pouvoir ?

MOBILISER LES PREFETS POUR LUTTER CONTRE LE CHOMAGE EST IRREALISTE.

** Pascal Salin :
Il y a quelque chose de fascinant et de tragique dans la constance avec laquelle la droite, lorsqu'elle vient au pouvoir, gaspille ses propres chances et détruit les espoirs légitimes de ceux qui ont voté pour elle.
Ainsi en 1986, 1993 et 1995, les gouvernements de droite ont été totalement incapables de mettre en œuvre les grandes réformes structurelles qui s'imposaient.
Certes le discours de Jacques Chirac était un curieux mélange de radical socialisme et de libéralisme.
Mais on pouvait espérer que l'on prendrait les mesures consistant à libérer les initiatives privées, à diminuer les impôts, à limiter les pouvoirs de la bureaucratie.

Comme ils l'ont fait et le font en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Ces espoirs se sont évanouis dès le début quand Alain Juppé a convoqué les préfets, peu après sa nomination, pour les mobiliser contre le chômage.
Une vision aussi administrative des choses, aussi irréaliste était le signe que rien n'avait changé.
Les hausses d'impôts annoncées peu de temps après le confirmaient. Le dernier élément fut le limogeage d'Alain Madelin qui était l'inspirateur de toutes les mesures à caractère libéral de la campagne de Jacques Chirac.


* Avenir de Paris 16ème :
il y avait bien une autre politique possible ?

** Pascal Salin :
c'est une escroquerie intellectuelle ou une grave ignorance que de faire croire qu'il n'y a pas d'autre politique possible.

On peut imaginer autant de politiques que l'on veut.
Il y en a une qui s'imposait dont les grandes lignes auraient été : une baisse profonde et rapide des taux d'imposition les plus désincitatifs, un ralentissement des dépenses publiques, le développement des fonds de pension, l'atténuation du monopole de la Sécurité sociale, la suppression de réglementations paralysantes sur le marché du travail, ainsi qu'une baisse des taux d'intérêt qu'une dévaluation aurait facilité.

EN DETRUISANT LES INCITATIONS PRODUCTIVES, LA FRANCE S'EST INSCRITE SUR LA PENTE DU DECLIN.

* Avenir de Paris 16ème
:
Pourquoi la France est-elle en plein déclin ?

** Pascal Salin :

Cela tient au processus de collectivisation croissante qu'elle subit depuis vingt ans.
Il est frappant de constater que l'augmentation continue des prélèvements obligatoires est parallèle à celle du chômage.
Mais personne n'en tire la conclusion qui s'impose.

Pourtant ce processus est fort logique. Les individus voient une large part du produit de leurs efforts confisquée. Ils sont de moins en moins incités à faire des efforts de travail, d'épargne et d'innovation, en un mot d'entreprendre.
C'est donc la destruction du système des incitations productives qui est en cause.
Aucune amélioration ne peut être espérée faute de les restaurer. Toutes les mesures gouvernementales prises actuellement ou manquent cet objectif ou sont trop limitées.

Les baisses d'impôts sur cinq ans annoncées par le gouvernement Juppé représentent moins des trois cinquièmes des augmentations décidées en 1995.


* Avenir de Paris 16ème
 :
Le gouvernement RPR-UDF fait donc la même chose qu'un gouvernement socialiste ?

** Pascal Salin :
Il n'est pas surprenant que la gauche - si profondément marquée par le marxisme - ait poursuivi la collectivisation de la société française.

Mais le problème français c'est sa droite.
Il lui manque à la fois le minimum de fondations intellectuelles pour comprendre les problèmes de l'époque et l'instinct philosophique minimal pour réagir dans la bonne direction.
La « droite » française est conservatrice, nationaliste et étatiste. Elle n'est en aucune manière attachée à la liberté individu elle . Elle méprise l'homme.

DE LA FRANCE, C'EST SA DROITE QUI EST ETATISTE ET INTERVENTIONNISTE

* Avenir de Paris 16ème :
peut-on en déduire qu'il existe une sorte de complicité au sein de la classe politique française?

** Pascal Salin
:
Si.
Tous ses membres défendent des idées semblables.

Le stupide partage du temps de travail a été mis en place par
Monsieur Gilles de Robien, Président du groupe UDF à l'Assemblée.

