L'interdiction de la convertibilité des monnaies réglementées : une révolution étatique méconnue.

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Published : May 25th, 2011
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A ma connaissance, n'est jamais soulignée la véritable révolution étatique qu’ont constitué successivement, d'abord, l’interdiction de la convertibilité intérieure des « substituts de monnaie bancaires » (billets et dépôts bancaires) en monnaie – sous-entendu "monnaie-métal or ou argent", en anglais « currency » - à partir des décennies 1920 et 1930, puis, à partir des années 1971-73, l’interdiction de leur convertibilité extérieure.

On préfère, par exemple, évoquer la loi de Glass Steagall sur les banques des Etats-Unis (1933), abrogée en 1999, bien qu'elle soit étroitement liée à la loi sur l'interdiction de la convertibilité du dollar des Etats-Unis en or. Ce texte avait créé, en particulier, faut-il le rappeler, une séparation légale entre les banques de dépôts et les banques dites d’affaires ou d'investissement.

D'ailleurs, beaucoup de commentateurs ont jugé ces derniers temps que l’abrogation, en 1999, de la loi Glass Steagall avait été une cause déterminante de l’ajustement financier mondial qui est devenu réalité dans la décennie 2000.

Ils considèrent aussi que les situations budgétaires et d’endettement terribles des Etats des pays de la zone euro sont une conséquence directe de l'ajustement en question.
Les hommes de l'Etat ont en effet mené des politiques qui n’ont pas, certes, respecté les engagements dont ils étaient convenus, mais, à les en croire, elles ont permis d’adoucir le choc.
Sans les politiques menées, des situations auraient été insupportables selon leurs dires.

Pourquoi, bien sûr, s'abstenir de dire tout cela si des gens le croient !


Ils critiquent ainsi la vision politique qui a motivé la réforme de 1999.

Ils apprécient au contraire la vision politique qui avait motivé la réforme de 1933 aux Etats-Unis sans s'y attarder.

Mais ils n’évoquent pas les autres réformes de 1933-34 aux Etats-Unis intimement liées en définitive à la réforme bancaire, par exemple, l'interdiction de la convertibilité intérieure du dollar en or et l'interdiction pour les Américains de détenir de l'or aux Etats-Unis.


Pourtant, l’interdiction de la convertibilité a fait que les « substituts de monnaie bancaires », véritables formes de monnaies réglementées (les monnaies nationales), sont devenus « substituts bancaires de rien »… même si certains commentateurs les ont interprétés comme des dettes des banques – vraisemblablement parce qu’ils restaient inscrits au passif du bilan  de la banque -.
Mais, soit dit en passant, les capitaux propres de la banque sont aussi inscrits au passif du bilan et ceux-ci ne sont pas pris pour des dettes de la banque ! Deux poids, deux mesures ?


Le fait est que la révolution étatique de l'interdiction de la convertibilité des substituts de monnaie bancaires en monnaie a été ignorée ou cachée.

Une preuve en est que certains évoquent aujourd'hui le « retour à l’étalon or »… et non pas une réaction à la révolution étatique qui a emporté l'étalon-or.  Je laisse de côté le débat entre partisans du retour à l'étalon or et partisans des taux de change libres qui n'est plus aujourd'hui d'actualité.

On ne s’étonnera jamais assez que cette révolution étatique, en définitive feutrée, n’ait pas suscité de remous dans l’opinion en dépit des conséquences qu'on pouvait imaginer et que certains faisaient valoir alors, qu'elle a eues et ce n'est pas fini.

Une chose est sûre en effet aujourd'hui : la révolution étatique en question a déjà fait beaucoup de mal ou de victimes et le mal empire d’ailleurs aujourd’hui sous nos yeux et sur notre dos.


A ma connaissance, et curieusement, l’interdiction de la convertibilité des substituts de monnaie bancaires en or n'a jamais été dénommée « révolution étatique ».

Pourtant, il n’y a pas d’autres mots à employer pour caractériser ce qui s'est produit.

Pourquoi cette situation ? A qui le « crime » profite-t-il ? Je réserverai la réponse à la question à un billet futur pour m’intéresser dans celui-ci à ce que l’interdiction de la convertibilité en question cache.


A la racine de l’interdiction, il y a a priori une alternative entre une décision des hommes de l'Etat fondée sur la science de la monnaie du moment ou une décision non fondée sur celle-ci.

Et il faut reconnaître que, fin XIXème siècle début XXème siècle, la science de la monnaie était sinon dans l’enfance, au moins baignait-elle le plus souvent dans le marais de la rhétorique ou de la métaphore, quand elle ne comportait pas de piètres nénuphars, je veux dire des théories erronées et d'autres mal comprises.


