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Il y a quarante ans, ce qu'il est convenu de
dénommer « système monétaire
international » - par ignorance - était « en
crise », autre expression en vogue tant hier qu'aujourd'hui.
De fait, quarante ans plus tôt, c'était pareil, et ... quarante
ans plus tard, c'est pareil.
Raymond Aron, philosophe en vogue, écrivait alors,
périodiquement, dans le quotidien Le
Figaro des articles sur le sujet (cf. par exemple les textes
reproduits dans le billet intitulé « Plus ça change, plus c'est pareil. »
ou dans le billet « « Le système monétaire international,
cet inconnu. »)
Les articles, que certains prenaient pour des raisonnements
économiques, avaient surtout pour fond une opposition feutrée
à l'analyse économique du même sujet par Jacques Rueff
qui, lui, était économiste et savait explique.
Le temps a passé et on a pu se rendre compte de qui entre les deux
détenait la vérité.
Il reste que “la crise du système monétaire
international” est permanente depuis la décennie 1930 - depuis
l'interdiction de la convertibilité intérieure des monnaies en
or - et que les concepts employés par R. Aron étaient et sont
restés au coeur de beaucoup de
développements en dépit de l'évolution de la
théorie économique, de l'évolution de la
réglementation du système monétaire et de
l'inanité tant explicative que prédicative de beaucoup de ces
concepts.
Les deux textes de la plume d'Aron qui suivent, l'un intitulé "le
mark et le dollar", l'autre "face au dollar, en date des 10 et 11
mai 1971, sont là pour l'attester.
Le seul concept qui a disparu du discours et qui n'aurait pas dû
connaître cette destinée car perdure la réalité
qu'il désignait : c'est le concept d'”eurodollar”.
Soit dit en passant, pourquoi ce choix ? Je laisserai la réponse en
suspens.
Dans ces conditions et tant il se moquait en définitive du
présent et de l'avenir qu'à quelques mots près à
changer, on peut voir dans les développements proposés une
description de la réalité du système monétaire
international actuel, les institutions créées entre temps, en
particulier la banque centrale européenne, n'y ont rien changé.
Pour cette raison, je les donne en les ponctuant de remarques personnelles.
1. LE MARK ET LE DOLLAR
Le Figaro, 10 mai
1971
Chacune des crises qui ébranlent le système monétaire
international ranime la controverse, inépuisée et
inépuisable, sur le dollar et l'or, sur l'étalon de change-or
et autres problèmes connexes.
Il me semble vain de saisir cette occasion de prolonger un débat,
doctrinal ou politique : la fermeture des bureaux de change en Allemagne, en
Suisse, en Hollande et en Belgique ne signifie pas que « ce qui doit
arriver arrive » ou que l'économie occidentale va s'effondrer
tout entière en une catastrophe de fin du monde.
[Remarque 1 : c'est ainsi qu'à fleurets certes très
mouchetés, en reprenant des expressions de Jacques Rueff, Raymond Aron
attaquait celui-ci. Mais si les paroles s'envolent, les écrits restent
et leurs erreurs peuvent devenir un jour des semelles de plomb...].
L'épisode actuel a pour cause l'afflux de capitaux flottants en
République fédérale allemande.
[Remarque 2 : bien évidemment, ce propos est nul et non avenue : le
concept de capitaux flottants est absurde ; aujourd'hui, ce ne sont plus les
capitaux flottants - notion d'historiens peu empreints de connaissances
d'économie politique - qui sont dans leur ligne de mire, mais
"les ou le marchés financiers" : ah les marchés
financiers!].
Cet afflux, à son tour, peut être interprété de
diverses manières et, selon l'interprétation, telle ou telle
réplique paraîtra justifiée.
[Remarque 3: Et maintenant un peu de relativisme...].
Le système, tel qu'il existe depuis mars 1968 et la création
d'un double marché de l'or, présente effectivement des facteurs
d'instabilité.
