Paris, le 12 mars 2019.
Dans son dernier livre intitulé
Contre le libéralisme (la société n'est pas un marché), Alain de
Benoist fustige, pour le moins, deux concepts du titre qu'il emploie, à savoir
libéralisme et marché.
Complétés par d'autres, comme le concept d'"individu", l'ensemble est un vrai
brûlot de plus.
1. "La fondation ultime de la science économique".
A ces funestes idées, pour tenter de compenser, je ne saurais
trop insister tout lecteur à se pencher sur un autre livre, à savoir
celui qu'a publié Ludwig von Mises en 1962 et intitulé The Ultimate
Foundation of Economic Science. An Essay On Method - La fondation
ultime de la science économique : un essai sur la méthode - tant il
démonte, par anticipation, le propos de Benoist.
L'ouvrage se compose d'une "introduction" et des huit chapitres suivants
.
Quelques observations préliminaires sur la
praxéologie
au lieu d'une introduction.
Chapitre 1: L'esprit humain
Chapitre 2: La base activiste de la connaissance
Chapitre 3: Nécessité et vouloir
Chapitre 4: Certitude et incertitude
Chapitre 5: De certaines erreurs populaires concernant le
domaine et la méthode de l'économie
Chapitre 6: Autres conséquences de la négligence de la
pensée économique
Chapitre 7: Les racines épistémologiques du monisme
Chapitre 8:
le positivisme et la crise de la civilisation
&n...sp;
occidentale
En particulier mérite une lecture attentive son chapitre 5 intitulé "De
certaines erreurs populaires sur le domaine et la méthode de la science
économique" dont les onze sections sont les suivantes :
1. La fable de la recherche
2. L'étude des motifs
3. Théorie et pratique
4. Les pièges de l'hypostase
5. Sur le rejet de l'individualisme méthodologique
6. L'approche de la macroéconomie
7. Réalité et jeu
8. Interprétation erronée du climat de l'opinion
9. La croyance à l'omnipotence de la pensée
10. Le concept de système parfait de gouvernement
11. Les sciences comportementales
A cause de tous les biais que comportent les 352 pages de la prose de Benoist,
je ne saurais trop insister sur la section 6 intitulé "L'approche de la
macroéconomie", que je préférerai dénommer "L'analyse de l'économie de
marché".
2. "L'analyse de l'économie de marché".
Je vous en propose une traduction ci-dessous tant la macroéconomie en question
appliquée par les politiques ravage la réalité et a ravagé la science
économique et ceux qui prétendent en parler aujourd'hui.
Voici le texte (les intertitres sont de mon crû).
"Les auteurs qui pensent avoir substitué, dans l'analyse de l'économie de
marché, une approche holistique ou sociale ou universaliste ou institutionnelle
ou macro-économique à ce qu'ils dédaignent comme l'"approche individualiste
fallacieuse", s'illusionnent, eux et leur public.
[N.D.T. c'est le cas d'Alain de Benoist]
Car tout raisonnement concernant l'action doit traiter de la valorisation et de
l'aspiration à des fins définies, comme il n'y a pas d'action non orientée par
des causes finales.
Il est possible d'analyser les conditions qui prévalent dans un système
socialiste dans lequel seul le tsar suprême détermine toutes les activités et
tous les autres individus effacent leur personnalité propre et se transforment
virtuellement en de simples instruments aux mains des actions du Tsar.
Pour la théorie du socialisme intégral, il semble suffisant d'examiner
seulement les évaluations et les actions du tsar suprême.
Mais si on traite d'un système dans lequel l'aspiration à des fins définies de
plus d'un homme dirige ou affecte des actions, on ne peut éviter de retracer
les effets produits par l'action à partir du point au-delà duquel aucune
analyse des actions ne peuvent procéder, à savoir les jugements de valeur des
individus et les fins qu'ils visent.
L'approche macro-économique s'intéresse à un segment arbitrairement choisi de
l'économie de marché (en règle générale : une seule nation), comme s'il
s'agissait d'une unité intégrée.
Tout ce qui se passe dans ce segment tient aux actions des individus et des
groupes d'individus agissant de concert.
Mais la macroéconomie procède comme si toutes ces actions individuelles étaient
en fait le résultat de l'opération mutuelle d'une grandeur macro-économique sur
une autre telle grandeur.
[a. La distinction entre la macroéconomie et la
microéconomie]
La distinction entre la macroéconomie et la microéconomie est, en ce qui
concerne la terminologie, empruntée à la distinction de la physique moderne
entre
- la physique microscopique qui traite des systèmes à l'échelle atomique,
et
- la physique molaire qui traite des systèmes à l'échelle appréciable par les
sens bruts de l'homme.