Des calculs font apparaître que certains emplois créés seront subventionnés à hauteur de 120 000 francs par an par le contribuable!

Le déplafonnement de 1’I.S.F. puis son non-replafonnement est l'œuvre du R.P.R., de Michel Péricard, le Président du groupe R.P.R. et de Philippe Auberger.

Et c'est Alain Juppé qui propose d'inscrire dans la constitution les « services publics à la française » alors que ceux-ci sont ruineux et peu efficaces.

Air France a absorbé en trois ans 20 milliards de subventions pour 40 000 employés. Cela fait 500 000 francs par salarié! Et la compagnie continue à être l'une des moins rentables du monde.

La S.N.C.F. nous a coûté, en 1996, 70 milliard de francs.
Songez qu'avec cette même somme on aurait pu augmenter de 1 000 francs par mois, 5,8 millions de salariés en France !


* Avenir de Paris 16ème :
Il n’y aurait plus de combat d'idées mais plus que des luttes de clans ?

** Pascal Salin :
La vie quotidienne des citoyens dépend en effet des luttes et des accords - que l'on appelle pompeusement le « dialogue social » - parmi une nomenklatura réduite d'hommes politiques, de hauts fonctionnaires et de dirigeants syndicaux. (Vous avez d'ailleurs un bel exemple de ces apparatchiks dans le 16è avec M. Goasguen).

La véritable fracture sociale est celle qui existe entre cette nomenklatura et les citoyens qui essaient de survivre en dépit des obstacles construits par la caste dirigeante.
Des citoyens qui supportent d'ailleurs de moins en moins ces contraintes.


* Avenir de Paris 16ème :
Le problème se limite-t-il à cette nomenklatura ?

** Pascal Salin :
Le problème est effectivement plus vaste.
L'opinion publique est nourrie d'idées fausses.

C'est en France que le niveau de compréhension des problèmes économiques est le plus faible parmi les grands pays occidentaux.
C'est en France que le monopole de l'éducation est si exceptionnellement puissant et centralisé.
Presque tous les établissements d'enseignement, les médias, les intellectuels diffusent les mêmes idées vagues en faveur de l'égalitarisme et de l'interventionnisme d'Etat.
Dans cet ensemble, c'est l'ENA qui joue un rôle particulièrement néfaste et contribue au monolithisme de « l'intelligentsia ». Il faut supprimer cette école.


* Avenir de Paris 16ème
 :
Comment envisager le futur ?

SI LES FRANÇAIS SONT MOROSES C'EST QU'ILS SENTENT QUE LEUR FUTUR EST SOMBRE

** Pascal Salin :
En l'état actuel, il est sombre. Les Français le sentent. C'est pour cela qu'ils sont moroses.
Ils peuvent être assurés que, sur le long terme, le chômage ne fera que croître toujours plus.
Leur pays s'enfoncera toujours plus dans la dette.
Les dépenses sociales augmenteront.
Ils verront globalement leur niveau de vie diminuer.
Il était d'un tiers supérieur à celui des Anglais avant les années Thatcher, il est aujourd'hui inférieur.

Nous sommes sur le déclin et la pente peut même s'accélérer par un effet boule de neige : le nombre grossissant de gens à la charge d'un nombre toujours plus petit d'actifs peut faire « décrocher » ces derniers.


* Avenir de Paris 16e
:
Que faire alors ?

** Pascal Salin :
Les plus jeunes et les plus entreprenants peuvent émigrer. C'est d'ailleurs ce qu'ils font déjà.

La place financière de Londres engage plus de jeunes diplômés français que la place de Paris.
Ceux qui ne se résignent pas doivent s'engager en politique derrière les libéraux.
Il existe une multitude d'entrepreneurs - grands ou petits - qui gardent le courage d'innover en dépit des obstacles, du fait qu'ils sont exploités et méprisés.
Il existe quelques dépositaires de la grande tradition universitaire française, même s'ils ont un rôle marginal dans un pays dominé par les modes intellectuelles superficielles.
Il existe beaucoup de gens modestes qui s'accrochent encore aux valeurs du travail bien fait et de l'honnêteté.