[Remarque 4: le système n'est pas tombé du ciel, mais
résulte de réglementations politiques, nécessairement
aveugles...].
Le dollar, théoriquement convertible en or, ne l'est plus en fait.
En tant que monnaie nationale, il dépend des décisions prises
par le gouvernement des Etats-Unis, qui en déterminent indirectement
le pouvoir d'achat.
Unité de compte dans laquelle sont exprimés les prix agricoles
du Marché commun, bon d'achat utilisé dans le monde entier, le
dollar constitue l'équivalent d'une monnaie mondiale sans que pour
autant aucune autorité monétaire, en dehors de Washington,
puisse en contrôler effectivement la gestion.
[ Remarque 5: les prix sont aujourd'hui en euro...].
Même au Fonds monétaire international, le Trésor
américain exerce une influence décisive, sinon
discrétionnaire.
Les droits de tirage spéciaux (D. T. S.), justifiés par le
manque de liquidités internationales dans l'hypothèse d'un
équilibre de la balance des comptes américaine, offre un
exemple de plus de la toute-puissance de Washington : il n'y a pas
d'équilibre de comptes américains et pourtant le F. M. I.
continue à mettre en œuvre les D.T.S.
[ Remarque 6: malgré ce qu'il en disait, il n'y avait pas à
l'époque de manque de liquidités internationales, mais
"trop" comme l'expliquait, lui, J. Rueff qui en arrivait à
parler de "plan d'irrigation pendant le déluge" pour cadrer
la question des D.T.S.
Certains voudraient réactiver aujourd'hui les D.T.S.].
En cette conjoncture, quel que soit l'adjectif que l'on emploie pour la
qualifier, n'importe quel gouvernement d'Europe doit considérer la
gestion américaine de l'économie comme une contrainte à
laquelle il faut s'adapter (jusqu'au jour où les Européens
s'uniront pour mettre un terme à ce pouvoir arbitraire).
Dès lors, la question du partage des responsabilités entre
Allemands et Américains se pose dans les termes suivants : le
système étant ce qu'il est, comment les autorités de
Bonn ont-elles réagi aux contraintes ?
[ Remarque 7: à entendre certains, aujourd'hui ce serait entre
habitants des pays de la zone euro et Américains].
Pour relancer l'économie, le président Nixon provoqua une
baisse des taux d'intérêt, supprima la régulation qui
empêchait les banques de recueillir certains fonds en payant un loyer
de l'argent plus élevé.
Le taux de l'argent à court terme baissa, les banques
américaines remboursèrent quelque treize milliards de dollars
qu'elles avaient empruntés à leurs filiales européennes.
[ Remarque 8: idem
aujourd'hui en apparences ; ce qui ne doit pas cacher une abondance de
"liquidités" ].
Les capitaux flottants affluèrent en République
fédérale allemande parce que les taux d'intérêt y
dépassaient ceux des Etats-Unis et des eurodollars.
[ Remarque 9: idem
aujourd'hui. en apparences..].
D'autre part, le gouvernement de Bonn ne voulait pas réduire les taux
d'intérêt parce que prix et salaires avaient monté en
1970 à une allure supérieure à la moyenne allemande.
D'octobre 1969 à octobre 1970, les prix des biens d'équipement
ont progressé de 8,3 %, ceux, des biens de consommation de 5,2 % et
enfin les prix à la consommation, pour l'ensemble des biens et des
services, de 4 %.
[Remarque 10: "tout cela est dans les tuyaux" aujourd'hui...].
On peut plaider que pour lutter contre l'inflation, l'arme du crédit
était la meilleure mais, dans le contexte international
créé par la politique américaine d'argent facile, le
maintien de taux d'intérêt élevés devait provoquer
les conséquences qu'il a effectivement provoquées : les
capitaux qui se seraient portes sur le marché des eurodollars se sont
changés en marks.
[ Remarque 11: q uoique personne n'en parle, on ne
peut exclure que le même phénomène se développe
aujourd'hui en s'articulant à l'euro et non plus au mark allemand].
