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1. Du
bouclier...
«L'épée que la malice met aux mains des
assaillants serait impuissante si le sophisme ne brisait pas le bouclier aux
bras des assaillis;
et c'est avec raison que
Malebranche a inscrit sur le frontispice de son livre cette sentence:
l'erreur est la cause de
la misère des hommes.»
écrivait, en 1845, Frédéric Bastiat dans Sophismes économiques,
chap. XXII .
Mais quand le bouclier est fait d’un engagement d'hommes de
l’Etat, comme l’est le "bouclier fiscal", le sophisme
s’avère inutile.
Arbitraire, le "bouclier" est défait, sans coup
férir, par l’arbitraire.
Le « bouclier fiscal » n’est en effet qu’un
arbitraire fiscal pondu en 2007 par la majorité parlementaire du
moment. Il limite le montant de l’impôt dont l’assiette est
le ou les revenus annuels et le capital, à 50% du montant de cette
somme (je n’entre pas dans le détail… et les
particularités).
Par définition, il s'oppose à d'autres arbitraires fiscaux
contre quoi il tend à protéger.
Mais ses concepteurs ne sauraient tout prévoir et avoir ajusté
sa forme à tout ce qui peut arriver, à tout ce qu'il peut
rencontrer. D'ailleurs, ils l'ont subodoré et ne l'ont pas
inscrit dans la Constitution
de la Vème République.
Il faut rappeler qu'a amené à cette situation l'idée que
l’impôt est le moyen par lequel l’ensemble des individus
composant l’Etat paie les dépenses qu’entraîne la
décision qu’une catégorie de dépenses publiques ne
serait pas payée par les usagers bénéficiaires du
service public (cf. Jèze, Finances
publiques, 1932, p.3).
Selon Gaston Jèze – l’homme de l’Ecole juridique
dite du "service public" -, l’Etat est à
définir comme la "forme supérieure de la vie en
société" (cf. ibid.).
L'idée a conduit les hommes de l'Etat à instaurer, dans la
décennie 1910, l'"impôt sur le revenu" - qui n'a donc
pas encore cent ans - puis, dans la décennie 1940, les cotisations
obligatoires du para Etat créé pour l'occasion qu'est l'organisation
de la sécurité sociale, puis encore l'ignominie
instituée dans la décennie 1980 et dénommée
d'abord "impôt sur les grandes fortunes", ensuite
"impôt de solidarité sur la fortune", et
complétée, dans la décennie 1990, par la C.S.G. puis la
C.R.D.S.
Bien évidemment, avec ses acolytes et disciples, Gaston Jèze
est à mille lieues de Frédéric
Bastiat et de ses disciples pour qui :
"L'État, c'est la grande fiction à travers
laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le
monde". (Frédéric
Bastiat, 1848)
En
tous les cas, il saute aux yeux que l’impôt et son
évolution reposent sur un arbitraire qui résulte non de la
raison individuelle mais de la violence des uns, des puissants du moment,
faite aux autres, aux faibles.
A la racine de l’arbitraire, se trouve l'idée fausse que le service
public(1) ne saurait être produit par des personnes juridiques de
droit privé.
(1) A savoir police, justice, voirie, etc., bref, des considérations
dont la liste s’allonge en permanence et a été
allongée jusqu’à aujourd’hui inclus. Et à
coup sûr, ce n'est pas fini.
Se trouvent aussi les avocats de l’expression qui se demandent si les
dépenses qu’il occasionne doivent être ou non couvertes
avec des recettes (dénommées en l’espèce
"taxes") versées par les usagers du service.
2. ... A L'Arbitraire fiscal.
Plus près de nous, il n'y a qu'une génération, Pascal
Salin (photographie ci-dessous) a écrit un livre qui porte sur le
sujet et le met à plat : c’est L'Arbitraire fiscal (Robert Laffont,
coll. Liberté 2000, Paris, 1985).
Il le résumait lui-même en ces termes :
« Le bricolage fiscal caractérise la structure des
impôts dans un pays comme la France.
Les impôts résultent de décisions parcellaires, prises en
fonction d'intérêts électoraux ou de conceptions
superficielles.
Ils ne répondent, par conséquent, à aucun critère
valable de justice et donc d'efficacité.