A l'époque, la théorie de la quantité de monnaie - dénommée par certains en français « théorie quantitative de la monnaie » - était exemplaire à cet égard.

Elle n’expliquait pas la quantité de monnaie comme son nom prête à le croire…, mais le « niveau des prix » ou le « pouvoir d’achat de la monnaie », concepts qu’elle introduisait pour l’occasion.

Elle expliquait aussi la variation du « niveau des prix » ou de son inverse, le « pouvoir d’achat de la monnaie », moyennant l’introduction d’un autre concept, à savoir la « vitesse de circulation de la monnaie ».


Reste que le « niveau des prix » ne doit pas cacher les prix d’échange en monnaie des biens en propriété convenus plus ou moins librement par les échangistes, dont il procède après manipulation mathématique.
Soit dit en passant, ce point est important car, selon Pareto, quand les prix sont libres, la monnaie est vraie, quand ils sont réglementés, la monnaie est soit fiduciaire soit fausse.
Il s'ensuit donc des conséquences à ne pas négliger mais à cerner et à prendre en considération.  Ce que ne faisait pas la théorie de la quantité de monnaie.


Reste aussi que les prix d’échange en monnaie des biens en propriété ne sont rien d’autres que des quantités de monnaie échangées par unité des objets ou services en question – quoique passés sous silence - dans les échanges.

En d’autres termes, le « niveau des prix » ou le « pouvoir d’achat de la monnaie » cache une quantité de monnaie échangée, i.e. qui a changé de mains, à l’instant « t » et, si on se place dans une période de temps "dt", il cache une quantité de monnaie qui a changé de mains à une certaine vitesse, toutes choses égales par ailleurs.

Telle est l'épine dorsale de la théorie de la quantité de monnaie du début du XXème siècle à quoi on peut opposer la Théorie de la monnaie du crédit, titre du livre publié en 1912 et écrit par Ludwig von Mises, phare de l'école de pensée économique dite "autrichienne".


A l’occasion de la conférence 2001 de la "Société européenne  d’histoire de la pensée économique" tenue à l'Université Technique de Darmstadt, David Laidler a donné une conférence sur «L'influence de la politique sur la pensée économique» dans laquelle il apporte une réponse à la question.  C’est le dernier temps intitulé "L'entre deux guerres" de son propos qui en comporte quatre.

Selon Laidler, c'est le développement de la pensée économique qui a influencé la politique plutôt que le contraire.

Mais surtout, il note qu'il y a eu un changement de couleur politique de la théorie de la quantité de monnaie et de la rivale qu'il lui prête et qu'est la théorie de l'"Ecole de la banque"... 
De "gauchiste" ou "populiste" au XIXème siècle, la théorie quantitative est devenue "droitiste" au XXème siècle, alors que l'"Ecole de la banque" a suivi le chemin opposé.

J’ai traduit ce dernier temps du texte en français, le voici.

 
L'entre-deux guerres.

L'étalon-or international, dont la création au coup par coup dans la décennie 1870 avait suscité la controverse sur le bimétallisme, a survécu jusqu'au début de la Première Guerre mondiale, mais pas à cause d'une victoire intellectuelle de ses partisans.

C’est plutôt la découverte du procédé de cyanuration qui l’a permis.
Celui-ci a en effet donné la capacité d’exploiter avec économie les dépôts en or  de l'Afrique du Sud à partir du milieu de la décennie 1890. 
Et, parallèlement aux découvertes d'or dans le Yukon à peu près à la même époque, cela a suffi pour que l’offre mondiale d'or monétaire croisse plus rapidement que la production réelle.

Deux décennies de déflation ont pris fin, une inflation modérée qui a persisté jusqu'en 1914 a commencé et le bimétallisme a perdu sa principale raison politique.


Il est aussi intéressant de noter que les économistes monétaires de premier rang de l'époque, Marshall, Fisher et Wicksell, chacun à sa façon adepte de la théorie de la quantité de monnaie ["théorie quantitative de la monnaie" dans la terminologie française de certains, faut-il le répéter], n’avaient soutenu aucune des parties de la controverse sur le bimétallisme.

Tous les trois préconisaient la stabilité du niveau des prix comme objectif politique, mais tous les trois pensaient qu'il était possible d'améliorer à la fois les étalons or et bimétallique pour y parvenir.19
19. Marshall (1887) était en faveur d’un symetallisme complété par l'indexation largement volontaire des contrats des marchés du travail et des capitaux, Fisher (1911) proposait  d'indexer la monnaie même par le biais de son régime du dollar compensé, tandis que Wicksell (1898) proposait une monnaie papier internationale dont la valeur serait stabilisée par les mouvements de taux d'intérêt coordonnés entre les banques centrales du monde.
J'ai discuté ces questions plus en détail dans Laidler (1991).