De plus, les entreprises allemandes empruntaient, plus, sur le marché
des eurodollars, ce qui enlevait toute efficacité à l'action
anti-inflationniste et multipliait les dollars disponibles.
a) D'où viennent
les eurodollars, c'est-à-dire les dollars qui se trouvent en Europe ?
Pour une part, ils ont pour origine les déficits de la balance des
comptes des Etats-Unis, mais les filiales des grandes sociétés
américaines détiennent des encaisses susceptibles de passer
d'un marché à un autre au fia des fluctuations des taux
d'intérêt ;
les Allemands peuvent également, en changeant leurs marks, librement
convertibles, créer des eurodollars ; ceux-ci, à leur tour,
transférés, peuvent venir se placer en Allemagne et gonfler la
vague des capitaux migrateurs.
En replaçant les marks, résultant de l'entrée de
dollars, sur le marché des eurodollars, les Allemands contribuaient
à élargir l'écart entre les taux qui, à
l'origine, portaient la responsabilité de ces mouvements de capitaux.
[ Remarque 12: il conviendrait de parler aujourd'hui de "euroeuro" ou de "euro puissance deux" ;
depuis lors, il y a eu, entre autres, cette étude de Balbach et Resler (1980) sur l'eurodollar et l'offre de monnaie américaine].
Il suffisait de quelques propos imprudents pour déclencher la panique.
Ces mouvements, au-delà des fausses manœuvres,
révélaient-ils la nécessité d'une nouvelle
modification des parités monétaires ?
D'une réévaluation du mark ou de l'ensemble des monnaies
européennes par rapport an dollar ?
Personne ne pouvait, ou du moins n'aurait dû, croire à la
possibilité de convaincre le gouvernement français de
réévaluer le franc par rapport au dollar.
Non que l'argument, employé dans la presse :
« C'est aux Américains à dévaluer leur monnaie et
non aux Européens à réévaluer les
leurs »
ait une autre valeur que polémique.
L'état de la balance des comptes française, le rapport des
pouvoirs d'achat du franc et du dollar — dans la mesure où les
calculs permettent une évaluation approximative de ce rapport —
ne justifient pas une modification des parités monétaires.
[ Remarque 13: ce qu'on pouvait voir hier, on ne peut plus le voir
aujourd'hui, la situation est pourtant la même : cf. ce billet
« l'euro, jusqu'à quand ? »].
b) En va-t-il autrement
dans le cas du mark ?
La réévaluation du mark peut être
considérée
ou bien comme une mesure conjoncturelle de lutte contre l'inflation
ou bien comme la correction d'une disparité fondamentale.
L'expérience de 1969 n'incline pas à faire confiance à
la réévaluation pour réduire la pression inflationniste.
[Remarque 14: propos ou absence d'argument vraiment dérisoire].
Peut-être la hausse du prix de la vie aurait-elle été
supérieure à 4 % en 1970 en l'absence de la
réévaluation.
Les prix à la consommation, au cours du premier trimestre de 1971, ont
progressé au taux annuel de 6 % qui dépasse les habitudes
allemandes et ranime de vieilles angoisses.
D'une efficacité douteuse pour ralentir la hausse des prix, la
réévaluation, en dépit des excédents de la
balance commerciale, ne s'impose pas davantage en fonction du rapport entre
prix allemands et prix étrangers.
Certes, les entreprises allemandes continuent à exporter en
dépit de la réévaluation de 1969, mais elles ont souvent
conservé leurs débouchés en refusant d'élever
leurs prix.
D'autre part, nombre d'entre elles ont publié des bilans qui
témoignent de la contraction des marges bénéficiaires
entre des coûts croissants et une productivité stagnante ou en
faible progression.
Les cours de la Bourse n'offrent pas non plus un indicateur rigoureux de
l'état de l'économie : la hausse de Wall Street et la baisse
des bourses allemandes n'en suggèrent pas moins que l'expansion
américaine d'aujourd'hui se compare favorablement à celle de la
République fédérale.