Elle implique que, idéalement,
- les lois microscopique suffisent à elles seules à couvrir tout le domaine de
la physique,
- les lois molaire étant simplement une adaptation commode de celles-ci à un
problème particulier, mais survenant fréquemment. La loi molaire apparaît comme
une version condensée et expurgée de la loi microscopiques.*
[* A. Eddington, The Philosophy of Physical Science (New York and
Cambridge, 1939), pp. 28 ff.]
Ainsi, l'évolution qui a conduit de la physique macroscopique à la physique
microscopique est vue comme un progrès faisant passer d'une méthode moins
satisfaisante à une plus satisfaisante pour traiter les phénomènes de la
réalité.
Ce que les auteurs qui ont introduit la distinction entre la macroéconomie et
la microéconomie dans la terminologie traitant des problèmes économiques
avaient dans l'esprit est précisément le contraire.
Leur doctrine implique que la microéconomie est une façon peu satisfaisante
d'étudier les problèmes en jeu et que la substitution de la macroéconomie à la
microéconomie se ramène à l'élimination d'une méthode peu satisfaisante et à
l'adoption d'une méthode plus satisfaisante.
Le macroéconomiste se trompe si, dans son raisonnement, il emploie les prix en
monnaie déterminés sur le marché et par les acheteurs et vendeurs
individuels.
Une approche macroéconomique cohérente devrait fuir toute référence aux prix et
à la monnaie.
L'économie de marché est un système social où les individus agissent.
Les valorisations des individus telles qu'elles se manifestent dans les prix du
marché déterminent le cours de toutes les activités de production.
Si l'on veut opposer à la réalité de l'économie de marché l'image d'un système
holistique, on doit s'abstenir de toute utilisation des prix.
[b. L'approche du revenu national.]
Illustrons, à titre d'exemple, un aspect des sophismes de la méthode
macro-économique par une analyse de l'une de ses branches les plus populaires,
l'approche dite du "revenu national".
Le "revenu" est un concept des méthodes comptables des affaires à but
lucratif.
L'homme d'affaires sert les consommateurs de façon à faire des profits.
Il tient une comptabilité pour savoir si oui ou non cet objectif a été
atteint.
Lui (et pareillement aussi, les capitalistes, les investisseurs, qui ne sont
pas eux-mêmes actifs dans les affaires, et, bien sûr, aussi les agriculteurs et
les propriétaires de toutes sortes de biens immobiliers) compare l'équivalent
en monnaie de tous les biens dédiés à l'entreprise à deux instants différents
du temps et donc apprend ce qu'a été le résultat de ses opérations dans la
période écoulée entre ces deux instants.
D'un tel calcul émergent les notions de "bénéfice" ou de "perte" par contraste
avec celle de "capital".
Si le propriétaire de l'ensemble à quoi se réfère cette comptabilité dénomme
"revenu" le profit réalisé, ce qu'il veut dire, c'est:
si je consomme la totalité de celui-ci, je ne réduis pas le capital investi
dans l'entreprise.
Les lois fiscales modernes dénomment «revenu»
- non seulement ce que le comptable considère comme le bénéfice réalisé par une
unité d'affaires définie et ce que le propriétaire de cette unité considère
comme le revenu dérivé des opérations de cette unité,
- mais aussi le gain net des professionnels et les traitements et salaires des
employés.
[N.d.T. : en France, les comptables "fiscaux" en sont arrivés ces dernières
années à parler de "dépenses
fiscales" ! ]
En additionnant ensemble, pour toute une nation,
ce qui est "revenu" au sens de la comptabilité et
ce qui est "revenu" seulement au sens des lois fiscales,
on obtient la grandeur dénommée «revenu national».
L'illusionnisme de ce concept de revenu national ne doit pas être considéré
seulement dans sa dépendance aux variations du pouvoir d'achat de l'unité de
monnaie.
Plus l'inflation progresse, plus élevé devient le revenu national.
Dans un système économique où il n'y a pas d'augmentation de l'offre de monnaie
et des moyens fiduciaires, l'accumulation progressive du capital et
l'amélioration des méthodes technologiques de production qu'elle engendre ont
pour résultat une baisse progressive des prix ou, ce qui revient au même, une
hausse du pouvoir d'achat de l'unité de monnaie.
Le montant des biens disponibles pour la consommation augmente et le niveau de
vie moyen s'améliore, mais ces changements ne sont pas rendus visibles dans les
chiffres des statistiques du revenu national.
Le concept du revenu national fait oublier complètement les conditions réelles
de la production dans une économie de marché.
Il implique l'idée que ce ne sont pas
- les activités des personnes qui provoquent l'amélioration (ou la
dépréciation) de la quantité de biens disponibles,
- mais quelque chose qui est au-dessus et en dehors de ces activités.
