|
Parmi les «critères de Maastricht», il
y avait le rapport entre le déficit du budget de l'Etat et le produit
intérieur brut (P.I.B.) mais surtout l'engagement des signataires du
Traité que ce rapport ne devrait pas être supérieur
à 3%, voire l'objectif était qu'il soit rapidement égal
à 0% (année 2002).
L'engagement avait été renforcé à la fin de la
décennie 1990 par ce qui a été dénommé
"pacte de stabilité et de croissance".
On sait la suite.
Pour autant que le déficit du budget de l'Etat est sans relation
d'aucune sorte avec le P.I.B., le rapport n'est qu'un prétendu
critère.
En effet, le déficit du budget de l'Etat situe dans le domaine de la
comptabilité publique - où le vol est légal et la
comptabilité en question varie selon les pays -, le P.I.B. dans celui
de la comptabilité nationale, "objet super frontière"
(selon l'expression de Desrosières, statisticien, 2003 cf. ci-dessous)
- où, là encore, la comptabilité en question varie selon
les pays -.
Que faut-il entendre par « objet frontière » ?
« La
notion d’«objet frontière» a été
proposée par des sociologues américains, notamment par
des féministes, pour exprimer le fait que certains objets,
tant matériels ou techniques que formels ou théoriques,
peuvent être vus comme des artéfacts médiateurs
entre des « communautés de pratiques » par ailleurs étrangères
les unes par rapport aux autres.
« Les objets frontières sont ces objets qui
“habitent“ plusieurs communautés de pratiques et satisfont
les besoins informationnels de chacune d’entre elles.
Ils sont ainsi assez plastiques pour s’adapter aux besoins locaux
et aux contraintes des différentes parties qui les utilisent,
et cependant assez robustes pour maintenir une identité commune
à travers ces différents sites.
Ils sont faiblement structurés pour ce qui est de leur usage
commun, mais deviennent fortement structurés quand ils sont
utilisés dans un site particulier. Ils peuvent être aussi
bien abstraits que concrets. » [Bowker et Star 1999 p.
297].
Les promoteurs du concept insistent sur le caractère souvent
flou, non exhaustivement défini, de ces objets
frontières, qui leur permet précisément de servir
à la fois dans plusieurs univers qui auparavant
s’ignoraient.
Ceci suggère de rapprocher cette idée de celle de «
langage commun » utilisée ci-dessus.
Le langage naturel a des propriétés analogues :
c’est parce que les locuteurs ne passent pas leur temps à
expliciter le sens et le contenu des mots prononcés que la
communication est possible.
Les objets produits par la statistique publique (le taux de
chômage, l’indice des prix, le P.I.B...) sont dans le
même cas. Une explicitation complète de leur mode de
construction et de leur contenu risquerait de ruiner leur
efficacité argumentative, non pas seulement parce qu’elle
« dévoilerait » des conventions ou des approximations non
soupçonnées par l’utilisateur, mais tout simplement
pour des raisons d’» économie » du cours des
échanges, des débats, des démonstrations
dans lesquels les arguments statistiques trouvent place.
Plus profondément même, le travail statistique suppose
l’addition et donc l’agrégation de choses dont
l’incommensurabilité éventuelle ne peut être
surmontée qu’au prix de conventions
d’équivalence. Ainsi formulée, la
démarche est (ou semble) consciente, voulue,
assumée.
Mais l’idée d’objet frontière suppose une
forme de « naturalisation » de l’objet résultant de
la mise en équivalence, qui fait disparaître son
caractère conventionnel, ce qui lui permet de circuler
d’une communauté de pratiques à une autre, en
oubliant ces conventions originelles.
L’analyse fine de l’histoire d’un système
statistique montre les opérations concrètes,
souvent lourdes et coûteuses, qu’implique la mise en place
d’une telle machinerie administrative et cognitive.
La notion d’objet frontière s’applique bien aux outils
techniques et juridiques, conçus et façonnés dans
les années 1940 et 1950 en vue, notamment mais non uniquement,
de sous-tendre un système d’information statistique.
En effet, plusieurs d’entre eux (le Plan comptable
général, le fichier des entreprises, la loi de
1951, la nomenclature des CSP, l’indice des prix...)
servent à des usages nombreux, sont mis en avant dans des
contextes différents par des acteurs qui n’ont rien en
commun sinon la référence à ces objets [ dans le socialisme
réel, ces incantations forment la langue de bois].
D’une certaine façon, la «planification à la
française», concertée et indicative,
débattue dès les années 1950 dans des
«commissions de modernisation» rassemblant des « représentants
des partenaires sociaux », est une sorte d’orchestration
de ces objets frontières [Hickman 1965,
Desrosières 1999].