La pression inflationniste se renforce en Allemagne et s'atténue aux
Etats-Unis.
[Remarque 15: bien évidemment, cher lecteur, vous avez remplacé
"mark" par "euro"...].
c) Est-ce le moment de
prendre le risque d'une réévaluation ?
Le faible avantage d'une réévaluation conjoncturelle, en tant
que mesure anti-inflationniste, compense-t-il les inconvénients?
Il semble donc que M.. Schiller ait adopté la formule d'un mark
flottant en vue de lutter contre la spéculation.
[ Remarque 16: à côté des "capitaux flottants",
il y a donc le "mark flottant" et, ah!, la fameuse
spéculation...].
Quelle que soit l'intention du ministre allemand, la prolongation d'une
pareille discordance entre les politiques des Six mettrait en péril le
projet d'union monétaire et même le Marché
commun. »
2. FACE AU DOLLAR
Le Figaro, 11 mai
1971
Rien n'autorise à penser que les six gouvernements de la
Communauté européenne n'étaient pas sincères
lorsqu'ils affirmaient dimanche leur volonté d'union économique
et monétaire.
[ Remarque 17 : grande différence avec hier : il y a une union
économique et monétaire réalisée aujourd'hui,
mais pour combien de temps encore?].
La crise, dont j'ai résumé, hier (1), les causes
immédiates, n'en a pas moins dévoilé une contradiction
qui risque de paralyser le Marché commun et même les
négociations avec la Grande-Bretagne.
[ Remarque 18 : il est difficile de considérer que Aron a parlé
des "causes" comme il l'écrit ; quant à l'Angleterre
- l'ennemie amie... ou l'amie ennemie de toujours de la France, selon
certains -, elle ne fait pas partie aujourd'hui des pays de la zone euro et,
en 1971, elle ne faisait pas partie du "Marché Commun", elle
y entrera en 1973, il faut le rappeler].
Il ne suffit pas que les Six veuillent s'entendre, il faut encore qu'ils y
parviennent.
Or, la condition indispensable de cette entente est et demeure une attitude
commune à l'égard des Etats-Unis.
Qu'il s'agisse de politique, de défense ou de monnaie, la même
contradiction apparaît : Allemands, Italiens, Hollandais, Belges et
Français ne conçoivent pas de la même manière
« l'Europe européenne », pour reprendre l'expression du
général de Gaulle.
En matière de défense, la France se trouvait le plus souvent
seule en face de ses partenaires.
Il en allait de même quand elle plaidait contre l'étalon de
change-or et pour une revalorisation importante de l'or.
Elle aurait pu obtenir l'appui de certains de nos partenaires, à
l'époque du plan Fouchet, dont le refus résulta, pour une part,
de fausses manoeuvres et de malentendus.
Samedi dernier, à Bruxelles, France et Italie adoptaient la même
position.
Belgique et Hollande ont suivi la République fédérale
par nécessité plutôt que par conviction.
[ Remarque 19: aujourd'hui, ce n'est plus à six, mais à vingt
sept].
Les six ministres des finances s'accordaient, semble-t-il, sur un point : il
n'y avait pas lieu de modifier les taux de change entre les monnaies
européennes.
[Remarque 20 : avec l'euro, le cas est verrouillé pour 17 pays sur 27
au total].
Peut-être M. Schiller juge-t-il, comme certains économistes américains,
que le dollar est aujourd'hui surévalué et que, faute d'une
dévaluation à laquelle se refusent les autorités de
Washington et que le statut du Fonds monétaire international rend
malaisée, une réévaluation de l'ensemble des monnaies,
par rapport au dollar, offrirait la meilleure solution.
Mais que l'on admette ou non la thèse de la surévaluation du
dollar, la suppression de la parité fixe entre la seule monnaie
allemande et la monnaie des Etats-Unis ne corrige pas ce
déséquilibre possible.
[Remarque 21: aujourd'hui, il n'y pas de parité fixe entre l'euro et
le dollar].