Ainsi, en dépit de l'échec de la cause bimétalliste à quoi elle a été intimement associée, la théorie de la quantité de monnaie est restée associée avec scepticisme à la règle de la politique de l’étalon-or, et donc à ce qu'il est juste d'appeler la pensée «progressiste» de la politique économique.

Elle a continué à occuper une telle position après la Première Guerre mondiale

C'est tout à fait évident, par exemple, dans le rôle bien connu qu'elle a joué comme fondement intellectuel de la discussion de Keynes, dans son livre intitulé Tract sur la réforme monétaire, de la possibilité de conflit entre la poursuite de la stabilité des prix intérieurs et de la stabilité du taux de change et sa préférence pour la première dans le cas où un choix devrait devenir nécessaire.

Et une approche monétaire de l'analyse de la stabilité macro-économique qui est partie de la théorie quantitative de la monnaie a aussi sous-tendu les propositions moins radicales, mais néanmoins nouvelles, de Hawtrey pour le rétablissement d'un étalon-or international en vertu de quoi les mesures monétaires seraient coordonnées entre les pays en vue de donner à la stabilisation des prix, du revenu, de l'emploi la place de choix sur l’agenda politique.20
20. Elles ont été énoncées dans les résolutions de Gênes de 1923, mais n'aboutirent à rien.


Même si, en Europe, en particulier, la théorie de la quantité de monnaie commençait à perdre du terrain intellectuel dans la décennie 1920.

Quoique Wicksell (1898) eût pu avoir l'intention de ne pas faire plus que prolonger la théorie quantitative pour faire face aux réalités institutionnelles contemporaines quand il a développé sa célèbre analyse  du processus “cumulatif”, l’effet à plus long terme de ses efforts en économie monétaire a été de déplacer son centre de gravité depuis la préoccupation par excellence de la théorie quantitative, à savoir la relation entre la monnaie et le niveau des prix, jusqu'à l'influence du taux d'intérêt sur l'épargne et l'investissement, et donc jusqu'à des questions sur l'allocation inter-temporelle des ressources.

Comme l’a souligné Leijonhufvud (1981), ce thème devait devenir central à ce que nous appelons aujourd'hui la macroéconomie de l'entre-deux guerres.

Et l'élément du travail de Wicksell qui s’est révélé fondamental a été le «modèle de l'économie de crédit pure» du chapitre 9 de son livre Intérêts et prix où les engagements bancaires s’ajustent de façon endogène, même passivement, aux prix.

Aux mains des Autrichiens, comme Hayek, et de l’Ecole de Stockholm, le travail de Wicksell est devenu le point de départ pour rivaliser avec les analyses de la théorie pas même anti-quantitative des causes fondamentales des fluctuations cycliques qui étaient associées à des fins opposées du spectre politique.21
21. Pour une discussion sur les contributions de ces deux groupes et la relation de leur travail à Wicksell, voir Laidler (1999, chap 2 et 3).

Etait en train d’interagir avec cet élément dynamique interne puissant du développement de la théorie économique, de plus, le fait que, une fois que les hyperinflations d’après guerre eurent pris fin, le chômage chroniquement élevé est devenu la question politique fondamentale en Europe, et par sa nature même de théorie du niveau des prix, la théorie quantitative n’avait rien à dire de direct sur le sujet.


Les sujets étaient quelque peu différents en économie monétaire américaine.22
22. J'ai discuté du rôle de l'économie monétaire américaine dans les années de l’entre deux-guerres, et sa relation avec le développement de la macroéconomie, en général, dans Laidler (1999, chap 9 et 10).
Pour analyser le développement de l’économie monétaire américaine, Mehrling (1998) a proposé une classification plus complexe que celle que j'adopte dans cette section du présent texte, dans quoi les défenseurs de la théorie quantitative et les positions de l'"Ecole de la banque" sont subdivisés selon qu'ils appuyaient des règles politiques ou la discrétion et / ou des approches de la politique monétaire actives ou passives  .
Je ne fais aucune critique à la taxonomie de Mehrling en exprimant l'espoir que la plus simple adoptée ici est suffisante pour le problème du présent chapitre.

Dans ce pays, la convertibilité en or avait été maintenue pendant la guerre et la décennie1920 a été, dans l'ensemble, une décennie de prospérité.