Ce quelque chose mystérieux produit une quantité dénommée «revenu national»,
puis un second processus "distribue" cette quantité entre les divers
individus.
La signification politique de cette méthode est évidente.
On critique "l'inégalité" qui prévaut dans la «distribution» du revenu
national.
On crée le tabou de la question sur ce qui fait augmenter ou baisser le revenu
national et implique qu'il n'y a pas d'inégalité dans les contributions et les
réalisations des individus qui génèrent la quantité totale du revenu
national.
Si l'on soulève la question de savoir quels facteurs font croître le revenu
national, on n'a qu'une seule réponse :
- l'amélioration de l'équipement, des outils et des machines utilisées dans la
production, d'une part, et
- l'amélioration de l'utilisation des équipements disponibles pour la
satisfaction la meilleure possible des besoins humains, d'autre part.
La première est l'effet de l'épargne et de l'accumulation du capital,
la seconde celui des compétences technologiques et des activités
entrepreneuriales.
Si l'on dénomme "progrès économique" une augmentation du revenu national (non
produite par l'inflation), on ne peut pas éviter d'établir le fait que le
progrès économique est le fruit des efforts des épargnants, des inventeurs et
des entrepreneurs.
Ce qu'une analyse non biaisée du revenu national doit montrer, c'est d'abord
l'inégalité évidente dans la contribution des divers individus à l'émergence de
la grandeur qu'on dénomme revenu national.
Elle a en outre à montrer comment l'augmentation du quota par tête du capital
employé et la perfection des activités technologiques et entrepreneuriales
bénéficient - en augmentant la productivité marginale du travail et, partant,
les taux de salaire et en augmentant le prix payé pour l'utilisation des
ressources naturelles - aussi à ces classes d'individus qui elles-mêmes n'ont
pas contribué à l'amélioration des conditions et à la hausse du «revenu
national».
L'approche du «revenu national» est une tentative avortée de fournir une
justification à l'idée marxienne selon laquelle, dans le système capitaliste,
les biens sont «socialement» (gesellschaftlich), produits et puis
"appropriés" par les individus.
Elle met les choses à l'envers.
En réalité, les processus de production sont des activités des personnes
coopérant les unes avec les autres.
Chaque individu collaborateur reçoit ce que ses camarades– en concurrence les
uns avec les autres comme acheteurs sur le marché - sont prêts à payer pour sa
contribution.
En toute rigueur, on peut admettre que, en additionnant les prix payés pour la
contribution de chaque individu, on les dénomme "revenu national total
résultant".
Mais c'est un passe-temps gratuit de conclure que ce total a été produit par la
«nation» et de déplorer - en négligeant l'inégalité des contributions des
divers individus - l'inégalité alléguée de la distribution.
Il n'y a aucune raison non politique de quelque ordre que ce soit à procéder à
une telle sommation de tous les revenus dans une «nation» et non pas dans une
collectivité plus large ou plus étroite.
Pourquoi le revenu national des États-Unis et non pas plutôt "le revenu de
l'État» de l'Etat de New York ou le «revenu de comté» du Westchester County ou
du "revenu communal» de la municipalité de White Plains?
Tous les arguments qu'on peut avancer en faveur d'une préférence pour la notion
de «revenu national» des États-Unis plutôt que pour celle de revenu de l'une de
ces unités territoriales plus petites peuvent aussi être avancés en faveur
d'une préférence pour le revenu continental de toutes les parties du continent
américain ou même le revenu du «monde» plutôt que pour le revenu national des
États-Unis.
Il y a simplement des tendances politiques qui rendent plausibles le choix des
États-Unis comme unité.
Les responsables de ce choix sont critiques de ce qu'ils considèrent comme
l'inégalité des revenus individuels aux États-Unis - ou sur le territoire d'une
autre nation souveraine - et visent à une plus grande égalité des revenus des
citoyens de leur propre nation.
Ils ne sont ni en faveur d'une égalisation mondiale des revenus ni d'une
égalisation dans les divers États qui forment les États-Unis ou leurs
subdivisions administratives.
On peut être d'accord ou non avec leurs objectifs politiques.
Mais il ne faut pas nier que le concept macroéconomique de revenu national est
un simple slogan politique dépourvu de toute valeur cognitive." (Mises,
1962).
3. Une mesure catastrophique de la dépense.
On regrettera que Mises n’ait pas enfoncé davantage le clou en
dénonçant l'emploi de l’agrégat "revenu national" comme "mesure" de la dépense
et les interprétations de la conjoncture que proposent, à partir de cette
dépense mesurée, ses hérauts.