Je doute, pour mon compte, que la réévaluation de toutes les
monnaies européennes rétablisse l'équilibre de la
balance des comptes des Etats-Unis, au sens conventionnel de cette expression.
[ Remarque 22: c'est le cas de figure actuel de l'euro].
Même cet équilibre ne ferait pas disparaître les milliards
de dollars ou d'eurodollars dont les déplacements provoquent les
crises.
Il s'agissait donc, à Bruxelles, en - premier lieu, d'une discussion
technique :
par quelle méthode
lutter contre les mouvements erratiques de capitaux flottants ?
Il y a, en effet, deux techniques possibles :
- ou bien un contrôle administratif s'étendant aux transferts de
capitaux, aux eurodollars,
- ou bien un marché libre des changes qui devrait dissuader les
spéculateurs en créant pour eux un risque de perte.
[Remarque 23: le dirigisme n'est pas une méthode, sauf à
considérer qu'est méthode la destruction de l'être
humain, l'anéantissement de celui-ci quoi qu'il soit en vie
observable].
Si le Marché commun n'existait pas, la controverse entre les partisans
du dirigisme monétaire et ceux des mécanismes du marché
aurait revêtu un caractère doctrinal.
[ Remarque 24: avec cette alternative apparaît l'inculture
économique de R. Aron].
Entre partenaires de la, Communauté, cette même controverse
devenait politique puisque le mark flottant ébranle la
solidarité entre les Six.
[ Remarque 25: ah la solidarité ! Et le "mark flottant"
l'ébranle ? N'est-ce pas merveilleux ! Aujourd'hui, étant
donné le non respect par les gouvernements des pays de l'euro des
règles budgétaires dont ils étaient convenus et qu'ils
s'étaient engagés à respecter, c'est le non sauvetage de
ces gouvernements qui ébranlerait la solidarité !].
Comment assurer le
fonctionnement de la politique agricole commune, fondée sur des prix
exprimés en dollars, dès lors que le taux de change entre
certaines monnaies européennes et la monnaie américaine cesse
d'être fixe ?
[Remarque 26: la politique agricole commune n'est rien d'autres qu'un
ensemble de réglementations... censé protéger, alors
qu'il détruit ceux qu'il dit protéger].
A condition que les fluctuations ne dépassent pas une certaine limite
et ne se prolongent pas trop longtemps, on doit espérer que le
Marché commun résistera à l'épreuve, mais
celle-ci n'en révèle pas moins la difficulté de la
tâche qu'ont entreprise les Six.
Pour parvenir à l'unité européenne, ils doivent
concevoir et appliquer une seule et même politique à
l'égard du monde extérieur et particulièrement à
l'égard des Etats-Unis.
Une fois de plus, leur effort n'a pas abouti.
Echec d'autant plus grave qu'il semble, cette fois, déterminé
moins par des oppositions d'intérêts que par des divergences
théoriques.
Les dirigeants de la République fédérale refusent les
mesures de contrôle par principe soit qu'ils les jugent inefficaces ,
soit qu'elles leur rappellent de mauvais souvenirs (il n'y a pourtant pas de
lien nécessaire entre le contrôle des mouvements de«capitaux et le national-socialisme).
Or, seule la méthode dirigiste sauvegardait dans l'immédiat la
solidarité des Six et les parités de change fixes.
[Remarque 27: la méthode dirigiste ? pour ne pas parler de
planification ?].
Entre la politique agricole commune (prix unique en dollars des produits
agricoles à travers toute la Communauté et des taux de change
fluctuants, il y a évidemment incompatibilité.
Peut-être de manière plus profonde y -a-t-il, ou risque-t-il d'y
avoir, incompatibilité entre la réduction des marges de
fluctuation entre les monnaies des Six et l'insertion du Marché,
commun dans un système monétaire que l'abondance des dollars et
des .eurodollars, rend à chaque instant vulnérable.
[Remarque 28: un petit coup ... de « risque »...,
concept aujourd'hui très à la mode quoique les théories
l'excluent ou le déforment].