En considérant tous ces héros de la vie quotidienne, on peut rêver d'une France débarrassée de l'arrogance des énarques, de la spoliation du fisc et des contraintes administratives.
Une telle France pourrait être l'histoire d'un succès.
Mais il faudra d'abord changer les idées et les hommes. »


7. La polémique.

Alain Juppé avait le 19 avril 1996 confié à cinq experts le soin de dessiner d'ici à la fin mai les grandes lignes de la refonte des prélèvements sur les ménages et les entreprises,
L'objectif demeurait de les diminuer « à partir de 1998».

Très précisément, le Premier ministre avait nommé cinq experts chargés d'esquisser, d'ici à la fin mai, la future architecture des prélèvements obligatoires.

« Le gouvernement bâtira ensuite une loi d'orientation fiscale sur cinq ans, qui sera soumise au Parlement à l'automne, avant le projet de loi de finances pour 1997 », écrit Alain Juppé dans la lettre de mission adressée aux cinq sages.

« Leurs travaux concerneront tant les prélèvements sur les ménages que sur les entreprises, qui dépassent le seuil inégalé de 45 % du produit intérieur brut. »

« L'objectif, rappelle le chef du gouvernement, est de « renforcer l'équité » des prélèvements et leur « efficacité économique », d'en « simplifier la structure » et de les « alléger progressivement en fonction de nos contraintes budgétaires (…) à partir de 1998».

Il s'agit de « déminer le terrain en s'entourant de personnalités irréprochables », explique-ton de source gouvernementale, et aussi de clarifier un débat techniquement difficile en rappelant les engagements de campagne du candidat Chirac.

Le groupe de travail est présidé par Dominique de La Martinière, 68 ans. Ancien directeur général des impôts, de 1967 à 1973, il a occupé divers postes à la tête d'entreprises privées (IDI, Delmas Vieljeux....).

Il sera assisté de Robert Baconnier, lui aussi ancien directeur des impôts, aujourd'hui à la tête du cabinet Francis Lefebvre, et de Bernard Ducamin, conseiller d'État. Jean Marmot, ancien directeur de la Sécurité sociale, et Jacques Delmas- Marsalet, président des Banques populaires et ancien chef de la législation fiscale, compléteront ce comité.

Ils seront chargés « en priorité » de faire des propositions sur «la simplification et l'allégement de l'impôt sur le revenu, sur une répartition mieux équilibrée du financement de l'assurance maladie entre les différentes catégories de revenu et sur la recherche d'assiettes plus favorables à l'emploi pour les cotisations sociales et la taxe professionnelle acquittées par les entreprises ».

Soit dit en passant, cela est la présentation officielle.
Pour la petite histoire, et comme le rappelle François d'Orcival dans un article intitulé "Quelle réforme fiscale ? Le diable se cache dans les impôts" dans Valeurs actuelles du 13 avril 1996 :

"[...] Alain Juppé profitait du conseil national du R.P.R., le 30 mars, pour confier à Dominique de La Martinière (conseiller régional de Poitou-Charentes) la mission qu'il rendait publique mardi dernier.

Dominique de La Martinière a déjà conduit les travaux d'un groupe de la Fondation Saint-Simon (Nora, Minc, Rosanvallon...), en 1990, sur le même sujet. Rapport qu'il avait publié sous le titre "l'Impôt du diable, le naufrage de la fiscalité française".

La Martinière plaidait alors pour un « impôt à la source » qui est apparu sous la forme de la C.S.G.
Il ajoutait :

« Tous les grands pays occidentaux ont réformé leur impôt sur le revenu en élargissant son assiette, en réduisant sa progressivité et en abaissant les taux marginaux les plus élevés. »

« De loin en loin, écrivait-il encore, on propose d'améliorer à la marge tel ou tel dispositif. Mais de réforme d'ensemble, point !
Et lorsqu'un jeune député, parti flamberge au vent pour écrire un rapport sanglant sur la question, revient un peu penaud avec des propositions très modestes, la Bourse plonge aussitôt : signe que le débat sur ces problèmes ne sera pas ouvert demain. »

II aura fallu attendre six ans.
En 1990, la masse des prélèvements obligatoires se situait, après de légères baisses, au sommet des années Mitterrand déjà atteint en 1985 : 44,5 %. Nous en sommes désormais à 45 %. •

Bref, "on prend les mêmes et on recommence" ... jusqu'à aujourd'hui inclus !

