Les faux mots.

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Published : May 16th, 2018
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A une époque où les hommes de l’état se préoccupent des « fake news », ceux-ci devraient au moins faire semblant de s’interroger sur l’état de l’économie politique sur quoi ils donnent l'impression de porter intérêt.

Ce qui n’est pas le cas.

1. Claude Parthenay.

Dans un billet de janvier 2018, j'ai eu l'occasion d'écrire il y a une décennie, en 2008, que Claude Parthenay avait publié un livre intitulé Vers la refondation de la science économique (économie et argument transcendantal) aux éditions du Cerf (coll. La nuit surveillée) qui méritait attention. 

A partir de nombreux auteurs dont il présentait rapidement les propos, il montrait que les grands maîtres de la pensée économique échouent dans leur prétention à ériger un discours scientifique.

Mais le problème de l'économie politique n'est pas, comme il l'a écrit, sa refondation par des savants borgnes dont les critiques acoquinés n'évoquent jamais cette dernière "qualité"…

Le vrai problème est la dérive que connaît, depuis le XIXème siècle, cette science du fait des savants qui en arrivent au "n'importe quoi" actuel quand ils n'ont pas avancé, dès leur propos liminaire, ... qu'elle n'était pas une science.

2. Henri Guitton.

Près de trente années plus tôt, en 1979, comme pour fêter ... les trente ans de L'action humaine, livre de Ludwig von Mises (ce qu'il ne fit pas), Henri Guitton (1904-1992), alors professeur de sciences économiques à l'université de Paris I Sorbonne, concluait le livre intitulé De l'imperfection en économie (Calmann-Lévy, col. "Perspectives de l'économique", série "critique", Paris), avec, en particulier, ces mots:

"Il s'agissait de savoir ce qu'était l'objet de l'économie politique.

La question reste actuelle, toujours la même, bien qu'elle s'exprime en termes nouveaux.

Je me demande aujourd'hui si l'opposition que j'avais proposée entre

- 'l'économie politique à l'image des sciences physiques' et

- 'l'économie politique science de l'action humaine'

ne garde pas sa valeur, mais dans l'atmosphère renouvelée par l'épistémologie contemporaine qui nous a permis de lever certaines ambiguïtés." (Guitton, 1979, p.225)

Il était un des rares économistes de l'époque à ne pas mettre de côté l'école de pensée économique dite " autrichienne".

Mais, avec les mots ci-dessus, il montrait qu'il se trompait de cible.

3. Vilfredo Pareto.

Certes le scientisme qu'il évoquait était condamnable, mais l'était plus encore la priorité donnée par les scientistes aux résultats de l'action humaine sur l'action elle-même... ce dont il ne parlait pas et qui était, par exemple, au cœur des travaux de Vilfredo Pareto (1848-1923).

 C'est, en effet, le point de vue, largement repris aujourd'hui, d'où Vilfredo Pareto s'est placé dans son Cours d'économie politique de 1896-97 :

"3. Notre étude a pour objet les phénomènes qui résultent des actions que font les hommes pour se procurer les choses dont ils tirent la satisfaction de leurs besoins ou leurs désirs.

Il nous faut donc 

- d'abord examiner la nature des rapports entre les choses et la satisfaction de ces besoins ou de ces désirs, et

- tâcher ensuite de découvrir les lois des phénomènes qui ont précisément ces rapports pour cause principale." (Pareto, 1896-97, §3).

Il reste que, contrairement à ce que font croire ou que disent certains, aujourd'hui, commentateurs ou autres, au travers de ce qu'ils dénomment "optimum de Pareto", à cet égard d'un certain refus des mathématiques comme le soulignait, certes en note de bas de page, Arthur W. Marget en 1935 dans un article intitulé “The Monetary Aspects of the Walrasian System” (Journal of Political Economy, Vol. 43, No. 2, Apr., pp. 145-186), Pareto est exemplaire :

. original :

"Pareto's general attitude toward the use of mathematics for purposes of analysis rather than synthesis is typified by a remark in his obituary notice of Walras in the Economic Journal, XX (1910), 139:

'When mathematics are applied to particular problems of economic science, they lead merely to results more curious than useful.

We should not err widely from truth in saying that, restricted within these limits, the use of mathematics in economic science is futile.'