La comptabilité nationale est, de ce point de vue, un
«super objet frontière», dont certains ont
pensé à un certain moment (des années 1950 à
1970) qu’il pouvait potentiellement englober tous les
autres. » (Desrosières, 2003)
En
d'autres termes, le P.I.B. ne signifie pas grand chose malgré ce qu'on
veut bien en dire.
Et cela explique que ce qu'il regroupe varie d'un pays à l'autre et
que des organismes (Eurostat, F.M.I., O.C.D.E., etc.) se chargent
d'harmoniser les P.I.B. nationaux pour pouvoir les comparer.
Mais cela ne peut qu'encourager les fantasmes selon lesquels les
dépenses publiques permettraient de contrer les cycles
économiques, voire de viser le plein emploi.
Bref, ces domaines de la comptabilité publique et de la
comptabilité nationale tiennent de la comptabilité
générale comme les mensonges de la vérité...
1. Une recherche de
signification.
Cependant, le rapport "déficit du budget/P.I.B." peut
être décomposé arithmétiquement en le produit de
deux rapports qui, eux, ont un début de signification.
Les rapports en question sont le rapport du déficit du budget de
l'état aux dépenses publiques et le rapport des dépenses
publiques au PIB.
Le "rapport des dépenses publiques au PIB" est un indicateur
du degré de socialisme du pays légal, le "rapport du
déficit du budget de l'Etat aux dépenses publiques" un
indicateur du degré de magie des hommes de l'Etat "aux
affaires".
Si le degré de socialisme du pays légal n'a pas a priori de limite, le
degré de magie des hommes de l'Etat "aux affaires" en a une
: le marché financier.
Soit dit en passant, selon Bastiat et Pareto, à cinquante ans
d'intervalle, le degré de socialisme a une limite, mais sa cause n'est
pas la même (cf. ci-dessous la conclusion).
Le marché financier prête ou ne prête pas. Et s'il ne
prête pas, c'en est fini du déficit du budget ou des paiements
des dépenses publiques qui vont de pair.
2. Dépenses
publiques et P.I.B.
Dans un pays où les dépenses publiques représentent
près de 60% du revenu global calculé par l'intermédiaire
du « produit intérieur brut », les économistes
appliqués devraient cesser de raisonner comme si l'Etat avait le
rôle que certains théoriciens lui donnent
depuis la décennie 1930.
Il reste que 60% du revenu global calculé qui passent en
dépenses publiques, c'est presque autant de relations entre les hommes
de l'Etat et les citoyens qui n'ont pas été juridiques, i.e.
qui ont été à caractère non contractuel, ni libre
ni volontaire.
Les relations tiennent en effet dans des obligations que les uns, les hommes
de l'Etat, ont fait aux autres, les citoyens, de faire ceci ou cela et de ne
pas faire ceci ou cela.
Jusqu'où peuvent aller ces obligations ? N'auraient-elles pas de
limites et ne devraient-elles pas recevoir de limites ?
Une chose est certaine : le rapport des dépenses publiques au revenu
global calculé n'avait pas fait partie de la panoplie des
"critères de Maastricht».
Le cas de la France.
La France par exemple se trouve avoir aujourd'hui un Etat dans cette
situation de dépenses publiques -- 56,9% selon les derniers chiffres officiels,
mais au déficit près du budget qui est couvert par le
marché financier et qui fait que les
« prélèvements obligatoires » sont
inférieurs --.
Qu'à cela ne tienne, à les entendre parler ou à lire ce
qu'ils écrivent, les hommes de l'Etat de la France semblent
préférer faire état de ce « rapport des
dépenses publiques au PIB » à faire état du
« rapport du déficit au montant des dépenses
publiques ». qu'ils n'évoquent jamais.
Ils ont cette préférence quoiqu'ils remettent en question
à loisir l'objet frontière qu'est le P.I.B.
3. Déficit
budgétaire et dépenses publiques.
Pourtant, à la différence du P.I.B., le déficit
budgétaire doit attirer l'attention du marché financier et
recevoir son intérêt sinon il ne sera pas couvert et, par
conséquent, une partie des dépenses ne sera pas
effectuée ou, si effectuée, ne sera pas payée.
Officiellement au 30 juin 2010, les dépenses du budget
général de l'Etat s'élevaient à :
€ 189,0 milliards
les recettes à :
€ 141,7 milliards
d'où un déficit du budget général de :
€ 47,3 milliards
Le marché financier a donc couvert :
25,0 % des dépenses publiques.