Cela constitue pourtant un autre motif de disqualification complète de la
"macroéconomie" keynésienne dont son instigateur ne peut pas être
dédouané.
a. George Reisman
Il y a une décennie, le 21 février 2009, George Reisman a réfuté icelle en des
termes très heureux dans un texte intitulé " target="_blank";Le
redressement économique passe par la reconstitution du capital, non par des
'plans de relance' étatiques".
Soit dit en passant, George Reisman, professeur de science économique émérite à
Pepperdine University, est Senior Fellow à l'Institut Goldwater.
Il est avec Israel Kirzner, Hans Sennholz et Louis Spadaro, l’un des quatre
économistes qui ont passé leur doctorat dans la discipline avec Ludwig von
Mises.
Son site web a pour adresse target="_blank" www.capitalism.net et son blog target="_blank" www.georgereisman.com/blog/.
George Reisman a écrit Capitalism: A Treatise on Economics (Ottawa,
Illinois: Jameson Books, 1996) - on peut en télécharger une version
.pdf sur son site en cliquant sur le titre : target="_blank" Capitalism: A
Treatise on Economics, et en enregistrant le fichier une fois celui-ci
affiché à l'écran.
b. La mesure...
Une "mesure" du revenu ne saurait être une mesure de la
dépense.
Dans sa recherche d'un résultat net, la "mesure" du revenu est amenée à
négliger la plus grosse partie des dépenses parce que celles-ci portent sur ce
que les "comptables nationaux" appellent les "consommations intermédiaires", à
savoir tous les facteurs de production qui ont été transformés au cours du
processus productif.
C'est une erreur élémentaire, voire grossière, que de ne pas comptabiliser ces
dépenses sous prétexte que celles-ci portent sur des facteurs qui disparaissent
au cours du processus de production.
Qu'on le veuille ou non, des acteurs ont effectué ces dépenses et les produits
et services qu'elles recouvrent ont été achetés. Ces derniers correspondent à
une activité réelle qui se renouvelle sans arrêt.
Prendre le "revenu" pour une "mesure de la dépense" conduit donc le
raisonnement ainsi faussé à inverser les rapports entre les sommes consacrées à
la consommation et celles qui sont épargnées comme sources respectives de la
dépense totale.
Au lieu de constater que, dans une économie développée, l'épargne paie les
trois quarts de cette dépense totale (nonobstant les sophismes qui voudraient
faire croire que la création monétaire permettrait de se dispenser de celle-ci
en tout ou partie), on perçoit, au contraire, une prépondérance de la
consommation.
Cette prépondérance est bien évidemment prétendue et l'ensemble absurde.
L'erreur grossière de comptabilisation - en rupture avec la vraie
comptabilisation - entretient cette ultime négation des lois de la comptabilité
qu'est le keynésianisme.
Il est en effet en mesure de prendre l'épargne pour de la
thésaurisation (concept dénué de signification aujourd'hui).
Il peut ainsi laisser entendre qu'épargner serait "soustraire" de la monnaie au
flux des dépenses..., limiter les dépenses par des "fuites" alors que l'épargne
est, au contraire, la source principale des dépenses.
4. Le suicide de l'Occident.
Mises ne l'évoque pas dans ce texte de 1962, mais cette approche pernicieuse
dite "du revenu national" reçoit parfois une autre dénomination à défaut qu'on
lui juxtapose une approche voisine, articulée à une autre notion que le "revenu
national", mais tout autant pernicieuse.
La dénomination ou l'approche a été employée, par exemple, par Jacques Rueff
qui, en 1976, avait mis explicitement en garde contre son existence : c'est
l'approche ou la "doctrine dite du 'plein emploi'".
Jacques Rueff a écrit ainsi :
"… la doctrine du plein emploi … est en train de détruire sous nos yeux ce qui
subsiste de la civilisation de l'Occident"
N.B. Quelques semaines avant de disparaître (en avril 1978), Jacques Rueff
avait déposé chez Plon le titre de l'ouvrage qu'il allait écrire : c'était
Le suicide de l'Occident.
(cf. ce target="_blank" billet et ce texte
intitulé " target="_blank"
La fin de l'ère keynésienne ")
Qu'elle soit "du revenu national" - dont le montant provoquerait le plein
emploi ou le chômage - ou "du plein emploi" - à quoi correspondrait un revenu
national d'un certain montant -, l'approche est malheureusement l'approche
préférée des politiques – et de leurs conseillers – en France.
Elle a ainsi conduit, depuis au moins 1976, la France là où elle devait
logiquement la conduire et où elle se trouve aujourd'hui –, à savoir sur un
monceau de dettes publiques en expansion permanente et sur un sentier de
croissance en régression elle aussi permanente, allant de pair avec un chômage
élevé et une pauvreté croissante.
Retour au target="_blank" sommaire