Il y a eu aussi un manque relatif d'intérêt explicite pour les questions d’allocation inter temporelle en général et une lenteur pour apprécier l'importance des idées de Wicksell, en particulier, parmi les économistes américains du courant de pensée économique majoritaire.


Après la controverse sur le bimétallisme, leurs discussions avaient porté sur les questions de la banque centrale, et le système de la Réserve fédérale avait été créé en 1913.
Il était assez naturel, alors, que la décennie1920 trouve des économistes monétaires américains débattant du  rôle de cette nouvelle institution et que la théorie quantitative joue un rôle dans leurs discussions.

En outre, à son apparition après 1929, la Grande Dépression américaine a semblé, à la plupart des observateurs américains, ressembler à un retournement cyclique particulièrement mauvais, et les théories monétaires du cycle dont la théorie quantitative formait un élément clé, sans parler des remèdes politiques qui en découlaient, ont figuré en première place dans la littérature qu’elle a suscitée.


Dans l'ensemble, cependant, même si la théorie quantitative n'était pas encore associée à des causes conservatrices aux Etats-Unis, ses liens avec la gauche radicale qui avaient  été si étroits dans les décennies 1880 et 1890, avaient été affaiblis.
C'est parce que les frontières dans la science économique et la science politique américaines avaient varié.

La théorie quantitative a continué à occuper une place importante dans la théorie monétaire néoclassique, mais en Amérique dans la décennie 1920, l'économie néoclassique a été contestée par la gauche par l'institutionnalisme, en particulier par la version radicale de celui-ci élaborée à l'origine et diffusée par Thorstein Veblen (par exemple, 1904) et plus tard par des défenseurs de la planification économique tels que Rexford Tugwell (par exemple Tugwell, Munro et Stryker, 1925).

Dans le domaine monétaire, en outre, le "sous consommationnisme" de Foster et Catchings (par exemple 1923) avait pris la relève comme fondement intellectuel préféré des propositions de politique inflationniste 23
23. Il est intéressant de noter que le livre de Paul Douglas de 1932 La venue d'un Nouveau Parti recouvrait à la fois les arguments de la planification et du "sous consommationnisme" pour l’expansion monétaire et budgétaire.
Je soupçonne que le livre de Simons (1934) intitulé Un programme positif pour le Laissez Faire doit être lu comme une attaque de Douglas quoique je n'ai pas de preuve directe pour soutenir cette conjecture.


Comparé à ces doctrines, même à la campagne politique fondée sur la théorie de la quantité de monnaie de Irving Fisher pour assujettir le système de Réserve fédéral à une obligation  votée de stabilité des prix, seul le soutien de Allyn Young à la politique de stabilisation soigneusement activiste fondée sur sa propre adaptation des idées de Hawtrey aux conditions américaines était pour une bonne part au milieu de la route.

Le mot “milieu" n'est pas utilisé à la légère ici, cependant, car le corps même de la science économique qui avait étayé le choix conservateur du monométallisme-or dans la décennie 1890 avait aussi fourni une grande partie de la base intellectuelle du Federal Reserve Act de 1913, et il restait très influent dans la décennie 1920 et au début de la décennie 1930, pas moins au Conseil de la Réserve fédérale de Washington.24
24. Notez que lorsque Mehrling (1997) a discuté le travail de Young comme visant «un terrain de milieu » dans l'économie monétaire, les deux extrêmes qu'il avait à l'esprit étaient représentés par les idées de la Banking School du groupe conservateur et la théorie de la quantité de monnaie de Fisher.
Du point de vue de l’analyse du développement des courants rivaux dans ce qui allait devenir l'économie monétaire néoclassique américaine, cette classification me paraît être tout à fait appropriée, mais quand la base économique des politiques inflationnistes et plus généralement interventionnistes est l'objet de discussion, comme c’est le cas dans ce chapitre , il est nécessaire de rappeler l'existence de l'institutionnalisme radical et du "sous consommationnisme".


Le début de la décennie 1930 aux États-Unis est parfois considéré comme un moment où les intérêts financiers, soutenus par des économistes néoclassiques influents s’opposaient à toutes les tentatives pour stabiliser la «grande contraction », mais finalement ils ont rencontré leur Némésis politique avec la venue de l'administration Roosevelt et de son «New Deal».

Il s'agit, bien sûr, d’une simplification grossière des événements, mais comme la plupart des simplifications de ce genre, il y a un noyau de vérité qui existe derrière elle.
Il y avait en effet beaucoup d'opposition à l'activisme politique de la communauté financière au début de la décennie 1930, et elle a trouvé un soutien parmi les économistes.

