1. Un biais français.
Il y a près de trente-cinq ans, dans le livre intitulé De
l'imperfection en économie (1979), Henri Guitton (1904-1992),
professeur de sciences économiques à l'université de Paris I
Sorbonne, s'en prenait à l'habitude croissante des "-ismes" en
langue française, des "-ismes" accolés aux mots dans le domaine économique.
Mais, comme le titre l'indiquait, il laissait de côté la question de
la rhétorique "au mauvais sens du mot " qu'est, par
exemple, souvent, le mot "imperfection" et qu'il semblait
prendre au sérieux (cf. ce texte
de novembre 2014).
Il concluait l'ouvrage avec, en particulier, une considération de
méthode qui n'avait rien à voir avec les mots, ni avec la rhétorique au
mauvais sens du mot:
"Il
s'agissait de savoir ce qu'était l'objet de l'économie politique.
La question reste actuelle, toujours la même, bien qu'elle s'exprime en
termes nouveaux.
Je me demande aujourd'hui si l'opposition que j'avais proposée entre
- 'l'économie politique à l'image des sciences physiques' et
- 'l'économie politique science de l'action humaine'
ne garde pas sa valeur, mais dans l'atmosphère renouvelée par
l'épistémologie contemporaine qui nous a permis de lever certaines
ambiguïtés." (Guitton, 1979, p.225)
Guitton était, en effet, un des rares économistes français de
l'époque à ne pas mettre de côté, de l'économie politique, la méthode
économique de l'école de pensée dite "autrichienne", même s'il ne
s'était pas engagé dans la voie.
2. L’inculture
organisée.
L'inculture qu'il dénonçait implicitement (et qu'il avait déjà dénoncé en
1951, cf. texte
critique d'A. Marchal) a peu évolué en France depuis lors (cf. ce texte
d'août 2015).
L'"économie autrichienne" a toujours une méthode vue d'un
mauvais œil par les prétendus bien-pensants (exemplaire était le texte
critique de A. Barrère).
3. La relation cachée.
Selon Ludwig von Mises (1881-1973), grand économiste autrichien, avec
cette méthode, l'économie politique cherchait, en particulier, à faire
comprendre les phénomènes du marché.
Et, dans ce but, il n'a pas hésité à reprendre des éléments de Jean
Baptiste Say (1967-1832) (cf.,
en particulier, Say, Catéchisme
d'économie politique, 1815) en les précisant, en mettant
l'accent, par exemple, non plus sur la "marchandise intermédiaire"
qu'était la monnaie selon Say, mais sur l'échange indirect des choses.
Lui et ses collègues autrichiens y insistaient : ce qu'on dénommait
"monnaie" avait été le fruit de l'invention, puis de l'innovation,
des actions économiques des gens, jusqu'à ce que les hommes de l'état
inventassent des réglementations, en toute ignorance, les imposassent et la
déformassent.
A quelques temps d'intervalles, Carl Menger (1840-1921) et Mises ont eu
l'occasion de donner deux explications de ce phénomène de la
monnaie-invention distinctes et convergentes.
4. Marchandise
intermédiaire et échange indirect.
En fait, marchandise intermédiaire et échange indirect sont des notions
identiques qui situent dans des perspectives un peu différentes.
Mais aujourd'hui, suite aux réglementations qui ont dénaturé les deux notions et que n'a pas connu
Mises, ce qu'on dénomme "monnaie" est incompris par une grande
majorité de personnes tandis que l'échange indirect fait l'objet de pseudo
considérations, y compris par de pseudo économistes en vogue.
Soit dit en passant, la notion d'école de pensée économique dite
"autrichienne" a été fabriquée, en grande partie, par les
historiens de la pensée "marxistes", fruit de la révolution
française de la décennie 1790, qui la font commencer avec Menger (cf. ce
texte) et dont on n'est pas sorti.
Reste qu'à les suivre, il s'avère que nos amis autrichiens
reprenaient des auteurs français, à commencer par J.B. Say pour
qui l'économie politique cherchait à expliquer comment les richesses
étaient produites, échangées et consommées dans la société.
5. L’école de pensée
française oubliée.
Le point de départ de l'économie politique devrait être les actions
choisies par vous et moi, réalité première ... et tout ce qui y est impliqué.