Partout dans le monde on se préoccupe de la réforme fiscale.
Pour que celle-ci ait un sens, il faut qu'elle repose sur des principes
moraux et des conceptions de théorie économique rigoureuse
L'Arbitraire fiscal
vise à fournir des principes de cet ordre.
Plus précisément, il recherche comment concilier une approche
individualiste de la société avec les décisions
collectives qui sont à l'origine de l'impôt.
L'ouvrage s'interroge donc, évidemment, sur la nature du
phénomène étatique, dont la fiscalité est un
instrument majeur.
Il s'ouvre par un chapitre sur le rôle de l'Etat et se termine par une
réflexion sur les moyens de réformer l'impôt pour qu'il
réponde mieux à une vieille exigence: celle du consentement
à l'impôt.
Les chapitres intermédiaires abordent des problèmes plus
spécifiques.
Parmi les thèmes essentiels de l'ouvrage, on peut relever les
suivants:
- Une critique radicale de la notion de progressivité de
l'impôt.
Celle-ci est généralement considérée comme
l'expression de la "justice fiscale". Il est montré qu'il
n'en reste rien et que la progressivité est simplement la
conséquence des mécanismes du "marché
politique".
- La surtaxation de l'épargne, qui constitue l'une des causes majeures
de la "crise économique".
L'impôt sur le revenu est un impôt sur l'épargne et il
conviendrait donc de le remplacer par un impôt général
sur la dépense (c'est à dire un impôt déclaratif
où l'épargne serait soustraite de l'assiette de l'impôt).
Les implications d'une telle réforme sont étudiées en
détail et permettent d'aboutir à une conception unifiée
de l'impôt, au lieu du "patchwork" actuel où des
impôts multiples aboutissent à des spoliations
considérables et à des distorsions aussi importantes que mal
connues. L'impôt sur le capital et les droits de succession font
évidemment l'objet d'une attaque vigoureuse.
- L'ouvrage souligne le caractère caché de beaucoup
d'impôts.
Ainsi, il est mythique de croire que les entreprises "paient" des
impôts. Les impôts sont toujours payés par des personnes.
Mais les hommes politiques ont évidemment intérêt
à cacher le poids réel de l'impôt, au mépris des
règles de transparence qui devraient inspirer le fonctionnement d'une
démocratie.
Au passage, plusieurs impôts sont examinés, par exemple la T.VA.
ou les impôts sur les plus-values, mais toujours dans le cadre d'une
conception théorique et éthique unifiée.
L'Arbitraire fiscal
n'est donc pas un livre de technique fiscale, il n'est pas non plus un
pamphlet contre l'impôt.
Il constitue une réflexion en profondeur sur le
phénomène fiscal et sur le phénomène
étatique.
Il fournit un cadre à toute discussion sur la réforme fiscale
et il a donc d'importantes implantations pratiques.» (Pascal Salin,
1988)
Le livre a fait l'objet d'une deuxième édition
sous le même titre L'Arbitraire
fiscal, par les éditions Slatkine, en 1996, avec,
cette fois, une préface de Alain Madelin, feu bref ministre de
l’économie et des finances en 1995.
Mais il y a eu aussi, cette fois, une publication simultanée
d’un ouvrage complémentaire de Philippe Lacoude et
Frédéric Sautet (eds.) intitulé Action ou taxation
(le défi fiscal français) (avec une
préface de Jacques Raiman), renfermant, entre autres, des
études économétriques à l’appui de certains
points évoqués par Pascal Salin.
3. Mes commentaires.
En 1988-89, j'ai eu l'occasion de faire deux commentaires du livre qui sont
reproduits ci-dessous.
3.A. "Liberalia".
En juillet 1988, j’ai écrit une brève «Etude et
critique de l'ouvrage» pour un périodique mensuel Liberalia ,
aujourd’hui disparu.
Je la reproduis ci-dessous.
« Les ouvrages sur la fiscalité sont dans leur grande
majorité de deux types : il y a ceux dans lesquels, non initié,
on hésite à pénétrer sous prétexte que,
dès les premiers paragraphes, on est précipité dans les
labyrinthes du "droit fiscal", et ceux qui tentent de vous faire
vénérer le dogme de l'impôt juste comme pour mieux
conférer à l'Etat la fonction de grand prêtre du culte.