Il ne s'agissait pas, cependant, des partisans néo-classiques de la théorie quantitative, mais des partisans anti théorie quantitative de l'étalon-or et de la doctrine des «Real Bills » tels que Benjamin Anderson, Henry Parker Willis, et même leur mentor Laughlin soi-même qui est resté intellectuellement actif jusqu'à sa mort au début de la décennie 1930s.25
25. Comme je l'ai noté dans Laidler (1999, chap. 10), il existe une relation lâche entre les vues de ce groupe et celles des «Autrichien» théoriciens basés à la London School of Economics, tels que Friedrich von Hayek (1931) et Lionel Robbins (1934).
Toutefois, ces Américains ne disposaient pas de théorie bien travaillée du cycle, profondément enracinée dans la théorie du capital à partir de quoi les Autrichiens tiraient leurs conclusions politiques.
Il est à noter en passant, ici, que Friedman (1974) a  montré du doigt le groupe de Londres en tant que représentants d'une version atrophiée de la théorie quantitative à quoi il opposait favorablement la version en circulation à Chicago à l'époque.
Il est, bien sûr, tout à fait erroné d'attribuer n'importe quelle forme ou sous forme de théorie quantitative à ce groupe. Elles lui étaient totalement et explicitement opposées.


Énonçant la position de ce groupe en 1933, Laughlin a critiqué «les écrivains anglais d'aujourd'hui» pour être

«empreint d'une forte croyance dans la théorie quantitative» (p. 229).

Ici il a montré du doigt Keynes comme quelqu'un qui

« avait. . . poussé très loin son soutien à l'inflation et à l'abandon de l'étalon-or anglais »(p. 231) 26
26. Mais il a excepté expressément TE Gregory, alors à la London School of Economics, qui a été profondément influencé par les idées autrichiennes, sans être entièrement sous leur influence.
Ce n’est peut-être pas une coïncidence que Gregory fût une autorité sur les travaux de Thomas Tooke, la figure de proue de la Banking School.
Je suis reconnaissant à Robert Leeson d'avoir attiré mon attention sur Laughlin (1933) à partir de quoi cette citation et d'autres utilisées ici sont tirées.

Pour Laughlin, la dépression était le résultat d'

"une orgie de crédit et d’hyperspeculation» (p. 275)

et la reprise dépendait d'une relance de la

«production de biens commercialisables ce qui est la seule façon de développer le pouvoir d'achat» (p. 273).

«En réalité, la demande provient d'autres biens avant que la monnaie ou le crédit entre en scène» (p. 220)

et

“augmenter le moyen d'échange comme un remède quand il y a moins de biens à échanger est stupide »(p. 285).

Ce point de vue de trop d'influence était contré par beaucoup, sinon la plupart des économistes universitaires américains de l'époque.

Le début de la décennie 1930 était un temps de large soutien parmi eux aux politiques expansionnistes activistes monétaire, et en vérité budgétaire, en grande partie fondée, sinon directement sur la théorie quantitative, du moins sur une analyse du cycle qui dérivait de cette doctrine.

Lauchlin Currie (1934) a été l'un des défenseurs les plus cohérents de ces mesures, et son analyse a été essentiellement hawtreyenne à ce stade, en donnant des vues sur les causes et les remèdes de la Grande Contraction anticipant largement celles ultérieures présentées par Friedman et Schwartz (1963a ) 27
27. J'ai discuté les interconnexions en détail dans Laidler (1993).

Sa caractérisation de la place de la théorie quantitative dans tout cela était la suivante:
dans le passé, un montant disproportionné d'importance a été attaché aux variations de l'offre de monnaie.

En conséquence de l'abandon presque universel de la théorie quantitative de la monnaie, cependant, il y a un danger que le balancier du pendule aille trop loin dans la direction opposée de sorte que l'effet des variations de l'offre de monnaie soit indûment minimisé (p. 3).

Currie était plus que juste un théoricien quantitatif alors, il était aussi un critique vigoureux et explicite de la doctrine des "Real Bills” en général.

Plus précisément, il déplorait le rôle qu'elle avait joué dans à la fois les politiques du système de Réserve fédéral de 1927-28, qui visaient à freiner l'offre de crédit bancaire à des fins spéculatives, mais avait abouti à un ralentissement de la croissance monétaire à quoi Currie attribuait l'apparition de la contraction, et à la création de ce qu'il a dénommé la passivité presque complète du système par la suite.