To be sure, Pareto did not mention Walras specifically on this occasion; but that he may have had reference to Walras, as well as to Marshall, may be deduced from remarks which he made on other occasions.

See, for example, his cynical comments on Walras' proposals for the abolition of private property in land and for Indian monetary reform, in his 'Introduction' to A. Osorio, Théorie mathématique de l'échange (1913), p. ix.

If it be objected that Pareto's skepticism, on this latter occasion, had reference, not to the possibilities of analysis with the help of mathematical tools, but merely to what I suppose he would have characterized as Walras' 'non-logical' desire to use economic analysis in order to improve the lot of mankind, I should merely point to Pareto's complete lack of sympathy with, or understanding of, Walras' analytical contributions to the field of monetary theory."

. ma traduction :

«L'attitude générale de Pareto à l'égard de l'utilisation des mathématiques à des fins d'analyse plutôt que de synthèse peut se caractériser par une remarque qu'il a écrite dans son article nécrologique de Walras dans l' Economic Journal, XX (1910), 139:

'Quand les mathématiques sont appliquées à des problèmes particuliers de la science économique, elles conduisent simplement à des résultats plus curieux qu'utiles.

Nous ne devrions pas nous écarter trop de la vérité en disant que, dans ces limites, l'utilisation des mathématiques en science économique est futile.'

A coup sûr, Pareto n'a pas mentionné spécifiquement Walras à cette occasion, mais qu'il puisse avoir fait référence à Walras, ainsi qu'à Marshall, peut se déduire de remarques qu'il a faites à d'autres occasions.

Voir, par exemple, ses commentaires cyniques sur les propositions de Walras pour l'abolition de la propriété privée de la terre et pour la réforme monétaire indien, dans son "Introduction" à A. Osorio, Théorie mathématique de L'Échange (1913), p. ix.

Si l'on objecte que le scepticisme de Pareto, à cette dernière occasion, se référait, non pas aux possibilités d'analyse à l'aide d'outils mathématiques, mais simplement à ce que je suppose qu'il aurait qualifié de désir "non-logique" de Walras d'utiliser l'analyse économique afin d'améliorer le sort de l'humanité, je soulignerais tout simplement le manque complet de sympathie, ou de compréhension, de Pareto avec les contributions analytiques de Walras au domaine de la théorie monétaire."

Les adeptes actuels de la notion d'"optimum de Pareto" (cf. par exemple ce billet de juillet 2009) devraient avoir à l'esprit, en permanence, ces considérations.

Ils devraient cesser d'imputer faussement la notion à Pareto.

Ils devraient renoncer à la pratique d'introduire telle ou telle mathématique, choisie nécessairement arbitrairement, en économie politique pour l'étayer et essayer ainsi de faire de cette dernière une science comparable aux sciences exactes.

4. La mauvaise démarche...

L'inculture que Guitton dénonçait implicitement (et qu'il avait déjà dénoncée en 1951, cf. texte critique d'A. Marchal) a peu évolué en France depuis lors (cf. ce texte d'août 2015).

En particulier, l'économie politique dite "autrichienne" qui refuse expressément le scientisme, mâtiné ou non de mathématique, a toujours une méthode vue d'un mauvais œil par les prétendus bien-pensants (exemplaire a été le texte critique de A. Barrère).

a. Les mots.

On pourrait, d'ailleurs, ajouter dans la mauvaise démarche l'utilisation des mots.

D’une part, Emil-Maria Claassen (1934-2014) avait insisté en 1970, dans un ouvrage intitulé l'Analyse des liquidités et sélection de portefeuille, sur la tendance regrettable qu'il avait pu constater, à savoir que:

"L'habitude de commencer toute étude économique par un travail d'élucidation et de définition de certaines notions fondamentales tend de plus en plus à se perdre à l'heure actuelle" (Claassen, 1970, p.33)

D’autre part, il y a près de cinquante ans, Fritz Machlup (1902-1983) écrivait:

"Quand un terme possède tant de significations que nous ne savons jamais ce que veulent dire ceux qui l'emploient, il faudrait

- soit le supprimer du vocabulaire du spécialiste,

- soit le "purifier" des connotations qui nous embrouillent."

