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Les hommes de l'Etat n'ont pas
été les derniers, au XXè
siècle, à ravager le domaine de l'économie qu'est la
monnaie. Ils l'ont fait en interdisant la convertibilité en monnaie or
des substituts de monnaie bancaires que sont les billets et les
dépôts du même nom.
Des économistes s'en sont aussi chargés : ils l'ont fait en
perpétuant des visions malencontreuses de la monnaie (en termes de
"fonctions" et ou de comptabilité bancaire
réglementée) et en introduisant des magiques (comme, par
exemple, celle de la monnaie "liquidité absolue").
Les uns et les autres se sont d'ailleurs retrouvés - pour autant
qu'ils étaient séparés, ce qu'il est difficile de croire
tant les uns conseillaient les autres...- et se sont épaulés
pour construire, par exemple et en particulier, ce qu'on dénomme
aujourd'hui "monnaie euro".
Dans le Journal des
économistes, Joseph Garnier écrivait en 1864 :
"La notion de la monnaie est une des plus fondamentales en
économie politique [...]
L'idée qu'on s'en est faite a conduit aux formidables erreurs du
système mercantile et de l'exclusivisme commercial, aux
altérations et spoliations de plusieurs siècles de
générations, au papier monnaie qui a fait tant de ruines dans
le passé et qui est encore une plaie de l'économie
contemporaine" ( J. Garnier, 1864, p.253)
Les erreurs continuent, voire se sont accélérées depuis
lors.
Peu de choses ont changé dans le bon sens en
dépit de la longue série de changements tant techniques que
scientifiques qui ont vu le jour, jusqu'à aujourd'hui inclus.
Il faut se rendre à l'évidence : l'idée de monnaie a
été encore ravagée par la rhétorique et la
réglementation que celle-ci propulse. Dans deux billets
précédents (des 17 octobre
et20
novembre 2011), j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, je
n'y reviens pas.
1. La monnaie est
mondiale.
La monnaie est, par principe, qu'on le veuille ou non, mondiale.
Mais c'est méconnu.
Ce qu'on dénomme "monnaie" n'est en effet rien d'autre que
ce qui contribue à diminuer le "coût d'opportunité
de l'échange synallagmatique présent", autre
considération mondiale.
Encore faut-il posséder dans sa boite à outils explicatifs ce
concept de "coût" pour comprendre la définition de la
monnaie donnée.
Ce qui n'est pas "monnaie courante"...
(cf. cebillet du 18 mars
2012
).
En général, on n'a pas l'outil car on a mis de
côté, au départ, par hypothèse implicite ou non,
l'acte d'échange synallagmatique présent de l'être
humain, à l'image de ce que font, directement ou non, beaucoup
d'économistes qui préfèrent privilégier aux actes
de l'être humain les résultats des actes -qu'ils font d'ailleurs
transiter par les concepts d'offre et de demande-.
Ils croient à tort que, pour que leur science soit une science, il
faut mettre de côté, au départ, les règles de
droit (cf. ce billet
du 23 février dernier).
2. La monnaie ne devrait
pas être magique.
En tout état de causes, avec ces choix, on se trouve pour le moins
handicapé pour définir et expliquer ce qu'il faut entendre par
"monnaie".
Qu'à cela ne tienne, on n'hésite pas à faire un peu de
magie pour s'affranchir du handicap.
Soit on donne des "fonctions" à la monnaie, des
"fonctions" qu'on tire d'un chapeau, mais certes pas de celui de la
science digne de ce nom.
Peu importe même qu'on les ait préalablement refusées aux
êtres humains, en hypothèses, en ne prenant pas en
considération leurs actions : s'ils n'ont pas d'action ou
d'occupation, comment pourraient-ils avoir des fonctions ?
Soit on fait référence à la "comptabilité
bancaire réglementée" du moment, sans se soucier des
règlementations sur quoi celle-ci est établie, de leurs
changements permanents.
Mais on ne devrait pas s'étonner alors, comme c'est le cas
général, qu'on se heurte à un problème de
définition de la quantité de monnaie (Mo, M1, M2 ou M3 ou ...,
etc.).
A l'occasion, on ne devrait pas non plus parasiter ce qu'on dénomme
"monnaie" par ce que peuvent cacher les
considérations, d'abord comptables, de "liquidité" ou
de "réserve".
Soit on investit les hommes de l'Etat de la responsabilité des tenants
et des aboutissants de la monnaie...
Tout cela quand on ne la réfugie pas derrière le concept de
"préférence pour la liquidité" introduit par
J.M. Keynes dans la décennie 1930.
Il faut savoir que le concept est doublement pernicieux :
- il cache l'obligation qui est faite à vous et moi de pouvoir
exprimer sa préférence pour la monnaie, puisqu'on est
obligé d'employer la monnaie nationale (la monnaie régionale
dans le cas de la "zone euro") (cf. ci-dessous),
- il cible l'attention sur une pseudo alternative entre monnaie et
créances à long terme à revenu fixe en introduisant des
attentes de variations des taux d'intérêt à long terme.
Soit dit en passant, cette dernière vision en termes de
liquidité, plus ou moins infectée par la comptabilité
bancaire réglementée, est elle-même consolidée par
une vision en termes de "réserves", autre notion comptable.
En d'autres termes, la comptabilité bancaire réglementée
cannibalise ce qu'est la monnaie.
Il faut éviter de s'y perdre si on ne veut pas perdre de vue la
monnaie.
Bref, la "préférence pour la liquidité" est
une dénaturation de la réalité, c'est un anti concept
qui fait intervenir, sans y insister, la finance dont les créances
à long terme à revenu fixe sont un pâle reflet.