Bien évidemment, certains sont à cheval sur les deux
catégories précédentes et d'une certaine façon
inclassables,
Si L'Arbitraire fiscal
est lui aussi inclassable, c'est pour une raison différente d'un ordre
autrement respectable.
Ce livre a pour fondement la réalité, c'est-à-dire
l'individu, la liberté de choix et d'action dont celui-ci dispose par
nature et ne devrait pas être dépossédé par les
hommes de l'Etat.
Avec ce point de départ original, inédit, mais si peu
discutable qu'on se demande pourquoi la littérature l'a ignoré
pour l’instant, Pascal Salin entreprend de démystifier la
fiscalité qui régit la France dans la décennie 80.
Dans un premier temps, il prend soin de décrire, en termes simples et
lumineux, l'impôt progressif sur le revenu, les impôts sur le
patrimoine, l'impôt sur l'héritage, la T.V.A., les impôts
cachés, les illusions, bref tous les ingrédients de la
spoliation légale.
Au passage, il montre pourquoi, tous autant les uns que les autres, ceux-ci
sont arbitraires et qu'ils le resteront tant qu'ils auront pour principe la
contrainte de l'individu.
Plus fondamentalement, il suggère, me semble-t-il, qu'à cause
de cette dernière caractéristique ils resteront même
doublement destructeurs. L'idée que les techniques fiscales provoquent
la destruction de richesses matérielles n'est pas nouvelle.
En la rappelant, Pascal Salin témoigne une fois de plus de sa rigueur
scientifique, mais aussi de son souci de rendre compte de l'étendue
actuelle des dégâts.
En développant l'idée que ces techniques portent atteinte
à la nature même de l'homme, il fait preuve par contre de la
plus extrême perspicacité.
Jusqu'à présent, personne en France ne s'était rendu
compte que la richesse suprême que constitue l'homme n'est pas
épargnée par le fléau fiscal. L'arbitraire suscite
l'arbitraire.
Là où, en toute conscience, l'individu devrait prendre des
décisions qui forgent son avenir, il en arrive à cause de la
fiscalité à se préoccuper du seul présent,
choisit encore mais de façon à payer aujourd'hui le moins
possible d'impôts, voire affecte ses efforts de recherche à la
"fraude fiscale" quand il ne se détourne pas de sa
prévoyance instinctive, son épargne étant
dévastée par le fisc.
Ainsi éclairé, le lecteur est alors en mesure de percevoir
qu'aussi importantes les destructions matérielles soient-elles, elles
sont dérisoires comparées au sort que réservent les
hommes de l'Etat au contribuable : la destruction inéluctable de sa
conscience.
Sauf s'il a démissionné et voit dans l'Etat l'étable, il
ne peut qu'être d'accord avec Pascal Salin et chercher avec lui, parmi
les moyens qu'il présente dans la seconde moitié de son livre,
ceux qui réduiront l'arbitraire fiscal le plus efficacement.
La vanité d'une réforme qui fixerait des limites à
l'action fiscale de l'Etat lui saute aux yeux, l'arbitraire serait simplement
déplacé.
Et la solution lui apparaît évidente : fonder la
fiscalité sur un principe qui soit assorti à la nature humaine
et ne puisse en conséquence l'altérer.
Dans l'état actuel des connaissances, un tel principe n'a pas encore
été découvert, s'en approche évidemment le
principe du consentement de l'individu à l'impôt.
Mais comme le fait remarquer Pascal Salin, l'impôt consenti"
serait le principe recherché si le consentement pouvait être
total, or, comme il le prouve, celui-ci sera toujours partiel. Le type de
fiscalité qui en découle, certes moins pernicieux que
l'impôt sur la dépense globale, autre possibilité qu'il
envisage, n'en reste pas moins destructeur,
Que faire dans ces conditions en attendant ?
A défaut de réduire directement l’arbitraire de
l’impôt consenti, Pascal Salin propose de circonscrire des
dépenses étatiques et donne à cette fin plusieurs moyens
disponibles.