Mais revenons au discours officiel.

Compte tenu de sa composition et du peu de temps dont elle dispose, la mission devrait largement s'inspirer du célèbre rapport sur l'impôt sur le revenu et la C.S.G., remis à Edouard Balladur à la veille de l'élection présidentielle, rédigé par deux de ses membres, Bernard Ducamin et Robert Baconnier.

Pas de « big-bang »

Ce rapport suggérait notamment la mise en place d'un double dispositif : une C.S.G. plus élevée et élargie compensant une baisse de la cotisation maladie des actifs auquel s'ajouterait un impôt sur le revenu rénové et simplifié. Si cet objectif semble faire l'unanimité dans les cercles gouvernementaux, les avis divergent sur la méthode.

Le rapport Ducamin était partisan d'un « big bang ». Alain Juppé, lui, préfère prendre son temps.

Il lui faudra néanmoins tenir une promesse à maintes reprises réitérée : le dépôt d'un projet de loi avant le 30 juin sur le transfert de 1 ou 2 points de cotisation maladie sur une contribution plus large, type C.S.G. « élargie notamment aux revenus du capital ».

Parallèlement, Alain Juppé s'était prononcé en faveur de l'extension des contributions maladie des entreprises à d'autres éléments que les salaires, par exemple la valeur ajoutée.

L'une comme l'autre, ces deux réformes dont on escompte des effets positifs sur l'emploi (Le Figaro du 19 mars) posent de multiples problèmes que le groupe devra éclairer.


7.A. Le "rapport".

Un mois plus tard, le rapport est présenté à l'opinion.

Selon Le Figaro du 5 juin 1996,

« Je ne me fais pas d'illusion, d'ici quelques mois les groupes de pression et les parlementaires auront déchiré ce rapport et l'auront jeté aux chiens », a commenté hier, 4 juin, Dominique de La Martinière, auteur du rapport qui sert de base à la réforme fiscale projetée par le gouvernement.

Sans illusion, ce haut fonctionnaire sait que désormais, après l'annonce de l'objectif de réduction de la pression fiscale en cinq ans, le gouvernement devra convaincre l'opinion publique et les parlementaires à la fois de la nécessité de réduire la dépense publique et de la pertinence de chacune des mesures fiscales dont on ne connaîtra le détail chiffré qu'à l'automne prochain.

a) « Un maquis de dérogations »

Alain Juppé ne s'y est d'ailleurs pas trompé.
Il a annoncé qu'il recevra « courant juin » les partenaires sociaux pour les entretenir de la réforme quinquennale des prélèvements obligatoires.
S'exprimant lors des questions d'actualité au gouvernement, le chef du gouvernement a assuré également que « l'opinion publique participera au débat » pour l'élaboration de cette réforme qui sera présentée à la mi-septembre en même temps que le projet de loi de finances 1997.

Sur le terrain de la dépense publique, le combat est déjà engagé depuis plusieurs semaines avec l'organisation du débat d'orientation budgétaire devant le Parlement le mois dernier, suivi de l'envoi à tous les ministres de mandats de préparation du budget 1997 particulièrement impératifs.

Sur celui de la réforme fiscale, le rapport de la commission La Martinière sur « la réforme des prélèvements obligatoires » dresse le panorama des obstacles à surmonter, même si, selon la formule consacrée, celui-ci n'engage que ses auteurs.

Rendu public hier, le rapport détaille les maux dont souffre la fiscalité : un impôt sur le revenu aux taux élevés et dont la base est grevée par « un maquis de dérogations » ; des cotisations sociales pesant sur les ménages dont l'assiette est discutable, notamment pour la branche maladie, et enfin des charges des entreprises largement critiquables.

b) Prudence.

Mais alors qu'il reste d'une grande prudence dans ses propositions sur ce dernier point (taxe professionnelle et cotisations patronales), le document dessine plus clairement les contours de la réforme des prélèvements sur les ménages.

Or c'est ici bien sûr que les « groupes de pression » qu'évoquait hier Dominique de La Martinière risquent de se manifester rapidement.

D'ores et déjà les principales centrales syndicales se sont exprimées : leurs réactions vont du scepticisme (C.F.D.T.) à l'hostilité (F.O. et C.G.T.).

