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L’école de pensée économique,
aujourd’hui majoritaire, voudrait que s’imposât une bonne
fois pour toutes son approche de l'économie, à savoir la macroéconomie,
en dépit de ses conséquences calamiteuses dont le morceau de
choix est la politique économique.
A l’occasion du nouveau millénaire, il y a donc dix ans, il y
avait eu pourtant un consensus dans les rétrospectives à son
sujet pour dénoncer le chemin parcouru depuis la décennie 1930,
décennie de sa naissance, et reconnaître sinon sa faillite, au
moins ses insuffisances, voire les énigmes de la macroéconomie
ouverte ou internationale (cf. Obstfeld et Rogoff, 2000)
I. Qu'est-ce que la
macroéconomie ?
La macroéconomie, c’est, en particulier, l’intervention
des hommes de l’Etat dans l’économie, d'abord dans un
cadre national, au travers de ressources que ses auteurs diront
« prélevées » aux gens
propriétaires ou créateurs d’icelles-ci et des
dépenses en les mêmes pour atteindre l’objectif qu'ils
avancent d’un bien être amélioré (plein emploi,
croissance, développement).
Face à cela, des économistes ont réagi dès le
départ, mais ils n’ont pas été
écoutés : cf. par exemple sur ce blog le billet
intitulé Les banques : interfaces et artefacts.
Il y a eu des critiques et, en particulier, en France, celles de Jacques
Rueff.
D'une façon générale, les économistes ont
adopté deux grandes attitudes face aux choix des hommes de l'Etat,
choix dénommés aussi "politiques".
Les uns, chacun à sa façon, ont essayé de persuader le
législateur et les hommes de l'Etat qu'ils faisaient des erreurs et
qu'ils feraient mieux de les écouter s'ils voulaient vraiment
défendre l'intérêt national : ce sont les écoles
de pensée monétaristes ou (néo) keynésiennes.
Les autres ont condamné les réglementations étatiques
pour leur aveuglement et pour les effets économiques
nécessairement néfastes qu'elles auraient. Ludwig von
Mises, Friedrich von Hayek et la plupart des économistes de
l'école de pensée autrichienne refusaient toutes les
réglementations, Rueff acceptait une partie d'entre elles.
Pour rester en France, il convient de souligner qu'à l'occasion de ses
travaux de 1959-60 sur "les obstacles à l'expansion
économique" que le gouvernement de l'époque lui avait
demandé de mener, Jacques Rueff n'hésitera pas à dire
qu'il regrettait que le marché du crédit – compartiment
du marché de la finance - ne fût pas entré dans le
périmètre de l'économie qu'il devait étudier et
qu'il ne pût ainsi faire part des obstacles qui hérissaient et
entravaient ce marché. Il a aussi expliqué pourquoi.
Implicitement, le choix du gouvernement de l'époque avait eu pour
fondement un fondement idéologique – le marché du
crédit était chasse gardée de la Banque de France et le
resterait -, mais on ne peut exclure qu'il y avait aussi une absence de
culture économique.
Il faut aussi savoir que les travaux de Jacques Rueff ont été
mis de côté dans l'enseignement de la science économique
en France tant sur ce sujet que sur d'autres.
Et pendant longtemps, des travaux approchants comme ceux de Friedman et des
monétaristes ont subi le sort de ceux de Rueff.
Les travaux de l'Ecole autrichienne continuent, quant à
eux, à supporter le sort.
Dans le pire des cas, y ont été et y sont
préférées les élucubrations des théories
marxiste ou marxienne – "the most dangerous of Marxian students
was Keynes" selon Ludwig von Mises -, dans le moins mauvais, les
obscurités et erreurs des arguments de Keynes et des
keynésiens, puis des néo keynésiens – en particulier
sur la monnaie et les prix -, cf. par exemple :
* Jacques Rueff : "The Fallacies of Lord Keynes’ General Theory"
ou "La fin de l'ère
keynésienne" ;
* Etienne Mantoux : "La Théorie générale de M.