Autant la monnaie est ce qui contribue à diminuer le coût de
l'échange synallagmatique présent, autant la finance est ce qui
contribue à diminuer le coût de l'échange synallagmatique
intertemporel (cf. par exemple ce texte
de février 2006).
3. Ce qu'on
dénomme "monnaie" est monopolisé
régionalement.
Le fait est que, progressivement depuis la nuit des temps, les hommes de
l'Etat ont donc régionalisé la monnaie en la monopolisant, chacun
dans son territoire d'autorité, et en la rendant obligatoire sur ce
territoire...
Et cela a alimenté la perte de vue du principe de la monnaie à
défaut de favoriser sa découverte.
Au XXè siècle, ils sont même
parvenus à détruire le "modus vivendi" qui avait
émergé bon gré mal gré au XIXè
siècle et qu'était l'étalon-or, tant à
l'échelon national - à partir de la décennie 1930 -
qu'à l'échelon mondial - à partir des années
1971-73 - (cf. par exemple, ce billet du 8
février 2011).
Curieusement, la destruction du "modus vivendi" n'a pas
donné lieu jusqu'à présent à l'échelon
mondial à un phénomène du type de celui qui
s'était produit dans le passé quand des décisions
voisines avaient été prises à l'échelon national,
par exemple, en France dans la décennie 1790 (avec les
"assignats" et autres "mandats") ou dans d'autres pays au
début de la décennie 1920 (hyperinflation).
4. Ne pas confondre
"monnaie" et "finance".
La destruction a contribué néanmoins à faire confondre
"monnaie" et "finance" en pratique et même en
théorie - via la "préférence pour la
liquidité" -, voire à jeter le discrédit sur ce qui
les chapeaute ou les enveloppe, à savoir les "banques".
Tout cela est venu en complément du parasitage signalé
précédemment de la monnaie par la liquidité et les
réserves et a ainsi constitué, à sa façon, une
autre grande destruction, celle de la connaissance.
Aujourd'hui, au XXIè siècle, du fait
de cette dernière tendance, existent des règles
édictées en matière monétaire qui
télescopent les règles édictées en matière
financière et la confusion regrettable entre monnaie et finance
s'avère renforcée, pour ne pas dire totale : elle
transparaît dans le capharnaüm où le monde se trouve (cf.,
par exemple, ce billet du 6
septembre 2011).
C'est ainsi qu'en particulier, dans la zone des pays de la monnaie
dénommée "euro", sont en jeu, d'un côté,
ce qu'on dénomme "monnaie euro" et, de l'autre, les
"finances publiques" des Etats des pays de la zone euro, voire de
ceux de l'Union européenne, des finances publiques en capilotade
conséquence des choix politiques depuis la décennie 1970.
Il reste que, par construction juridique approuvée à la
majorité par les peuples dans la décennie 1990, les
autorités monétaires de la "zone euro" sont
indépendantes des "responsables" des finances publiques,
i.e. des hommes de l'Etat des pays membres.
Mais, depuis quelques années, ces derniers ont essayé, par
divers moyens, d'assujettir de
facto - et non pas de
jure -
les autorités de la monnaie euro ... sans en dire quoi que ce soit
à leur peuple, sans lui demander son avis via, par exemple, un vote
par referendum.
Et ils font cela, toute honte bue, après qu'ils lui ont vanté
dans la décennie 1990 les mérites de l'organisation
monétaire juridique qu'ils mettaient en place et, en particulier, ceux
de l'indépendance de la Banque centrale européenne.
Ces derniers temps, ils semblent redoubler d'efforts dans le sens de
l'assujettissement comme s'il existait une relation entre les finances
publiques et la "monnaie euro" (cf. par exemple, ce billet du 10
avril 2011).
Soit dit en passant, peu importe que les formes et les quantités de
monnaie soient aujourd'hui très différentes de ce qu'elles ont été
dans le passé, aussi loin qu'on remonte, peu importe aussi la
confusion entre "monnaie" et "finance", car le bon sens
populaire s'y retrouve, le mot "monnaie" perdure d'ailleurs, certes
parfois avec quelques entorses synonymiques comme "argent"' en France.
Le jour où il sera perdu, c'en sera fini de l'organisation...
5. Vous avez dit
"test" ?
"Rien de plus dangereux qu'une idée générale dans
des cerveaux étroits et vides ;
comme ils sont vides,
elle n'y rencontre aucun savoir qui lui fasse obstacle,
comme ils sont étroits,
elle ne tarde pas à les occuper tout entiers " (H. Taine, 1875)
Il en est ainsi de l'idée générale de
"monnaie".
Les hommes de l'Etat ont ravagé la monnaie comme l'avait fait avec la
France leurs prédécesseurs dont parlait Hippolyte Taine dans la
citation précédente tirée de Les
origines de la France contemporaine - La conquête jacobine -,
à savoir les dits "révolutionnaires".
Ce n'est pas aux banques qu'il faut faire passer des "stress
tests".
Il faudrait faire passer aux hommes de l'Etat qui confondent monnaie et
finance, qui réglementent l'une et l'autre en grande ignorance ou qui
prennent des décisions à propos de la quantité de
monnaie, des "monetary economics
tests", i.e. des certificats d'études en économie
politique non marxiste, non microéconomique, non
macroéconomique, mais tout simplement monétaire.
Même magiques, monnaie et finance font deux.
Rien ne justifie d'assujettir la monnaie à la finance sauf si on veut
faire des mauvais coups et si on a la capacité de les faire,
impunément.
Mais cela n'a qu'un temps...
Georges
Lane
Principes
de science économique
Le texte ci-dessus a été
publié, sous le même titre, dans le périodique de l'A.l.e.p.s
., , 35 avenue Mac Mahon, 75017 Paris,
intitulé Liberté
économique et progrès social, n° 70, mars 1994, pp.
10-23 .
Georges
Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié
avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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