Soit dit en passant, sans marché financier, i.e. sans taux
d'intérêt ou de capitalisation, 25% des dépenses
n'auraient pas été effectués ou payés. Que se
serait-il passé alors ? Question sans intérêt car
personne ne saurait le dire.
A l'opposé, il est une question d'intérêt, à
savoir pourquoi le marché financier autorise-t-il un tel
déficit ? On aura l'occasion de revenir sur la réponse à
cette question dans un prochain billet.
En tout état de cause, la dette de l'Etat et donc des contribuables a
augmenté.
Quinze jours plus tard, le 24 juillet 2010, a été
publiée au Journal
officiel la « loi de règlement des comptes et
rapport de gestion pour l'année 2009 » (n° 2010-832 du 22 juillet 2010)
D'après ce texte adopté au Parlement le 8 juillet,
officiellement pour 2009, les dépenses du budget général
se sont élevées à :
€ 290,9 milliards
et les recettes à :
€ 161,0 milliards
d'où un déficit de :
€ 129,9 milliards
Le marché financier a donc couvert :
44,6 % des dépenses publiques.
4. Les attentes des
contribuables viciées.
Une conséquence que devraient avoir les obligations de toutes sortes
que les hommes de l'Etat infligent aux contribuables et qui transparaissent
dans les dépenses publiques est que les contribuables s'attendent
à se voir prendre par l'Etat et ses dépendances près de
60%, en moyenne, de ce qu'ils gagnent par leurs efforts ou mettent en
valeur...
A ce propos, il faut reconnaître que, si les hommes de l'Etat ne sont
pas économes en général, ils le sont avec la
vérité.
Ils font en sorte que les revenus de beaucoup d'employés ne soient pas
conformes aux prix respectifs de leur travail, mais y soient
inférieurs : la différence tient dans les fameuses et
différentes « retenues à la source »...
En conséquence, les employés ont l'illusion de ce que les
hommes de l'Etat leur prennent ou le sous-estiment grandement (cf. par
exemple toutes les querelles sur le S.M.I.C.).
5. Des
réactions en conséquence.
Des citoyens s'accommodent du sort qui leur est fait et gardent espoir que
cela va changer, ne serait-ce que parce qu'ils s'y efforcent, d'autres
recourent au "marché noir" (à la fraude, au non
respect des réglementations) et des troisièmes partent à
l'étranger, quittent le pays
L'attitude de ces troisièmes contribuent donc à réduire
le revenu global calculé du pays.
Celle des deuxièmes contribue à ce que les dépenses
publiques augmentent à cause du renforcement des contrôles et de
la police de la production et des échanges pour empêcher le
"marché noir".
En fait, il en est ainsi si le chiffre du pourcentage n'est pas ponctuel mais
s'inscrit dans une tendance à la hausse, ce qui est le cas de la
France.
A ce propos, quel « jeune » employé sait que le
régime général de sécurité sociale
vieillesse lui prend, sur le prix de son travail, une cotisation de retraite
de base obligatoire dont le taux est proche du double de celui
dont son (grand) père se voyait privé il y a quarante ans ?
Comme le reste des « prélèvements
obligatoires », ce vol légal a augmenté
progressivement jusqu'à aujourd'hui et il faut s'attendre à ce
qu'il continue à augmenter, implicitement ou non, si le maudit
régime n'est pas abandonné.
Mais étant donnée cette tendance, il faut s'attendre aussi
à ce que les premiers s'en accommodent de moins en moins et rejoignent
la catégorie des deuxièmes ou celle des troisièmes.
On peut encore s'attendre à ce que, selon la nature des dépenses
publiques, des étrangers soient incités à venir.
Et ils rejoindront soit la catégorie des premiers, soit la
catégorie des deuxièmes.
6. Quelle limite ?
Pour toutes ces raisons, l'avenir ne peut que se boucher et les
dépenses publiques augmenter jusqu'au jour où...
... Car, selon Bastiat (1850), à la longue (ainsi
le veut la nature progressive de l'homme), la spoliation développe,
dans le milieu même où elle s'exerce, des résistances qui
paralysent sa force et des lumières qui dévoilent ses
impostures.
... Car, selon Pareto (1896-97), ce qui limite la
spoliation, c'est rarement la résistance des spoliés, c'est
plutôt les pertes qu'elles infligent à tout le pays et qui
retombent sur les spoliateurs. Ceux-ci peuvent, de la sorte, finir par
perdre plus qu'ils ne gagnent à l'opération.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
|
|