Comme je crois qu'il est impossible d'exclure les mots "équilibre" et "déséquilibre" du discours économique, je propose de les soumettre à un travail de nettoyage approfondi." (Machlup, F., 1958, The Economic Journal, Vol. LXVIII, Mars)

Et d'ajouter:

"En essayant d'accomplir cette tâche, je ne prendrai pas en compte les significations de ces expressions dans d'autres disciplines." (ibid.)

L'objet que Machlup avait en ligne de mire dans le texte était donc la notion d'"équilibre en économie" qu'il n'a pas hésité à "désosser" et sur quoi s'était penché, vingt ans plus tôt, dans une perspective voisine, Arthur Marget (1899-1962) dans un article du Journal of Political Economy (Vol. 43, No. 2 (Apr., 1935), pp. 145-186).

Pour sa part, Murray Rothbard (1926-1995) est revenu sur la dénaturation de la notion de l'équilibre de l'économie dans un article de 1987 dans The Review of Austrian Economics, volume 1 (pp. 97-108).

Il s'en est pris à ce qu'avaient pu écrire Joseph Schumpeter (1883-1950) et Alvin Hansen (1887-1975) avant que Guido Hülsmann s'en prenne à d'autres (cf. http://www.guidohulsmann.com/pdf/REALISTE.pdf ).

Quelques temps plus tard, à sa façon, John Hicks (1904-1989) s'en était pris à son tour, si on peut dire, au sujet de Machlup au travers de la notion de "liquidité" (dans l'article “Liquidity”, The Economic Journal, Vol. 72, No. 288 (Dec., 1962), pp. 787-802).

La liste des mots du genre "équilibre économique" ou "liquidité" qui tiennent de la métaphore, de la rhétorique "au mauvais sens du mot", est abondante (inflation, chômage, croissance, etc.).

Dans le livre évoqué, Guitton avait insisté sur le fait que :

… "Les mots ont d'autant plus de pouvoir qu'ils ne sont pas définis.

Ce qui est défini scientifiquement n'a pas de pouvoir sur l'opinion". (Guitton, 1979, p. 31)

On comprend, dans ces conditions, rétrospectivement, la suite qu'en avait donnée Machlup, vingt ans plus tôt.

Aujourd'hui, les mots de la même facture sont indénombrables.

On pourrait ajouter, par exemple, les mots "monde", "pays", "société" - que certains attribuent à Emile Durkheim (1858-1917), l'homme qui a introduit la "conscience collective"! - ou "état"  (gouvernement) (cf. ce texte de de Jasay, 1994), mais je ne saurai m'y appesantir.

Disons seulement qu'il est libre à chacun de parler des pays, des sociétés, des états (gouvernements) et d'y voir différentes actions possibles.

Mais c'est une approximation très critiquable car les actions en question sont celles des gens qui les mènent et, selon les cas, les actions menées sont choisies ou sont imposées par les hommes de l'état et non par les êtres humains acteurs, pâles serviteurs ou esclaves.

En vérité, lui est préféré la rhétorique au mauvais sens du mot et qu’a dénoncée, mais un peu tard, Robert Solow.

En effet, récemment, Solow a enfoncé le clou de la question en s'opposant à la rhétorique - sous entendu, "au mauvais sens du mot" - de façon très claire :

… « Pour un lecteur moderne sérieux, la rhétorique est sans pertinence ou, pire, induit en erreur ou, pire encore, trompe intentionnellement » ( R. Solow, Commentaires, hiver 2013-14, p. 911).

Il oubliait, seulement, ses amours pour telle ou telle mathématiques qu'il avait utilisées dans le passé et qui n'étaient jamais que d'autres formes de la rhétorique au mauvais sens du mot...

b. Mots et mathématiques.

Il oubliait en particulier d'insister sur ce qu'avait écrit le grand mathématicien David Hilbert (1862-1943) sur l'utilisation des mots.