Peu étonnant, alors, que son livre ait fait l'objet d'un rapport cinglant de Anderson (dans le New York Times Annalist, le 3 mai 1935) qui commençait par voir dans Currie

«L'avocat sans concession d'une version extrêmement étroite et inflexible de la théorie quantitative» (p. 662)

et en venait, entre autres choses, à le critiquer pour soutenir une

«[T] héorie opposée à tous les principes acceptés de la banque» (p. 662),

pour afficher une

«incompréhension totale des développements des années 1927-1929» (p. 662)

et une

«connaissance insuffisante des pratiques bancaires réelles» (p. 670),

tout en faisant valoir

«le caractère fallacieux de la monnaie bon marché comme un substitut au réajustement économique» (p. 670);

et ainsi de suite dans cette veine ..

Le point important à propos de Currie dans le contexte de ce chapitre n’est pas seulement qu’il s'est attiré une attaque d'Anderson pour avoir offert une critique de la politique de la Réserve fédérale qui découlait d'une version de la théorie quantitative, quoique beaucoup plus subtile que celle dont Anderson l’a crédité.

Il est aussi que le travail a attiré l'attention de Jacob Viner de l'Université de Chicago, qui a invité Currie à rejoindre son "Freshman Brains Trust" à Washington, mettant ainsi en mouvement une carrière qui le vit rapidement devenir conseiller économique de Marriner Eccles au conseil d'administration de la Réserve Fédérale, et ensuite du président Roosevelt soi-même.

Dans la mesure où cette association avec les conseils intimes du «New Deal» confère des pouvoirs progressifs sur une théorie économique, la théorie quantitative en était encore bien dotée au milieu de la décennie1930.

Le paysage de la politique économique et de la théorie économique a, cependant, évolué rapidement à ce moment, et cela a affecté bientôt la place de la théorie quantitative dans le spectre politique.


Pour commencer, l'influence de Laughlin et de ses associés s'est évanouie rapidement alors que la décennie avançait.

Quant au pessimisme de la politique des théoriciens autrichiens du cycle économique intellectuellement liée, quoique plus rigoureusement fondée, il y avait peu de preneurs sur le marché intellectuel des idées économiques qui impliquaient qu'une politique d'attente de la dépression était la seule option viable.

Deuxièmement, alors que la crise continuait aux Etats-Unis, une accumulation en cours de réserves libres dans le système bancaire convainquit beaucoup qui auraient donné plus tôt une place de choix à des mesures monétaires expansionnistes, qu'il n'était plus vraisemblable qu'elles soient efficaces.

Les comparaisons à domicile de ces politiques qui consistaient à «pousser sur un fil" devinrent à la les militants politiques vers le côté financier.

Ici, il est significatif que Currie soi-même ait été l'un des architectes des augmentations des ratios de réserves obligatoires qui ont été institués en 1937 dans le but d'éponger les liquidités excédentaires du système bancaire qui, il était à craindre, pouvaient à une date ultérieure servir de base à une création monétaire excessive et inflationniste.

Bien que Currie n'ait guère entretenu de telles craintes, s'il n'avait pas conservé une certaine croyance résiduelle dans une version de la théorie quantitative, il est également clair qu'il était venu à croire que, en 1937, les autorités monétaires ne conservaient plus le contrôle de l'offre de monnaie, indépendamment des facteurs affectant la demande.28
28. À ce stade, alors, l'interprétation de Currie des facteurs monétaires dans la décennie 1930 diverge nettement de celle de Friedman et Schwartz (1963a), car ils tenaient le ralentissement de la croissance monétaire qui a suivi ces mesures responsable de la forte contraction de l'économie en 1938.
Currie imputait cette contraction à un resserrement par inadvertance de la politique budgétaire.

Mais d'autres tenants de la théorie quantitative y avaient également renoncé avant 1937, plus que tous, cette bête noire de Laughlin et de ses associés, John Maynard Keynes.

Le Tract sur la réforme monétaire (1923) avait reposé sur une exposition banale et assez simple de la version cambridgienne de la théorie quantitative, mais dans le Traité de la monnaie (1930), son auteur avait cherché à intégrer cette théorie à une analyse de l'influence wicksellienne du taux d'intérêt sur l'épargne et l'investissement.

Bien que cet effort (pas tout à fait réussi, mais c'est une autre histoire) ait laissé Keynes être un ardent défenseur de la politique monétaire expansionniste fondée sur les opérations d'open market comme un remède au chômage, et donc comme un anathème pour Laughlin et al. comme toujours, la variable critique qu'il a cherché à affecter n'était plus la quantité de monnaie, ni son taux de croissance, mais plutôt le niveau du taux d'intérêt à long terme.