L’un d’eux me semble essentiel à souligner : il consiste
à mettre en concurrence les monopoles que les hommes de l’Etat
se sont peaufinés au fil du temps. Il n’existe pas de monopoles
naturels malgré ce que ceux-ci prétendent pour justifier la
situation.
Il existe soit, en phase de progrès technique, des activités un
moment en situation de monopole mais bien vite concurrencée quand la
réglementation en place ne retarde pas l’évolution, soit,
en période ordinaire, des activités protégées aux
frais des contribuables par de véritables privilèges qui, délibérément
ou non, leur confèrent un statut monopolistique le plus souvent public.
Abolir ces privilèges, ne plus interdire la concurrence, ne plus
empêcher la création d’entreprises privées dans un
secteur aujourd’hui monopole public, provoquerait, par
efficacité et informations accrues de celui-ci, la réduction
des dépenses étatiques superflues.
A solde budgétaire désiré constant, la réduction
entraînerait à son tour une réduction, celle des recettes
fiscales qui les couvraient (en type et en montant) et par conséquent
celle de l’arbitraire fiscal.
Mais surtout, simultanément, les destructions cachées que
l’arbitraire fiscal occasionnait seraient, elles aussi,
atténuées. En particulier, et comme elles le font par ailleurs,
les personnes expérimenteraient alors la faculté de choix entre
les produits désormais concurrents, mettraient en œuvre leur
liberté d’action en créant des entreprises sur les
marchés concernés, tant que le degré de concurrence leur
semblerait insuffisant, et, au total, retrouveraient chacun une part de la
partie de nature humaine qui leur avait été extorquée par
les hommes de l’Etat. »
3.B. "Le
libertarien".
Quelques mois plus tard, j’ai écrit un autre commentaire pour le
mensuel Le Libertarien
, lui aussi aujourd’hui disparu. En voici le texte.
« Il est rare que les ouvrages de référence - suivant
l’expression consacrée utilisée pour désigner les
livres importants d’une époque - soient pour les contemporains
de leurs auteurs des objets aux quels cette qualité est
attribuée.
Le plus souvent, ils le deviennent après coup, après des
décennies, après que les historiens les ont ressortis de
‘l’ombre ou du discrédit où la bêtise
ambiante les avaient précipités.
A l’époque « médiatique » où nous
vivons, on serait tenté de croire que la règle est
périmée. Mais ce serait une erreur.
Plus que jamais peut-être, elle s’applique. L’Arbitraire fiscal
de Pascal Salin (1985) en apporte une preuve éclatante.
A un moment où l’impôt énerve chaque particulier
conscient et responsable et sépare celui-ci un peu plus de ses
semblables, où un impôt, inventé par une majorité
parlementaire d’hier, aboli par la majorité qui lui a
succédé, sera obstinément rétabli dans les
semaines qui suivent son « retour aux affaires » comme pour mieux
opposer les citoyens entre eux, où des impôts nouveaux
succèdent à des impôts nouveaux et sanctionnent chaque
jour davantage la segmentation de l’Europe et l’éloigne un
peu plus de son unité de marché, il est pour le moins
étrange de constater que ce livre n’est pas évoqué
par les prélats de l’information.
Il l’est d’autant plus que P.S. livre des réponses
claires, précises et agréables à lire à toutes
les questions qu’une actualité apparemment très diverse
(« krach boursier », chômage, pauvreté,
déficit de la balance des paiements, « impôt sur la
fortune », , inflation d’hier et de demain) les amène à
traiter superficiellement et de façon désarticulée alors
que le plus obscur opuscule dépeignant l’homme comme un
être dépendant que l’ Etat a le devoir d’aider, est
l’objet de leurs soins et d’un tapage chaque fois plus important.
Si on exclut la mauvaise foi humaine, seule une cause d’ordre aussi
général peut expliquer le sort fait à L’arbitraire
fiscal.
Mais quelle cause choisir s’il y en a plusieurs ?
Et d’abord où la rechercher ?
Point n’est besoin d’aller très loin. Elle se trouve en
filigrane dans le livre lui-même dont le sous titre pourrait être
« Premier traité de spoliation légale : dot et antidote
».
Elle réside dans l’absence de concurrence qui existe en France
dans le domaine de l’information et qui est rendu possible par la
réglementation d’Etat qui clôt celui-ci.