Côté entreprises, le C.N.P.F. reste muet, tout comme la C.G.P.M.E. Mais l'Assemblée des chambres de commerce a déjà pris ses distances : « Bien que les mesures annoncées soient aguichantes, les entrepreneurs jugeront sur actes. En réponse aux attentes très fortes sur la taxe professionnelle, les propositions sont symboliques.

Avant de promettre la baisse des impôts, il faut s'engager dans la véritable réforme du secteur public. »

Une antienne reprise également par l'Union professionnelle artisanale qui rappelle que « la réforme de la fiscalité doit conduire à un allégement de l'imposition des petites entreprises.» C'est dire s'il faudra convaincre.


7.B. A propos du « rapport La Martinière »

Et Pascal Salin et Philippe Lacoude de signer un article intitulé « A quand la vraie réforme fiscale - Il faut des prélèvements plus simples, mais surtout plus faibles » dans le Figaro du 20 juin 1996.
En voici le texte.

"La France est étrange.
Alors que le gouvernement prend enfin conscience de la nécessité d'une réforme fiscale, il en confie l'étude à ceux-là mêmes qui ont mis en place ce système oppressif compliqué, et arbitraire qui constitue l'obstacle essentiel à la prospérité et à l'épanouissement des citoyens.

Si les membres du groupe de travail sur la réforme des prélèvements obligatoires (Commission La Martinière) sont tous des membres compétents de l'oligarchie administrative qui dirige la France, leur rapport montre pourtant qu'il leur manque l'essentiel, à savoir la compréhension des mécanismes économiques et des tenants de l'action humaine.

a) Lacunes essentielles

Certes, comparé à d'autres travaux administratifs, le « rapport La Martinière » n'est pas sans mérites.

Il marque ainsi des réticences à l'égard de la progressivité de l'impôt ;
il ne fait pas un absolu de l'harmonisation fiscale en Europe, même s'il considère à tort que la TVA est un impôt sur les consommations finales ;
il reconnaît l'existence d'une « trappe à pauvreté », tenant au caractère parfois négatif du gain marginal obtenu en entrant sur le marché du travail pour les titulaires de faibles revenus ;
il va même jusqu'à souligner de manière correcte les effets pervers des exonérations de charges sur les bas revenus et symétriquement, les risques de fuite des capitaux et des cerveaux.

Hélas, les lacunes du rapport sont tellement essentielles qu'une réforme fiscale qui s'en inspirerait n'aurait guère que des effets limités.
Même si les auteurs semblent comprendre que

« tout se passe comme si les contribuables réagissaient à la progression de la pression fiscale par une exploitation maximale des possibilités qui leur sont offertes de faire échec à cette progression»,

ils méconnaissent ce qu'il est convenu d'appeler l'« effet Laffer » et ne comprennent donc pas qu'une baisse des taux marginaux de l'impôt peut entraîner une hausse des recettes fiscales.

En dehors d'aménagements techniques consistant à simplifier le barème ou à supprimer d'apparentes inégalités de traitement entre contribuables, la réforme proposée est sans surprise :
dans l'optique comptable habituelle, le rapport poursuit l'objectif impossible de lutter contre le déficit public sans avoir préalablement baissé les prélèvements, laissant croire que la croissance tombe du ciel comme par miracle, alors qu'elle serait la conséquence heureuse de la réforme fiscale.
Par exemple, les propositions de la Commission prônant la baisse du taux maximal de l'impôt de 56,8 % à 40 % sont apparues comme radicales.

Pourtant, ceci s'accompagnerait de la suppression de l'abattement de 20 % sur les salaires dont bénéficient plus de 90 % des contribuables.
Pour eux. les taux d'imposition marginaux réels - i. e. incluant les charges sociales – resteraient inchangés pour un célibataire gagnant 20 000 francs brut par mois, et baisseraient de 0,7 et 1,3 % respectivement pour des couples ayant deux enfants et des revenus bruts de 20 000 et 40 000 francs.

Les seuls contribuables dont le taux maximal réel changerait sont ceux dont les revenus atteignent le plafond de l'abattement de 20 %. soit environ 75 000 francs brut par mois.
Mais, à ces niveaux, les revenus ne se composent plus de salaires, à de très rares exceptions près, et la mesure concernerait donc un très petit groupe de contribuables.
Pour ces derniers, selon le barème proposé par la Commission, la pression fiscale marginale réelle passerait de 78,7 % à 70,0 %.