Keynes" ;
* Friedrich von Hayek : "The Economics of Abundance"
;
* Friedrich von Hayek : "La critique autrichienne"
;
* Murray Rothbard : Le “multiplicateur” keynésien
;
* Ludwig von Mises : Stones into bread: The Keynesian Miracle
.
*
Albert
Hahn [Preface to Common
Sense Economics (1956)], The
Economics of Illusion, published in
1949.
Plus
généralement, il faut prendre conscience que la France n'est
pas sortie de ces préférences même s'il y a eu des
tentatives ces dernières décennies pour qu'elle s'affranchisse
de leur noyau dur – Marx et Keynes -.
Aujourd'hui ce dernier semble l'avoir reprise dans ses rêts. C'est
donc, soit dit en passant, une crise scientifique française qui
est en jeu à l'heure actuelle et autrement grave que l'ajustement
financier mondial en cours.
Ne vous inquiétez donc pas si vous ne comprenez rien aux propos de la
grande majorité des politiques, des prétendus intellectuels,
des vulgarisateurs en France, il n'y a rien à comprendre.
Si vous avez eu le courage de vous encombrer la mémoire avec leurs
sornettes, souvenez-vous de ce qu'ils écrivaient ou péroraient
il y a deux ans, dix huit mois, douze, six, trois, un mois, quinze jours, une
semaine ; souvenez-vous, entre autres, des prévisions.
Vous conviendrez qu'il ne faut surtout pas prêter attention a fortiori aux
prévisions. Et que les prévisionnistes ne soient plus
payés par les impôts des contribuables réduiraient le
gaspillage.
C'est frustrant, je sais, mais il en est ainsi.
Et il en sera ainsi tant que le noyau dur ne sera pas mis de
côté mais enseigné au détriment de la science
économique et des bienfaits qu'elle apporte.
De la comptabilité
Il reste que la macroéconomie recouvre une comptabilité qui est
une insulte à la comptabilité, la vraie, et ne peut que
dérouter le bon sens de chacun (cf. par exemple cet audio ).
En effet, la comptabilité macroéconomique additionne des
ressources dites «prélevées», pour ne pas dire
«volées légalement» -
comme l'écrivait Vilfredo Pareto à la fin du
XIXème siècle -, par le chantage ou la menace de la violence et
des ressources échangées contractuellement.
La comptabilité additionne aussi des dons de ressources et des
ressources achetées.
Bref, la comptabilité macroéconomique, dénommée
aussi « nationale », fait fi à la fois des
règles de droit naturel (propriété,
responsabilité et liberté d’échange) et des
règles de calcul vectoriel – qui sont souvent adoptées
pour les représentations mathématiques qui sont si chères
aux macroéconomistes – aux termes desquelles, pour faire des
opérations arithmétiques sur des vecteurs, il faut qu’ils
soient colinéaires et, pour en faire sur des ressources, il faut
qu'elles soient en propriété et non pas volées ou en
recel.
Rien ne justifie d'additionner, d'un côté, une ressource
volée et une ressource vendue et, de l'autre, une ressource
donnée et une ressource achetée et a fortiori de faire la différence
entre une ressouce volée ou vendue et une ressource donnée ou
achetée.
Le songe permanent.
La macroéconomie est aussi l’idée que, dans certaines
conditions, le déficit de l’Etat – national -, aussi
importante fût sa grandeur, pourra être réduit par la
croissance économique.
C’est le songe de la croissance, qu’il s’agisse de la
croissance des revenus, de la croissance du capital ou de la croissance des
patrimoines.