Dans son livre, Pascal Salin démontre que ce n’est pas tant
l’impôt qui est condamnable, bien que son existence soit en
définitive injustifiable, que les conditions dans lesquelles il
mortifère : le monopole obligatoire que s’est donné
l’Etat, en l’espèce celui de la coercition.
Dans ce contexte, propulsé par la force dont disposent les hommes de
l’Etat, l’impôt spolie tout personne juridique physique et
encadre ses moindres faits et gestes comme pour mieux les rogner. Ce sont
l’impôt progressif sur le revenu (chap. 2), l’impôt
sur le patrimoine (chap. 3), l’impôt sur la perte humaine
(chap.4), la cascade cachée des impôts (chap. 5), les
impôts cachés, (chap. 6)
A aucun moment, les « droits de l’homme » ne constitue son
Dieu et le Droit son principe car il n’a pas de principe, ni de morale.
L’impôt puise en cela une force additionnelle qui
régénère en cas de besoin sa force contraignante quand
celle-ci s’épuise – parce que des citoyens en sont
arrivés à se préoccuper de frauder plutôt
qu’à créer des richesses et ont trouvé des moyens
efficaces, ou que les effets désastreux d’un impôt ne
peuvent plus être cachés sont enfin retenus - Il est ainsi rendu
invincible.
Dans un contexte concurrentiel, la situation de l’impôt serait
tout autre (chap.11). Celui qui aurait un impératif de respecter les
droits de l’homme sauf à disparaître, pour survivre, il
viserait donc à la forme de ce que Pascal Salin appelle
l’impôt consenti où le caractère obligatoire de la
fiscalité et le consentement individuel à l’impôt
seraient conciliés, où le prélèvement fiscal
s’apparenterait au libre transfert décidé par contrat
entre deux propriétaires de ressources (cf. p.261).
Certes, reconnaît Pascal Salin, réaliser
parfaitement cette conciliation n’est pas évident, les moyens
manquent dans l’état actuel des connaissances.
Mais pour autant faut-il abdiquer ? De l’Etat à
l’étable ?
Faut-il que les mêmes prétendues autorités qui hier
faisaient tout pour convaincre l’homme que la nature a horreur du vide,
s’ingénient aujourd’hui à convaincre le peuple
d’abdiquer bien qu’ils affirment qu’il est souverain ?
En aucun cas.
Pascal Salin montre d’ailleurs qu’existent dès à
présent des moyens simples de limiter l’arbitraire fiscal.
Il suffit non pas d’imposer des limites – arbitraires - à
l’action fiscale de l‘Etat, mais, par exemple, de la soumettre
aux principes de droit et, en cas de non respect, de sanctionner
judiciairement les actes publics en question.
Pascal Salin propose une autre possibilité qui est que, d’une
façon générale, le citoyen ne soit pas maintenu
éloigné de l’impôt comme il l’est
actuellement.
Qu’il n’en soit pas éloigné physiquement
d’abord.
Des impôt locaux, oui, mais pourquoi tous ces impôts nationaux
qui devraient être locaux ?
Pour que les hommes de l’Etat puissent parler de
«gratuité» aux électeurs avant d’abandonner
le terme, acculés financièrement ou dénoncés par
les incrédules désormais écoutés, et
d’ajouter alors l’idéal de rechange, celui de la
«solidarité sociale» ? (chap.10)
Des impôts ayant certaines caractéristiques aujourd’hui,
oui, mais pourquoi des impôts aux caractéristiques
différentes demain ?
Pour que les hommes de l’Etat puissent parler de gestion fine, de
stabilisation de l’économie aux lecteurs jusqu’à la
prochaine crise économique et que, là encore, démentis
par les faits, ils rejettent la survenance de celle-ci sur les autres, le
hasard ou la fatalité ? (chap.7)
Que le citoyen ne soit pas non plus éloigné de
l’impôt moralement.
Les entreprises ne paient pas d’impôt (chap.9).
A cet égard, il faut mettre un terme au mythe de la fiscalité
des entreprises et à la duperie institutionnelle à laquelle ce
mythe donne lieu.