Et les auteurs d'ajouter qu'« il serait sans doute plus raisonnable d'agir par l'impôt de solidarité sur la fortune » de façon à « rétablir la progressivité ».

L'étude minutieuse du barème ne laisse donc apparaître qu'une baisse très modeste des taux moyens bénéficiant plutôt aux familles nombreuses de la classe moyenne aisée.
Or l'économie enseigne que le taux qui détermine les choix individuels est le taux marginal.
Tout se passe donc comme si les rapporteurs avaient cherché à proposer la réforme ayant le coût le plus élevé pour les finances de l'Etat et les effets économiques les plus dérisoires.

b) Tabou de la progressivité

La réticence effective des auteurs du rapport à mettre en cause le tabou de la progressivité s'exprime clairement lorsqu'ils écrivent que « l'allégement du barème pourrait sembler contraire aux exigences de l'équité », s'il ne s'accompagnait pas de la suppression de dérogations.
De même, le rapport préconise l'imposition des allocations familiales, mais oublie de demander la suppression du plafonnement du quotient familial.

c) Accroissement délétère

L'autre volet des propositions en matière de fiscalité des revenus salariaux, la C.M.U. - cotisation maladie universelle - est essentiellement un tour de passe-passe '".
Sur le plan moral, ce développement de l'assistance publique universelle subordonnée à l'élargissement de l'assiette du financement, nous éloignerait encore davantage de ce que devrait être un système d'assurance fondé sur la responsabilité personnelle.
A partir du moment ou l'on passe à un système purement collectiviste, il n'y a plus de critère de financement incontestable : on crée un vaste pot commun que l'Etat s'efforce d'alimenter au mieux. La tentation est alors forte de faire appel à une assiette aussi large que possible.

On a le sentiment à la fois d'obtenir des recettes abondantes et de répartir « équitablement » le fardeau du financement.
On ne fait, en réalité, qu'accentuer les injustices et mettre le futur en péril.

A ce sujet, le rapport La Martinière retient l'idée habituelle et fausse selon laquelle le travail serait surtaxé par rapport au capital.
Certes, il reconnaît qu'une trop forte imposition du capital en ralentit l'accumulation et freine la croissance sur le long terme.

Mais il a du mal à réconcilier cette idée avec la proposition selon laquelle que le système fiscal conduirait à opérer des substitutions en faveur du capital et au détriment du travail.

Les auteurs ne comprennent pas que le capital est constitué de richesses produites à partir d'un travail surtaxé et qu'à titre, et comme l'expliquent prix Nobel Gary S. Becker Robert Lucas, « ni les plus values, ni aucun des revenus en capital ne devrait être taxés »(2).

Si l'on note que les années 1990 ont vu la création de la C.S.G. et du R.D.S. et une forte augmentation de la T.V.A., la réforme proposée ne permettra pas de maintenir la pression fiscale sur la période 1990-2000, le bilan final de ces dix années se solderait par un accroissement délétère des taux, rendu opaque par un transfert massif des impôts directs vers les impôts indirects.
Nous pouvons nous demander pourquoi 1es rapporteurs présentent un barème aussi peu lisible dans ses conséquences.

Le rapport La Martinière est certainement idéal pour le but non officiel qu'il doit remplir : légitimer l'action gouvernementale par le sérieux de la technicité.
Mais il échoue complètement au seul point de vue qui serait important, à savoir poser les bases d'une véritable réforme fiscale où les prélèvements seraient certes plus simples, mais surtout plus justes, c'est-à-dire beaucoup plus faibles.

(1) D'après nos calculs, si elle substituait entièrement aux cotisations salariales de maladie, la C.M.U. conduirait à une hausse du pouvoir d'achat des salaires de l'ordre de 0,6% par an pendant cinq ans, mais également à une hausse de plus de 17 % de la fiscalité de l'épargne ainsi qu'à une baisse de l'ordre de 3,8 % du pouvoir d'achat des retraités les moins aisés.

2) Cette question mériterait des développements trop longs pour le présent article.
On peut se reporter à nos ouvrages, P. Salin, « L'Arbitraire fiscal » ou Ph. Lacoude et Frédéric Sautet, « Action ou taxation, (Ed. Slatkine, Paris, mai 1996)."