C'est un songe qui procède lui-même du songe de
l'équilibre macroéconomique qui recouvre, d'une part, ce qui
était dénommé dans la décennie 1930 le
« principe de la demande effective » défini par
:
* dans une économie fermée sans hommes de l'Etat :
l'égalité de la production (notée Y) et de l'addition de
la consommation (notée C) et de l'investissement (noté I) :
Y = C + I
* dans une économie fermée avec hommes de l'Etat :
Y = C + I + G - T
où G représente les dépenses de l'Etat, T les ressources
"prélevées" et (G-T) le budget des hommes de l'Etat ;
* dans une économie ouverte avec hommes de l'Etat :
Y = C + I + G – T + X - M
où X représente les exportations vers l'étranger, M les
importations en provenance de l'étranger et (X-M) le solde de la
balance des paiements courants ;
et, d'autre part, l'équilibre du marché de la monnaie
défini,
* dans une économie fermée avec hommes de l'Etat,
par une offre de monnaie – nette de la demande de monnaie pour le motif
d'échange - aux mains du banquier central, égale à la
préférence pour la liquidité - prétendue demande
de monnaie pour le motif de spéculation - ;
* et, dans une économie autre,
on ne sait pas, on s'en moque...
De plus, quid
de l'endettement de l'Etat défini par l'accumulation des
déficits budgétaires (symbolisés par G-T) ?
Quid du
marché financier en général ?
Quid du
marché financier en relation avec le dernier déficit d'un Etat
et en relation avec l'accumulation des déficits passés ?
Quid du
marché financier en relation avec les derniers déficits des
Etats et en relation avec l'accumulation des déficits passés de
chacun ?
La macroéconomie se moque de tout cela : "peu importe en
définitive, il s'adaptera !" semble être la réponse.
Grosse erreur, malheureusement, comme on va le voir car le marché
financier veille et surveille.
La monnaie.
La macroéconomie, c'est en effet et enfin, mais peut être
d’abord, la monnaie.
C’est la conception de la monnaie de la décennie 1930, peu
affirmée alors encore, au terme de laquelle celle-ci est un moyen de
l’échange qui réduit le coût d’icelui.
C’est aussi la conception - erronée - de la monnaie au terme de
laquelle la quantité de monnaie est un frein à la croissance
des échanges.
Soit dit en passant, la monnaie est à distinguer de sa
représentation comptable qu’en donnent les bilans des banques
d’émission de billets – les banques centrales – et
les bilans des banques de dépôts – les banques dites de
second rang.
Bien évidemment, cette comptabilité bancaire est fondée
sur des règles de droit et n’a rien à voir avec la
comptabilité macroéconomique dite “nationale”.
La macroéconomie, c’est encore la conception nouvelle de la
monnaie au terme de laquelle la quantité de monnaie peut être
manipulée par le banquier central.
C’est enfin la conception de la monnaie au terme de laquelle la monnaie
est aussi un type d’actif ou, mieux encore, un type de
liquidité.
La macroéconomie véhicule ainsi une confusion totale dont les
hommes de l’Etat et autres banquiers centraux pensent vraisemblablement
tirer les ficelles, mais qui fait en réalité – et
l'expérience le prouve - que ces ficelles deviennent cordages et que
ces cordages les « saucissonnent » - selon
l’expression journalistique à la mode aujourd'hui -.
La théorie macroéconomique est une mise en scène de la
monnaie dont les défenseurs sont arrivés, au début de la
décennie 2000, à se demander si la monnaie avait quelque
importance que ce soit dans l'économie et à envisager des
modélisations de l'économie … sans monnaie (cf. Meyer, 2001).
Cela explique en partie que les méfaits économiques et les
dégâts occasionnés par les taux de change fixes dont le
principe avait été adopté depuis la décennie 1940
et qui n’étaient plus à développer par le
raisonnement tant ils sautaient aux yeux dans la décennie 1980, ont
été voilés par des hommes de l’Etat.
Dans les décennies 1980 et 1990, ceux-ci en sont arrivés
à vendre l’idée sans précédent de la fusion
de monnaies nationales en une monnaie régionale à
l’échelle du monde.
Et l’idée a été achetée et a pris la forme
de l’euro qui est entré dans les faits en 1999-2001.
II. Qu’est-ce
que l’euro aujourd’hui ?
J’avais eu l’occasion de répondre à la question en
2002 : cf. "L'euro : si
ex nihilo non est, sed ex quo ?"