Au travers de l’activité de celle-ci, ce ne sont jamais que les
propriétaires de l’entreprise, les employés, les
fournisseurs ou les clients qui paient les impôts sans toujours en
avoir conscience à cause de ce que les hommes de l’Etat leur
répètent depuis parfois leur tendre enfance et les
leçons d’instruction civique que leur inflige
l’école.
Le même terme devrait être apporté à
l’idée dans laquelle la « néo ferme
générale » qu’est l’organisation de la
sécurité sociale est tenue. A
fortiori, non pas les entreprises, mais bien évidemment
les employés, paient des cotisations de sécurité
sociale. Ils paient des impôts d’un certain type aux
U.R.S.S.A.F., démembrements très spéciaux du para Etat
puisque sous tutelle de l’A.C.O.S.S., indépendants dans leur
gestion à la fois du gouvernement et du Parlement et capables, par
exemple, en un jour de mettre en faillite n’importe quelle entreprise
qui n’aurait pas versé ce qu’elle doit, un peu comme hier,
si l’on en croit les chroniqueurs, quand les rois emprisonnaient,
envoyaient aux galères ou déportaient leurs sujets.
D’ailleurs le Code
de la sécurité sociale ne voit-il pas dans les
personnes "salariées" ou "non salariées"
des "assujettis" à tel ou tel régime. Le terme
"assujetti" est pour le moins suggestif.
A ce propos, ne soyons pas dupe des mots employés.
N’oublions jamais que le mot "contribution" a
été introduit dans le vocabulaire de la finance publique
à la fin du XVIIIème siècle pour remplacer celui
d’"imposition" … qui aurait rappelé l’
«Ancien Régime». Nos Jacobins ont de la suite dans les
idées : 1789-1945, "même combat", déformer ou
dénaturer la réalité, maquiller la vérité.
En plus de réduire l’arbitraire fiscal, tous ces moyens
très simples à mettre en place que propose Pascal Salin,
présentent l’avantage de faire percevoir au lecteur qui en
douterait qu’il existe des choses qui ne sont pas arbitraires et
qu’en conséquence l’idée – que beaucoup
cherchent à acclimater depuis des années et qui pourrait le
séduire – "que tout est arbitraire", est arbitraire et
donc fausse.
Ces choses sont les choix de la personne juridique physique, la valeur
qu’elle donne à ses actions avant de les entreprendre et qui
explique qu’elle les poursuit, actions dans lesquelles après
coup les exégètes verront le déroulement de sa vie, mais
dans lesquelles, dès leur commencement, et sans attendre leur
réussite, les hommes de l’Etat plongent leurs mains pour en
tirer des recettes fiscales.
Un point technique m’écarte pourtant de L’Arbitraire fiscal
: il concerne la définition de l’impôt qu’à
tout prendre, Pascal Salin ne rejette pas puisque, dans l’état
actuel des connaissances, il en faut un, à savoir l’impôt
sur la dépense globale (chap.8).
Il me semble que Pascal Salin envisage cette définition - qu’il
pourrait tout aussi bien qualifier d’impôt sur les recettes
globales nettes -, sans prendre garde qu’elle se situe dans le
piège néo jacobin de l’économie nationale sans
durée, ni incertitude, piège qu’il délimite
parfaitement ailleurs, on l’aura compris.
C’est pourquoi vraisemblablement il identifie toutes les
rentrées monétaires de la personne juridique physique à
des revenus isolés sans tenir compte de l’ensemble du projet
temporel et incertain poursuivi par le contribuable dont celles-ci peuvent
provenir.
En fait, certaines ne sont en rien sans lendemain. Un projet
délimité dans le temps peut s’avérer conforme aux
attentes de la personne jusqu’à un certaine date
intermédiaire (recette nette positive).
Rien ne justifie l’imposition de recettes nettes observées
jusqu’à la date fatidique. Celles-ci devraient être
envisagées par la fiscalité, seulement le projet
terminé.
A ce titre, les recettes nettes ne devraient pas recevoir le nom de revenu
avant la fin du projet, ni a fortiori être imposées sauf
à édicter la réversibilité de la
fiscalité, c’est-à-dire l’impôt
négatif, pendant la phase déficitaire. Dans ce cas, la personne
serait remboursée des impôts que le fisc lui aurait extorqués
aveuglément dans la phase excédentaire – de recettes
nettes positives -.