7.C. Théoriciens et praticiens...

L'article de Pascal Salin et Philippe Lacoude ne plaît pas à Dominique de la Martinière, "Président du groupe de travail sur la réforme des prélèvements obligatoires".
Il écrit un article dans «Le Figaro Economie» du même jour, page X, "en réponse à Pascal Salin et Philippe Lacoude" qu'il intitule "Théoriciens et praticiens". 
En voici le texte :

"Tout rapport public est soumis a la critique et ses auteurs ne sauraient s'en formaliser.

Ils sont en droit de réagir, en revanche, lorsqu'ils sont l'objet d'injures.
Ayant eu le privilège et l'honneur de présider le groupe de travail que le premier ministre avait chargé d'étudier les réformes dont certaines parties de notre système fiscal paraissaient susceptibles, je considère même qu'il est de mon devoir de relever l'excès commis à cet égard par le professeur Salin et M. Lacoude.

« Membres de l'oligarchie administrative qui dirige la France », nous aurions « mis en place un système oppressif, compliqué et arbitraire qui constitue l'obstacle essentiel à la prospérité et à l'épanouissement des~citoyens ».

Rien de moins !
Peut-être faudrait-il appeler l'attention des auteurs de l'article sur le fait que deux d'entre nous ont exercé des fonctions juridictionnelles et leur rappeler que les autres assurent respectivement la présidence d'un groupe bancaire et la direction d'un cabinet de conseil réputé.

En ce qui me concerne, j'ai quitté l'administration il y a vingt-trois ans et consacré depuis l'essentiel de mon existence professionnelle à la vie d'entreprise du secteur concurrentiel, où je n'ai plus connu l'impôt que comme contribuable.
L'accumulation des expériences acquises par les cinq membres du groupe de travail le portait donc, je crois, posséder « la compréhension des mécanismes économiques... et de l'action humaine ». Davantage en tout cas que la fréquentation des colloques et des couloirs de faculté.

Ces précisions étant données, un problème demeure :

pourquoi le professeur Salin et M. Lacoude ont-ils éprouvé le besoin de dénigrer nos personnes ?
A quoi faut-il attribuer cet usage de l'anathème avant tout raisonnement ?
On serait tenté de rappeler les personnages d'Homère, mais serait- il convenable d'attribuer à un dignitaire de l'université un comportement de primitif?

a) Déformation impudente

L'emploi de l'injure comme moyen de communication, il est vrai, peut s'exprimer par le désir de distraire le lecteur de la faiblesse des arguments utilisés par ailleurs.
Il n'est pas impossible que ce soit le cas et qu'il convienne donc de rappeler la phrase du personnage Basile de Beaumarchais

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! »

Comment, en effet, peut-on tout à la fois affirmer que le taux le plus important « celui qui détermine les choix individuels » est le taux marginal et rechercher des exemples significatifs dans les parties basses ou moyennes de l'échelle des revenus ?

Présenter comme contradictoire le plafonnement du quotient et l'imposition des allocations familiales, en oubliant de préciser que l'incorporation de la décote dans le barème apporterait un soulagement substantiel aux familles nombreuses ?

Prétendre que les propositions faites ne se traduiraient que par une baisse « très modeste » des taux moyens et soutenir qu'elles entraîneraient des « coûts élevés » pour les finances publiques ?

b) Expertise économique

Comment, de même, oser utiliser avec autant d'impudence, le procédé qui consiste à déformer un texte pour le critiquer plus facilement ?

 Nous n'avons pas invoqué « l'effet Laffer », car l'emploi du langage courant nous a paru préférable à celui du jargon universitaire, mais nous avons souligné à plusieurs reprises que le rendement de notre système fiscal diminuait et qu'une détente des taux était nécessaire à son amélioration.

Nous n'avions nul besoin de nous faire expliquer par quiconque que l'impôt affectait l'accumulation du capital ; la preuve en est que nous avons recommandé la réduction des pressions exercées à cet effet par la taxe professionnelle.

Enfin, nous nous sommes résolument placés dans la perspective d'une baisse de la pression fiscale, alors que l'article du 20 juin tend à faire croire le contraire aux lecteurs du Figaro.