Celui-ci soutenait que:

… "[...] les axiomes devaient être tels que si on remplaçait les termes de 'points', 'droites', et 'plans' par 'bière', 'pieds de table' et 'chaises', la théorie devait toujours tenir." (O'Shea, 2007, p.169)

- dans O'Shea, 2007, Gregory Perelman face à la conjecture de Poincaré

Dans ces conditions, on pourrait remplacer le géomètre par le "piano à raisonner" imaginé par Stanley Jevons (1835-82), l'économiste de la "double coïncidence des besoins qu'est l'échange direct"..., a souligné, pour sa part, Henri Poincaré (1854-1912) au début du XXème siècle, dans Science et méthode (1908):

"Il y a là une illusion décevante" (Poincaré, 1908, p.4)

D'ailleurs, que nous disait récemment Roland Omnès sur les mathématiques:

"Ce qui compte en mathématiques ne sont aucunement les choses, mais les relations qui existent entre elles" (Omnès, 1994, p.107)

dans Omnès, R. (1994), Philosophie de la science contemporaine, Gallimard (coll. Folio, essais), Paris.

Par exemple, l'existence des unes est sans relation avec l'existence des autres qui a pour fondement la non contradiction (cf. sur le sujet, Poincaré à propos de Stuart Mill dans le même ouvrage).

Mais, selon Henri Poincaré (dont j'ai déjà eu l'occasion de parler, en particulier dans ce billet de décembre 2010), les mathématiques ne peuvent être réduites à la logique, à une logique formelle.

Comme Poincaré l'explique dans Science et méthode, l'intuition est essentielle au mathématicien et cela n'est pas une question de logique analytique, a fortiori de logique formelle.

L'intuition va de pair avec l'application du principe d'induction complète que certains de ses opposants prétendent avoir démontré au prétexte que, selon eux, il n'existe pas de jugement synthétique a priori.

Soit dit en passant, Poincaré insiste à propos de la logique nouvelle de MM. Couturat et Russell - ce qu'il dénomme "la logistique" qui va faire florès au XXè siècle - sur le fait que, malgré ce que ces derniers en disent:

"Nous n'avons pas le droit de regarder [leurs] axiomes comme des définitions déguisées et [...] il faut pour chacun d'eux admettre un nouvel acte d'intuition [...] un acte nouveau et indépendant de notre intuition et, pourquoi ne pas le dire, un véritable jugement synthétique a priori" (Poincaré, op. cit. p.185)

"La logique reste donc stérile, à moins d'être fécondée par l'intuition.[...]

La logistique n'est plus stérile, elle engendre l'antinomie." (ibid., pp.222-23))

Poincaré n'avait pas hésité à mettre en garde à diverses reprises contre la démarche de l'application d'une mathématique à une discipline de la pensée humaine, et à formuler les plus expresses réserves dans le cas des sciences morales (dont l'économie politique).

Une grande raison que rappelle Ivar Ekeland (1984) est que :

… «certains événements prédits par le modèle mathématique ne se produiront pas dans la réalité physique » (Ekeland, 1984, pp.52-53).

Ekeland souligne humoristiquement à cette occasion que

« les mathématiques nous donnent une manière originale de réparer un pneu crevé : il suffit d'attendre qu'il se regonfle spontanément » (ibid., p.54)

Soit dit en passant, et d'une part, il convient de distinguer l'application d'une mathématique et, ce qui n'est pas mieux, la transposition d'un modèle mathématique d'un phénomène physique, biologique, etc. pour "expliquer" un phénomène économique

Mais cette distinction n'est pas prise en considération par les économistes qui procèdent à l'une ou à l'autre.

On est loin de ce que pouvait écrire Léon Walras.

En effet, quelques années plus tôt, en 1886, dans la même veine, Walras considérait dans un livre intitulé Théorie de la monnaie http://archive.org/stream/thoriedelamonna01wa...age/n7/mode/2up que :

« Je crois, quant à moi, que, lorsqu'il s'agit d'étudier des rapports essentiellement quantitatifs comme sont les rapports de valeur,

le raisonnement mathématique permet une analyse bien plus exacte, plus complète, plus claire et plus rapide que le raisonnement ordinaire et a, sur ce dernier, la supériorité du chemin de fer sur la diligence pour les voyages ».