Certes, dans son principe, l'économie politique cherche à expliquer des
faits objectifs en faisant référence à des relations constantes qui les lient
à d'autres faits.
Mais une grande majorité d'économistes considèrent que l'action humaine n'est
pas une relation constante.
Malgré cela, et plutôt que s'escrimer à cerner le concept d'équilibre
économique - qui n'existe pas au sens général du mot où il est utilisé (cf.
ce texte
de septembre 2015) - ou celui de croissance économique, l'économie
politique devrait se centrer sur l'action humaine que dirige le
choix de chacun et dont la nature témoigne de la notion de constance dès
lors qu'on ne fait pas référence à une utopie "individu", celle de
la révolution française, mais à la liberté de faire de la personne juridique
physique, autonome.
L'idée de la liberté de choix implique l'idée qu'il y a des lois
de l'action humaine qui se manifestent elles-mêmes dans la structure de
production ou dans les prix de marché.
Il y a, en particulier, des relations constantes dans le choix de
chacun en relation avec le succès et l'échec.
Reconnaître ce fait pave la voie vers une analyse économique réaliste
qui consiste, par exemple, à comparer des choix effectifs avec leurs
alternatives contre factuelles, en termes de succès et d'échec.
6. Considérations à
refuser.
La méthode devrait amener à refuser de s'engager dans un certain nombre
d'erreurs que voici.
6.a. Les fonctions des choses.
L'économie politique n'a pas pour domaine les fonctions des choses,
éléments de la réalité.
Les choses ne tombent pas du ciel, ni de l'équilibre économique (général
ou macroéconomique) qui n'existe pas, ni de l'ignorance des personnes, mais
de leur connaissance et de leur recherche abouti.
L'économie politique doit avoir pour éléments les valeurs que chacune
donne aux choses en propriété... et qu'elle lui donne par
"utilité".
6.b. Les fonctions de l'état.
L'économie politique n'a pas non plus pour domaine les fonctions de la
notion d'"état".
L'état n'est pas l'entité qui recouvre les fonctions
socialauds-communistes, à savoir : allocation, distribution et
stabilisation ... (cf. R. Musgrave http://www.jstor.org/stable/2976491?seq=1#page_scan_tab_contents).
Et cela malgré ce qu'en pérore sa clientèle.
6.c. Les fonctions de la société.
L'économie politique n'a pas non plus pour domaine les fonctions de la notion
de "société".
Economie politique et sociologie font deux...
Faut-il rappeler qu'Auguste Comte (1798-1857) a créé le terme
«sociologie», dans le cadre de la construction d'une philosophie «positive».
Son Cours de philosophie positive cherchait à établir les
conditions du «consensus» social, à travers les notions d'«ordre» et de
«progrès», et la constitution d'une «religion de l'humanité».
Pour sa part, Herbert Spencer (1820-1903) est parti explicitement de
l'analogie société-organisme pour poser les concepts de structure et de
fonction, analyser le développement des sociétés et des «institutions» en
distinguant les appareils d'«entretien», de «distribution» et de
«régulation».
Il a écrit les Principes de sociologie entre 1876 et 1896,
immense tableau anecdotique de l'évolution sociale.
Au nombre des grandes lignes du modèle de Durkheim (1858-1917), la notion
de «conscience collective» est centrale.
Une société est faite d'individus qui «tiennent» ensemble parce qu'ils ont
en commun des valeurs et des règles, partiellement transmises par l'école.
La société, en tant qu'entité construite par le démiurge dénommé
"sociologue", n'est ni transcendante, ni immanente aux individus:
elle a une spécificité que définissent les paramètres d'intégration
(allégeance au groupe) et de régulation (reconnaissance de règles contrôlant
les comportements individuels).
Cette «conscience collective» se traduit par des phénomènes collectifs qui
vont du niveau proprement psychique des représentations collectives, à celui
des institutions et à celui d'un substrat matériel (volume et densité de la
population, voies de communication, édifices, etc..).
Durkheim a recours à la métaphore de la «cristallisation» pour désigner
cette présence de la conscience collective dans tous les secteurs de la vie
sociale.
Folles thèses, foutaises.