Les décisions prises à Bruxelles ne règlent rien, elles
inaugurent une phase transitoire dominée par une expérience et
une recherche, expérience renouvelée de monnaie flottante ou,
si l'on préfère cette expression, d'un élargissement de
la marge de fluctuation.
L'afflux des capitaux sera-t-il arrêté ?
Les capitaux reflueront-ils vers d'autres pays?
Les autorités allemandes prendront – elles des mesures pour en
neutraliser les effets à l'intérieur?
Comment agiront-elles sur le marché des changes ?
[Remarque 29: il ne faudrait pas confondre économie politique et
« meccano » ou « playmobil »].
Pendant le même temps, les ministres des finances et les gouverneurs
des banques centrales devront procéder à une étude moins
du système monétaire dans son ensemble (étude qui
n'aboutirait à aucune conclusion) que des problèmes
précis des mouvements de capitaux.
[Remarque 30 : ah les "mouvements de capitaux" ! ; Aujourd'hui, on
préfère parler du ou des "marchés
financiers"].
Personne ne peut empêcher ces mouvements dès lors que les
opérateurs perçoivent une disparité fondamentale,
autrement dit une sous-évaluation ou une sur-évaluation
d'une monnaie importante.
En revanche, il est absurde et intolérable que des écarts entre
taux d'intérêts, des paroles imprudentes ou des erreurs de
gestion suffisent à provoquer des déplacements massifs de
capitaux et contraignent à des modifications de taux de change que ne
justifie pas le rapport des pouvoirs d'achat des monnaies.
[Remarque 31: ce qui est absurde et intolérable, c'est l'inculture et
le maquillage économiques].
Si les Allemands envisagent effectivement, conformément au
communiqué de Bruxelles, le retour à la fixité des taux
de change, il leur faudra bien accepter certaines des mesures que
recommandait la Commission européenne.
[Remarque 32: ah les vilains allemands … de République
fédérale allemande..].
L'inégalité des pressions inflationnistes de pays, à
pays suspend en permanence une menace sur un système monétaire
de taux de change fixe ; le volume des capitaux flottants exclut la totale
liberté des mouvements.
Puisqu'on ne peut éliminer cette masse migrante, il faut en
contrôler les migrations. »
[Dernière remarque : sacré diagnostic à propos d'une
maladie non cernée...
Malgré les lignes précédentes, certains
n'hésitent pas à colporter l'idée que Raymond Aron
était économiste libéral quand ils ne colportent pas
celle que les années 1946-76 ont été “les Trente
glorieuses” années de la France.
De qui peuvent-ils bien se moquer ?
Le crime doit vraisemblablement leur profiter directement ou indirectement
pour que le colportage ait perduré jusqu'à aujourd'hui inclus
et qu'il soit présenté comme un succès de l'intelligence
de la réalité !
Une chose est certaine, les lignes précédentes en
témoignent : R. Aron était loin de mettre le doigt sur ce qui
allait se produire.
Il rejoignait ainsi, au moins sur ce plan, les idées de son camarade
de Normale Sup., Jean Paul Sartre, qu'il avait quitté pour ses idées
dans d'autres domaines.]
3. La « fuite
des capitaux», les "capitaux flottants" et le
“contrôle des changes”.
Sur ce dernier point du faux concept des “capitaux flottants” et
des tromperies avec quoi il coexiste, je ne saurais trop vous renvoyer
à la lecture des lignes qui suivent et qu'avait écrites et non
publiées Ludwig von Mises en 1940, soit
trente ans plus tôt, à propos de la relation entre la
“fuite des capitaux”, les “capitaux flottants” et le
“contrôle des changes” à quoi semble adhérer
Aron.
Merci à Hervé de Quengo
de les avoir traduites et mises en ligne.
"La « fuite
des capitaux» et le problème des "capitaux flottants".
On affirme parfois que le "contrôle des changes" serait
nécessaire pour empêcher la "fuite des capitaux".