Reste que, comme l'a rappelé Ivar Ekeland dans le livre intitulé target="_blank" Le calcul, l'imprévu (Les figures du temps de Kepler à Thom) (Seuil, Paris), tous ces éléments ne doivent pas cacher le recours croissant donné par des gens depuis lors à telle ou telle mathématique à quoi ont procédé nos économistes et dont la majorité serait bien incapable de justifier le choix mathématique pour la raison suivante:

"Pour ma part, je chéris l'aphorisme de Sussman :

'En mathématiques, les noms sont arbitraires.

Libre à chacun d'appeler un opérateur auto-adjoint un 'éléphant', et une décomposition spectrale une 'trompe'.

On peut alors démontrer un théorême suivant lequel

'tout éléphant a une trompe'.

Mais on n'a pas le droit de laisser croire que ce résultat a quelque chose à voir avec de gros animaux gris". (Ekeland , 1984, p.123).

Les "gros animaux gris" sont nombreux en économie politique.

Faut-il rappeler que Francis-Louis Closon (1910-1998), target="_blank" premier directeur de l'I.N.S.E.E., a eu l'occasion de déclarer qu'il fallait :

«Remplacer la France des mots par la France des chiffres» (cf. target="_blank" Desrosières, 2003).

comme si les "chiffres" n'étaient pas les "gros animaux gris" d'une mathématique...

Et on sait ce qu'est devenu l'I.N.S.E.E.

c. Remarque.

Soit dit en passant, que penser d'une science dont les mots se trouvent dans un tel état d'anéantissement ?

Il revient au même de ne pas définir un mot ou de lui donner, en guise de définition, une "armée mexicaine ... de définitions".

Pauvre économie politique.

Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, cette question situe à l'opposé du point sur quoi Poincaré avait insisté dans Science et méthode :

"On ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée, comme disait Mach" (Poincaré, 1908, Science et méthode, p.31),

Quant à la méthode des sciences et à propos des "sociologistes" - devenus "sociologues" par la suite... -, on remarquera que Poincaré n'avait pas hésité pas à y écrire :

"Le Sociologiste est plus embarrassé ;

les éléments, qui pour lui sont les hommes, sont trop dissemblables, trop variables, trop capricieux, trop complexes eux-mêmes en un mot ;

aussi, l’histoire ne recommence pas ;

comment alors choisir le fait intéressant qui est celui qui recommence;

la méthode, c’est précisément le choix des faits, il faut donc se préoccuper d’abord d’imaginer une méthode, et on en a imaginé beaucoup, parce qu’aucune ne s’imposait ;

chaque thèse de sociologie propose une méthode nouvelle que d’ailleurs le nouveau docteur se garde bien d’appliquer, de sorte que la sociologie est la science qui possède le plus de méthodes et le moins de résultats." target="_blank"(Poincaré, Science et méthode, 1908)

Rien n'a changé depuis lors.

Pour ma part, j’aurai en ligne de mire la notion de "valeur" et celle d’"action humaine".

5. Les échanges de marchandises.

Les target="_blank" échanges de (quantités de) marchandises procèdent des activités choisies par les êtres humains et de rien d'autres.

Ils ne tombent pas du ciel, de l'univers, de la réalité, de la nature, du monde, etc.

Depuis le XXème siècle, le postulat de l'économie politique "mainstream" n'est pourtant pas la notion d'activité, d'action ou d'acte des gens, mais celui de phénomènes imaginés par les "savants",

- d'un côté, le ou les marchés de marchandises, notions que des économistes ont inventées dans le passé et qui, depuis lors, ont été déformées, voire dénaturées, (cf. ce target="_blank" texte de janvier 2017) et,

- de l'autre, la production, l'industrie de valeurs.

6. Lois d'offre et de demande de valeurs.

Il importe de rappeler que les lois d'offre et de demande de valeurs qu'ont proposées les savants mathématiciens (à commencer par target="_blank" Cournot, 1838) et qui vont être rassemblées, sans raison, par le mot "marché", n'étaient que des relations hypothétiques (spéculatives ... diront certains) entre les valeurs "résultats des actes des gens", à  savoir entre,

- d'un côté,  les  valeurs "quantités de marchandises" et

- de l'autre, les valeurs "prix en monnaie". 

Mais cela a été oublié ou n'a pas suscité d'interrogations...