L'euro n'est que :
- un accord politique,
* un accord de taux de change fixes,
* un accord de taux d'intérêt à court terme égaux,
* un accord de fusion des monnaies étatiques nationales en une monnaie
interétatique internationale,
- une unité de compte et
- un processus de transition.
Je ne saurais trop vous y renvoyer.
J’avais répondu auparavant à la question dans une
conférence en 1997 (3-4 novembre) aux Assises nationales du Commerce
(Paris La Défense) intitulée « l’euro en
2002 ».
J’y suis revenu en 2004 dans "Perspectives de l'euro, totem bureaucratique".
Et m’en inquiétais en 2008 dans "Motus et bouche cousue sur l'euro"
pour plusieurs raisons dont :
- "La double inconstance (ce n'est pas du
Marivaux)."
- "Europe de Maastricht : Europe dirigiste ou Europe
des Européens?"
La nouveauté depuis lors est que, comme il fallait s’y attendre,
les règles de l’accord politique sur quoi a été
construit l'euro n’ont pas été respectées par les
signataires cf. le billet “On cria 'haro' sur le baudet”
…
A commencer par, entre autres, la France, cf. par exemple
* "Etat de la Grèce, Etat de la France, Etats
frères ?",
* "L'Etat de la France à la lumière de
l'Union européenne ou de la 'zone euro'".
En conséquence, les marchés financiers - ces marchés financiers dont les
macroéconomistes n'ont que faire dans leur théorie sinon de vouloir
les réglementer par des règles de leur crû comme s'ils
n'étaient pas réglementés par les règles du vrai
droit -, les marchés financiers, dis-je, rappellent un jour ou l'autre
qu'ils existent, que les hommes de l'Etat ne peuvent pas faire (croire) n'importe
quoi et le font savoir en particulier en corrigeant l'euro comme le montre le
graphique ci-dessous de l'évolution du prix de l'euro en US dollars.
Graphique 1
Prix de l’euro
en U.S. dollar
Janvier 1999- mai 2010
Certains avanceront que l'évolution est due à la politique des
gouvernements des Etats-Unis, je leur laisse l’opinion.
Je ferai seulement remarquer sinon la stabilité du prix du dollar US
en yuan renminbi dans la même période 1999-2010 que retrace le
diagramme ci-dessous, au moins la variation discrète entre deux
périodes de stabilité (1999-2005 et 2008-2010).
Graphique 2
Prix de l’U.S.
dollar en yuan renminbi
Période 1980-2010
L’instabilité du prix de l’euro en dollar US tranche avec
l’évolution du prix du dollar US en yuan renminbi dans la
période 1999-2010,
Certes, le yuan renminbi, il faut le souligner, est une monnaie non échangeable internationalement
et, en toute rigueur, les deux évolutions ne devraient pas être
mises en parallèle.
Qu’à cela ne tienne - quand on sait maintenant ce que font les
macroéconomistes -, l’instabilité du prix de l’euro
en US dollar dans la période 1999-2010 rappelle davantage
l’instabilité du prix de l’US dollar en yuan dans la
période 1981-1994.
Ces deux évolutions cachent-elles un dénominateur commun
remarquable ?
L’évolution du prix de la monnaie chinoise en US dollar dans la
période 1981-1994 cache une planification économique du
gouvernement de ce pays qui change d’objectifs et une politique du
gouvernement des Etats-Unis qui fait le choix de la politique de
l’offre.
L’évolution du prix de l’euro en US dollar dans la
période 1999-2010 cache une expérience monétaire sans
précédent qui a été fondée sur des
règles juridiques qui ont été convenues par les hommes
de l’Etat des pays européens dans la décennie 1990 et
qui, de fait, n’ont pas été respectées
malgré les engagements pris dans la décennie 2000 et une
politique du gouvernement des Etats-Unis dont la seule certitude est que le
choix n’a plus été la politique de l’offre.
Mais revenons aux marchés financiers : jusqu'où iront-ils ?
L'avenir le dira.
Contrairement à ce que les macroéconomistes croient et veulent
faire croire, la science économique n'est pas
prédicative.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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