Quand un capitaliste craint la confiscation partielle ou totale de ses biens
par l'État, il cherche à sauver ce qu'il peut.
Il est toutefois impossible de retirer le capital investi dans des
entreprises pour le transférer dans un autre pays sans subir de
lourdes pertes.
S'il existe une crainte générale de confiscation
étatique, le prix payé pour s'engager dans les affaires baisse
au niveau reflétant la probabilité d'une telle confiscation.
En octobre 1917, on ne donnait en Russie que quelques sous pour des
entreprises qui représentaient des investissements de millions de
roubles-or.
Par la suite elles devinrent totalement invendables.
Le terme de "fuite des capitaux" est trompeur.
Le capital investi dans les entreprises, les bâtiments et l'immobilier
ne peut pas fuir : il ne peut que changer de main.
L'État qui souhaite confisquer n'y perd rien.
C'est le nouveau propriétaire qui sera la victime de la confiscation à
la place de l'ancien.
Seul l'entrepreneur qui a compris à temps le danger de la confiscation
est capable d'éviter la perte qui menace autrement qu'en vendant
toutes ses affaires.
Il peut s'abstenir de renouveler les équipements totalement
usés et transférer les montants ainsi économisés
vers d'autres pays.
Il peut laisser à l'étranger les fonds obtenus lors
d'exportations.
S'il utilise la première méthode, son usine cessera tôt
ou tard d'être productive ou au moins d'être concurrentielle.
S'il choisit la seconde, il devra restreindre ou arrêter sa production
par manque de capital, à moins de pouvoir emprunter des fonds
supplémentaires.
Hormis cette exception, un État cherchant à confisquer
partiellement ou totalement les entreprises situées sur son territoire
ne court pas le risque de perdre une partie de son butin par la fuite des
capitaux.
Les propriétaires de monnaie, de billets à ordre, de
dépôts et d'autres titres se trouvent dans une meilleure
situation que les propriétaires d'entreprises et de propriétés
concrètes.
Ils ne sont toutefois pas menacés par la seule confiscation :
l'inflation peut aussi les priver de tout ou partie de leur
propriété.
Mais ils peuvent acheter des devises étrangères et
transférer leur capital à l'étranger, parce que leur
capital ne consiste qu'en liquidités.
Les gouvernements ne veulent pas l'admettre.
Ils croient qu'il est du devoir de chaque citoyen d'accepter tranquillement
les mesures confiscatoires ; et ceci même dans le cas où
— comme avec l'inflation — les mesures ne
bénéficient pas à l'État mais uniquement à
certains citoyens.
L'un des rôles assignés au contrôle des changes est
d'empêcher une telle fuite du capital.
Examinons un exemple historique.
Au cours des premières années qui ont suivi l'armistice de
1918, il était possible de vendre à l'étranger des
billets de banques, des obligations et des titres allemands, autrichiens et
hongrois, remboursables dans la monnaie de ces pays.
Les gouvernements empêchèrent alors directement ou indirectement
de telles ventes en forçant leurs sujets à leur donner les
devises étrangères reçues au cours de ces transactions.
Les économies allemande, autrichienne ou hongroise devinrent-elles
plus riches ou plus pauvres du fait de cette intervention ?
Supposons qu'en 1920 des Autrichiens aient réussi à vendre
à des étrangers des titres sur des hypothèques
autrichiennes au prix de 10 dollars pour chaque unité ayant une valeur
de 1000 couronnes.
Le créancier autrichien aurait donc sauvé environ 5 % de
la valeur nominale de son titre.
Le débiteur autrichien n'aurait pas été affecté
en quoi que ce soit.
Cependant, lorsque le débiteur autrichien dut rembourser sa dette
à la valeur nominale de 1000 couronnes, ce qui correspondait environ
à 200 dollars en 1914, les 1000 couronnes remboursées en 1922
ne valaient plus qu'à peu près 1,4 cent.