En 1930, le point de vue de Keynes sur le mécanisme de transmission de la politique monétaire a donc changé passant de tout ce qui pouvait être associé à la théorie quantitative à un mécanisme wicksellien dont les liens critiques vont du taux bancaire au taux d'intérêt à long terme et de là à la dépense d'investissement, avec l'offre de monnaie s'ajustant passivement pour maintenir l'équilibre avec sa demande.

Compte tenu des variations de la quantité totale de monnaie et du niveau effectif du taux bancaire respectivement, c'est via ce dernier que la modification ultime du pouvoir d'achat de la monnaie est générée, si on regarde le problème de façon dynamique.

L'ordre des événements n'est pas qu'une variation du taux bancaire affecte le niveau des prix parce que, afin de rendre un nouveau taux bancaire efficace, la quantité de monnaie doit être modifiée.
C'est, plutôt, dans l'autre sens.
Une variation de la quantité de monnaie affecte le niveau des prix dans le premier cas parce que. . . cela signifie un taux bancaire qui va changer le taux d'intérêt du marché relativement au taux naturel. . .

Si nous partons d'une position d'équilibre, alors - à condition que les gains d'efficacité soient stables - la condition pour le maintien de la stabilité des niveaux de prix est que le volume total de monnaie varie de façon à ce que l'effet du volume correspondant des prêts bancaires sur le taux d'intérêt du marché soit de maintenir le volume des nouveaux investissements à l'égalité avec l'épargne actuelle (1930, I, p. 197, italiques de Keynes).

Dennis Robertson (1931) a suggéré que Keynes traitait ici d’une "situation de la poule et l'oeuf" sans importance, mais ce n'est sûrement pas le cas.

Insister sur le taux d'intérêt et le volume des prêts bancaires comme les variables critiques de la politique monétaire, et traiter la quantité de monnaie comme s'ajustant passivement pour valider leurs conséquences, c’est adopter exactement le point de vue du fonctionnement de la politique monétaire qui apparaîtra plus tard dans le rapport Radcliffe, qui, comme je l'ai déjà noté, pourrait avoir comme ascendance la position de la théorie anti-quantitative de  la Banking School et des monométallistes or des décennies 1880 et 1890.

Étant donné les compétences antérieures de Keynes comme théoricien quantitativiste, c'était un pas d'une grande signification dans le développement de la pensée monétaire, et un d’importance durable, que l'utilisation d'une hypothèse de l'offre de monnaie exogène à certains points de la Théorie générale, néanmoins.29
29. Ce dernier pas est le plus remarquable dans la Théorie générale où l'efficacité des réductions de salaire monétaire est discutée comme une politique hypothétique plutôt que pratique, et comme cela a souvent été noté, les discussions sur le système monétaire brillent par leur absence de Théorie générale.
C'est pourquoi je suis de ceux qui croient que, dans l'ensemble, le traitement de ce sujet dans le Traité n'était en aucune manière remplacé dans le livre plus tard.
Et, il convient de le rappeler, le Comité Radcliffe a explicitement invoqué les preuves de Richard Kahn comme l'immédiate autorité de leur propre point de vue sur la question.

Et il convient de remarquer que la version de Keynes de cette théorie, tout aussi sûrement que celle de Laughlin, peut être attribuée à l'"Ecole de la banque", cette fois par la voie de Wicksell qui, comme Laughlin, avait été profondément influencé, mais dans un sens très différent, par Thomas Tooke, peut-être le représentant de premier plan des idées de l"Ecole de la banque" dans les décennies 1830 et 1840.

Maintenant, ce qui a été décrit ici a été une migration de la droite politique vers la gauche de la part de la rivale de la théorie de la quantité de monnaie, la doctrine de la monnaie endogène de la l'"Ecole de la banque".

Les liens de cette idée avec la droite politique ont été dérivés essentiellement de son affiliation à l'étalon-or durant la controverse du bimétallisme, et ils ont perduré dans la décennie 1930 dans la pensée monétaire américaine.

La combinaison de l'endossement par Wicksell de ce qui revenait à la monnaie endogène dans son modèle de l’  « économie de crédit pure», cependant, parallèlement à son plaidoyer simultané en faveur des monnaies dirigées inconvertibles, avait déjà mis cette alliance sous tension dans la décennie 1890, et une rupture nette est venue quand Keynes, qui avait toujours été sceptique sur l'étalon-or, a adopté le point de vue wicksellien en 1930 juste avant l'abandon de la convertibilité or par la Grande Bretagne en 1931.


Même si l'histoire des associations politiques aux théories monétaires qui changent dans la décennie 1930 renferme aussi un voyage plus ou moins simultané vers la droite de la part de la théorie quantitative.