7. Forces et équilibre.

Aujourd'hui, on dira encore, à l'occasion,

- que ces lois sont les "forces" du marché ou bien

- qu'elles se déduisent de l'"équilibre économique général" ou de l’"équilibre macroéconomique", autres "valeurs" apparues au XXème siècle...

Merci le scientisme...

8. Action et équilibre.

On peut dire tout autant que ces lois hypothétiques ou spéculatives présentent l'intérêt d'être situées à mi-chemin entre

- la notion d'"action humaine", i.e. l'action choisie par vous et moi, et

- la notion d'"équilibre des marchés" - dénommée curieusement "valeur" par beaucoup de savants mathématiciens, à commencer par Gérard Debreu (cf. target="_blank" le livre ) -, à partir de la mi-XXème siècle.

Mais, grande différence entre l'une et l'autre,

- l'action de vous et moi est une action évidente, qui saute aux yeux de chacun, une réalité incontournable qu'on ne peut qu'imaginer déboucher sur un résultat de l'"équilibre économique" alors que

- l'équilibre économique est un élément de la théorie économique imaginé par des savants - qui ne vaut que la valeur qu'on peut lui donner -, soit comme axiome ou postulat, soit comme conséquence d'axiomes ou postulats.

9. Les actions des gens.

Dans la seconde moitié du XIXème siècle, des économistes dits "autrichiens" - dits ainsi essentiellement ... par les marxistes qui dirigent l'histoire de la pensée économique - ont commencé à mettre l'accent sur les conséquences logiques plutôt que sur les résultats observés de ces actes.

La grille d’analyse de l'économie politique devenait ainsi celle de la praxéologie (cf. target="_blank" ce billet), ensemble des actions humaines, agrémentée de la catallaxie, ensemble des échanges (cf. ce target="_blank" billet de juillet 2009).

Ludwig von Mises (1881-1973), grand économiste "autrichien" devant l'Eternel, l’a très bien expliqué en 1962 quand il écrivait que:

"La science économique ne porte pas sur les biens et services, elle porte sur les actions des hommes en vie actifs.

Son but n'est pas de s'attarder sur des constructions imaginaires telles que l'équilibre.

Ces constructions ne sont que des outils de raisonnement.

La seule tâche de la science économique est l'analyse des actions des hommes, c'est l'analyse des processus." (Mises, 1962, cf. target="_blank" ce texte après qu'il avait écrit, en 1949, dans le livre intitulé target="_blank" L'action humaine, que la science économique avait pour domaine les phénomènes de marché expliqués par les actes des êtres humains et était une:

"[...] branche de la connaissance [...]

pour étudier les phénomènes de marché, c'est-à-dire

- la détermination des rapports d'échange mutuel entre les biens et services négociés dans les marchés,

- leur origine dans l'action humaine et

- leurs effets sur l'action ultérieure." (Mises, 1949, p.232)

Mon seul regret est que, dans cet extrait, Mises fasse référence à l’expression « biens et services ».

Pour une fois, il s’est laissé enrubanné par tout ce qu’il détestait, à savoir les mots faux (déformés ou dénaturés) :

en effet, les « biens » ne sont pas à opposer aux « services », mais aux "maux" ;

les « services » ne sont pas à opposer aux « biens », mais aux « objets ... matériels» (cf. matérialité et durée depuis Adam Smith).

. La substitution.

Soit dit en passant, la substitution de quoi que ce soit à quoi que ce soit n'est pas une action possible du corps, mais de l'esprit de chacun.

Mises l'a évoqué, en particulier, dans le livre intitulé target="_blank" L'action humaine:

"Acting man is eager to substitute a more satisfactory state of affairs for a more less satisfactory.

His mind imagines conditions which suit him better, and his action aims at bringing about this desired state" (Mises, op.cit., I.2)

En français :

L'homme en action est désireux de substituer un état de choses plus satisfaisant à un moins satisfaisant.

Son esprit imagine les conditions qui lui conviennent mieux, et son action vise à réaliser cet état désiré.

"Action is an attempt to substitute a more state of affairs for a less satisfactory one.

We call such a willfully induced alteration an exchange.

A less desirable condition is bartered for a more desirable". (ibid. IV.3)

En français :

L'action est une tentative de substituer un état de choses plus satisfaisant à un moins satisfaisant.

Nous appelons échange une telle altération volontairement induite.