La perte d'environ 9,98 dollars aurait été subie par le
propriétaire étranger, pas par un Autrichien.
Peut-on dire, dès lors, qu'une politique empêchant de telles
transactions était justifiée par les intérêts des
Autrichiens ?
Les propriétaires de liquidités essaient autant que possible
d'éviter les risques de dévaluation qui menacent de nos jours
tous les pays.
Ils conservent de gros comptes en banque dans les pays les moins susceptibles
de dévaluer dans un avenir immédiat.
Si les conditions évoluent et qu'ils craignent pour leurs fonds, ils
transfèrent leurs comptes vers d'autres pays qui offrent pour le
moment une plus grande sécurité.
Ces comptes toujours prêts à fuir — appelés
"capitaux flottants"
[Remarque : "hot money" en anglais ; donc "monnaie" pour
les uns, "capitaux" pour les autres, "chaud" pour les
uns, "flottant" pour les autres, dialogue de sourds ou de
maquilleurs... ].
— ont exercé une influence considérable sur les
données et le fonctionnement du marché international de la
monnaie.
Ils représentent actuellement
[Remarque : rappelons que le texte a été écrit en 1940
].
un sérieux problème pour le bon fonctionnement du
système bancaire moderne.
Au cours des cent dernières années, tous les pays avaient
adopté un système de réserve unique.
Afin de faciliter la poursuite par la Banque centrale d'une politique
d'accroissement du crédit national, les autres banques ont
été incitées à déposer la majorité
de leurs réserves à la Banque centrale.
Les banques ont alors réduit leurs réserves de
liquidités au montant indispensable pour le cours normal des affaires
de tous les jours.
Elles n'ont plus considéré comme nécessaire de
coordonner les titres payables et encaissables arrivant à terme, de
façon à pouvoir remplir pleinement et rapidement leurs
obligations à tout instant.
Afin de pouvoir faire face aux demandes de paiements des déposants
pour les titres arrivant quotidiennement à terme, elles
estimèrent suffisant de posséder des avoirs que la Banque
centrale considérait comme une base satisfaisante pour lui accorder
des crédits.
Quand l'afflux de "capitaux flottants" commença, les banques
ne virent aucun danger dans l'accroissement de la demande de
dépôts à court terme.
En comptant sur la Banque centrale, elles acceptèrent les
dépôts et les utilisèrent comme base pour augmenter leurs
prêts.
Elles ne prirent pas conscience du danger qu'elles attisaient.
Elles ne pensèrent pas un instant aux moyens dont elles auraient un
jour besoin pour rembourser ces dépôts qui étaient
à l'évidence sans cesse prêts à partir.
On dit que l'existence de tels "capitaux flottants"
nécessite un contrôle des changes.
Étudions la situation aux États-Unis.
Si, le 5 juin 1933, les États-Unis n'avaient pas interdit la possession
d'or par les particuliers, les banques auraient été capables de
poursuivre une activité spécifique de dépôts d'or,
en séparant cette branche de leurs autres transactions commerciales.
Ils auraient acheté de l'or pour ce secteur d'activité, or
qu'ils auraient pu conserver eux-mêmes ou déposer,
estampillé, en sécurité dans les banques de la
Réserve fédérale.
Ainsi, cet or aurait été isolé de la devise
américaine et du système bancaire.
Ce n'est que parce que le gouvernement est intervenu en interdisant aux
particuliers de posséder de l'or que le problème des
"capitaux flottants" est survenu.
Le fait que les effets malencontreux d'une intervention rende d'autres
interventions nécessaires ne justifie pas l'interventionnisme.
Bien entendu, ce problème n'est plus d'actualité aujourd'hui.
[Remarque : nous sommes en 1940, rappelons-le une dernière fois].
La fuite des capitaux a atteint son dernier havre, les États-Unis. Il
n'y a plus d'autre endroit sûr où ils pourraient partir si ce
refuge se révélait illusoire."
Georges
Lane
Principes de science économique
Georges Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous
droits réservés par l’auteur
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