La lecture des ouvrages du professeur Salin (1) et de M. Lacoude (2) révèle par ailleurs une omission intéressante.

« II s'agit d'éliminer les désavantages subis par les propriétaires d'un capital risqué par rapport à celui d'un capital peu risque, celui qu'on appelle parfois un rentier », écrit ce dernier, qui admet qu'une réforme comporterait

« un risque d'aggravation transitoire des déficits publics »

et recommande en conséquence

« une décrue fiscale étalée, par exemple, sur cinq années ». Diable ! Que ces propos paraissent sages ! et bien différents de la diatribe publiée le 20 juin ! ! !

Toujours prêt à souligner le rôle essentiel des fonds propres, le professeur Salin devrait lui aussi condamner l'excès des avantages accordés à la rente dont l'analyse constitue l'une des parties essentielles de notre diagnostic.
Leur article, pourtant, n'évoque même pas le sujet. Faut-il croire que les auteurs n'ont pas voulu contrarier ceux que nos propos ont dérangés ?

Pour achever de rassurer les lecteurs du Figaro, je crois utile de les inviter à lire L'Arbitraire fiscal.

Cet effort leur apprendra que le professeur Salin est hostile à l'Etat, à la Sécurité sociale et aux dépenses de solidarité, voit dans tout impôt la manifestation d'une violence spoliatrice, condamne toute progressivité et même les prélèvements proportionnels puisqu'ils risquent d'inclure une « progressivité cachée », estime que les « hommes de l'Etat » sont incapables de s'intéresser au futur, pense que les droits de l'homme pourraient se limiter au respect de la propriété et affirme que
« la notion d'intérêt général... est un concept sans signification ».

Pour lui, la T.V.A. ferait double emploi avec l'impôt sur le revenu, ne serait pas répercutée dans les prix et devrait être appliquée aux exportations.

Les industriels, qui pensent toujours logiquement « hors taxes », apprécieront.

De même que les lecteurs s'inquiéteront de voir le professeur Salin vanter les mérites de la capitation qui, sous l'appellation de poll-tax, a mis fin au règne de Mme Thatcher.
Les uns et les autres devraient se féliciter de ce que la préparation d'une réforme fiscale n'ait pas été confiée à M. Salin.

Le mot de la fin, néanmoins, mérite de revenir à M. Lacoude qui pose dans son ouvrage une question sérieuse

« être universitaire, de nos jours, constitue-t-il un label de garantie en matière d'expertise économique." ?

(1) Pascal Salin, L'Arbitraire fiscal.
(2) Philippe Lacoude, Action ou taxation."


Cette "réponse" n'est-elle pas merveilleuse ?
Son auteur vit vraiment dans le monde d'Alice, celui des Merveilles, à défaut de prendre les lecteurs du Figaro pour des imbéciles.


8. « 2011-12 » : l’aurore de la fin de l’arbitraire fiscal ?

Nous sommes aujourd’hui en 2011, à l’aurore de l’élection présidentielle programmée pour 2012. La réforme fiscale est toujours au-devant de la scène politique.

Mais l’inculture, l’ignorance, l'oubli et la jalousie – « des riches » - rivalisent dans les ébauches de programme politique proposées ces derniers temps, tous partis confondus.

D’ailleurs ceux qui donnaient l’impression au bon peuple de se défier en 1985, voire en 1996, "à mains nues et idées claires", se sont succédés à la charge des affaires, grâce à ses votes.
Et ils n’ont fait qu’enfoncer un peu plus le « clou de l’arbitraire fiscal » en pratique et dans le discours officiel.

De plus, ce sont presque les mêmes qui sont en lice aujourd'hui, ils sont seulement, désormais, au premier rang du cirque politique que conditionne le système fiscal français et qui permet de stipendier untel ou untel, en dépit des destructions qu’ils ont commises ou fait commettre depuis lors car ils ont toujours refusé les idées du livre de Pascal Salin - comme en atteste l'article de Monsieur de La Martinière -, pourtant les seules qui permettraient de sortir de la route de la servitude dans laquelle les gouvernements successifs ont engagé la France depuis au moins 1936 - "the long and winding road" http://www.youtube.com/watch?v=Jt-YSHAr7c0 -.

Nous ne sommes vraiment pas à l’aurore de la fin de l’arbitraire fiscal.


Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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