Une condition moins désirable est échangée pour une plus désirable.

Grâce à son patrimoine dont il tire des services ... sans le savoir ou en le sachant, l'être humain choisit de mener telle ou telle action, une à la fois.

10. Les résultats d'action.

Plutôt que faire référence à la praxéologie, on peut dire tout autant que les éléments cachent la notion  d'"anthroponomie"...

De même que l'astronomie a pour élément essentiel les astres et tout ce qui tourne autour (leurs déplacements, etc.), de même, l'anthroponomie a pour cause les êtres humains et les actions qu'ils choisissent de mener.

11. Une action à la fois.

Reste que l'être humain ne peut mener qu'une action à la fois en dépit de l'abondance

- des actions que lui offre la nature (la réalité, etc.) ou bien

- de celles qu'il imagine.

a. abondance et rareté.

Il est en effet confronté

- à l'abondance des actions dans quoi il doit choisir une action et une seule, et

- non pas à la rareté des choses quoique celle-ci soit chère à beaucoup d'économistes, même "autrichiens"..., des choses dont l'existence dépend

- en partie de lui et de ses contemporains et

- en partie de ce qu'a créé la nature.

b. rareté et infirmité.

Autre façon de s'exprimer, l'être humain est infirme de corps et d'esprit et cette situation a comme conséquence qu'en particulier, là encore, il ne peut mener qu'une action à la fois.

Peut-on voir alors dans l'infirmité un aspect de la rareté ?

Je l'imagine, je le spécule.

c. infirmité et ignorance.

Peut-on voir dans l'infirmité un aspect de l'ignorance ?

Autant qu'infirmité et rareté, infirmité et ignorance sur la réalité sont synonymes.

On peut voir dans l'ignorance une infirmité de l'être humain.

d. Ignorance et science (savant).

Parmi les actions que la nature lui offre et du fait de sa connaissance limitée de la réalité, l'être humain peut choisir comme action celle d'être savant et de mener des recherches de faits ou de phénomènes, qui intéresseront, ou non, ses contemporains et dont il sera rémunéré, ou non, par ceux-ci.

e. mathématique et économique.

En mathématiques, selon certains, la logique, est tout et, en économie politique, il n'est rien.

Selon Pareto, ce serait le sentiment (primant sur l'intérêt...) qui serait tout:

"On croit généralement, et ce fut là l'erreur des économistes qu'on nomme 'libéraux', que le raisonnement a une grande influence pour déterminer les actions sociales des hommes.

Rien n'est plus faux :

ce sont les sentiments et les intérêts qui déterminent principalement ces actions,

et pour certaines d'entre elles, les sentiments priment les intérêts."  

Telle était l'opinion de Pareto sur la grande erreur de ses "amis" libéraux, qu'il avait écrite dans un article intitulé "Le raisonnement et l'évolution sociale" (Journal de Genève, 16 mai 1903).

Dans un article antérieur intitulé "Psychologie du socialisme", Zeitschrift für Socialwissenschaft, III, 1900, p. 599-601, il avait d'ailleurs insisté sur le point complémentaire suivant:

"On a beaucoup parlé de ce livre - Gustave Le Bon : Psychologie du socialisme, Paris, Félix Alcan, vii-496 pages - et il mérite d'être lu.

L'auteur est un adepte d'une certaine religion patriotique et anthropologique, il voit dans les socialistes, des concurrents et il les combat vivement.

Son idée fondamentale, c'est que :

'alors que les religions, fondées sur des chimères, ont marqué leur indestructible empreinte sur tous les éléments de civilisations et continuent à maintenir l'immense majorité des hommes sous leurs lois,

les systèmes philosophiques, bâtis sur des raisonnements, n'ont joué qu'un rôle insignifiant dans la vie des peuples et n'ont eu qu'une existence éphémère.

Ils ne proposent en effet aux foules que des arguments,

alors que l'âme humaine ne demande que des espérances.' (p. V).

[Le sentiment et la raison]

C'est la vérité, mais ce n'est qu'une partie de la vérité.

Pour qu'une impulsion donnée aboutisse à un résultat utile, il faut deux choses :

1º que les hommes cèdent à cette impulsion ;

2º qu'elle soit en harmonie avec les lois de la nature, qu'elle ne se heurte pas à des impossibilités objectives.