Dans les années 1920, la théorie quantitative avait fourni les fondements des campagnes d'Irving Fisher pour imposer, par une loi du Congrès, une règle de stabilité des prix au Système de Réserve fédérale.
Et avait été franchie une étape cruciale dans le passage à droite de la théorie de la quantité de monnaie quand cette idée de soumettre la politique monétaire à une règle légiférée a été adoptée par les membres du département d'économie de l'Université de Chicago au début de la décennie 1930, et en particulier par Henry Simons.30
30. Initialement Simons avait opté pour une règle d'offre de monnaie constante, mais a changé pour une règle de niveau des prix en 1936.
Son échec de se référer à Fisher comme un exposant antérieur de cette idée dans le document précédent n'était sûrement pas aussi condamnable qu'il pourrait maintenant le sembler, pour la simple raison que le plaidoyer de Fisher en sa faveur aurait été de notoriété publique pour le lectorat visé de Simons.

L'association d'une "Tradition de Chicago” distincte de la théorie quantitative dans la décennie1930, l'étanchéité alléguée de cette tradition aux idées « keynésienne » plus tard dans la décennie, ainsi que son influence sur le monétarisme de Friedman, ont été très débattues ces dernières années.
Il suffit d'indiquer ici simplement celles de mes vues sur ces questions qui sont pertinentes à la discussion en cours:
il y en avait peu dans la manière de l'analyse positive qui était unique à Chicago au début des années 1930;
la déclaration de Simons sur le cas d'une règle de politique monétaire légiféré comme faisant partie intégrante de son Programme positif pour le laissez-faire de1934 a cependant établi la théorie quantitative dans un contexte idéologique nouveau et distinct et, enfin, le travail de Simons a été déterminant dans l'élaboration des idées de l’école de Chicago ultérieure dont le monétarisme de Friedman, est devenu en temps voulu une composante importante.31
31.J'ai développé et défendu ces positions plus en détail dans Laidler (1993, 1997 et 1999, chap. 10).

Même s'il faut noter les caractéristiques populistes, par opposition aux conservatrices dans le sens traditionnel du terme, du Programme de Simons (1934).

Il y en avait beaucoup qui auraient été un appel aux progressistes de l'époque précédente, et qui peut-être même auraient dérivé de leur ordre du jour, mais qui manquaient du corps de doctrine à quoi le monétarisme de Friedman sera plus tard associé.

Simons était favorable, par exemple, à la poursuite vigoureuse des politiques antitrust, aussi bien qu'à la redistribution sérieuse des revenus via un système de transfert fiscal.32
32. Tobin (1981) a noté ces différences entre l'agenda de Simons et celui de Friedman.
Perry Mehrling a d'abord attiré mon attention sur la relation du programme politique de Simons aux idées populistes.
Je lui dois aussi la mise en garde que le populisme de Simons devrait être explicitement distingué des versions tout à fait plus sombres , même proto-fascistes, de cette doctrine, associées, par exemple, aux semblables du Père Charles Coughlin. Ceux-ci ont attiré beaucoup de soutien dans la décennie 1930. Reeve (1943) est une source d'information utile sur ces sujets.

Et ce n'est pas pour mentionner le fait qu'un autre élément de son Programme, qui a trouvé son chemin dans le travail d'après-guerre de Friedman, a été l’institution de réserves obligatoires sur les dépôts bancaires transférables par chèque à 100 pour cent, une mesure qui aurait eu pour effet de transférer le privilège de créer de la monnaie des banques au gouvernement, tout comme les progressistes antérieurs l'avaient aussi préconisé.

Si l'agenda de Simons n'était plus classable comme gauchiste dans la décennie1930 et par la suite, c'était davantage car une grande partie de la gauche avait adopté depuis lors des objectifs et des outils analytiques nouveaux que parce que Simons s’était opposé à toutes les idées populistes à quoi la théorie quantitative avait été associée quarante ans plus tôt.



On ne peut que regretter que Laidler ne mette pas l'accent sur les décisions d'interdiction de la convertibilité intérieure de substituts de monnaie bancaires en monnaie dans l'entre deux guerres.  On l'aura remarqué, il cite seulement celle de la monnaie de l'Angleterre, mais c'est tout.

Dans ces conditions, j'ai tendance à admettre que les décisions de ce type ne vont pas dans le sens de sa thèse, mais dans le sens opposé : l'interdiction de la convertibilité des monnaies réglementées n'était pas explicable économiquement et cette décision des hommes de l'Etat a influencé des économistes qui en ont fait, par la suite, des théories jusqu'à aujourd'hui inclus visant à renforcer sa prétendue pertinence.

Hélas, hélas ...


Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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