C’est pourquoi aussi il ne tient pas compte du coût du flux de
trésorerie qu’engendre le paiement de l’impôt pour
la personne. Quand ce flux doit avoir lieu à des dates en rupture avec
ses opérations de création de richesses, le coût atteint
un niveau élevé aux conséquences destructrices.
Pour conclure, on remarquera que tous les commentateurs du fait, à
l’espace flou duquel est donné traditionnellement le nom de
"révolution française", ont au moins un point sur
lequel leur antagonisme ne s’épanouit pas : le rôle
joué par la fiscalité dans la chronologie de celle-ci
Tous s’accordent à reconnaître qu’elle explique la
survenance de la révolution dans la société de
l’Ancien régime, son déroulement dans la décennie
1790 et en définitive son expulsion à l’aube du
XIXème siècle. Mais de même que la mort sous un monceau
de fleurs reste la mort, de même, l’impôt sous un fatras
évolutif de textes sur le "service public" reste
l’arbitraire fiscal.
Aussi ajouterai-je que son "noyau dur" n’ayant pas
été simultanément éradiqué, celui-ci a
connu des avatars à répétition, ce qui explique les
« crises » postérieures périodiques
(révolutionnaire, politique, économique, financière,
sociale, etc.) qu’a connues depuis lors la société civile
française et qu’elle connaîtra selon toute
probabilité aussi longtemps qu’il résistera à une
expulsion définitive.
Le noyau dur, c’est l’arbitraire fiscal des hommes de
l’Etat qui, comme l’explique le livre, loin de stabiliser la
société civile, la déstabilise et la rend explosive.
Où en est ce noyau dur aujourd’hui en 1989 ?
Pascal Salin vous le dit : il est « trop » pour un grand nombre
de raisons (dont je n’ai évoqué ci-dessus que celles qui
me semblent les plus essentielles et qui ne disparaîtront pas
magiquement (surtout si elles sont étendues prochainement, par
exemple, avec la réinstauration du contrôle des prix –
fussent ceux des services -)
Et il vous donne des moyens simples et non coûteux de le
réduire. Les mêmes causes produisant les mêmes effets,
puisse- t-il être lu et entendu avant qu’il ne soit trop tard.
»
4. Théories contre
l'impôt.
De fait, la société française a été mise
en coupe réglée par l’impôt, i.e.
l’arbitraire fiscal, et ses deux grands euphémismes que sont les
"cotisations sociales" et les "contributions sociales".
Et cela ne date pas d’aujourd’hui comme l’ont
montré, de façon pédagogique et indirectement, Alain
Laurent et Claude Reichman dans un livre intitulé Théories
contre l’impôt (textes réunis par Alain
Laurent et présentés par Claude Reichman), Les Belles Lettres
(coll. Iconoclastes), Paris, 2000.
Alain Dumait en parle dans Les 4 vérités
en ces termes :
« Alain Laurent a choisi des extraits de 18 textes
d'auteurs, qui viennent d'horizons et d'époques différentes.
Ils ont entre eux un point commun :
ils se sont tous prononcés contre les excès de la
fiscalité; Et ils l'ont fait avec un talent qu'on trouve, à
chaque fois, pour chacun d'entre eux, insurpassable !
Pour établir sa table des matières, Alain Laurent a eu la bonne
idée de reprendre une phrase de chacun de ses auteurs.
Les voici :
- Adam Smith : « Un impôt inconsidérément
établi offre beaucoup d'appât à la fraude... »
- Thomas Paine : « Avec un gouvernement juste, il y a peu
d'impôts...»
- Jean-Baptiste Say : « Lever un impôt, c'est faire tort à
la société... »
- Benjamin Constant : « L'impôt est infailliblement nuisible...
»
- Henry David Thoreau : « Si mille citoyens décidaient de ne pas
payer l'impôt cette année... »
- Frédéric Bastiat : « Dans les sociétés
modernes, la spoliation par l'impôt s'exerce sur une immense
échelle... »
- Pierre Joseph Proudhon : « Ce nom depuis tant de siècles
odieux et maudit : l'impôt... »
- Lysander Spooner : « Le gouvernement est comme un bandit de grand
chemin... ».