Portez votre attention sur une seule de ces conditions et vous aurez une théorie qui ne sera vraie qu'en partie.

Si vous ne considérez que la première condition, vous donnerez une part prépondérante, exclusive, au sentiment, car en effet seul le sentiment entraîne les hommes.

Si vous ne vous occupez que de la seconde condition, la science aura le premier rang, car en effet c'est la science seule qui nous fait connaître les lois de la nature.

Qu'ont à faire le sentiment, la religion, avec les découvertes de la boussole, de la navigation astronomique, des bateaux à vapeur, des chemins de fer, des télégraphes, des armes de guerre modernes, etc.

M. Le Bon voudrait-il soutenir que toutes ces découvertes n'ont pas

'marqué leur empreinte sur tous les éléments de la civilisation' ?

Pour entraîner des hommes au combat, il faut agir sur leurs sentiments, sur leur religion,

mais pour qu'ils gagnent la bataille, il ne faut pas

- les faire combattre avec des flèches contre des canons à tir rapide,

- ni les mettre sous les ordres d'un général qui ignore la stratégie et la tactique.

Le sentiment et la raison ont chacun leur part, et aucune de ces deux parts ne peut être négligée."

Cette alternative conforte la voie de l'économiste qui, depuis au moins J.B. Say (pour ne pas dire Etienne Bonnot de Condillac), a refusé de réduire l'économie politique - la praxéologie ou l'anthroponomie - à une mathématique.

S'en étaye la démarche qui consiste à refuser d'appliquer nécessairement, aveuglément, une mathématique à sa discipline, voire à passer, d'un instant au suivant, d'une mathématique à une autre pour traiter la même question comme ce fut le cas, par exemple, de la question de l'"équilibre économique général" au XXè siècle, dans la décennie 1950, quand son traitement passa des mains de la "théorie des systèmes d'équations linéaires" (de Walras à Wald) à celles de la "théorie des ensembles" (Debreu, Arrow, etc.).

12. "On ne fait rien sans rien"

"On ne fait rien sans rien" est une proposition avérée depuis bien longtemps et, si l'être humain a la capacité d'agir, c'est qu'en tant que tel, il dispose de ressources, d'un "patrimoine" (corps et âme), d'un "capital humain" (talents, etc.), reconnu ou non par ses contemporains, qui le lui permettent.

Ce point est en général laissé de côté.

13. Le méfait premier du socialisme.

Le courant qui a fait dériver l'économie politique dans ce chaos est celui du socialisme

- tant à l'échelle nationale, la France,

- qu'à l'échelle occidentale où se vautrent des organisations qui n'auraient jamais dû être inventées comme, par exemple, le Fonds monétaire international - décennie 1940 -, l'Organisation de coopération et de développement économique - décennie 1960 -, la Banque centrale européenne - décennie 1990 -, etc.

Vilfredo Pareto avait anticipé l'ensemble dès 1893 (cf. ce target="_blank" billet de février 2014).

14. Une grave erreur.

Libre à chacun de mettre l'accent sur la "rareté des choses" plutôt que sur "l'abondance des actions" des êtres humains, mais c'est une grave erreur.

L'être humain est "action", il n'est pas "chose", celle-ci fût-elle précisée "objet matériel" ou "service", "produit" ou "facteur de production", "marchandise" ou "non marchandise"...

Les résultats de l'action dans quoi on peut voir les choses, procèdent nécessairement des actions de chacun et non pas le contraire.

D'abord, le choix de l'action, puis celui des choses cernées par l'être humain, des découvertes, mais aussi des inventions.

15. La malfaisance de la science majoritaire.

Mais les prétendus économistes, rémunérés ou subventionnés par les impôts que leur affectent les hommes de l'état - directement ou indirectement via, par exemple, par des "organisations internationales" -, n'ont que faire de toutes ces considérations.

Eux qui constituent aujourd'hui la science majoritaire ont beaucoup plus d'un tour dans leur sac "à puces... électroniques" pour pouvoir prétendument développer l'économie politique et détruire ainsi, chaque jour qui passe, l'économie politique par sa racine, c'est-à-dire en employant de faux mots.

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