- Herbert Spencer : « L'impôt est une restriction de
liberté... ».
- Vilfredo Pareto : « Il est doux de prendre sa part d'un impôt
qu'on ne paie pas... ».
- Yves Guyot : « L'impôt ne doit pas être un instrument de
spoliation... ».
- Ludwig Von Mises : « L'impôt progressif est un mode
exagéré d'expropriation-... ».
- Friedrich Hayek : « La progressivité n'est rien de plus qu'une
invitation ouverte à la discrimination... ».
- Milton Friedman : « Difficile de justifier un impôt progressif
dont le seul but est de redistribuer les revenus... ».
- Ayn Rand : « Le financement du gouvernement dans une
société libre... »
- Robert Nozick : « L'imposition est sur un pied
d'égalité avec les travaux forcés... ».
- Murray Rothbard : « L'impôt est un vol, purement et
simplement...»
- Helmut Schoeck : « Les impôts à caractère punitif
et confiscatoire... »,
La présentation de Claude Reichman est à la hauteur.
Il y développe la thèse selon laquelle l'impôt est la
forme moderne de l'esclavage.
Les textes présentés dans cet ouvrage peuvent apparaître
comme un réquisitoire contre l'impôt.
Ils le sont assurément, dans la mesure où ceux qui le
prélèvent y sont généralement traités de
voleurs.
Mais, ces pages sont surtout un hymne à la liberté et à
la dignité de l'homme.
Qui ne voit, en effet, que l'impôt, dans la plupart des
sociétés occidentales, n'est que le moderne avatar de
l'esclavage?
À quoi cela revient-il en effet, sinon à faire travailler le
contribuable au profit de l'État ? Travail forcé
évidemment, au moins à partir d'un certain point.
Car, si le citoyen accepte volontiers de payer sa contribution à des
dépenses publiques qu'il juge utiles et nécessaires, il
récuse toutes les autres et n'accepte de les financer que sous la
contrainte.
Il va de soi que les démocraties ne peuvent accepter l'idée
qu'elles ont maintenue et le plus souvent amplifié l'esclavage, qui
est censé être la caractéristique et la tâche des
sociétés antiques ou primitives.
C'est pourquoi, elles ont dû inventer des concepts nouveaux qui ont nom
"solidarité" et "justice sociale".
Il faut leur reconnaître un talent certain en la matière.
Car ces notions ont, jusqu'à présent, réussi à
maintenir dans les fers les citoyens laborieux, sans qu'ils tentent vraiment
de se révolter ni qu'ils diminuent très sensiblement leur
ardeur au travail». (Alain Dumait, 2000)
5. L'exaction.
Pour ma part, j'ajouterai qu’avant hier, les "droits fiscaux"
dont disposait le seigneur étaient dénommés "exactions"
comme le rappelle Calmette (1923) :
« Un cas de complexité plus frappant encore nous est
offert par les exactions
ou droits fiscaux.
Il faut toujours avoir présent à l’esprit que le seigneur
de la société féodale est un personnage double :
- il est usufruitier foncier, qu’il soit fieffé ou alleutier ;
- il est aussi usufruitier de droits, en ce sens qu’il s’est
arrogé la jouissance de prérogatives issues de
l’appropriation des fonctions publiques.
Les deux natures se fondent en la personne du seigneur.
Il en résulte qu’il perçoit tous les droits indirects que
percevait ou pouvait percevoir le gouvernement carolingien […] tous
droits de circulation, de marchés, de foires et autres
analogues.»(Calmette,
1923, pp.66-67)
Dans son sens actuel, impressionniste, le mot
"exaction" veut en définitive bien dire ce qu’il
désigne.
Il explique aussi qu’entre temps, depuis le premier millénaire,
il y a eu en France ce que certains ont dénommé une
"révolution" qui a mis fin aux exactions - au sens premier
du mot – en relation avec l’appropriation des fonctions
publiques.
Mais elle en a créé d’autres en relation avec le
prétendu "service public" qui n’ont fait que
croître et embellir depuis lors au point de faire
réapparaître les "exactions" au sens premier, à
savoir les droits
fiscaux des hommes de l’Etat de la majorité politique du moment.
Et le "bouclier fiscal" en est une.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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